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LES INTOUCHABLES DE L'ETAT (la vraie démocratie)

 

2/2 - La richesse produite en France s'est concentrée dans les métropoles laissant autour d'elle des poches de pauvreté : un danger pour l'unité de la République



Quartiers d'affaires à Paris ci-dessus, à Bordeaux ci-dessous


et à Lyon...


Mais où donc est passée la population laborieuse de ces villes ?

Loin, très loin des centre-villes, en grande banlieue...


La conséquence de ces transformations réalisées en une ou deux générations est un rapide changement des populations métropolitaines.

Dans la capitale girondine, il ne reste pas grand monde des Bordelais d’origine. Depuis l’abandon du port urbain de Bordeaux dans les années 19802, suivi de la rénovation de la ville dans les années 2000, le turnover a été très rapide. La mystérieuse « bourgeoisie bordelaise », réputée distante, s’est considérablement renouvelée : François Mauriac n’y retrouverait pas beaucoup son monde.

Aspirées par Paris, par d’autres métropoles ou la mondialisation, les descendants des élites d’autrefois sont souvent partis. Et que dire des classes populaires qui dessinaient l’autre visage de Bordeaux : gouailleur, parlant fort avec l’accent bordelais chantant, mâtiné de termes occitans ou espagnols. Ce petit peuple, qui vivait des activités du port, de l’industrie et du commerce du vin, a quitté la ville.

La mairie et la presse locale préfèrent évoquer les « nouveaux Bordelais », cœurs de cible des communicants de la mairie. À Toulouse, La Dépêche du Midi a calculé, il y a quelques années, que sur ses 800 000 habitants les Toulousains d’origine sont moins de 200 000, alors que la ville-centre comptait plus de 400 000 habitants dès 2000.

LA RÉPUBLIQUE EN ÉCHEC

L’impasse démocratique dans laquelle se sont engagées les métropoles a été évoquée au début de cet ouvrage. Elle touche le fondement de la démocratie politique : le scrutin électoral.

Non seulement la participation électorale est devenue faible dans les grandes agglomérations, et même de plus en plus faible ; mais cette dégradation de la légitimité des élus, acquise par le suffrage universel, est aggravée tant par l’évolution du pouvoir des maires que par les structures sociologiques de la ville. Si les métropoles votent très peu, ainsi que nous l’avons évoqué, c’est que les segments de la société qui votent le plus (classes moyennes, retraités) ont été chassés de la ville-centre au profit de populations peu ou non votantes (étudiants, immigrés récents – souvent étrangers –, sans parler des touristes).

Évoquons, en outre, la nature du pouvoir municipal.

Celui-ci est de moins en moins démocratique.

Les élus d’opposition au conseil municipal n’ont en général que le pouvoir de la parole, étant sous-payés et n’étant pas associés aux décisions ; quant à la majorité municipale, elle est presque entièrement soumise aux décisions du maire, le conseil se contentant de voter en bloc les décisions prises au préalable entre le maire, ses services administratifs, son ou ses conseillers politiques, et quelques notables ou hommes d’affaires – des non-élus donc.

Ajoutons qu’en dépit de la décentralisation, de nombreux facteurs limitatifs ont contribué à réduire la marge de manœuvre des maires ; il s’agit des communautés d’agglomération, des règlements et des normes, du caractère oligopolistique des fournisseurs aux collectivités – qui constituent un pôle majeur du capitalisme rentier à la française –, du principe de précaution et de la judiciarisation de la vie publique.

Toute la chaîne démocratique en est atteinte.



Ajoutons qu’en dépit de la décentralisation, de nombreux facteurs limitatifs ont contribué à réduire la marge de manœuvre des maires ; il s’agit des communautés d’agglomération, des règlements et des normes, du caractère oligopolistique des fournisseurs aux collectivités – qui constituent un pôle majeur du capitalisme rentier à la française –, du principe de précaution et de la judiciarisation de la vie publique.

De tout cela résulte une baisse conséquente de la participation au vote, car les électeurs ont compris cette dégradation du pouvoir municipal.

De grands « élus » municipaux, parfois présentés en « barons » ou en « princes » régionaux, ne sont élus que par des minorités.

Dans les communes de Lille, Bordeaux ou Grenoble, dont la ville-centre est de taille modeste au regard de l’agglomération dans son ensemble, le maire n’est souvent l’élu que d’une infime partie de la population.

Alain Juppé a été élu en 2014 par 46 489 électeurs, soit 33,1 % des inscrits de Bordeaux, mais 5,9% de la population de l’agglomération ; le maire de Montpellier, Philippe Saurel, a été élu avec 29 928 voix, soit 20,55% des inscrits, mais 6,64% des habitants de l’agglomération.

En 2020, Martine Aubry a été réélue maire de Lille par 15 389 voix, ce qui représente 12,36% des inscrits, mais 1,31% des habitants de Lille Métropole.

À de tels niveaux, la distorsion démocratique est presque rédhibitoire, même si tout semble continuer comme avant. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la couleur politique des métropoles puisse changer de manière difficilement prévisible, puisque tout dépend d’une petite cohorte de votants.

Forts de leurs principes démocratiques réaffirmés, les nouveaux maires écologistes de 2020 veulent-ils renouveler les pratiques et l’ancrage de la citoyenneté municipale ?

Leurs premiers gestes et déclarations permettent d’en douter.

Après Anne Hidalgo en 2019 à Paris, Pierre Hurmic à Bordeaux et Jeanne Barseghian à Strasbourg ont décrété « l’état d’urgence climatique ».

Mais sans base juridique, ce projet vise à « défendre une limitation des libertés au nom du changement climatique [ce qui] n’est pas liberticide » (selon l’élue insoumise Manon Aubry)3.

Libertés d’éclairages, de chauffage, de déplacement, de consommation, etc. seront désormais soumises à des réglementations contingentes spécifiques.

Pourtant, si ces nouveaux élus se présentent en apôtres de la « démocratie participative », il y a un fossé avec leurs pratiques concrètes. Ces adeptes du « collectif » gouvernent leur ville et les métropoles entourés de leurs seuls proches : « Pierre Hurmic à Bordeaux, Grégory Doucet à Lyon ou, encore, Jeanne Barseghian à Strasbourg n’ont attribué qu’à des proches les postes de décision stratégiques, notamment les délégations des intercommunalités 4». Et la journaliste du Figaro Judith Waintraub d’ajouter : « Pierre Hurmic assume de ne pas partager le pouvoir à Bordeaux ».

Partition des électorats, faible appétence des électeurs, dérive technocratique du pouvoir municipal, dilution du pouvoir et des responsabilités, la liste est longue des maux de la crise de la République municipale qui gouverne les métropoles ; cela est d’autant plus fâcheux que leurs maires sont cités en exemple et érigés en interlocuteurs naturels de l’État.

Eu égard à la place conquise par les métropoles dans la production des richesses, dans la reconfiguration de l’espace national et social du pays, il n’est pas abusif de dire que leurs manquements démocratiques sont un grave symptôme de la crise de la République.

Notes :

1: Les lignes suivantes sont issues de son ouvrage.

2 : Pierre Guillaume, « Bordeaux oublie son port », in Guy Saupin, Villes atlantiques dans l’Europe occidentale du Moyen Âge au XXe siècle, Rennes, PUR, 2006, p.419-427.

3 : Judith Weintraube, « Les folies des nouveaux maires écolos : leurs obsessions, leur idéologie, leurs dégâts », Le Figaro, 4 septembre 2020.

4 : J. Waintraub, op. cit., 4 septembre 2020.


1/2 - La richesse produite en France s'est concentrée dans les métropoles laissant autour d'elle des poches de pauvreté : un danger pour l'unité de la République




Description d'un phénomène de classe, fruit de la mainmise de l'oligarchie financière mondialisée
sur la France et son peuple


La métropolisation est une tendance lourde de nos sociétés. Né aux États-Unis, ce phénomène de concentration de la production de richesses dans de très grandes agglomérations a gagné la France au cours des dernières décennies et l’a profondément transformée.

La métropolisation a conduit à une éviction des classes moyennes et populaires des métropoles, renvoyées dans une France périphérique appauvrie.

La crise des Gilets jaunes a mis en lumière les dommages démocratiques de cette partition sociale et territoriale. C’est la thèse de Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui vient de publier dans la collection Le Débat chez Gallimard L’impasse de la métropolisation.

L’historien souligne que la conquête électorale des métropoles par l’écologisme politique paraît relever davantage d’un réflexe de fermeture sur soi que d’une prise en compte du problème posé.


La nouvelle économie de services à la française a détruit l’ancien modèle économique. Les chiffres sont spectaculaires. En un demi-siècle, l’emploi industriel a régressé de plus de 40% à 10% de la main-d’œuvre et l’agriculture s’est effondrée de 15% à 2% des emplois.

Cette fuite en avant vers l’économie tertiaire et financière touche tout le territoire et toutes les activités. Toutefois, elle est particulièrement marquée dans les métropoles, celles-ci ayant peu à peu répudié leurs activités industrielles, une tendance qui ne faiblit pas.

Citons l’arrêt de l’usine AZF à Toulouse en 2001, qui fait suite à la première grande catastrophe industrielle du siècle, ayant tué 31 personnes, blessé 2 500, et fait 2 milliards d’euros de dégâts ; la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois en 2013 et des dernières grandes usines Nexans et SITL à Lyon de 2013 à 2015 ; ou la fermeture de l’usine Ford de Blanquefort-Bordeaux en 2019.

Les deux exceptions sont – jusqu’à la Covid – le grand port de Marseille-Méditerranée et les industries aéronautiques à Toulouse et Bordeaux, même si ces dernières sont autant des industries de cadres que de main-d’œuvre.

UNE ÉCONOMIE DE CADRES TRÈS PRODUCTIVE…

Les métropoles sont devenues des bassins d’emplois presque exclusivement tertiaires, avec un très fort taux d’encadrement, ce qui est un paradoxe pour des villes qui furent presque toutes de grandes cités ouvrières : Paris, ancienne capitale industrielle de la France ; Lyon, la ville des soyeux, des canuts et de la chimie ; Lille-Roubaix-Tourcoing, capitales du textile ; Marseille, Bordeaux et Nantes, anciennes capitales portuaires et d’industries navales. Cette page définitivement tournée, les capitaux bancaires et industriels ont été reconvertis dans les activités tertiaires les plus rentables.

C’est le rêve de « l’entreprise sans usines », cher à l’ancien PDG d’Alcatel, Serge Tchuruk. Quand il l’énonça en 2000, ce fut un choc : mais sa prédiction, qui était alors le vœu secret de la technostructure française, s’est autoréalisée.

Pour contourner le coût du travail élevé en France, dû aux charges sociales et au haut niveau de contestation sociale, les capitaux ont délaissé la productions des biens matériels au profit des services immatériels. Ce choix ne fut celui ni de l’Allemagne ni celui du Japon, ce qui oblige à y reconnaître un choix délibéré. Les cadres sont apparus comme politiquement plus sûrs que les ouvriers, et leur valeur ajoutée plus performante.

Ainsi se sont à la fois multipliés dans les métropoles – prestige et confort obligent – les services aux entreprises et les services à la personne, qu’ils soient marchands ou non marchands. Ainsi, l’hôpital public se développe en même temps que les cliniques privées, et les universités publiques aux côtés de grandes écoles privées. On pourrait rétorquer que l’État a créé et réparti des universités et des hôpitaux sur tout le territoire. Mais les services hospitaliers de pointe sont aussi concentrés dans les CHU, qui accueillent aussi les médecins les mieux rémunérés, les professeurs d’université et les étudiants et diplômés les mieux classés.


Car la métropolisation concentre les emplois privés de cadres dans ces régions urbaines. La fin des usines a entraîné la grande migration des ingénieurs vers les agglomérations. Depuis le tournant du siècle, ce mouvement touche aussi les architectes, les médecins, et les professions libérales en général.

Certes, les services à la personne comme le tourisme ou l’hôtellerie-restauration mêlent des emplois de main-d’œuvre sans qualification, mal rémunérés, et des emplois à haut revenus : mais la particularité des métropoles est qu’elles ont réussi – comme pour la médecine – à capter la plupart des emplois les mieux rémunérés.

Dans la fonction publique, le tertiaire de commandement a trouvé refuge dans ces métropoles ; et dans le secteur concurrentiel, le mouvement est encore plus marqué. L’État doit en effet maintenir des emplois de cadres, même en petit nombre, dans tous les départements, que ces emplois soient universitaires, hospitaliers, militaires, judiciaires ou liés au réseau de la préfectorale. Mais la balance n’est pas équilibrée. 85% à 90% des énarques résident à terme en Île-de-France, ce qui reflète la réalité de l’organisation et de la centralisation de l’État. De même, les emplois les mieux rémunérés de la fonction publique territoriale se concentrent dans les capitales régionales, qui sont en majorité des métropoles depuis la réforme de François Hollande. Or la question est plus large.

À Paris, presque la moitié de la population est désormais composée de cadres supérieurs, soit 44% : cette proportion considérable se réduit au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Paris et du cœur des métropoles. Elle tombe à 37,5% dans les Hauts-de-Seine (petite couronne), 30% dans les Yvelines (grande couronne) et à moins de 10% dans les départements du Cantal ou de la Lozère, parmi les plus ruraux de France.

À s’en tenir aux cadres du secteur public, l’écart serait moins important. Mais, dans le secteur privé, ce serait pire. Car la métropolisation concentre les emplois privés de cadres dans ces régions urbaines. La fin des usines a entraîné la grande migration des ingénieurs vers les agglomérations. Depuis le tournant du siècle, ce mouvement touche aussi les architectes, les médecins, et les professions libérales en général. Cela tient, pour partie, à la féminisation de ces métiers, à leur concentration dans des structures plus larges (cabinets d’avocats ou d’architectes remplacent les indépendants d’autrefois), mais surtout à la concentration des richesses produites dans les métropoles.

La richesse attire les cadres car elle peut les rémunérer selon leurs attentes, et ils la font croître en retour.

La puissante catégorie sociale des cadres, passée en soixante ans de 5 % à 15-17% des actifs, ce qui, en 2020, représente 4,7 millions de personnes (famille non comprises), réside aux deux tiers dans les métropoles. Ce fut l’objectif des maires de Nantes, Bordeaux ou Toulouse que d’attirer dans leur ville ces actifs haut de gamme, désireux de quitter Paris et ses nuisances pour s’installer dans une grande ville de province. Non seulement ils démontrent par leur choix l’attractivité de la ville choisie, mais ils renforcent tous les mécanismes ardemment souhaités par les municipalités (montée des prix de l’immobilier, gentrification, élargissement des bases fiscales, image de marque, création de richesses et de nouvelles entreprises, etc.).

Cette dynamique de métropolisation repose principalement sur la mobilité des hauts emplois de services (public ou privé). Elle se traduit par la constitution de milieux sociaux et de vie homogènes, comme l’Ouest parisien, le centre de Bordeaux, le centre et la banlieue ouest de Lyon, les quartiers du centre et sud de Marseille et, de l’autre, par la concentration des administrations et des entreprises à forte valeur ajoutée. CHU, grandes écoles et universités offrent localement des services à la personne (formation, santé, entre autres), tandis que dans les entreprises de services aux entreprises (informatique, communication, publicité, banques, finance, conseil, etc.) accroissent les revenus, les ressources fiscales et les investissements.

En 2019, les douze métropoles françaises produisent plus de la moitié du PIB national, alors qu’elles n’occupent qu’une infime partie du territoire, près de 5% (dont 2,5% pour l’Île-de-France). Elles hébergent les deux tiers des cadres français, ce qui est leur atout maître, dont un tiers en Île-de-France, et le second dans les onze autres (Lyon, Marseille/Aix, Lille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Strasbourg, Rennes, Montpellier, Nice et Grenoble).

Certaines, comme Paris et Nice, abritent en outre une grande proportion de cadres retraités, ce qui contribue à l’économie générale du système métropolitain. Il s’ensuit un grand déséquilibre dans la production des richesses, la distribution des activités et des revenus au sein de l’espace national, plaçant les deux tiers des départements français dans une situation de dépendance chronique au sein du grand système national de redistribution, assuré par l’État et les organismes sociaux.

L’HÉCATOMBE DES CLASSES POPULAIRES URBAINES

La partition territoriale qui sépare aujourd’hui les classes sociales françaises aisées de la majeure partie du peuple n’épuise pas la métropolisation comme prince de réorganisation de la société. Il serait faux et naïf de penser que la bourgeoisie française et les haut des classes moyennes peuvent se passer des classes populaires.

Certes, le gros des classes populaires françaises a dû quitter le monde de la production, tant agricole (par excès de modernisation) qu’industrielle (par excès de délocalisation).

L’artisanat a été réduit à sa plus simple expression par la standardisation, et l’industrialisation du bâtiment par la mode du jetable et par l’obsolescence programmée. Pourquoi recourir à des réparateurs ou à des couturières quand on jette, et à des peintres quand sa maison est équipée de PVC ?

Mais cela laisse intacts les services à la personne (nettoyage, aide aux enfants ou aux personnes âgées, restauration) et certains services aux entreprises (gardiennage, entretien des locaux et des espaces verts).

Dans le grand chambardement territorial traversé par la France des années 1970 aux années 2000, les classes populaires ont quitté l’Île-de-France puis certaines métropoles pour se réinstaller assez loin : dans des zones rurales comme en Bretagne, dans des villes petites et moyennes, mais surtout dans le péri-urbain, à quelques dizaines de kilomètres de la ville-centre.

La pavillonisation de l’habitat les a matériellement éloignées des bassins d’emploi des services à la personne ou aux entreprises. Or pour garder un enfant, il faut être disponible dès huit heures du matin ; pour ranger et préparer les restaurants, la fin de soirée est nécessaire ; pour nettoyer l’avenue des Champs-Élysées ou les transports en commun, on doit travailler en pleine nuit.

Les employeurs ont besoin d’une main-d’œuvre de proximité et à faibles salaires.

Or travailler de nuit à vingt ou quarante kilomètres de chez soi, surtout si l’on doit utiliser sa voiture personnelle – cité pavillonnaire oblige – pour un Smic ou à peine plus, n’a aucun intérêt économique.

Il est souvent dit que « les Français » refusent de faire des métiers dégradants, ce qui rend nécessaire un flux migratoire constant vers les métiers et secteurs « sous tension ».

Cette explication, qui fait l’impasse sur la métropolisation, est biaisée : les prix de l’immobilier des métropoles se sont envolés en une génération – à l’inverse de l’Allemagne –, croissant deux à trois fois plus que les salaires versés ; poussées par la désindustrialisation, les classes populaires ont été chassées des villes.

Il existe des exceptions, nonobstant le fait que certaines familles ont grimpé dans l’échelle sociale pour s’intégrer aux élites. Mais en général, à cause du chômage, de la transformation de l’environnement – devenu trop cher, ou non conforme aux habitudes antérieures –, ou pour défaut de famille nombreuse, les anciennes classes populaires n’occupent plus les logements sociaux. Beaucoup ont même quitté ceux qu’elles occupaient.


Une fois réalisé leur déménagement hors de la métropole, et réinstallées en pavillon ou dans une petite ville, il n’y a plus de retour possible. Ainsi sont partis les « déplorables », pour pasticher une citation de Hillary Clinton évoquant les électeurs populaires de Trump.

Le centre des métropoles – tantôt livré à la rénovation (quartiers Saint-Michel à Bordeaux, de la Gare de Lyon à Paris), à la construction de quartiers résidentiels (quartiers de la BNF à Paris rive gauche ou des bassins à flots à Bordeaux), de bureaux ou d’activités diverses (Euroméditerranée à Marseille, quartier des gares à Lille) – incite ou contraint les classes populaires subsistantes à quitter leurs quartiers de naissance ou de résidence.

Une fois réalisé leur déménagement hors de la métropole, et réinstallées en pavillon ou dans une petite ville, il n’y a plus de retour possible.

Ainsi sont partis les « déplorables », pour pasticher une citation de Hillary Clinton évoquant les électeurs populaires de Trump.

De nouvelles populations s’installent dans les quartiers réaménagés, répondant aux souhaits des municipalités des grandes villes. Celles-ci veulent attirer des CSP+, ces cadres pouvant répondre à la hausse des prix de l’immobilier, et dont les modes de vie sont conformes aux nouvelles attentes : la salle de sport remplacera le bistrot, et l’onglerie ou le magasin bio la charcuterie ou la droguerie d’antan.

En outre, certaines populations mobiles, comme les touristes ou les étudiants, sont ciblées. Car la gentrification n’est pas subie mais voulue.

Nous reviendrons, plus tard, sur cet aspect difficile à aborder : dans une capitale régionale en pleine expansion, soucieuse de son image de marque et désireuse de satisfaire ses nouveaux habitants, pourquoi s’embarrasser de gens à « problèmes » ?


Les foyers de handicapés, les maisons de retraite, les hôpitaux, les trop grandes familles, voire les enfants, la pauvreté d’une manière générale sont des problèmes pour les édiles : cela coûte cher et occupe un personnel communal important, cela crée des servitudes, de sorte qu’à l’exclusion des ouvriers et employés indispensables au confort de ses habitants, la grande ville est tentée d’externaliser ces habitants ou ces activités vers la banlieue, voire sa grande banlieue.

La nouvelle géographie de la localisation des EHPAD et des nouveaux équipements liés à la mort (arboretum funéraire, centres de crémation, chambres mortuaires, pompes funèbres) dans les métropoles serait très éclairante.
Pierre Vermeren


Liberté Hebdo n°1486: Edito de Philippe



DÉSINTÉRÊT DES ÉLECTEURS OU MÉPRIS DES POLITIQUES ?


Le taux d’abstention gigantesque observé, partout en France, lors du premier tour des élections régionales et départementales a de quoi faire réfléchir. Toutes tendances confondues, les partis et représentants politiques ne peuvent cacher leur déception. Les instituts de sondage guère plus. Certes, il était aisé de prévoir une faible participation, mais sans doute pas à ce point.

En raison de la crise sanitaire, la campagne a été difficile. À cela s’est ajouté les problèmes de distribution des professions de foi. La société privée Adrexo devra rendre des comptes. Mais le ministre de l’Intérieur serait mal inspiré de jouer les pères fouettards. C’est le gouvernement auquel il appartient et le libéralisme qu’il défend qui ont attribué le marché à une société privée. On voit que l’abandon des services publics n’est pas sans conséquences.

Les électeurs ne se seraient donc pas déplacés parce qu’ils n’ont pas reçu la propagande électorale. C’est possible en partie, tant l’information a paradoxalement du mal à passer. Mais cela est surtout dû au désintérêt apparent pour la chose politique. La destruction des services publics de proximité, par exemple, est une façon pour le pouvoir de s’éloigner du peuple, plus encore des « petites gens ». La manière dont le gouvernement maltraite les collectivités locales ne peut par ailleurs inciter à expliquer à quoi servent les Départements et les Régions. L’épisode Adrexo n’est alors qu’un épiphénomène qui révèle les raisons du désintérêt des électeurs et électrices. La météo ou la fête des pères n’ont rien à voir.

En fait, le phénomène date au moins du référendum de 2005 sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Les

Français se sont exprimés et ont rejeté ce traité. Mais leur vote a été purement et simplement volé. Certains médias se sont même permis d’insulter celles et ceux qui avaient « mal voté ». Dix-sept ans plus tard, rien n’a changé. Les insultes se reproduisent, le mépris est permanent.

Les Français et françaises ne se désintéressent pas de la chose politique. Ils se désintéressent de la manière dont les hommes et femmes de pouvoir font de la politique. Ils rejettent la manière dont ils et elles parlent, dont ils et elles se comportent. Loin de la réalité, loin des préoccupations populaires.

Là, peut-être, réside une des leçons à tirer de l’attitude des électeurs et électrices.




 

« Le communisme est toujours déjà à l’ordre du jour »



Entretien avec Étienne Balibar, philosophe, professeur émérite de l’université Paris-Nanterre, professeur affilié au département d’anthropologie à l’université de Californie, professeur associé à l’université Columbia et professeur au Centre de recherche en philosophie européenne moderne (CRMEP) à l’université Kingston de Londres. Entretien avec Pierre Chaillan.


Pourriez-vous nous dire d’abord pourquoi vous avez souhaité être partie prenante de cet anniversaire et de ce hors-série exceptionnel de l’Humanité ?


On ne refuse pas l’honneur de s’exprimer dans le journal de Jaurès et de générations de militants, surtout dans une période aussi critique que celle que nous traversons maintenant. C’est aussi une occasion privilégiée de contribuer à la discussion entre tous ceux qui, dans notre pays et ailleurs, refusent l’injustice de la société capitaliste et aspirent à une révolution communiste. Le contenu et les voies de celle-ci doivent néanmoins être repensés pour être à la hauteur des conditions de notre temps, en tirant les leçons d’un passé où figurent tout à la fois les actions les plus héroïques, de grandes luttes d’émancipation et les pires erreurs ou même des crimes contre l’humanité. J’ai appartenu au Parti communiste français et je ne me renie pas. J’en suis venu à questionner non seulement telle ou telle orientation, mais la « forme-parti » elle-même comme support de l’action révolutionnaire. Du moins comme support« exclusif ». Une forme qui d’ailleurs prête à d’extraordinaires variations. Ce qu’on appelle aujourd’hui parti n’a rien à voir avec ce que Marx et Engels entendaient par là dans le Manifeste de 1848, à savoir un mouvement politique d’ensemble de la classe exploitée reposant sur de multiples formes de solidarité. Et si vous regardez quels partis se disent communistes aujourd’hui, vous avez d’un côté une formation politique de gauche comme le PCF, insérée à la fois dans la lutte des classes et dans le pluralisme démocratique bourgeois, de l’autre côté un parti unique d’État qui conduit la Chine vers l’hégémonie mondiale en construisant un modèle remarquablement efficace de capitalisme autoritaire. On ne peut pas imaginer plus grand écart, et pourtant ces deux partis communistes ont été fondés à moins d’un an d’intervalle, sur la lancée de la révolution d’Octobre. C’est ce type de contradiction, où se concentre toute l’histoire du siècle, qu’il nous faut analyser en même temps que nous cherchons à faire passer dans la réalité notre engagement révolutionnaire.

À propos d’engagement révolutionnaire, justement, de nombreux mouvements contestent aujourd’hui le capitalisme. De multiples expériences et actions s’appuient sur des rapports non capitalistes et peuvent même se définir comme communistes ou s’inscrivant dans une « visée communiste ». Dans votre dernier livre [1], vous parlez d’« insurrections » et considérez la révolution comme un processus. Est-ce là votre conception du communisme ?

Dans mon livre, j’ai dit deux choses. D’une part, face à la catastrophe affectant les vies de milliards d’êtres humains, dans laquelle se combinent les ravages d’un capitalisme sans contrôle avec la destruction de l’environnement, il faut travailler à un programme « socialiste » pour l’humanité du XXIe siècle, dans lequel se rejoindraient des régulations économiques et environnementales planétaires, des insurrections populaires et des utopies concrètes, expérimentant à petite ou grande échelle de nouveaux modes de vie en commun. D’autre part, un tel programme, dès lors qu’il implique des redistributions massives de ressources, de travail et de pouvoir, n’a de chance de se réaliser que s’il est porté et propulsé par une « subjectivité communiste », une capacité d’action collective révolutionnaire, multiple dans ses formes mais convergeant vers l’imagination d’un autre monde. Or ces deux aspects se rencontrent autour du thème de l’insurrection. C’est le terme-clé dont tout dépend. S’il n’y a pas d’insurrection contre l’ordre existant, rien ne peut évoluer, sinon vers le pire. Mais, justement, il y en a, nous en observons dans toutes les parties du monde et sous de multiples formes, y compris chez nous et chez nos voisins du Sud. Cela dit, la pratique insurrectionnelle pose de redoutables questions, qu’il s’agisse de sa durée, de son unité, de son extension au-delà des frontières, de son caractère démocratique, de ses capacités d’alliance et d’innovation institutionnelle, de son rapport à l’exercice du pouvoir d’État… Je serais tenté de dire que ces questions sont la matière même d’une politique communiste.

La crise sanitaire que nous sommes en train de vivre est venue se surajouter à la crise environnementale et à la crise économique et sociale. En quoi le « capitalisme absolu » nous mène-t-il, comme vous le dites, vers une catastrophe ?

Le terme de crise est problématique, parce qu’il se décline sur plusieurs registres : politique, économique et social, moral ou civilisationnel, qui ne vont pas automatiquement de pair. Son application dépend du point de vue (en particulier de classe) auquel on se place. La crise des uns n’est pas automatiquement celle des autres. Pendant plus d’un siècle, les marxistes, imbus d’une conception déterministe de l’économie et de l’histoire, ont cru qu’une crise générale du capitalisme ouvrait la voie à la transformation de la société, pourvu qu’une force politique dotée de « conscience » sache s’en saisir. Marx a écrit que « l’humanité ne se pose que des problèmes qu’elle peut résoudre ». Rien n’est moins sûr, hélas. Déjà Gramsci avait noté que les institutions du passé peuvent être en voie d’écroulement, sans que pour autant les conditions d’une relève salvatrice soient données. Nous prenons conscience du fait qu’il existe un capitalisme « extractif » qui se nourrit des formes mêmes de sa crise, dans une permanente fuite en avant facilitée par des innovations financières. C’est un des sens qu’on peut attacher à l’expression de capitalisme absolu. L’autre sens, c’est que ce capitalisme a « marchandisé » tous les aspects de l’existence, non seulement la production, mais la reproduction de la vie, la recherche scientifique, l’éducation, l’art, l’amour… Dès lors, il ne se maintient qu’au prix d’un contrôle politique et idéologique de chaque instant, ce qui veut dire aussi une très grande violence et une très grande instabilité. Mais la catastrophe, c’est encore autre chose. Je n’aime pas les discours apocalyptiques, mais je pense qu’il faut cesser de parler au futur des effets du réchauffement, de la pollution ou de la destruction de la biodiversité (dont le Covid-19 semblerait être une conséquence directe), comme s’il s’agissait d’une « catastrophe imminente » que nous aurions les moyens de « conjurer » (Lénine). Il faut en parler au présent, puisque nous sommes dedans, irréversiblement. Notre problème n’est plus de revenir à la vie d’autrefois dans le monde d’autrefois, mais de faire surgir des alternatives, dont certaines sont plus vivables et plus équitables que d’autres. Car, naturellement, la catastrophe n’affecte pas tout le monde de la même façon… Socialisme et communisme sont des termes hérités de l’histoire, dont nous avons à nous demander comment ils permettent d’affronter à la fois la violence du capitalisme absolu et les conséquences de la catastrophe environnementale, qui, bien entendu, ne sont pas séparables.

Vous êtes donc bien d’accord que ce qui est à l’ordre du jour, c’est de penser le post-capitalisme ?

Naturellement je suis d’accord, mais par rapport à la tradition marxiste dont nous venons, je pense qu’il faut une autre conception du temps historique, et de la façon dont s’y insère la politique. C’est aussi cela que signale la nouvelle articulation des notions de « socialisme » et de « communisme », qui ont été longtemps en concurrence pour désigner ce post-capitalisme, mais avaient fini par être associées dans un schéma linéaire : le socialisme comme « transition au communisme », autrement dit d’abord le purgatoire et ensuite le paradis… J’ai l’air d’ironiser, mais tout cela était très sérieux et même tragique. Dans l’URSS stalinienne, on pouvait aller au goulag pour une mauvaise interprétation des « phases de transition », du « dépérissement de l’État », etc. Le plus intéressant, cependant, dans les débats qui ont suivi la révolution d’Octobre, je pense aux élaborations de Lénine dans la période de la NEP et à la façon dont elles ont été repensées par quelqu’un comme Robert Linhart, c’est l’idée d’une « transition sans fin prédéterminée », soumise en permanence aux aléas de ses propres rapports de forces internes. L’enjeu est l’équilibre instable de l’étatique et du non-étatique, du marchand et du non-marchand. À quoi j’ajouterais aujourd’hui impérativement celui de la croissance et de la décroissance, de l’industrialisation et de la désindustrialisation. Contrairement aux aperçus d’Althusser dans ses derniers textes, aux positions très élaborées de Lucien Sève ou d’Antonio Negri, chacun à sa façon, je n’en conclus pas qu’il faut se débarrasser de la catégorie de socialisme pour « mettre le communisme à l’ordre du jour ». Le communisme est toujours à l’ordre du jour, parce que, sans lui, comme force agissante, rien ne se passe. Mais le socialisme, après avoir représenté une « alternative étatique » au capitalisme, qui lui a permis de se transformer en capitalisme absolu, pourrait nommer un « renversement historique » de ses tendances destructives, sous l’effet de luttes de classes et de mouvements insurrectionnels suffisamment puissants. À moins qu’on ne trouve un meilleur nom.

Vous prenez donc à votre compte la formule de Marx, dans la célèbre thèse sur Feuerbach : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes façons, il s’agirait de le transformer… »

Oui, je m’en inspire en effet, mais à une double condition. La première, c’est de la dégager de toute compréhension volontariste. On ne décide pas de « transformer le monde », mais on s’engage de toutes ses forces, avec d’autres, dans un processus de transformation déjà en cours, qui n’est pas déterminé d’une façon unique, pour y « faire une différence » qui peut-être changera tout. Ici je m’inspire de Ernst Bloch, qui a donné l’une des lectures les plus profondes des Thèses de Marx : il ne peut y avoir de transformation du monde que sur la base d’une transformabilité, d’un incessant « devenir autre » de ce monde, et non pas d’une opposition simple, non dialectique, entre le statu quo et le changement. La seconde condition, c’est de ne pas lire l’antithèse interprétation-changement comme une alternative absolue. L’histoire nous a appris que si on n’interprète pas, c’est-à-dire si on ne prend pas le risque de l’analyse, de la théorie et de l’imagination, on ne transforme rien, ou on transforme pour le pire. Marx doit nous servir à cela, mais bien d’autres ressources sont nécessaires, dont certaines peuvent le contredire, en particulier sur sa conception évolutionniste de l’histoire : Spinoza, Nietzsche, Max Weber, Walter Benjamin, Freud, Foucault, Arendt, Spivak, Mbembe… Ce n’est que mon échantillon personnel.

Mais, au bout du compte, vous n’avez pas bien précisé quelle était votre conception du communisme, ou vous en êtes resté à l’idée d’une « subjectivité collective agissante », sans lui donner un sens. Les lecteurs risquent d’être déçus… Alors, qu’en est-il ?

C’est qu’il fallait d’abord tenter de débrouiller la question du « post » dans le post-capitalisme, d’expliquer pourquoi il est urgent, dans un contexte de catastrophe, de lui opposer des alternatives radicales, tout en sachant qu’on n’en aura pas fini avec lui dans un avenir prévisible. Cela veut dire en particulier que je ne crois pas que le communisme désigne un « mode de production » comme un stade de l’histoire de l’humanité. Je crois que le communisme est une praxis et un mode de vie. Il nomme le fait que les individus se battent pour surmonter « l’individualisme », la façon dont la société bourgeoise les oppose les uns aux autres dans une concurrence féroce qui traverse tous les rapports sociaux, depuis le travail jusqu’à l’éducation et à la sexualité. Mais, ce point est décisif, ils se battent sans dissoudre pour autant leur subjectivité dans une identitéou dans une appartenance communautairedonnée, qu’elle soit de type ethnique, religieux ou même politique. Marx est proche de cette idée dans ses textes de jeunesse, à peu près contemporains des Thèses sur Feuerbach. On voit bien qu’elle désigne plutôt un problème qu’une solution, car il s’agit d’une sorte de cercle carré, ou d’une unité de contraires. Et c’est ce qui en réalité fait sa force. On peut entendre ainsi en particulier la fameuse phrase de l’Idéologie allemande qui « définit » le communisme comme « le mouvement réel qui abolit l’état de choses existant ». Les déterminations qu’il a ajoutées ensuite, qu’il s’agisse de substituer le « commun » à la propriété privée, d’étendre la démocratie au-delà des formes bourgeoises de la délégation de pouvoir, de surmonter la division du travail manuel et intellectuel, enfin et surtout l’internationalisme (et donc l’antimilitarisme et l’antiracisme), ont à la fois pour effet de traduire l’idée du communisme en objectifs politiques et de lui conférer une signification anthropologique, c’est-à-dire de l’étayer sur tous les rapports qui unissent les humains entre eux mais aussi les répartissent en « maîtres » et « esclaves ». Et de ce point de vue, la liste est ouverte. Le mouvements des femmes, le post-colonialisme, le décolonialisme et l’écologie dans leurs différents intersections, ont ajouté des dimensions à la question que posait Marx, tout en créant des difficultés pour une anthropologie qui était essentiellement, sinon uniquement, centrée sur l’homme en tant que « producteur ». Voilà ce que j’ai à l’esprit quand je parle de « subjectivité collective agissante », réfléchissant au présent sur les conditions de son action. C’est pourquoi j’ai toujours tenté de substituer à la question « Qu’est-ce que le communisme ? », qui est une question abstraite et métaphysique, la question « Qui sont les communistes ? », et mieux encore : « Que faisons-nous,les communistes, quand nous nous battons pour changer la vie ? »

Cet entretien a été publié dans le hors-série Besoin de communisme édité par l’Humanité le 10 décembre 2020.

Emmanuel Todd commente les résultats des régionales ( à débattre)

 

Elections départementales Arras 3


 

LIBERTE HEBDO N°1485, EDITO DE PHILIPPE



FETE DES PERES, OFFREZ UN CADEAU INESTIMABLE : VOTEZ 

Ce 20 juin, c’est la fête des pères, pas celle du père fouettard. Faisons fi de cette météo difficile et allons voter. Même par procuration si nécessaire. 
Mais votons. 
Votons pour retrouver enfin, après six ans d’absence, une opposition de gauche au conseil régional. Mobilisons-nous et mettons dans l’urne le bulletin de la liste «pour le climat, pour l’emploi » portée par Karima Delli. 
Un retour de la gauche dans l’hémicycle est indispensable pour les habitants de cette région. On a bien vu, durant ces derniers mois, comment est traitée notre industrie, une industrie à laquelle le capitalisme, et son enfant terrible, le libéralisme, veulent porter le coup fatal. 

Ascoval, et l’interminable feuilleton des repreneurs, Bridgestone, et l’hypocrisie du président sortant, Xavier Bertrand, qui apporte un soutien de façade, menaçant même d’aller gronder le méchant nippon chez lui, Cargill Haubourdin, dont les salariés sont méprisés par le capital américain, Maxam Tan et la manière presque médite dont on s’est moqué, dont a méprisé les derniers ouvriers sommés d’assurer la sécurité du site avant de les virer.

Une politique régionale de gauche, c’est un vrai soutien à l’industrie, à l’agriculture, à l’artisanat et aux très petites et moyennes entreprises, c’est la création d’une banque régionale d’investissement, projet porté par la liste de Fabien Roussel en 2015 et repris aujourd’hui par plusieurs listes de gauche en France, et ici, dans les Hauts-de-France. 

L’idée de l’époque fait son chemin. Preuve qu’elle est bonne. 

Voter pour la gauche, c’est aussi se prononcer en faveur des services publics que la droite et les libéraux sont en train de détruire. La Poste, les centres d’impôts, etc. deviennent des fieux inaccessibles, sauf bien sûr pour les nantis qui n’ont cure de se déplacer et de rencontrer un conseiller. 
Les nantis savent se contenter d’un contact via les touches de leur smartphone. Mais combien sont-ils, dans la région, au regard de ceux qui regardent avec inquiétude, stress et effarement, arriver de plus en plus tôt la fin du mois ?

Voter pour la gauche, c’est aussi se prononcer pour des transports publics plus efficaces et, à terme, gratuits. C’est refuser l’ouverture à la concurrence des trains régionaux que la majorité régionale met en œuvre. 

Voter pour la gauche, c’est encore voter pour un meilleur système de santé, qui ne lèse personne, c’est voter pour des logements moins énergivores.

Mais ce 20 juin, nous avons aussi à nous prononcer pour nos futurs conseillers et conseillères départementaux. Un scrutin ne doit pas en cacher un autre. 
L'enjeu est là aussi très important. 

Nous savons bien que l’extrême droite est en embuscade dans de nombreux cantons gérés par la gauche. 

L’erreur ici, souvent relayée par les médias, consiste à dire que les candidats de gauche mènent combat contre les candidats fascistes (appelons-les par leur nom). 

En réalité, ce sont ces derniers qui s’attaquent à celles et ceux qui, forts de leurs valeurs humaines, contre le capitalisme destructeur et pour l’Humain d’abord, réalisent un travail de terrain remarquable depuis des décennies. 
Si l’on comprend cela, l’épouvantail lepéniste n’a aucune raison d’être autre chose qu’un... épouvantail.



 

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Commémoration à Montigny-en Gohelle le 29 mai au Dahomay

 



Exerçons le droit de mémoire : mai-juin 1941, 100 000 mineurs osent la grève !


Le 27 mai 1941, à la fosse Dahomey à Montigny-en-Gohelle, le mineur Michel Brûlé donne la consigne de stopper les compresseurs. Tous les marteaux-piqueurs s'arrêtent. C'est la grève générale. En 48 h, elle mobilise 100 000 mineurs du Pays noir de Auchel à Crespin sur 130 km.
Cette mobilisation a été initiée par un petit groupe d'hommes réunis clandestinement à Dechy (près de Douai) dans l'estaminet de Célestin Leduc, autour de Martha Desrumaux, dirigeante du PC. Neuf mois de réunions clandestines, de distributions de tracts et de journaux en particulier L'Enchaîné clandestin. De multiples discussions dans les salles des pendus et plus encore dans les entrailles de la terre ont permis de briser la chape de plomb sous laquelle l'occupant, Vichy et les collaborateurs enfermaient les travailleurs du sous-sol.


Pierre Chéret, responsable de la FNDIRP, brosse ce qu'était ce Pays noir, un véritable maquis souvent connu par les seuls mineurs, cheminots ou métallos. Un territoire marqué par des luttes en particulier ce grand printemps de 1936 du Front populaire où les travailleurs ont conquis de nouveaux droits (congés payés...) et retrouvé leur fierté.
Pierre Chéret évoque la dureté de l'Occupation, la présence des préfets, de la police, de la gendarmerie et de la justice acquis à Vichy, d'un patronat prompt à collaborer, d'une presse muette soumise à la censure, et de dirigeants syndicaux - maîtres des UL et UD, acquis eux-aussi à la politique collaborationniste de Pétain et Vichy.
Pendant neuf mois, réunions clandestines, débrayages et grèves ont permis aux mineurs et à leurs familles de prendre conscience de la nocivité mortifère de la résignation, de l'Occupation et de la collaboration. Ils se sont souvenus de leurs luttes et de leurs victoires d'avant-guerre. Ainsi le Pays noir est devenu une véritable poudrière. L'étincelle surgit ce 27 mai 1941 !


Ce 27 mai, le pari est gagné ! Pendant quinze jours, les molettes au sommet des chevalements ne tournent plus. 500 000 tonnes de charbon ne sont pas extraites et n'iront pas alimenter la machine de guerre nazie comme le rappelle le maire de Montigny-en-Gohelle, Marcella Della Franca, et Jean-François Raffy, sous-préfet de Lens.
Tous deux insistent sur le rôle essentiel des femmes mobilisées pour faire connaître et amplifier le mouvement.
Les 4 et 5 juin, ces femmes sont plusieurs centaines à manifester dans les rues de Billy-Montigny en scandant : " Pas de carbon pour les boches !"
Ainsi la grève se dévoile sous ces deux aspects : grève revendicative et grève patriotique !


Interpellant une demie douzaine de jeunes du Lycée Pasteur d'Hénin-Beaumont accompagnés par leur proviseur, Pierre Outteryck souligne qu'aujourd'hui cette histoire trop méconnue doit être portée par la jeunesse de notre région. Il propose qu'en 2022, de grandes manifestations mettent en avant cette grève extraordinaire.
La sénatrice Cathy Apourceau et tous les participants ne peuvent oublier que le premier convoi de déportés partis de France vers le système concentrationnaire nazi fut composé de 244 ouvriers-mineurs : 136 ne reviendront jamais !


Pierre Outteryck
Professeur agrégé d'histoire

Les services publics dans la Commune de Paris de 1871



Les services publics sont une réalité à la fois collective, structurelle et de long terme. Dès lors, il peut sembler vain d’en faire une analyse fructueuse et significative dans une période de seulement 72 jours. L’ennemi était aux portes de Paris. Le gouvernement et les administrations centrales qui lui étaient rattaché siégeaient à Versailles. Le nombre des agents publics de l’État, de l’ordre de 200 000, n’atteignait pas alors le dixième des effectifs d’aujourd’hui, dont les quatre-cinquièmes dans l’instruction publique, la poste et les finances. Dans Paris seulement un agent public sur quatre était à son poste, quelques-uns hostiles avaient été écartés, beaucoup dans ces circonstances avaient disparu dont une partie relevait du parasitisme du Second Empire. Les services étaient souvent désorganisés et les matériels en mauvais état. Il était très difficile dans ces conditions de programmer les actions publiques, a plus forte raison d’envisager une quelconque planification. Pourtant, la brièveté même de cette période explique sa densité, la vigueur des élans qu’elle a entrainée, l’accélération des réflexions sur tous les problèmes de la société dans un moment exceptionnel.

Les communards n’étaient pas guidés par une idéologie de l’action que le marxisme rationalisera, mais ils surent dans l’ensemble dépasser leur grande diversité idéologique par une convergence des actions publiques finalisée par un sens collectif de l’intérêt général. Pour répondre dans l’urgence aux besoins de la population, des commissions furent créées au niveau central et dans les arrondissements. Elles concernèrent notamment selon les priorités du moment : les finances, la sureté générale, l’enseignement, les subsistances, la justice, le travail, les relations extérieures, la guerre. D’énormes efforts ont été déployés pour faire fonctionner de manière pragmatique une machine administrative alourdie par la bureaucratie de l’époque impériale. Les finances ont fait l’objet de comptes détaillés et d’une gestion scrupuleuse. Une attention particulière a été apportée aux services municipaux relatifs à l’approvisionnement en vivres, à la santé, à l’hygiène, à la lutte contre l’incendie), à l’état-civil, au Mont-de-piété. La plupart des services publics de caractère industriel ont bien fonctionné : la poste, le télégraphe, les chemins de fer, jusqu’aux monnaies et médailles dirigées par le grand syndicaliste et dirigeant communiste Zéphyrin Camélinat

À l’inverse de la situation sous le Second Empire où l’allégeance des agents publics au pouvoir exécutif était requise, la Commine aurait pu s’inscrite dans la filiation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 concernant l’application des principes d’égalité et de responsabilité des agents publics exprimés par l’article 6 : « (…) Tous les citoyens étant égaux (aux) yeux (de la loi) sont également admissibles à toutes places, dignités et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. », et par l’article 15 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. », mais dans une aussi brève période elle a dû procéder de façon discrétionnaire ou par élection des agents public et des magistrats. Mais elle a combattu les inégalités, s’est prononcée pour l’égalité homme-femme, a plafonné les hauts revenus et prôné un minimum salarial, développé l’aide aux nécessiteux. Dans le contexte si dramatique de la fin de la Commune elle a été jusqu’à préconiser le droit à la désobéissance dans son Journal officiel du 24 mai 1871. Ces approximations et tâtonnements ont néanmoins aidé à préciser le concept de citoyenneté. L’appellation de « citoyen » était réservée aux communards.

Les femmes et les hommes de la Commune n’ont pu se poser la question du dépérissement de l’État et n’ont pas non plus voulu sa destruction étant donné que le centre de gravité de celui-ci était à Versailles ainsi que la quasi-totalité de l’appareil administratif en dépendant. Mais ils ont pratiqué à la fois par nécessité et choix de gestion la délégation d pouvoir et la décentralisation des décisions. Dans ces conditions l’application du principe de séparation des pouvoirs ne pouvait être qu’approximative, de même que la question de hiérarchie des normes. Les délibérations du Conseil général de la Commine ne pouvaient pas être regardées comme des lois et ces décisions avaient généralement le caractère réglementaire de décrets. C’était un souci d’ordre. Ainsi, René Bidouze, l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire des services publics sous la Commune rapporte que le journaliste libertaire Arthur Arnould avait proposé de classer les décrets en trois catégories : les décrets de principe (abolition de la conscription, séparation de l’Église et de l’État), les décrets d’actualité (loyers, pensions) et les décrets de combat (otages, destruction de la colonne Vendôme)[1]. Toute une série de propositions annonçaient les grandes lois sur la laïcité des années 1880 : suppression du budget des culte s, école primaire gratuite et obligatoire, école intégrale avec formation professionnelle, réduction de l’emprise de l’Église sur les établissements hospitaliers.

Il serait hasardeux de prétendre porter un jugement sur le fonctionnement des services publics sous la Commune avec le regard et les critères d’aujourd’hui. En revanche si son souvenir reste si vivace 150 ans plus tard, c’est qu’elle porte toujours témoignage de la possibilité de combiner une grande ambition émancipatrice et le savoir-faire des citoyens au plus près des problèmes de la cité face aux plus pressants dangers. Aujourd’hui, ce sont encore les collectifs de base des services publics qui se sont montrés les plus efficaces dans les services de santé, les établissements d’enseignement et de recherche, les collectivités locales et d’autres pour combattre l’épidémie et ses conséquences sociales. Se souvenir que pendant la Commune, à l’initiative de Gustave Courbet, un appel fut lancé par des artistes pour la réouverture des musées et la tenue d’une exposition, que la fédération des artistes élabora un plan de réforme de l’administration des Beaux-Arts, nous parle encore.

[1] René Binouze, 72 joues qui changèrent la ciré, préface d’Anicet Le Pors, Le Temps des Cerises, Paris, 2001.


Les 4 vérités - Fabien Roussel

 

Ian Brossat - France Info - 05/06/21

 

Le 12 juin, marchons pour les libertés, les droits et pour une République sociale et démocratique

Elections départementales 2021 : les actions des élus PCF et de la majorité de gauche face à la crise sanitaire

Régionales 2021 : les candidats communistes des Hauts-de-France avec Karima Delli


 

L’échec cuisant de la révolution énergétique allemande


Dans son second rapport sur l’Energiewende, la révolution énergétique allemande, la Cour des comptes allemande démolit la politique d’Angela Merkel. Pour plaire à une opinion publique très hostile depuis les années 1970 à tout ce qui porte le nom d’atomique, la chancelière a décidé en 2011, après l’accident de Fukushima, de renoncer à toute production d’électricité d’origine nucléaire en Allemagne. L’objectif politique était de récupérer le vote vert. Ce que cherche aujourd’hui à faire le gouvernement français, ne serait-ce qu’avec la fermeture l’an dernier de la centrale de Fessenheim. En Allemagne, cette tactique politique n’a pas du tout réussi.

Ne pas confondre renouvelable et décarboné

L’objectif énergétique annoncé par Angela Merkel en 2011 était aussi de remplacer le nucléaire par des sources d’énergie renouvelables, avant tout éolienne et solaire. Mais compte tenu de l’intermittence de ses énergies et d’un réseau électrique inadapté, le nucléaire a été remplacé par les renouvelables et… le charbon. Pas étonnant si les gains en matière d’émissions de gaz à effet de serre ont été limités. Il ne faut pas confondre renouvelable et décarboné.

Résultat de cette stratégie irréaliste, la sécurité d’approvisionnement en électricité n’est plus assurée en Allemagne, le risque de pénurie d’électricité ne cesse de grandir et les prix sont hors de contrôle. Les ménages allemands paient le KWh le plus cher d’Europe à 30,9 centimes, près de deux fois plus qu’en France où il est à 17,8 centimes. Devant l’augmentation des prix de l’énergie pour les entreprises, la Cour des comptes allemande y voit aujourd’hui une menace pour l’industrie allemande. Car pour éviter les blackouts, les entreprises sont invitées en cas de pénurie d’électricité à renoncer à fonctionner et à produire et sont indemnisées pour cela…

«Cette forme de transition énergétique met en danger l’économie de l’Allemagne et sollicite de manière excessive la viabilité financière des entreprises consommatrices d’électricité et des ménages privés […] Cela peut alors mettre en danger, à terme, l’acceptation sociale de la transition énergétique», a déclaré Kay Scheller, la présidente du Contrôle fédéral des finances, lors de la remise du rapport.

Le problème est jugé d’autant plus grave qu’à la fois la compétitivité industrielle allemande est affaiblie dans plusieurs secteurs dont l’automobile, du fait de la transition vers les véhicules électriques, et qu’en outre les besoins en électricité ne devraient cesser de grandir dans les prochaines années. La transition passe par une électrification massive des usages dans les transports, l’industrie et la chaleur.

Sous-évaluation systématique des besoins et surévaluation des capacités

La Cour des comptes critique la sous-évaluation systématique des besoins en électricité par le gouvernement allemand. A l’image de l’Ademe en France qui avait sorti en 2019 un rapport estimant que la France pouvait parvenir à 100% d’électricité renouvelablegrâce notamment à une baisse sensible de la consommation… Une hypothèse invraisemblable.

Pour ce qui est de l’Allemagne, le gouvernement s’est déjà fourvoyé sur la démographie avec une estimation de la population allemande de 75 millions de personnes en 2030 alors que les évaluations actuelles sont plutôt de 77 à 78 millions de personnes. Il faut y ajouter le retard croissant dans la construction des infrastructures d’énergie renouvelable, le rejet aujourd’hui massif des éoliennes par la population et des prévisions particulièrement optimistes des conditions météorologiques pour la production d’énergie renouvelable (vent et soleil). Cela remet en cause le scénario lui aussi très optimiste de sortie du charbon… qui sera d’ailleurs remplacé en grande partie par du gaz naturel. « Les hypothèses essentielles sur lesquelles repose l’évaluation actuelle de la sécurité d’approvisionnement du marché de l’électricité sont irréalistes ou dépassées », souligne le rapport de la Cour des comptes.

Le problème allemand est sérieux et devient aussi un problème français. Car Paris est obnubilé par ce que fait Berlin. Quand l’Allemagne annonce un grand plan de développement de l’hydrogène, la France fait de même trois mois plus tard. Mais la France qui dispose aujourd’hui d’une électricité très fortement décarbonée grâce au nucléaire, n’a aucune raison d’imiter l’Allemagne et de sacrifier sa sécurité d’approvisionnement tout en faisant s’envoler les prix… pour des gains inexistants en terme d’émissions de gaz à effet de serre.

Fabien Roussel, Invité de france info le 24 mai 2021.

 


Fabien Roussel, député du Nord, secrétaire national du PCF est candidat à l'élection présidentielle, est l'invité du lundi 24 mai 2021. Il débat avec Fabien Jobard, sociologue, spécialiste des questions de police.

1821-2021: 150 ans de la commune de Paris













 

Le PCF fait sa révolution par Descartes




Pour ceux qui me reprochent de voir tout en noir, voici un papier résolument optimiste. Pourquoi un tel changement, me direz-vous ? Parce que dans ces temps difficiles où l’on voit l’ensemble des organisations politiques laisser de côté la décision collective pour se vautrer dans les délices de l’égo-politique, c’est une grande consolation de voir qu’il reste au moins un village gaulois qui résiste. Il reste en France un parti politique, un vrai. C’est-à-dire, une organisation où les candidatures et les programmes sont débattus dans des instances constituées conformément à des statuts, et où les militants ne sont pas réduits au rôle de groupies dans les meetings du Grand Leader ou de colleurs d’affiches – quelquefois achetés avec leurs propres deniers – mais gardent un véritable pouvoir de décision. Vous comprenez que je fais référence au Parti communiste français, mieux connu – même si ces dernières années beaucoup l’ont oublié – par son sigle « PCF ».

Bien sûr, le PCF n’est pas sorti indemne du processus qui a vu les « classes intermédiaires » prendre le contrôle de la politique française. Après la longue marche qui commence avec le règne du père UbHue et qui se termine avec celui de l’homme invisible Laurent, le PCF n’est aujourd’hui que l’ombre de ce qu’il a été. Et ses péchés sont nombreux, même si le simple fait d’avoir gardé malgré toutes les pressions les mots « communiste » et « français » dans son nom a lieu de choisir un nom insipide du genre « Table Ouverte » ou « tous ensemble » devrait lui valoir à mon sens une demie-indulgence.

Ah, hypocrite lecteur, tu t’attends ici à ce que je parle du stalinisme… mais ce n’est pas là à mon sens le pire de ses écarts. Il n’est pour le PCF qu’un péché mineur. Après tout, les communistes français n’ont tué, n’ont torturé, n’ont déporté personne. Leur responsabilité dans la mise en place du Goulag est à peu près la même que celle de Serge July et consorts dans la « Grande révolution culturelle prolétarienne ». Dans l’affaire, le crime du PCF est, comme l’écrit Aragon « d’avoir aimé la flamme jusqu’à y devenir lui-même l’aliment » (1).

Non, le péché fondamental du PCF est d’avoir laissé sur le bord du chemin les couches populaires pour chercher à flatter les lubies – et les intérêts – des classes intermédiaires. Dérive qui a culminé avec le règne d’UbHue 1er (et unique) et son « parti d’un nouveau type » qui aboutit à la féodalisation du Parti avec le pouvoir des « notables » et des élus soucieux d’abord de leurs positions et de leur réélection, et des structures locales qui vivent au service d’un « grand élu ». Qui a abouti aussi à la quasi-destruction de l’appareil de formation militante et d’éducation populaire qui avait fait du PCF un « parti à part » dans le paysage politique français, le seul qui ait compris que l’accès des ouvriers aux responsabilités impliquait non pas une « discrimination positive » mais un effort d’éducation qui les mette au même niveau que les bourgeois occupant ces postes. Un appareil qui produisit une génération d’autodidactes brillants, de Leroy à Krasucki, de Paul à Seguy.

Il est impossible de comprendre le naufrage du PCF ces trente dernières années sans prendre en compte ces évolutions. Cependant, les efforts considérables faits par Hue, Buffet et consorts n’ont pas réussi à effacer certains réflexes qui tiennent à l’histoire communiste et à son insertion dans le mouvement ouvrier. Malgré des dirigeants qui n’hésitaient pas à expliquer que votes et textes ne servaient à rien – souvenez-vous de Buffet parlant avec mépris « des heures passées à examiner des amendements au texte de congrès qu’on aura oublié le lendemain » – et qui se sont assis sur les textes quand cela les arrangeait – la liste « bouge l’Europe ! » en est un bon exemple – les communistes ont gardé une saine passion par le débat, une attention particulière aux procédures démocratiques et à la capacité de leur organisation de fonder son action non pas sur des décisions opportunistes de leaders éclairés, mais sur des textes discutés et votés collectivement. Le PCF reste l’une des rares organisations – pour ne pas dire la seule – dont les congrès ne sont pas seulement un prétexte pour le discours de clôture du Grand Dirigeant, mais l’aboutissement d’un véritable processus démocratique interne, avec pour le préparer des textes d’orientation examinés par les conférences de section et les conférences fédérales avant d’arriver au congrès lui-même.

Tout cela compte à l’heure de décider de la stratégie à suivre pour l’élection présidentielle de 2022. Car, contrairement à ce qui se passe dans d’autres organisations, les militants communistes ont sur cette question leur mot à dire, et ce n’est pas une simple formalité. En 2012, Mélenchon fut le candidat du Front de Gauche regroupant le PCF, le Parti de gauche et une myriade de groupuscules divers. Mais pour que cette candidature voie le jour, le soutien énamouré de Marie-George Buffet n’a pas suffi : il fallut que la stratégie de Front de Gauche soit validée par un congrès, et que le choix du candidat soit approuvé par un vote des militants communistes (2). En 2017, alors que l’ensemble de la direction du PCF milite activement pour le ralliement au candidat « insoumis », la conférence nationale convoquée conformément aux statuts pour examiner les propositions aboutit, après un débat fort intéressant, à un vote négatif donnant la préférence à une candidature communiste séparée. Elle sera désavouée – là encore conformément aux statuts – par le vote des militants, qui choisissent le ralliement à 53%. Cependant, ce débat laissera des traces. Les communistes se sont affrontés sur un point fondamental : est-ce que le ralliement implique l’effacement ? Autrement dit, est-il possible tout en se ralliant (3) à un candidat de faire avancer lors de l’élection présidentielle les projets, les propositions, les thèmes et les valeurs portées par le PCF ? La direction prétendait que oui, qu’une « campagne autonome » parallèle à celle de Mélenchon était possible. L’expérience leur a donné tort, et pas seulement à cause du comportement du candidat Mélenchon. Lors d’une élection, toute l’attention se focalise sur le candidat et personne d’autre. C’est lui qui est invité à la télévision, c’est lui que les journaux interviewent. Et toute expression différente dans son camp est soit ignorée, soit montée en épingle comme facteur de division. Si l’on ajoute à cela la tendance mélenchonienne à occuper personnellement toute la place, il est clair que la « campagne autonome » était vouée à l’échec.

Pour 2022, le PCF semble avoir tiré les conclusions qui s’imposent. Dans la préparation du 38ème congrès de 2018 – preuve là encore d’une démocratie vivante – les militants relèguent en deuxième position la proposition de « base commune de discussion » très prudente présentée par la direction du PCF, et ne donnent que 11% au texte proposant un rapprochement avec la « France insoumise ». Ils mettent en tête le texte issu d’un travail collectif et porté par Fabien Roussel et André Chassaigne proposant de prendre ses distances avec LFI, et notamment à travers d’une candidature communiste à l’élection présidentielle. C’est la ligne adoptée par le Congrès, qui élit par ailleurs Fabien Roussel secrétaire national en remplacement de Pierre Laurent.

Cette ligne sera d’ailleurs confirmée par les votes du Comité national convoqué le 13 mars 2021 (4) pour élaborer le texte préparatoire (5) à la Conférence nationale qui devait examiner la question. Le texte est on ne peut plus explicite : « (…) nous décidons de proposer à notre peuple une candidature communiste ». Et tous les amendements proposés – soit pour retarder la décision, soit pour modifier le texte – ont été largement rejetés. La Conférence nationale elle-même s’est tenue le 10 avril, et a approuvé à une majorité des deux tiers le principe d’une candidature communiste, et proposé à la majorité des trois quarts le nom de Fabien Roussel. Une position que les militants communistes auront confirmé par leur vote les 9 et 10 mai derniers à plus de 80% des 30.000 votants…

Quelle importance, me direz-vous ? Avec leurs débats, leurs textes et leurs votes, les communistes sont-ils autre chose qu’une secte de dinosaures pratiquant des rituels oubliés de tous et qui ont perdu leur sens ? Avec de la chance, le candidat communiste fera un score à un chiffre. Pour aller plus loin, il faudrait au PCF reconquérir l’électorat populaire et donc, pour reprendre la formule consacrée, de partir de ce que ces couches sociales ont dans la tête. Quand on lit dans le texte proposé à la Conférence nationale que « les défis à relever appellent de profondes ruptures. La France a besoin d’une grande révolution démocratique, faite d’avancées décisives, de conquêtes de pouvoirs faisant reculer toutes les dominations sur nos vies et nos libertés : celles du capital, du patriarcat, du racisme, des LGBTI-phobies… », on se dit que ce n’est pas demain la veille que le PCF va reconquérir l’électorat populaire. Le communiste de cœur que je suis a envie de pleurer en voyant la « domination du capital » mise au même niveau que les « LGBTI-phobies » ou le « patriarcat ». Un énorme chemin reste à parcourir pour que le PCF redevienne un parti portant les intérêts des couches populaires. Mais on peut se réjouir de voir que le PCF a au moins réussi à préserver son capital institutionnel, la culture procédurale si essentielle pour qu’il y ait un véritable débat démocratique. Pour que le débat politique existe, il faut des enceintes institutionnelles, et une confiance que ce qui est dit dans ces enceintes a un effet sur la réalité. Le contraste avec les « conventions » organisées avec pour seul but de faire tamponner des décisions prises par le Grand Dirigeant – et que celui-ci peut ensuite changer selon son bon plaisir d’ailleurs – sont des exercices de communication, pas de débat.

Bien sûr, la décision des communistes de présenter un candidat donnera lieu aux critiques acerbes de tous ceux qui, à l’extérieur du PCF mais aussi à l’intérieur – où cette ligne peut compter sur les solides cohortes des « bébés-Hue » enkystés dans l’appareil – en sont restés au rêve d’intégration de l’ensemble des organisations de la « gauche radicale » pour donner naissance à une organisation unique, capable dans leur imagination de conquérir le pouvoir. Ce sont les mêmes qui, après le fiasco de la liste « Bouge l’Europe ! » et des « comités antilibéraux » en 2007, ont organisé dans le cadre du Front de Gauche l’OPA ratée de Jean-Luc Mélenchon sur le PCF, et qui en 2017 ont obtenu l’effacement du PCF aux élections présidentielles, cédant à Mélenchon le leadership de fait de la « gauche radicale ».

Il n’est pas inutile de revenir sur la logique sous-jacente à ce courant de pensée. Leur logique est simple et peut-être résumée dans les termes suivants : les divisions de la « gauche radicale » – certains diront « la gauche » tout court – sont largement artificielles. Elles sont le résultat des batailles d’égos entre les dirigeants et des blessures d’une histoire ancienne dont les nouvelles générations, à supposer qu’elles la connaissent, n’ont rien à faire. Ces divisions cacheraient en fait une profonde unité d’intérêts, de projets politiques, de valeurs. Après tout, ne sommes-nous pas tous anti-libéraux, anti-racistes, féministes, « diversitaires » ? Ne voulons-nous pas tous un monde bisounoursien ou les conflits auront été bannis et les êtres humains vivront en parfaite harmonie entre eux et avec la nature, rejetant toute « domination », toute « aliénation » ? Dans ces conditions, pourquoi nous diviser, nous opposer ?

Parfaite illustration de cette logique est le papier publié par la Fondation Jean Jaurès le 24 avril dernier sous le titre « La gauche française et l’Europe. Une synthèse possible pour 2022 ? ». La conclusion est révélatrice :

« On l’a vu, la divergence majeure est stratégique. Elle concerne la méthode de négociation vis-à-vis de nos partenaires européens. Du côté de la gauche radicale, on s’interroge : peut-on faire confiance aux réformistes pour porter sincèrement ces combats communs ? Du côté des socialistes et des écologistes, on demeure opposés à une approche jusqu’au-boutiste, proposant, in fine, un référendum sur l’appartenance à l’Union. En définitive, cette question tactique divise des formations qui, si on s’en tient aux idées, pourraient faire alliance. Ou, formulé autrement, la gauche pourrait – non sans esprit d’ouverture –concevoir un dessein commun pour l’Union européenne d’ici à 2022. »

C’est beau, n’est-ce pas ? Cet irénisme n’est pas le fruit du hasard. Quand le monde politique était structuré par les conflits entre les intérêts des différentes classes sociales, une telle vision aurait été impensable. Socialistes, communistes et radicaux ne se posaient pas la question de la légitimité de leurs identités séparées parce qu’ils avaient conscience de représenter des groupes sociaux et des classes différentes, aux intérêts divers, souvent conflictuels, quelquefois antagoniques. Si l’on peut aujourd’hui proposer la fusion des identités politiques spécifiques dans un grand gloubi-boulga consensuel, c’est parce que toutes ces organisations représentent aujourd’hui des nuances du même groupe social, à savoir, les classes intermédiaires. Dès lors que la lutte des classes disparaît comme élément structurant, que la lutte contre la « domination capitaliste », qu’on conserve pour des raisons traditionnelles, est mise sur le même plan que la lutte contre le patriarcat, le racisme ou les discriminations contre les LGBTIQ+ on devrait tous pouvoir se mettre d’accord.

Dans ce contexte, la prise de position du PCF est doublement remarquable, parce qu’elle se pose en rupture de ce raisonnement en réaffirmant que ce n’est pas parce qu’on est tous « de gauche » qu’on veut les mêmes choses, qu’on est préparé à accepter les mêmes compromis. Que nos différences ne portent pas seulement sur des questions tactiques, mais touchent aux buts mêmes de l’action politique. Et qu’il vaut mieux perdre l’élection en défendant ses idées que de se fondre dans un magma informe derrière un candidat qui prendra vos voix et ignorera vos idées et vos intérêts.

Si l’objectif est de reconquérir son rôle de parti populaire et tribunicien, le PCF a besoin d’être seul pour réfléchir. Seul pour constituer un projet qui ne soit pas limité par le besoin de plaire à tel ou tel allié, qui ne soit pas effacé par l’obligation de faire une campagne sur un programme et des thèmes choisis par d’autres. Seul pour montrer qu’il est capable de faire des choses, de défendre une ligne, d’occuper une place sans béquilles. Et pour montrer aux « dissidents » de toutes sortes qui vont là où la soupe est bonne – non, je n’ai pas mentionné Elsa Faucillon – qu’on ne peut être à la fois dedans et dehors. Car une candidature communiste, c’est aussi l’obligation pour un certain nombre de personnalités habituées à jouer personnel de se positionner clairement.

Le choix d’une candidature communiste est d’autant plus logique que la « gauche radicale » a de toute évidence l’élection perdue. Non pas parce que le système électoral serait injuste ou parce que les médias sont méchants, mais parce qu’elle n’a pas de base sociologique permettant de rêver à la victoire. Qui a intérêt aujourd’hui à amener un candidat de la « gauche radicale » à l’Elysée ? Pas les couches populaires, puisque la « gauche radicale » ne porte plus et cela depuis longtemps les préoccupations et les intérêts de ces couches sociales, et l’a largement démontré à chacune de ses participations au pouvoir depuis les années 1990. Pas les classes intermédiaires dans leur ensemble, qui se trouvent fort bien servies par les politiques mises en œuvre par les gouvernements qui, de Hollande à Macron, se sont succédés ces dernières années. La « gauche radicale » ne peut compter que sur certains secteurs des classes intermédiaires, qui par affinité intellectuelle se donnent un petit frisson « révolutionnaire » en montrant leur cul en attendant de devenir notaires.

Dans ce contexte, le choix n’est pas entre la victoire dans l’union et la défaite tout seul. On peut aller à la bataille avec ses idées, bénéficier d’une petite exposition médiatique, faire 2% et toucher un peu d’argent au titre du financement public des partis politiques. Ou l’on peut se fondre dans un magma qui fera un score à deux chiffres mais sans possibilité de défendre ses idées, et sans recevoir un sou, comme cela s’est fait en 2017. Roussel a raison de choisir la première option, avec une logique imparable : soit il fait un bon score, et ce sera une belle surprise, soit il s’étale, et cela ne changera rien.

Descartes

(1) « On sourira de nous pour le meilleur de l’âme
On sourira de nous d’avoir aimé la flamme
Au point d’en devenir nous-mêmes l’aliment
Et comme il est facile après coup de conclure
Contre la main brûlée en voyant sa brûlure
On sourira de nous pour notre dévouement

Quoi je me suis trompé cent mille fois de route
Vous chantez les vertus négatives du doute
Vous vantez les chemins que la prudence suit
Eh bien j’ai donc perdu ma vie et mes chaussures
Je suis dans le fossé je compte mes blessures
Je n’arriverai pas jusqu’au bout de la nuit

Qu’importe si la nuit à la fin se déchire
Et si l’aube en surgit qui la verra blanchir
Au plus noir du malheur j’entends le coq chanter
Je porte la victoire au cœur de mon désastre
Auriez-vous crevé les yeux de tous les astres
Je porte le soleil dans mon obscurité »

Louis Aragon, « les nuits de Moscou »

(2) Deux congrès en fait ont examiné cette stratégie, le 34ème en 2009 et le 35ème en 2011. Quant au vote pour désigner le candidat en 2012, il n’était pas une simple formalité : la consultation donna 59% à Jean-Luc Mélenchon, contre 40% à André Chassaigne, alors que le premier avait le soutien massif des principaux dirigeants du PCF.

(3) L’utilisation dans l’ensemble de ce papier du terme « ralliement » n’est pas le fruit du hasard. Si on pouvait parler d’alliance en 2012, quand le candidat Mélenchon acceptait encore un débat avec ses partenaires sur le programme, sur les thèmes de campagne, en 2017 toute discussion est exclue. C’est Mélenchon qui choisit le programme, les thèmes de campagne, l’organisation… il ira jusqu’à exiger des candidats aux législatives la signature d’une « charte » lui donnant tout pouvoir sur eux comme condition de l’investiture.

(4) Le PCF reste à ma connaissance là encore la seule organisation pour laquelle on dispose des textes présentés aux instances de décision collective, d’un compte rendu des débats et des votes. Vous pouvez consulter le dossier concernant cette réunion ainsi que l’ensemble des réunions du Conseil national du PCF à cette page : https://www.pcf.fr/le_conseil_national

(5) Vous noterez que la version du texte qui figure dans les documents est présentée avec ses lignes numérotées permettant de référencer finement chaque ligne du texte, et avec une marge pour les annotations. C’est un détail bien entendu, mais ceux qui ont mis le texte en forme l’ont fait dans une logique de débat fin, et non d’une lecture distraite…

le blog de descartes: https://descartes-blog.fr/2021/05/24/le-pcf-fait-sa-revolution/