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Coquerel (FI): Le nucléaire ne serait pas une « énergie d’avenir » ?

 

Mémoire. Fabien Gay défend « l’esprit de paix »

 


Le directeur de l’Humanité a rendu hommage à Jean Jaurès, fondateur de notre journal, assassiné il y a cent huit ans. Axant son discours sur la paix, comme seul combat à même de résoudre les défis de notre siècle, il a donné rendez-vous à tous pour la prochaine Fête de l’Humanité. Pourquoi Jaurès est-il mort ?



SENAT: Du jamais vu dans l’histoire du capitalisme français

  Du jamais vu dans l’histoire du capitalisme français »

Une sénateur () explose le gouvernement sur son inaction face à l'exposition des inégalités.

PCF - Ukraine : Oser la paix





La guerre déclenchée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine le 24 février est odieuse et irresponsable. Ce choix est un crime contre la souveraineté et l’intégrité territoriale d’un pays et contre le droit international.

Il plonge le peuple ukrainien dans un cauchemar insoutenable et menace la sécurité de l’Europe et du monde. Le risque d’une escalade incontrôlable augmente chaque jour.

La situation est d’une extrême gravité.

Dans un monde si interdépendant, cette guerre est un échec pour tous, un échec pour la sécurité collective de l’Europe.

Elle montre les limites dangereuses atteintes par la militarisation des relations internationales, et son cortège de discours guerriers, de haines et de nationalismes. Nul n’a jamais guéri des meurtrissures du passé en provoquant une nouvelle guerre.



1- Immédiatement : contraindre Vladimir Poutine au cessez-le feu et stopper l’escalade guerrière

• Cessez-le-feu immédiat et sans condition, et les moyens de l’obtenir

L’objectif immédiat de la France doit être d’obtenir un cessez-le-feu sans condition, le retrait des troupes russes et l’ouverture de négociations sous égide de l’ONU. C’est le sens de la résolution votée à l’ONU le 2 mars.

Les pressions et sanctions politiques, économiques et financières contre l’oligarchie doivent contraindre le régime de Poutine à arrêter la guerre. Nous distinguons les sanctions (mesures fortes et ciblées contre l’oligarchie) de la logique de blocus (arrêt des importations) qui serait une punition collective contre le peuple russe.

Tous les leviers diplomatiques possibles pour parvenir à un cessez-le-feu doivent être actionnés.



• Souveraineté et intégrité territoriale de l’Ukraine

Le respect des souverainetés et intégrités territoriales est un fondement du droit international. La paix et la fraternité entre les peuples, l'union des travailleurs du monde entier pour leur émancipation, les libertés, souveraineté et indépendance des peuples sont constitutifs de l’engagement et de la visée communistes.

La guerre engagée par V. Poutine viole le droit international. Nul ne peut remettre en cause l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine.

La position du Parti communiste d’Ukraine (KPU) est claire : il défend une Ukraine fédérale et une évolution de la Constitution du pays afin de doter les régions qui le demandent de prérogatives en matière de politiques économiques et sociales au plus près des populations.


• Soutien au peuple ukrainien et aux pacifistes russes

Le gouvernement de Poutine porte seul la responsabilité de cette guerre. C’est lui qui fait le choix de violer le droit international. C’est lui qui provoque destructions, morts, blessés et exilés. Le peuple ukrainien est l’agressé. L’aide au peuple ukrainien doit être concrète, dans les domaines économiques, humanitaires, médicaux, culturels, et envers les réfugiés.

L’Ukraine a le droit de se défendre. Le PCF s'oppose toutefois à ce que la France livre des armes en Ukraine : ce serait ajouter de « la guerre de la guerre », c'est-à-dire qu'au lieu de porter les efforts sur le champ diplomatique cela reviendrait à donner les moyens de la poursuite du conflit. Or la solution au conflit n’est pas militaire, mais politique. Chaque jour supplémentaire de guerre est un jour de destruction : l'urgence est d'arrêter les combats, de faire taire les armes pour ouvrir dans la foulée des négociations politiques sous égide de l'ONU.

Le droit international interdit formellement de livrer des armes aux belligérants d'un conflit. En le faisant, la France entrerait, du point de vue de l'agresseur, dans la guerre. De plus, la France ni aucun pays ne dispose de moyens de s'assurer que ces livraisons n'alimenteront pas ensuite des réseaux de mercenaires ou terroristes. Si des armes sont livrées, de quelle nature seront-elles ? qui les acheminera et comment ? compte tenu des forces en présence sur le terrain, comment s’assurer qu’elles seraient bien remises à leur destinataire déclaré, à savoir l’armée ukrainienne ? qui les utilisera et contre qui ?

Le peuple russe pour sa part ne peut être confondu avec son régime et son président. Nous dénonçons et nous inquiétons de la montée de la russophobie en Europe. Nous exprimons notre solidarité avec celles et ceux qui partout en Russie manifestent courageusement contre la guerre en Ukraine et la répression politique. Tout-e opposant-e, toute critique de la politique de V. Poutine encoure désormais 15 ans de prison. La censure interdit à la presse de mentionner le terme même de « guerre ».

La « comparaison » avec la guerre d'Espagne est erronée : la guerre d'Espagne fut une guerre civile provoquée par la rébellion, le putsch, des forces armées espagnoles, emmenées par le Gal Franco, contre le gouvernement légal espagnol et la Deuxième république. Il ne s'agissait pas d'une guerre d'invasion par un pays voisin comme c'est le cas en Ukraine.



• Éviter l’escalade guerrière

L’idée de « zone d’exclusion aérienne » (ZEA, en anglais : no fly zone) est portée dans le débat par ceux qui considèrent qu'il faut prendre le risque d'une entrée en conflit militaire avec la Russie. Nous nous y opposons. Fermement. Une ZEA n'est pas selon le droit de la guerre et le droit international une mesure de protection des populations, ce n'est pas une mesure humanitaire ; une ZEA est une action militaire, une manœuvre au sens strict qui s'inscrit dans une stratégie et un plan de campagne militaire. Cela signifierait par conséquent l’entrée de l’OTAN et de la France en guerre contre la Russie et donc ce serait un pas significatif dans l'escalade militaire et l'internationalisation du conflit.

Le peuple ukrainien serait la première victime d'une telle décision qui n'a pas pour objectif d’arrêter la guerre et n'empêcherait en rien les bombardements de l'armée russe des villes ukrainiennes à l’artillerie.



• Sur l’entrée de l’Ukraine dans l’UE

Les Ukrainiens sont un peuple européen, tout comme le peuple russe. Ils ont parfaitement le droit de demander leur adhésion à l’UE ; mais, comme pour tous les autres peuples, celle-ci doit répondre à des conditions fixées par l'UE. Le processus d'adhésion est donc de longue durée. Dans l’état actuel des choses, l’UE ne reconnaît pas l’État ukrainien comme une démocratie répondant aux critères d’adhésion (dits critères de Copenhague). Une procédure « accélérée » ne répondrait en rien à la situation de guerre.

Qui plus est l'adhésion aujourd'hui de l’Ukraine à l’UE signifierait la généralisation du conflit aux pays membres de l'UE puisque le traité de Lisbonne a introduit, par son article 42.7, une clause de « défense mutuelle ». Celle-ci stipule qu' « au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir ».

Par ailleurs, l’expérience atteste que l’élargissement de l’UE ne constitue en soi pas la meilleure manière d’initier une nouvelle construction européenne au service des peuples, et non plus de la finance.


• En aucun cas, une « guerre de civilisation »

Il ne s’agit en aucun cas d’une guerre entre l’ « autoritarisme » et la » démocratie ».

Les causes de cette guerre entre deux pays de type capitaliste périphérique sont d’ordre géopolitiques et stratégique. Elles sont également liées aux contradictions du régime capitaliste russe, à la fois dépendant des marchés énergétiques mondiaux et recherchant de plus en plus l’autosuffisance. Le capitalisme russe a besoin de nouvelles ressources, notamment agricoles.

Oui, le gouvernement russe est autoritaire et ultra-nationaliste. Les mesures qu’il prend désormais en Russie sont d’ordre dictatorial et il poursuit inlassablement le verrouillage de la société russe. Nous devons soutien et solidarité aux forces démocratiques et particulièrement de gauche qui se lèvent contre le régime.

D'autre part, et selon les critères de l'UE jusqu'au 24 février... l’État ukrainien ne remplit pas les « critères de Copenhague » (critères d’adhésion à l’UE) et n'est donc pas reconnu, selon les institutions européennes elles-mêmes, comme une « démocratie ». Le classement des démocraties de The Economist le place parmi les « régimes hybrides », entre démocratie et autoritarisme. La place des services de sécurité est aussi importante qu’en Russie. Des médias d’opposition ont également été interdits. Des militants de gauche pacifistes ont également été arrêtés depuis le début de la guerre. Le poids des milices d’extrême droite, est sensible puisque, par exemple, l’ancien chef du bataillon d’extrême droite Aïdar est devenu gouverneur d’Odessa ce 1er mars.



• Aide à tou-te-s les réfugié-e-s est un devoir et une responsabilité collective

Le HCR de l’ONU prévoit que la guerre va contraindre à l’exil plus de 5 millions d’Ukrainiens (soit, plus de 10 % de la population totale du pays) ; à cette heure, leur nombre atteint les 2,5 millions.

L’UE a annoncé la mise en place une « protection temporaire » pour eux, en application d’une directive européenne de 2001. Cette disposition, d’une durée d’un an, comprend : un droit de séjour, l'accès au marché du travail, l'accès au logement, l'aide sociale, l'aide médicale, un droit à la tutelle légale pour les mineurs non accompagnés ainsi que l'accès à l'éducation. Nous nous félicitons de cette mesure et nous entendons contribuer significativement à l'accueil et l'aide aux réfugiés par l'engagement de nos militant-e-s, élu-e-s, et au sein des collectivités où nous siégeons que nous soyons dans la majorité ou l'opposition.

Nous relevons que l’UE a toujours refusé d’appliquer cette possibilité aux réfugiés extra européens malgré les demandes de plusieurs de ses Etats-membres comme Malte et l’Italie en 2011 au moment de la guerre en Libye. Ce deux poids-deux mesures est non seulement une atteinte aux droits humains fondamentaux et au droit international mais inadmissible sur le plan politique. Cela confirme que la protection des réfugiés est possible, à rebours de « l’Europe forteresse » qui a causé la mort de dizaines de milliers de réfugié-e-s et migrant-e-s dans les eaux de la Méditerranée, de la Manche et de la mer d'Anjouan depuis 2011.


2- Résoudre les causes profondes du conflit et jeter les bases d'une sécurité collective paneuropéenne

• Comment porter l’exigence de sécurité collective européenne contre la logique de blocs antagonistes ?

L’ONU doit jouer son rôle. La France a une voix singulière à faire entendre, en faveur de la sécurité humaine et de la paix, du droit international et de la coopération solidaire des nations et des peuples. En toute souveraineté, elle doit jouer un rôle moteur et actif dans la sortie rapide du conflit.

Cette guerre est un échec criant pour la sécurité collective européenne. Cela montre que la manière dont elle a été construite est incapable de maintenir la paix en Europe. L’OTAN et la logique de blocs antagonistes sur laquelle l’alliance est bâtie n’évitent pas la guerre et ne répondent pas aux défis de la sécurité collective. Le rôle de l’OTAN doit donc être requestionné dans le cadre d’une conférence globale de sécurité européenne, incluant la Russie et l’Ukraine, mettant en négociation la construction d’une nouvelle architecture commune pan-européenne de sécurité collective et de paix. Il sera nécessaire, dans ce cadre, de revoir totalement la sécurité collective de l’ensemble des pays européens et poser la nécessité de remettre en cause l’OTAN.



• Le désarmement multilatéral et global est une nécessité pour tous les peuples. Il s'agit d'amorcer une dynamique de désarmement nucléaire multilatéral.

Le démantèlement progressif des accords sur l’armement est l'un des éléments de l’engrenage qui a conduit à la guerre en Ukraine. Il est nécessaire d'engager rapidement un processus inverse par un désarmement multilatéral et global, l’arrêt de l’augmentation des budgets militaires et la dénucléarisation dans le monde. Le traité international d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) de l’ONU, entré en vigueur en janvier 2021, nous fournit un cadre que la France doit saisir pour être à la hauteur de ses responsabilités. La France doit assister comme observatrice de la première réunion internationale des signataires du traité qui doit se tenir à l'été 2022 – L'Allemagne et la Norvège, non signataires du traité à cette heure, viennent d'annoncer leur participation comme pays observateurs.

Contrairement à ce qui se dit sur les plateaux de télévision, il existe dans l’histoire récente des processus négociés de réduction des armements stratégiques entre les États-Unis et l’URSS, puis la Russie : les accords START I de 1991, START II de 1993, START III de 1997 et NEW START de 2010.



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« Comment en est-on arrivé là ? »

L’Ukraine partage avec la Russie un berceau médiéval commun. C’est une société pluriculturelle et bilingue. Le sentiment national ukrainien se cristallise au XIXe siècle autour de la question paysanne. Il se divise en plusieurs tendances. On peut citer :Un courant national progressiste, combinant émancipation sociale, démocratique et nationale, qui est celui des débuts de l’expérience soviétique. La position du gouvernement soviétique en 1919 stipule : « L’Ukraine est la terre des ouvriers et des paysans travailleurs ukrainiens. Ce sont seulement eux qui ont le droit de gouverner et de diriger en Ukraine et y édifier une vie nouvelle ».Un nationalisme ethniciste, russophobe, qui sombre dans l’antisémitisme. C’est le cas, mais pas uniquement, des troupes nationalistes de Simon Petlioura (1918-1919), puis de l’Organisation nationaliste ukrainienne de Stepan Bandera, clairement fasciste, de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne et de la division SS « Galicie », dont les symboles ont aujourd'hui à nouveau pignon sur rue en Ukraine.

Indépendances, restauration capitaliste et nationalisme

La dislocation de l’URSS en 1991 s’accompagne de la restauration capitaliste et de l’essor des nationalismes, en Russie et en Ukraine.

En Russie

Le capitalisme est de nature rentière, fondée sur la captation des richesses produites par les hydrocarbures. Le fait national russe joue un rôle déterminant dans la chute de l’URSS. Il puise dans le nationalisme « grand russe », que dénonçait déjà Lénine. Poussé à l’extrême, ce nationalisme dénie à l’Ukraine et à la Biélorussie le droit à l’indépendance et à l’autodétermination des peuples.

Depuis 2008, le gouvernement russe enclenche un programme de réarmement et instaure une nouvelle doctrine d’emploi nucléaire en 2020.

En 2014, le régime de Vladimir Poutine, pour sortir d’une crise intérieure grave, annexe unilatéralement et illégalement la Crimée. Le pouvoir accroît son autoritarisme et la répression contre les opposants et prend désormais des mesures dictatoriales. Ses liens avec l’extrême droite européenne sont documentés.

En Ukraine

La restauration capitaliste a pour conséquence la mise en place d’un système d’arbitrage, assez instable, entre les différentes fractions de l’oligarchie. En 30 ans, le PIB ukrainien par habitant a reculé de 25 %. Le pays a subi un déclassement massif. Son niveau de PIB par habitant est désormais inférieur de 31 % à la moyenne mondiale.

Le fait national ukrainien s’impose peu à peu aux divisons linguistiques. Le pouvoir oligarchique utilise le nationalisme comme outil politique. Le poids des nationalistes d’extrême droite, et de leurs milices, ne cesse de se renforcer, singulièrement depuis 2014 et Maidan.

La sécurité collective européenne dans les années 1990

1990 : charte de Paris

Le sommet de Paris, réunissant 34 États européens, adopte une charte « pour une nouvelle Europe » stipulant « l'ère de la confrontation et de la division en Europe » « révolue » : « Nous déclarons que nos relations seront fondées désormais sur le respect et la coopération. »

1994 : Mémorandum de Budapest

L’Ukraine et la Russie reconnaissent mutuellement l’intégrité de leurs frontières.

L’Ukraine est dénucléarisée, en échange de quoi la Russie s’engage à « s'abstenir de toute menace ou usage de la force contre l'Ukraine ». La Russie et l’Ukraine signent un traité d’amitié en 1997.

Après la dissolution du pacte de Varsovie, des opportunités historiques se sont ouvertes pour se débarrasser de l’affrontement des blocs et ouvrir la voie au désarmement. L’OTAN aurait dû être dissoute mais c’est tout le contraire qui a été fait.

Expansion et renforcement de l’OTAN

Différents documents récemment déclassifiés par Der Spiegel montrent qu'au moment de la réunification allemande (1990), un engagement tacite a été pris vis-à-vis de la Russie de ne pas étendre l’OTAN « au-delà de l’Elbe », offrant ainsi des garanties aux Soviétiques.

Entre 1999 et 2004, Bill Clinton permet l’adhésion de 12 pays de l’ancien bloc de l’Est à l’OTAN, parmi lesquelles d'anciennes républiques soviétiques. Cet élargissement a été critiqué par des membres de l’administration américaine : George Kennan, théoricien de la guerre froide, dit en 2000 que « l’élargissement de L’OTAN vers l’Est peut devenir la plus fatale erreur de la politique américaine depuis la guerre ». Robert Gates, ex-directeur de la CIA puis chef du Pentagone, reconnaît en 2014 que cette stratégie « fut une erreur » en regrettant « l’arrogance » occidentale.

2008 : Au sommet de l’OTAN de Bucarest, l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN est remise « ultérieurement », en particulier du fait de l’opposition française et allemande. C'est donc que cette adhésion était bien, alors, déjà à l'ordre du jour.

A partir de 2010, l’OTAN amorce une implantation militaire dans certains des pays d’Europe de l’Est par le déploiement du « bouclier anti-missile ». Ce mouvement est interprété par la Russie comme un geste agressif.

En 2016, au sommet de l’OTAN de Varsovie, l'Alliance finalise l'installation de bataillons multinationaux dans les pays baltes et en Pologne.


Réactions russes

En 2008, le président russe Dmitri Medvedev propose la négociation d’un traité de sécurité collective pan-européen. Il ne recevra aucune réponse des pays occidentaux. La Russie s’inquiète dès lors de l’expansion et du renforcement de l’OTAN. Et, la même année, Vladimir Poutine déclare : « L’apparition d’un bloc puissant à nos frontières est considérée en Russie comme une menace directe contre notre sécurité ».

Le renforcement de l’OTAN agira comme l'un des carburants du raidissement nationaliste du régime russe.

Détricotage des accords sur l’armement

En 2019, les États-Unis se retirent unilatéralement du Traité international sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI/INF) immédiatement suivis par la Russie.

Les arsenaux nucléaires américains et russes représentent à eux deux 90 % du total mondial. La Russie en possède 6 000 têtes nucléaires et les États-Unis 5 500.

Entre 1 600 et 1 800 têtes nucléaires sont actuellement effectivement déployées.

Évolutions en Ukraine

En 2014, des manifestations place Maïdan motivées par des revendications sociales et démocratiques, férocement réprimées dans le sang, seront infiltrées massivement par des forces d’extrême droite aux visées insurrectionnelles, sur lesquelles s'appuie le gouvernement ukrainien. Lors des émeutes, un incendie criminel, resté impuni, éclate dans la Maison des syndicats d'Odessa faisant 43 morts. Ianoukovitch est destitué et fuit le pays. Le pouvoir ukrainien dirigé par Petro Porochenko à partir de juin 2014 déclenche de premières actions militaires visant les populations russophones de l'est de l'Ukraine : la guerre du Donbass commence. La même année, pour taire toute opposition démocratique, P. Porochenko introduit une procédure d’interdiction du Parti communiste d’Ukraine (KPU).

La Russie annexe unilatéralement la Crimée, région multiculturelle et plurilingue. Partie de la Russie soviétique, elle a été cédée à l’Ukraine soviétique en 1954, lors du 300e anniversaire du traité rattachant une partie de l’Ukraine actuelle à la Russie.

Après les indépendances, la Crimée proclame brièvement son indépendance en 1992 avant de reconnaître son appartenance à l’Ukraine dans un cadre de large autonomie. La Russie reconnaît ce rattachement en 1997.

Après l’annexion par la Russie en 2014, l’Ukraine bloque l’acheminement de l’eau du Dniepr.

Dans le Donbass, deux républiques autoproclamées font sécession à Donetsk et à Lougansk. La guerre civile ukrainienne a fait près de 15 000 morts depuis 2014, et 1,5 million de réfugiés ont quitté la région. Les bataillons d’extrême droite ukrainiens se livrent à des exactions effroyables sur les populations et plus de 5 000 plaintes sont adressées à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) mais jugées « irrecevables ».

2015 : avec les accords de Minsk, un cessez-le-feu est enfin conclu, comprenant une dimension politique et sécuritaire pour les populations du Donbass. Les accords de Minsk sont garantis par la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France dans le « groupe Normandie » (les premiers contacts avaient été pris lors des commémorations du Débarquement). Le gouvernement ukrainien s’engage à mettre en place un « statut spécial » pour le Donbass et à l’inscrire dans la constitution ukrainienne. Il ne le fera jamais.

2019 : l’Ukraine dénonce le traité russo-ukrainien de 1997 et inscrit dans la constitution la perspective de rejoindre l’UE et l’OTAN ; mais ces derniers déclarent que cela est impossible à court terme.

Au cours des années 2020 et 2021, des tensions extrêmes réapparaissent dans le Donbass mais aucun pays occidental n’agit réellement pour l’application des accords de Minsk. La Russie commence à masser des troupes aux frontières. Dans la même période, les États-Unis et plusieurs pays européens parmi lesquels la Grande-Bretagne et la France fournissent à Kiev des armes et du matériel militaire ; les livraisons se dérouleront jusqu'à la veille du déclenchement de la guerre, le 24 février, par la Russie.

2022 : La Russie amplifie la concentration de troupes à la frontière. Parallèlement, elle réitère une offre de traité de sécurité collective qui n’est pas prise en considération par les pays occidentaux.

La Conférence sur la sécurité du 18 au 20 février à Munich ne débouche sur aucune solution.

Le 21 février, dans un discours violent où il dénie à l’Ukraine son droit même à l’existence en tant qu’État, Vladimir Poutine reconnaît l’indépendance des républiques sécessionnistes du Donbass. Il déclare la guerre contre l’Ukraine le 24 février.



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Communiqué de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, 24 février 2022 :
https://www.pcf.fr/ukraine_non_a_la_guerre_la_france_doit_porter_urgemment_une_offre_de_paix_pcf

Cartes : https://information.tv5monde.com/info/l-ukraine-theatre-perilleux-de-la-rivalite-entre-l-otan-et-la-russie-436905

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ANNEXE – Sélection de communiqués du PCF, les deux numéros spéciaux sur l'Ukraine du bulletin du secteur International du PCF (LRI) et d'articles parus dans CommunisteS ou dans la LRI (2014-2022)

LRI février 2014: https://fr.calameo.com/read/002838012e677ec06474a

LRI avril 2015 : https://vdocuments.fr/ukraine-comprendre-les-enjeux-lri-.html?page=1


Le PCF se réjouit qu'un accord ait été trouvé à Minsk (Biélorussie) entre toutes les parties prenantes à la crise ukrainienne afin d'instaurer un cessez-le-feu dès dimanche 15 février. C'est pour les populations ukrainiennes un espoir qu'il ne faut pas gâcher.

La feuille de route préparée par le Groupe de contact a été signée par les représentants de Kiev et de ceux du Donbass, sous l'égide de la Russie et de l'OSCE. Le premier point de l'accord porte sur un cessez-le-feu qui entrera en vigueur le 15 février à minuit. Le deuxième point vise au retrait des belligérants et des armes lourdes avec la création d'une zone tampon.

Il est important que cet accord entériné en présence du président ukrainien Petro Porochenko, du président russe Vladimir Poutine, de la chancelière allemande, Angela Merkel, et du président François Hollande entre effectivement en vigueur et que chacun veille à ce que le cessez-le-feu soit respecté.

Ceux qui faisaient pression pour la livraison d'armes supplémentaires et l'élargissement du conflit en sont pour l'instant pour leurs frais. L'Accord de Minsk est la démonstration que seule une solution politique et diplomatique peut mettre un terme à un conflit qui ensanglante l'Ukraine depuis de trop longs mois, avec un bilan tragique de plus de 5 000 morts et un million de réfugiés.

C'est la preuve qu'on peut imposer le silence des armes et faire reculer les bellicistes dans tous les camps. C'est aussi la confirmation de la nécessité de garantir la neutralité de l'Ukraine.

Aujourd'hui, avec l'appui des peuples, des forces de progrès et du mouvement pacifiste, tout doit être entrepris pour la pleine application de ce nouvel accord de Minsk.

C'est cette vigilance et mobilisation pour la paix et le règlement politique du conflit, c'est la solidarité des peuples pour le retour à la paix qui aideront au respect des accords et le respect des engagements respectifs afin que les Ukrainiens retrouvent la maîtrise de leur destin ; car, après le cessez-le-feu, il faudra contribuer à ce que les Ukrainiens résolvent par la négociation sous égide de l'OSCE les questions qui sont au cœur du conflit, déterminent les solutions politiques permettant de garantir l'intégrité territoriale de l'Ukraine et de résoudre le problème du statut du Donbass en respectant la voix des citoyens ukrainiens.

Plus que jamais, il est temps de revivifier l'esprit d'Helsinki (1975) pour construire un cadre de paix, de coopération et de sécurité commune pour une Europe de « l'Atlantique à l'Oural ».


*CP- Février 2015 : Le PCF exprime sa solidarité au Parti communiste d'Ukraine (KPU), http://international.pcf.fr/80215



*ARTICLE Lettre des relations internationales – bulletin du secteur International du PCF

P. Kamenka – Février 2016 : Ukraine : un an après les accords de Minsk, quelle issue ?

La sortie de la crise ukrainienne reste pour l'heure introuvable, du fait du blocage par Kiev des accords de Minsk signés le 12 février 2015 entre l'Ukraine, la Russie, la France et l'Allemagne visant à mettre un terme au conflit qui a fait près de 9000 morts et un million et demi de déplacés.

Aggravation de la situation économique et politique

La guerre entre les oligarques ukrainiens perdure plongeant le pays dans une situation économique et sociale de plus en plus tendue dont la population fait les frais, avec un PIB en recul de 18% depuis deux ans. Sur le plan politique, ces guerres intestines ont conduit le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, dont le taux de satisfaction était tombé à 8%, à présenter sa démission au président Petro Porochenko. L'image du chef de l'Etat est, elle aussi, dégradée après les révélations des « Panama papers » sur les scandales de l'évasion de sa fortune vers les paradis fiscaux. Le tandem au pouvoir était clairement miné depuis des mois sur fond de détournement des prêts accordés par l'Union européenne et le FMI qui a déjà versé 6,7 milliards de dollars depuis le début de la crise en 2014.

Le pays est en quasi faillite ne devant sa survie qu'aux perfusions prodiguées par l'Occident. Volodymyr Groysman, qui succède à Arseni Iatseniouk, cherche à rassurer les bailleurs de fonds de l'Ukraine en affirmant la nécessité de mettre en place les réformes avec en priorité la poursuite « de l'intégration européenne ».

Mais pour nombre d'observateurs, le départ de Iatseniouk, homme lige des Occidentaux, est un signe de la perte de confiance de plusieurs capitales européennes devant le refus du président Petro Porochenko et de son gouvernement de réaliser les termes de l'accord de Minsk en particulier sur la décentralisation.

Les accords de Minsk dans l'impasse

Cette situation de blocage inquiète la France et l'Allemagne qui misaient sur une résolution de la crise en Ukraine au moment où la Russie est de plus en plus incontournable sur le dossier syrien. Mais l'échec est fondamentalement d'essence politique, avec un parlement ukrainien qui a rejeté toute idée de décentralisation sous la pression des formations ultranationalistes. La première lecture du projet de loi de décentralisation, en août 2015, avait débouché sur des émeutes devant le Parlement à Kiev : quatre policiers avaient été tués.

Sur le plan militaire, les accrochages subsistent entre les forces ukrainiennes et celles du Donbass, même si ils sont de moindre intensité depuis ces accords. Les deux parties s'installant de facto dans un climat de « ni guerre ni paix » de part et d'autre de la ligne de conflit dans cette ex-République soviétique de quelque 43 millions d'habitants.

Hormis les clauses sur les aspects militaires qui ne se sont que partiellement réglées, les accords politiques stipulaient qu'un statut spécial – une sorte d'autonomie – devait être attribué à l'Est de l'Ukraine (Donetsk et Lougansk), ce qui ouvrait la voie au contrôle par Kiev de la frontière entre l'Ukraine et la Russie (articles 9 et 11 de l'accord). Le point 4 de l'accord prévoyait également des élections locales libres, sous supervision de l'OSCE, dans les zones des républiques autoproclamées de Donetsk (DNR) et Lougansk (LDR). Ces dernières avaient accepté en octobre après la rencontre à Paris en formation « Normandie » (Russie, Ukraine, France, Allemagne) la demande de reporter les élections.

Sur le plan économique, depuis le 1er janvier, l'accord d'association entre l'UE et l'Ukraine signé en juin 2014 est entré partiellement en vigueur, alors que les accords de libre échange avec Moscou sont caducs. Des droits de douanes et un embargo sur certains produits ont été imposés par Moscou avec des pertes estimées à quelques 820 millions d'euros au détriment de l'Ukraine. Kiev a répliqué par la mise en place de droits de douanes sur les produits importés de Russie et le refus de rembourser la dette gazière de trois milliards d'euros. Les liaisons aériennes ont été suspendues entre les deux pays.

Dans le Donbass, la situation n'est guère plus facile pour les trois millions d'habitants dont les retraites ne sont toujours pas versées par Kiev et où le rouble russe supplante la grivna ukrainienne.

L'exigence d'un nouvel accord sur la sécurité en Europe

L’OTAN poursuit sa politique d'avancée vers l'espace ex-soviétique : les ministres de la Défense des 28 pays alliés viennent d'approuver « une présence avancée dans l'Est de l'Alliance » atlantique, selon le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg.

Il s'agit de prépositionner des forces dans les Etats baltes et en Pologne, et d'organiser régulièrement des manœuvres conjointes en s'appuyant sur la force de réaction rapide. À terme, l’OTAN aura un millier de soldats en Lituanie, Lettonie, Estonie, Pologne, Bulgarie et Roumanie.Une stratégie que Moscou dénonce comme un « stationnement permanent » de troupes combattantes à sa frontière jugé contraire à l'acte fondateur OTAN-Russie, signé en 1997.

L'aggravation d'une part de la situation politique et sociale à laquelle contribuent fortement les décisions arbitraires et liberticides de Kiev, tout comme les conséquences de l'application de l'accord d'association avec l'UE ; et d'autre part, l'impasse dans laquelle se trouvent les discussions de Minsk pour sortir du « conflit gelé » avec la Russie ; doivent contribuer à rechercher des solutions acceptables pour tous les peuples concernés. Celles-ci doivent trouver une matrice commune à la fois dans la mise en cause des contraintes ultralibérales d'accords d'association imposés unilatéralement et dans la nécessité de parvenir à débloquer la discussion avec la Russie, en allant vers un nouvel accord sur la sécurité en Europe.

Patrick Kamenka
Membre de la commission des relations internationales du PCF


*CP – 27 novembre 2018 : Crise du détroit de Kertch : pour une initiative diplomatique immédiate, http://international.pcf.fr/109371



*CP – 6 février 2019 : Non à la censure du Parti communiste d’Ukraine, oui au pluralisme en Ukraine ! http://international.pcf.fr/110317



*CP - 9 septembre 2019 : Russie/Ukraine: l’échange de 70 prisonniers doit être un pas en avant vers un règlement négocié, http://international.pcf.fr/112700



*CP – 8 décembre 2019

Sommet sur l'Ukraine : Le gouvernement français doit faire pression pour le retour à la paix (PCF)

Le sommet dit du «format Normandie» réunit aujourd'hui à Paris l'Ukraine, la Russie, l'Allemagne et la France. Il est temps d'aller au-delà des déclarations d'intention et de mettre en place des mesures concrètes pour mettre fin à un conflit meurtrier qui a fait au moins 13 000 morts et 1,5 million de déplacés depuis 2014 dans l'est de l'Ukraine. Il est urgent que cesse l'effusion de sang en Ukraine!

Le gouvernement ukrainien et le nouveau président Volodymir Zelinski, élu sur l'espoir d'un retour à la paix, ont de nombreuses cartes en main pour mettre en œuvre concrètement les accords de Minsk et la «formule Steinmeier». Le gouvernement français doit faire pression pour qu'il les utilise.

«Ouvrir un large dialogue pan-européen sur la paix, la coopération et la sécurité collective en Europe.»

Le PCF soutient les demandes suivantes, qui ont été à de nombreuses reprises formulées par le Parti communiste d'Ukraine et les forces de gauche et pacifistes ukrainiennes:

1. Pour l'ouverture d'un large dialogue national à l'échelle de l'Ukraine tout entière, en y incluant les territoires non contrôlés par Kiev à l'Est, de l'ensemble des forces sociales, citoyennes et politiques, pour déterminer le chemin d'un retour à la paix, les mécanismes pour un réel cessez-le-feu et les conditions pour obtenir un large accord citoyen dans le pays.

2. Pour la mise à l'ordre du jour de la fédéralisation du pays et de l'évolution de la Constitution du pays afin de permettre aux régions qui le demandent de pouvoir régler les problèmes humanitaires, économiques et sociaux au plus près des populations.

3. Pour l'ouverture d'un dialogue direct sur l'application des Accords de Minsk entre le gouvernement ukrainien et les représentants des territoires non contrôlés par Kiev dans les régions de Donetsk et de Lougansk.

4. Pour la neutralité de l'Ukraine, afin de la soustraire à l'influence de l'OTAN.

La question est désormais posée d'ouvrir un large dialogue pan-européen sur la paix, la coopération et la sécurité collective en Europe, en y incluant la Russie.

Le PCF appelle à ce que les déclarations d'Emmanuel Macron sur la nécessité d'un «dialogue stratégique» avec la Russie soient suivies d'effets. L'heure est à une conférence sur le modèle de celle d'Helsinki débouchant sur un traité pan-européen de coopération, de paix et de sécurité collective.

Le PCF appelle au départ de la France de l'OTAN et à la dissolution de ce dernier. C'est urgent et nécessaire pour stopper la course aux armements et les bruits de bottes en Europe!

Parti communiste français
Paris, le 8 décembre 2019


*ARTICLE paru dans CommunisteS – 15 février 2022 : https://www.pcf.fr/europe_orientale_la_france_doit_prendre_l_initiative_d_une_conference_de_sec urite_collectiv

Sommet de Madrid : Vers une stratégie guerrière globale



Du 28 au 30 juin, quarante chefs d’État se sont réunis à Madrid pour le sommet de l’OTAN. Dans une atmosphère feutrée, loin du fracas des armes, ils n’ont pourtant parlé que de cela. Plusieurs questions cruciales étaient inscrites à l’ordre du jour dans un contexte de guerre en Ukraine. Cette réunion, dans un climat d’inquiétude et de demande d’OTAN notamment dans les pays baltes et en Pologne, a clairement désigné la Russie comme un ennemi alors que l’adhésion de la Finlande et de la Suède était examinée. Les rapports avec la Chine qualifiés de « défi systémique » étaient également au cœur des réflexions.

Il y a deux ans pourtant, E. Macron parlait, à propos de l’OTAN, de « mort cérébrale » tandis que D.Trump la jugeait « obsolète ». Madrid célèbre désormais l’unité, la solidarité et la solidité de l’institution. V. Poutine a été de toute évidence le fédérateur de ces évènements. Il souhaitait affaiblir l’OTAN, il l’a ressuscitée.

La guerre en Ukraine
La guerre et le soutien à Kiev ont été la grande affaire de ce sommet même si l’OTAN n’est pas directement impliquée dans le conflit. Pour autant, depuis l’annexion de la Crimée (2014), l’OTAN n’est jamais restée passive et avec l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, elle apporte au régime de V. Zelensky un soutien politique massif. Cependant, ce sont surtout les États qui fournissent les aides matérielles.

En 2010, la Russie était considérée comme un partenaire avec qui il fallait coopérer. Aujourd’hui, elle est devenue une menace. Alors que les armées russes s’installent durablement dans le Donbass, mais pas vraiment au-delà, ces affrontements risquent de durer puisqu’il n’y a pas de compromis possible, à ce jour, entre l’Ukraine et la Russie. Le sommet a examiné les divers moyens d’endiguer cette offensive attisant même les tensions dans les zones d’escalade possibles (Kaliningrad) pouvant mettre le feu à l’Europe.

De manière moins sensible que par le passé, deux lignes étaient perceptibles chez les occidentaux. On a distingué le camp de ceux qui veulent la victoire finale de l’Ukraine (États-Unis, Grande-Bretagne, Pologne, pays baltes…). La formule de B. Johnson résume à elle seule cette perspective : « Toute tentative de régler le conflit maintenant ne ferait que causer une instabilité durable ». Au regard du contexte, sur un mode mezzo voce, la France a considéré qu’il fallait poursuivre le dialogue et négocier avec la Russie.

L’adhésion de la Finlande et de la Suède
Cette situation nouvelle est incontestablement une réaction à l’offensive russe. Certes, ces deux pays neutres bénéficient, comme membres de l’Union européenne, d’une clause de défense (art.42.7) jugée insuffisante puisqu’ils demandent à se placer sous la protection américaine au sein de l’OTAN. Mais, ne nous y trompons pas, la coopération avec l’Alliance n’est pas vraiment une nouveauté.

Cette adhésion a rencontré dans un premier temps le veto de R.T. Erdogan qui, comme cela en devient l’usage, a utilisé le chantage pour obtenir des concessions toutes à son avantage. Il a fait monter les enchères contre les Kurdes du PKK (Turquie) et du PYD (Syrie), engagés dans la lutte contre Daesh, et obtenu la possibilité d’extradition de réfugiés politiques, la levée de l’embargo sur des ventes d’armes voire un feu vert pour l’invasion du Rojava. Fort de ses gains, bien au-delà de ses espérances, il a levé son opposition au processus d’adhésion qui devra cependant être officialisé au cours d’une longue procédure.

De toute évidence, ces adhésions constituent un atout pour l’OTAN. Elle disposera d’une profondeur stratégique en mer Baltique et d’une capacité militaire renforcée sur le flanc nord intensément disputé avec le réchauffement climatique du Pôle.

Pour autant, ces adhésions, comme le soulignait le sénateur Pierre Laurent en commission des Affaires étrangères, « n’éloignent pas la Finlande et la Suède du front, mais elles deviennent le front ». Cette nouvelle intégration traduit la permanence de la logique de confrontation d’autant que la garantie de sécurité de l’OTAN est d’abord et avant tout celle des États-Unis.

Une nouvelle ère stratégique
Le sommet a adopté un document de référence fixant les orientations pour une décennie. Il y est rappelé que l’OTAN est une alliance militaire et nucléaire et que s’ouvre une « nouvelle ère de compétition stratégique ». L’objectif est de passer d’un rôle régional à un rôle global, puisque l’alliance aurait désormais vocation à intervenir sur toutes les latitudes notamment face à la Chine.

Dans cette perspective, l’augmentation des dépenses militaires a été au centre des discussions. Pour le secrétaire général de l’OTAN, les 2% ne sont plus un plafond mais un plancher. Il y a ainsi une volonté très forte d’accroître tout à la fois le budget commun et celui des États.

Le temps est donc à l’euphorie de l’unité mais l’inquiétude demeure sur la durée de cette lune de miel avec les États-Unis. La question de la cohérence interne de l’alliance n’est pas résolue. Combien de temps les alliés seront-ils capables de s’entendre ?

La question des partenariats de l’OTAN était également à l’ordre du jour. Le renforcement des liens entre l’Union européenne et l’Alliance a semblé se régler sous la pesanteur des circonstances, éludant pour un temps le débat sur l’autonomie stratégique européenne c’est-à-dire la capacité de l’Union à prendre en main son destin en matière de défense. Moins médiatique mais tout aussi déterminant, l’approfondissement des relations de l’OTAN avec le secteur privé afin de promouvoir des technologies militaires émergentes.

Enfin des inquiétudes ont vu le jour chez des partenaires du front Sud de l’OTAN (Espagne, Italie, Grèce voire France) sur le peu d’attention portée aux menaces en Méditerranée, notamment orientale, au regard des coups de boutoir permanents de la Turquie.

En Europe : changement de système de défense
Ce sommet marque l’un des plus importants changements du système de défense depuis la fin de la guerre froide se traduisant par un renforcement de la présence de l’OTAN sur le front Est de l’Europe.
Les effectifs de 40 000 hommes seront portés à 300 000 au travers de la Force de Réaction (NRF). Huit nouveaux groupements tactiques seront déployés dans les pays baltes, en Bulgarie, en Hongrie, en Slovaquie et en Roumanie. Les États-Unis renforceront leurs contingents en Pologne, enverront une quarantaine de F35 au Royaume-Uni et deux destroyers en Espagne.

Ce retour, très conséquent, ne sera pourtant pas au niveau de celui de la guerre froide. Si le réinvestissement américain apparaît comme la conséquence de l’invasion de l’Ukraine, il s’inscrit dans une stratégie à plus long terme et autrement plus déterminante aux yeux de Washington, celle visant la Chine.

« La Chine un défi systémique » : un piège pour l’Europe
La présence du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande lors de ce sommet, alors que ces pays ne sont pas membres de l’OTAN constitue un signe évident de placer la Chine au centre d’une stratégie de containment. Pour Washington, Pékin passe avant Moscou.

Il y a deux ans, la Chine était mentionnée au sommet de l’OTAN, pour la première fois et ce, en dépit des vaines résistances opposées par la France et l’Allemagne. Les deux capitales rappelaient que la zone d’action de l’OTAN devait être circonscrite à la zone euro-atlantique. Depuis, l’Union européenne a déclaré que la Chine était un « rival systémique ».

Le fait de mentionner la Chine dans une déclaration de l’OTAN, alors que Pékin n’est pas un adversaire militaire est déjà une victoire pour les États-Unis. Pour J. Biden, la guerre en Ukraine est une formidable opportunité pour atteindre ses objectifs, à savoir recruter l’Europe dans sa croisade contre la Chine. Ainsi, l’agenda américain peut avancer plus rapidement dans la perspective de muer l’Alliance en instrument militaire du « choc des civilisations ».

Washington pare cette offensive d’une justification idéologique, celle d’une alliance des démocraties contre les régimes autoritaires (Chine, Russie, Iran). Cette stratégie masque des intérêts plus pragmatiques, celle de la compétition systémique avec la Chine pour la suprématie mondiale. L’Europe n’a rien à gagner dans ces affrontements et cela constitue même un piège dangereux. Est-ce le modèle que l’on veut pour l’Europe d’un Occident contre le reste du monde ? La réaction des pays africains face au conflit en Ukraine devrait nous alerter. Cette vision du monde est celle des États-Unis et de l’OTAN qui militarisent les défis politiques. S’il existe des divergences sérieuses avec la Chine sur nombre de dossiers, présenter ce pays comme une menace, antagoniser toutes les relations ne peut qu’accentuer des clivages lourds de menaces.

Dans le contexte de guerre en Ukraine, il est devenu plus difficile de résister à J. Biden qui en profite pour faire taire les oppositions et impose un alignement inconditionnel. Le piège est cynique et cela pourrait constituer une future tragédie que de s’y plier.

L’attitude de la France
Paris, sur la plupart des dossiers, a manifesté son accord inconditionnel avec Washington ou a capitulé. Favorable à l’adhésion de la Finlande et de la Suède, elle a tu ses exigences de poursuivre le dialogue avec la Russie et s’est conformée à la volonté américaine sur la Chine. L’opacité est également de mise sur les concessions faites à la Turquie contre nos alliés Kurdes.

La France a réitéré son engagement à livrer des armes à l’Ukraine (véhicules blindés, canons Caesar voire des missiles Exoset). Elle s’est montrée en revanche plus réservée sur l’augmentation du budget qui pourrait se traduire par l’achat de matériels américains et d’équipements non nécessaires.

De toute évidence, ce sommet de l’OTAN marque un tournant dangereux, une escalade guerrière tournant le dos à la diplomatie et à la recherche de la paix équitable et durable. Les conséquences risquent d’être funestes. La sortie de l’OTAN et l’existence même de cette organisation obsolète sont posées si l’on veut contribuer à bâtir une nouvelle architecture de sécurité collective en Europe et dans le monde.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient


La France dans la tourmente

Par Christian_Picquet ( article très intéressant,  à débattre)

Voilà ! Maintenant que sont passés la seconde séquence électorale de l’année, le remaniement ministériel, l’installation de la nouvelle Assemblée nationale, le temps est venu de tenter d’apprécier à quel moment de la crise française nous sommes parvenus. Reconnaissons-le tout d’abord, si nous étions nombreuses et nombreux, au soir du premier tour des élections législatives, à deviner vers quelle situation convulsive nous nous dirigions, bien peu imaginaient que le verdict des urnes allait accoucher d’un authentique séisme la semaine suivante. Un devoir de lucidité s’impose face au processus qui pourrait bien venir désintégrer demain les mécanismes politiques ayant assuré, plusieurs décennies durant, une relative stabilité aux gouvernants. Non, je me dois de le préciser au vu de certains commentaires lus ces temps-ci, que la France fût devenue ingouvernable. Surtout en une période qui voit le mouvement social se débattre avec la difficulté de coordonner ses luttes et d’unir ses composantes syndicales, du fait également d’un rapport des forces politiques très déséquilibré en faveur de droites et d’extrêmes droites totalisant environ 65% des votes, l’appareil de l’État conserve en effet la capacité d’absorber des chocs de ce type, aussi violents puissent-ils apparaître à des élites qui n’avaient rien anticipé, emportées qu’elles sont toujours par leur court-termisme néolibéral. Les dispositions arbitraires que la Constitution confère au résident élyséen et à l’exécutif, d’article 49-3 en procédures d’urgence, comme les pouvoirs dévolus à une technostructure aussi fanatisée par la religion de l’argent omnipotent que soustraite à tout contrôle démocratique, restent de nature à maîtriser les turbulences, du moins à court terme. Cela dit, à tout le moins, pouvons-nous parler, à l’instar du politologue Benjamin Morel, d’une « vraie rupture depuis le quinquennat, qui a instauré une présidence impériale, avec une majorité qui ne doit son élection qu’au président élu »(L’Humanité, 22 juin 2022). Sachant que la réforme institutionnelle en question, adoptée en 2000 par un accord conjoint de Jacques Chirac et Lionel Jospin, avait été imaginée pour remédier à l’étiolement des équilibres originels sur lesquels reposait la V° République, et pour assurer le Prince d’un total contrôle sur une Assemblée ramenée au rôle de chambre d’enregistrement, on peut sans hésitation considérer que nous entrons dans un processus d’implosion des structures politiques à l’abri desquelles le système capitaliste reproduisait sa domination sur la société française. Un nouveau cycle historique s’ouvre donc, à ce point incertain qu’il convient d’en apprécier précisément les traits marquants.

DES SÉISMES IMBRIQUÉS

L’abstention vient de confirmer la désagrégation générale de tous les mécanismes de représentation. En progressant de plus d’un point sur le tour précédent (de 52,49% à 53,77%), elle signe le retrait d’une majorité du peuple français des procédures censées le doter de représentants reconnus de tous. En s’enracinant de consultation en consultation, et en se prolongeant d’attitudes similaires dans la plupart des rendez vous de la vie sociale (à commencer par les élections professionnelles), ce comportement traduit une défiance massive — voire une tendance structurante à la désaffiliation — envers les pouvoirs établis, les élus et les partis, le Parlement ou encore toutes les institutions de la démocratie politique et sociale. Il convient, à cet égard, d’en finir avec les formules usées, sur la « crise de la politique » ou la « crise démocratique », pour identifier ce qui est à la longue devenu une déconnection massive entre gouvernants et gouvernés, représentants et représentés.

Les études d’opinion montrent que ce sont les forces vives de la nation qui se sont trouvées affectées : de 71% chez les 18-24 ans et de 66% chez les 25-34 ans, la désertion des isoloirs s’est révélée majoritaire dans toutes les tranches d’âge jusqu’aux 50-59 ans (où elle s’élève à 57%), la non-participation des ouvriers atteignant 67%, celle des personnes percevant moins de 1250 euros mensuels étant de 64%, avant les cadres qui sont tout de même 54% à ne pas se déplacer. Les mêmes études laissent peu de doutes quant aux ressorts de cet absentéisme : au fil d’alternances n’ayant amené aucun changement des orientations mises en oeuvre à la direction du pays, et singulièrement depuis le référendum trahi de 2005 sur le projet de Constitution européenne, les Françaises et les Français ont manifestement acquis le sentiment que les marchés ont accaparé la réalité du pouvoir, que la citoyenneté n’est plus que l’alibi de la dépossession de leur souveraineté, que la nation n’est plus le cadre de l’exercice de cette dernière, que les diktats néolibéraux régissant l’Union européenne n’ont cessé d’anéantir leurs capacités de maîtriser leur avenir, et que le suffrage universel n’est dès lors plus qu’un leurre déformant leurs attentes et les privant d’espoir en un avenir meilleur.

La déroute infligée au président de la République et à ses partisans marque l’ouverture d’une crise de régime. Elle revêt une dimension véritablement sismique. Jamais, depuis 1958, l’hôte de l’Élysée n’avait été éloigné de 43 sièges de la majorité absolue au Palais-Bourbon : s’il manquait, par exemple, une quinzaine de voix à Michel Rocard, locataire de Matignon sous la présidence de François Mitterrand en 1988, il n’en disposait pas moins de réserves possibles pour faire adopter, au gré des circonstances, ses textes législatifs ; rien de comparable avec la configuration présente…

Traitant avec la plus grande désinvolture l’échéance législative, feignant de croire que son projet de casse sociale et de régression démocratique avait reçu l’approbation des électeurs le 24 avril, Emmanuel Macron a ignoré l’ampleur du rejet dont sa politique et sa pratique du pouvoir font l’objet. Il n’a pas moins sous-estimé l’amenuisement de sa propre base électorale : au second tour des législatives de 2017, LREM et le Modem totalisaient 52% des suffrages exprimés ; cette fois, la coalition « Ensemble ! » n’en a recueilli que 39%. De sorte que notre monarque, reconduit par défaut à la faveur d’un vote motivé par la seule volonté d’une majorité de Français de faire barrage au Rassemblement national, s’il possède incontestablement la légitimité de son élection, ne dispose en revanche pas de celle qui lui permettrait de conduire sa politique sans secousses majeures, cette dernière ne disposant d’aucun assentiment populaire. Dès lors que c’est l’autorité présidentielle elle-même, clé de voûte de nos institutions, qui vient de se trouver foudroyée, je n’hésite pas à parler d’une véritable crise de régime.

Avec l’installation, sur les bancs de l’Hémicycle, d’une extrême droite n’ayant jamais compté autant de députés, c’est la République qui se retrouve en grand danger. Pour la première fois depuis son irruption sur la scène nationale, au milieu du premier septennat mitterrandien, le national-lepénisme a su capitaliser des années d’efforts pour s’implanter dans les territoires. Longtemps restées infructueuses, ces tentatives viennent d’autoriser ce courant à envoyer 89 des siens à la Chambre. « Les nouveaux députés viennent du terrain. Ils sont d’ailleurs mis en avant comme des personnes proches du ‘’peuple’’ », souligne très justement Valérie Igounet (L’Obs, 23 juin 2022). Sa progression de 20% en moyenne d’un tour à l’autre, ses victoires dans 43% des duels ou triangulaires disputés par lui, l’élargissement de son implantation géographique — des terres désindustrialisées des Hauts-de-France ou du Nord-Est ainsi que de ses bastions du pourtour méditerranéen, jusqu’au sud-ouest girondin ou occitan, en passant par le Centre-Val-de-Loire — en sont le résultat.

Sans doute, l’incroyable cynisme de la Macronie, se dérobant à tout appel clair à battre l’extrême droite là où elle était confrontée à la gauche unie, a-t-il oeuvré au bénéfice des lepénistes, en faisant voler en éclats ce qu’il restait du réflexe de « barrage républicain ». Plus fondamentalement toutefois, Madame Le Pen et les siens ont su travailler, et surtout détourner au profit de leur projet d’une société d’apartheid ethnique, toutes les angoisses françaises, les souffrances engendrées par la précarité grandissante du travail, l’impression d’abandon et de déclassement largement éprouvée par des populations travailleuses reléguées loin des métropoles, la colère suscitée chez elles par la désindustrialisation comme par le retrait de la République et des services publics des territoires péri-urbains, le ressentiment diffus engendré par les pertes de souveraineté de la nation et du peuple sous les coups de boutoir de la globalisation marchande et financière, les peurs enchevêtrées face à un avenir incertain. Ce que Jérôme Jaffré traduit par ces mots : « En province, le vote du 19 juin apparaît soudain comme la transposition électorale du mouvement des ‘’Gilets jaunes’’. Le RN perce dans les départements de la ‘’France périphérique’’ : l’Eure, où il obtient quatre des cinq sièges, le Loiret, l’Aube, la Marne, la Haute-Marne » (Le Figaro, 21 juin 2022).

Il est maintenant à craindre, après les presque 42% obtenus par Madame Le Pen au second tour de la présidentielle, que ce 19 juin ait définitivement brisé le fameux « plafond de verre » qui interdisait encore à l’extrême droite d’accéder au pouvoir. Et qu’elle en retire une capacité accentuée de peser sur la recomposition de la droite qui s’amorce à peine, « Les Républicains » entrant dans un débat stratégique essentiel après avoir perdu la moitié de leur groupe au Palais-Bourbon, même s’ils ont résisté au siphonnage total tenté par la Macronie.

Pour la gauche, le chemin de la majorité apparaît encore long. L’union électorale réalisée au sein de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » a répondu à l’attente de rassemblement exprimée par le peuple de gauche, et elle a permis de repolariser un débat public que les macronistes cherchaient à résumer à leur duo avec l’extrême droite. Grâce à quoi, notre camp s’est assuré d’une présence plus que doublée dans l’Hémicycle (avec, en son sein, un groupe communiste et ultramarin renforcé, sous la présidence d’André Chassaigne). Il n’en est pas moins vrai qu’avec les 151 sièges obtenus dans l’Hexagone et en Outre-Mer, nous demeurons très éloignés de la majorité espérée. Nous ne retrouvons même pas les scores cumulés de nos candidatures du premier tour de la présidentielle, 53% de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon s’étant par exemple abstenus le 24 juin. À lui seul, le fait appelle une réflexion collective approfondie.

Plus fondamentalement, si notre coalition électorale réalise ses meilleures performances dans les centres-villes et leurs périphéries populaires immédiates (et, en premier lieu, auprès de la jeunesse des quartiers qui subit racisme et discriminations de toute sorte), ce dont on ne peut que se féliciter, elle ne parvient pas à mobiliser — ou à remobiliser — les plus lointaines périphéries urbaines ou encore les zones rurales, où se concentrent pourtant une très large partie des forces vives du pays, celles qui ne vivent que de leur travail et dont est le plus souvent parti le mouvement des « Gilets jaunes ». Cette France peuplée d’ouvriers et d’employés, de classes moyennes en difficultés, persiste à se détourner des isoloirs, lorsqu’elle ne laisse pas son exaspération s’égarer dans le vote en faveur de l’extrême droite.

Des géographes ont pourtant, de longue date, pointé le défi stratégique à relever pour les forces progressistes : la contre-révolution néolibérale a conjugué creusement des fractures sociales, réorganisation de l’outil productif aboutissant à la fragmentation extrême du salariat autant que de ses statuts, et remodèlement de l’organisation territoriale du pays. Christophe Guilluy, pour ne prendre que lui, a cherché à mettre en lumière ce qu’il nomme un « brouillage de classe parfait », sous les auspices de la métropolisation d’une partie de l’Hexagone : « Le processus de concentration des emplois qualifiés, des cadres et des revenus dans les plus grandes villes, et inversement la fragilisation économique et sociale de la France périphérique contribuent à accentuer les inégalités entre les deux France » (in Le Crépuscule de la France d’en haut, Flammarion 2016).

Sans reconquérir ces territoires abandonnée par la République et où le mouvement ouvrier a considérablement perdu en influence, aucune majorité politique ne pourra être retrouvée. C’est dire, n’ayons aucune pudeur à le reconnaître, que divers discours et positionnements au sein de la Nupes durant la campagne — je pense, entre autres, à la sortie de Jean-Luc Mélenchon, « la police tue », qui ne permettait en rien de poser les questions du contrôle de l’activité policière et de la lutte contre des bavures intolérables, beaucoup la ressentant comme la caricature du discours « antiflics » cher à une certaine extrême gauche — ont constitué d’incontestables obstacles dans le travail de conviction d’hommes et de femmes dont l’intérêt eût été d’appuyer la gauche réunie pour ce scrutin.

PAGE D’HISTOIRE NOUVELLE

Ce n’est pas faire preuve d’un catastrophisme déplacé que de considérer qu’une semblable précipitation d’événements, faisant basculer l’ordre politique d’une des principales puissances de la planète, et annonçant en son sein une instabilité comme elle n’en avait pas connue depuis quelque six décennies, tourne une page de notre histoire collective. À bien y regarder, deux crises majeures s’enchevêtrent, celle du mode international d’accumulation du capital et celle des institutions politiques du capitalisme français.

On ne peut, à cet égard, ignorer que les bouleversements français surviennent à un moment où l’économie transnationalisée et financiarisée connaît, sur fond de catastrophe écologique et d’aiguisement de ses contradictions intestines nous rapprochant d’une récession et d’un nouveau krach, un mouvement de réorganisation appelé à s’intensifier dans la prochaine période. Sous les impacts successifs des maelströms financiers de 1997, 2000 et 2008, puis de la pandémie du Covid-19, tous les dogmes du néolibéralisme ont fini par voler en éclats. Tant le mirage de l’unification du monde par des marchés prétendant dépasser le cadre des nations, que le retrait de l’État de ses missions sociales, ou encore la gestion monétaire confiée à des banques centrales rendues indépendantes, sans parler de l’exigence de rendements financiers sans cesse plus déconnectés des économies réelles et de la production, ont mené l’humanité au bord du gouffre.

L’économiste Robert Boyer, bien que l’on pût sans doute discuter ses thèses, n’en aborde pas moins avec pertinence ce changement de donne, soulignant que la mise à l’arrêt de l’économie par la toute proche épreuve sanitaire « a mis à mal la plupart des arrangements institutionnels et les règles qui assuraient, sans qu’on en prenne conscience, une coordination efficace : la sécurité sanitaire, la confiance dans les autorités publiques, la prévisibilité des marchés, les complémentarités sectorielles, la synchronisation des temps sociaux — école, transport, travail, loisir — un cadre juridique qui définit les responsabilités des décideurs en situation d’incertitude radicale. Ce sont autant de variables qui dépassent le seul champ économique » (in Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte 2020).

Avec pour horizon la recherche de nouveaux paradigmes de développement, les plus grandes puissances s’engagent dans des affrontements d’immense ampleur pour imposer leur leadership dans les relations internationales et accoucher de nouvelles hiérarchies de dépendance entre firmes multinationales, États, ensembles géopolitiques. La mondialisation hier réputée heureuse cède, dans ce contexte, la place à une « fragmentation » de l’ordre du monde, pour reprendre l’expression du Fonds monétaire international lui-même, les conflits militaires s’emparant de régions entières et la guerre redevenant une issue possible à des dérèglements d’une ampleur inégalée depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Ce grand chamboulement a un impact direct sur un pays dont la classe dirigeante se voit appelée à résoudre l’épineuse équation du renouvellement de l’insertion du capitalisme français dans une économie mondiale en pleines convulsions. Les mandatures de François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou François Hollande l’avaient vu tenter de convertir la France au catéchisme de la dérégulation et chercher à disloquer le « pacte de la Libération » ayant refondé notre matrice républicaine à partir des principes d’égalité et de solidarité nés de la lutte contre l’occupant hitlérien. Elle s’était appliquée à engager la nation dans la voie d’un fédéralisme européen consacrant la prédominance simultanée des marchés financiers et d’une puissance allemande ayant acquis les moyens d’une hégémonie synonyme de généralisation à tout le continent de son modèle ordolibéral.

Ces tentatives n’ayant remporté que des succès limités aux yeux des milieux d’affaires, Emmanuel Macron avait alors tenté une opération césariste à partir de 2017. Cette dernière consistait, à marche forcée, à plier l’Hexagone aux règles de la globalisation libérale, à accoucher d’une société fonctionnant à l’image d’une entreprise dans le mythique « système californien », à faire éclater la structuration politique traditionnelle du pays dans le but de former autour du premier personnage de l’État un bloc bourgeois où se retrouveraient les gagnants de ce capitalisme émancipé d’entraves juridiques et sociales devenues insupportables à la finance. Elle visait, sur cette base, à faire émerger un régime autoritaire, s’affranchissant de toute recherche de compromis avec les forces sociales et les « corps intermédiaires ». Bref, il s’agissait d’accoucher d’une démocratie sous contrôle, atrophiée, dépossédant la collectivité citoyenne de la possibilité de peser sur les politiques publiques. Cet assaut se brisa à son tour sur la secousse des « Gilets jaunes », la mobilisation syndicale exceptionnelle en défense de la retraite par répartition, et la menace sanitaire.

LES ATTENTES BAFOUÉES DU PAYS

De sorte que c’est sans projet à même de réunifier les diverses fractions possédantes face aux défis d’un monde se reconfigurant à très grande vitesse, que le clan aux manettes aborda la séquence électorale de 2022. Le flou savamment entretenu par l’occupant du Trône sur sa vision de l’avenir en a été la marque. Nos compatriotes n’en perçurent qu’une promesse de sang et de larmes, la communication présidentielle ayant surtout laissé transparaître la volonté d’allonger l’âge du départ à la retraite, le mépris royal affiché pour la question salariale, le refus d’apporter une réponse à la hauteur du démantèlement de ces deux services publics clés que sont l’école et la santé, l’inexistence de la moindre volonté de remédier à la désindustrialisation des territoires ou aux pertes de souveraineté de la France en matière énergétique ou alimentaire, ou la menace d’un retour à l’orthodoxie budgétaire alors qu’un nombre grandissant de familles voient leurs niveaux de vie terriblement grevés par l’inflation.

Cette posture visait clairement à obtenir le soutien de l’électorat fidèle au macronisme et à arracher le soutien d’un pan entier de l’électorat conservateur, celui dont le président sortant affichait l’ambition de priver le parti des « Républicains ». Elle n’en heurtait pas moins de front les attentes et les peurs du pays profond, autrement dit de sa très grande majorité. Au coeur de la crise française, s’enracinent dans les consciences des perceptions de la situation qui rendent explosive la prochaine période.

L’évanouissement de plus en plus prononcé des identités de classe, qui vertébrèrent si longtemps les confrontations politiques et sociales, pour leur substituer un individualisme consumériste par définition porteur d’inégalités et de mises en concurrence des êtres humains, a tout d’abord mis en relief la perte de dignité autant que le déchirement des liens sociaux, qu’éprouve cruellement la population travailleuse. Ce fut, on le sait, la racine du phénomène des « Gilets jaunes », et c’est également ce qui aujourd’hui creuse les divisions et attise les ressentiments entre des hommes et des femmes que tout devrait amener à se réunir pour réagir aux injustices dont ils font l’objet.

Ici encore, c’est Christophe Guilluy qui porte le bon diagnostic : « La réalité urbaine des petites villes et des villes moyennes n’a rien de commun avec celle des grandes métropoles. Tous deux ‘’urbains’’, le bobo parisien et l’ouvrier de Dunkerque ne vivent assurément pas dans la même société. En revanche, l’ouvrier de Dunkerque partage avec le rural du département de l’Orne une même vision des effets de la mondialisation, une même insécurité sociale » (op.cit.). Ce recul des solidarités alimente la tentation de retourner un sentiment massif de déclassement ou de relégation contre telle ou telle catégorie de population. Il est évidemment pain bénit pour des forces qui s’épanouissent quand les haines s’aiguisent et quand le racisme flambe.

Le besoin de protection, devant les difficultés de la vie et un avenir semblant s’assombrir de jour en jour, ne trouve pas davantage de réponse la part du bloc aux affaires. Ce qui n’a rien d’étonnant : le néolibéralisme organise en effet soigneusement la déliquescence de l’État et sa soumission aux besoins du capital, ce qui se concrétise par la privatisation de ses missions jusque dans les domaines régaliens, ou encore par l’asphyxie des libertés sous l’emprise croissante des géants du numérique sur la vie sociale et culturelle. Un processus qui va de pair avec sa colonisation par une haute technocratie indifférente à l’intérêt général qu’elle est théoriquement censée servir. Cette rupture avec la nation citoyenne est à ce point ressentie à très large échelle, et elle est si porteuse de confusion, que se mêlent désormais étroitement dans les esprits l’aspiration à l’égalité réelle et une immense panique devant le futur, le désir d’accéder à des libertés étendues et l’attente diffuse d’un retour à l’ordre, le souci de justice en faveur de quiconque subit ségrégation ou atteinte à sa dignité et l’exigence de tranquillité publique dans des villes ou des quartiers que leur abandon livre aux incivilités, aux violences et aux mafias.

Le préfet Gilles Clavreul identifie parfaitement l’engrenage : « Dans notre pays, qui plus que tout autre procède historiquement de l’État, le désarroi collectif est pour une large part le fruit de son retrait progressif, comparable à celui d’un acteur dont la silhouette s’efface de la scène. Le nouveau mythe d’une société entièrement autonome, délivrée de la contrainte physique autant que de la narration première qui la légitime, est plus angoissant à vivre pour nous Français que pour tout autre peuple, sauf peut-être pour celles des catégories de la population qui peuvent aisément se projeter dans le nouveau paradigme, c’est-à-dire les élites. » Et d’ajouter que ce mouvement a « frustré et démuni un corps social privé de références et de nourritures symboliques, en particulier au sein des classes populaires (…), engendrant un prévisible et implacable désir de retour à l’ordre ; et elle a libéré des forces spirituelles qui n’étaient qu’anesthésiées, et qui à peine sorties de leur hibernation se sont engouffrées dans la brèche identitaire, devenue une béance » (in Dans le silence de l’État, Éditions de l’Observatoire 2021).

L’atrophie de la démocratie devient également une source d’exaspération grandissante pour un peuple dont la relation à la politique et l’attachement à la souveraineté ont constitué le fil rouge des innombrables soulèvements civiques qui se sont égrenés depuis la Grande Révolution. L’hyper-présidentialisation à laquelle nous avons assisté au fil du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, un autoritarisme grandissant à mesure que le peuple se cabrait devant des décisions s’attaquant brutalement à ses droits comme à ses conditions d’existence, la volonté élyséenne de faire exploser les partis traditionnels et de contourner les élus des territoires ont eu pour effet de révéler au pays la réalité d’un régime n’ayant pour seul objectif que de protéger l’oligarchie possédante. Cela se traduit dorénavant en cet abstentionnisme de masse que nous venons encore de voir à l’oeuvre, en votes-sanctions prenant par surprise des pouvoirs imaginant toujours que les citoyens ont sombré dans l’apathie, ou en explosions sociales qui n’ont cessé de gagner en intensité ces dernières années.

Même un Marcel Gauchet, à sa manière, identifie une fracture qui n’a cessé de se creuser : « Emmanuel Macron a obtenu une majorité écrasante au Parlement (en 2017, c’est moi qui précise), mais elle n’a produit qu’un Parlement effacé (…). On a beaucoup dit que la V° République avait abaissé le Parlement. C’est vrai, mais il n’en continuait pas moins de jouer jusqu’à présent un rôle très important dans la vie politique. Sous Macron, il ne joue plus ce rôle et c’est un manque. Il n’y a plus de lieu de la délibération publique ; il y a un renforcement de la décision politique mais sans discussion politique dont le Parlement fournissait malgré tout un contrepoint » (in Macron, les leçons d’un échec, Stock 2021). Sans doute, touche-t-on ici la racine du comportement de l’électorat aux dernières législatives, refusant au chef de l’exécutif de lui accorder une majorité de députés et manifestant de cette manière une claire volonté de le priver de la totalité des pouvoirs.

Ce dernier trait fait écho à un imaginaire national battu en brèche par une globalisation décrétant la fin des États-nations et de leur souveraineté, ne jurant que par le libre-échangisme intégral, poussant les feux de la désindustrialisation comme de la désintégration d’une Éducation nationale désormais privée de réels moyens de reproduire le creuset français autour de ses valeurs fondatrices d’égalité et d’universalisme, organisant la rétraction de l’ambition culturelle par laquelle un peuple réalise son unité et fait de sa diversité une richesse. Or, de par l’histoire, et quelles qu’aient été les heures sombres de cette dernière, les Françaises et les Français ont régulièrement cherché à se construire un destin collectif. Non pour se figer dans un nationalisme replié sur lui-même, même si la pulsion en a existé à diverses périodes, mais le plus souvent pour affermir la communauté des citoyens loin des communautarismes délétères, et pour tenir au monde le discours de l’universalité des droits, de l’émancipation humaine et des coopérations solidaires. Ce à quoi se référait Jean Jaurès lorsqu’il évoquait le « génie français ».

Ni du côté des classes dirigeantes, ni de celui d’une gauche et d’un mouvement ouvrier ayant parfois cédé à l’illusion d’un univers « post-national », il n’y a été apporté de réponse. Soit, à droite et du côté des néolibéraux, en s’employant à convaincre l’opinion que la France ne serait plus qu’une « puissance intermédiaire » à laquelle il ne resterait plus pour option que l’intégration à un « camp occidental » placé sous direction des États-Unis. Soit, pour une partie de la gauche au moins, en oubliant qu’un internationalisme bien compris commence par un combat de chaque instant pour opposer au nationalisme belliqueux une vision citoyenne, laïque et pacifique de la nation. Avec pour conséquence funeste la montée en puissance des identitarismes de régression, comme le relève le politologue Stéphane Rozès : « Les peuples réagissent à la dépossession de la maîtrise de leurs destins en faisant remonter le caractère archaïque de leurs imaginaires » (in Quelles institutions pour demain ? Colloque de la Fondation Res Publica, 22 septembre 2021).

1958-2022

Il m’est arrivé récemment, à l’occasion d’un échange, d’oser cette appréciation en forme de mise en garde : « Nous sommes en 1958 ! » Il va de soi que je n’imaginais pas, par ces mots, assimiler deux contextes à tout point de vue dissemblables. La chute, voici plus de soixante ans, d’un régime parlementaire miné par son impuissance à faire entrer l’économie française dans la « modernité » du règne des grands monopoles industriels et financiers, la volonté des fractions dominantes de la bourgeoisie de régler leurs comptes aux groupes d’influence jugés archaïques et paralysants pour les pouvoirs en place, le besoin de sortir des aventures colonialistes et d’une guerre d’Algérie devenues incompatibles avec le nouvel âge du capitalisme ne ressemblent en rien à l’époque actuelle. Sauf sur un point : ce que recouvre la crise au-delà de ses apparences immédiates.

En juillet 1958, Cornelius Castoriadis cherchait à désigner les turbulences affectant en profondeur le système, alors très mal comprises de la gauche, en écrivant : « La crise des institutions politiques, c’est le fait que la bourgeoisie n’arrive plus à gérer la société à son profit de façon relativement efficace et cohérente (…). Mais cette crise, à son tour, n’est pas autonome ; elle n’est que l’expression, sur le plan politique, d’une crise beaucoup plus générale et profonde, d’une véritable crise de structure affectant tous les aspects de l’organisation de la société capitaliste française » (in La Société française, 10/18 1979). Nous sommes à peu près, dans les conditions particulières de 2022, devant un semblable tournant de situation.

Toute notre histoire contemporaine l’atteste, dès lors que les classes dirigeantes ne trouvent pas d’issue à une gageure de cette dimension par les voies habituelles de l’action politique, c’est vers le recours à des formules autoritaires d’exception qu’elles s’orientent. C’est généralement dans le bonapartisme qu’elle recherchent un débouché à même d’installer un nouvel ordre politique et de déterminer un autre équilibre entre les forces dominantes. Deux figures polarisent ainsi les confrontations politiques depuis plus de deux siècles : celle de Robespierre, symbole de l’irruption, sur le devant de la scène, des forces populaires qui cherchent régulièrement à bousculer les privilèges de la naissance et de la fortune ; et celle de Bonaparte, dont les émules prétendent toujours s’ériger au-dessus des classes en belligérance et rallier diverses fractions en déshérence de la société, afin de sortir d’états de paralysie institutionnelle au moyen de solutions musclées plus ou moins respectueuses de l’État de droit. En 1958, à l’avantage des secteurs dominants du capitalisme français, c’est au général de Gaulle qu’il revint d’endosser ce rôle de sauveur auto-proclamé, s’appuyant dans un premier temps sur l’état-major de l’armée d’Algérie pour perpétrer le putsch qui allait l’installer à la tête de l’État, avant de se débarrasser de ses encombrants alliés pour mieux instaurer la monarchie présidentielle telle que devait ensuite la constitutionnaliser la V° République.

Voici plusieurs années déjà que nous sommes entrés dans un moment bonapartiste. Successivement, Nicolas Sarkozy puis Emmanuel Macron postulèrent à la fonction, avec pour objectif affirmé de donner un nouveau cap au système, de redéfinir un bloc dominant à même de diriger le pays en l’assurant d’une majorité politique stable, et de vaincre durablement la résistance du corps social aux projets de remise en cause de ses principaux acquis. Que l’un et l’autre de ces présidents aient échoué, et que l’actuel tenant du titre viennent même de subir une déroute électorale sans précédent sous ces institutions, ne signifie nullement que la menace fût écartée.

L’ENGRENAGE FATAL DE LA BONAPARTISATION


Si l’on en cherchait une confirmation, la bonapartisation présente de notre théâtre politique l’apporterait. Car la tripartition dont a accouché le premier tour de l’élection présidentielle n’a pas fait émerger trois forces disposant de cohérences équivalentes, comme l’ont écrit un peu vite nombre de commentateurs, elle a plutôt cristallisé des phénomènes électoraux autour de trois personnages captant les suffrages de deux électeurs sur trois. Sur fond d’abstentionnisme record, la vie publique s’en est trouvée un peu plus dévitalisée, l’électorat qui continue de se rendre aux urnes déterminant ses comportements à partir du seul impératif de « voter utile », et non des projets en présence dans la compétition. De ce fait, loin d’avoir initié une recomposition de grande ampleur, cette nouvelle donne a, en réalité, fait considérablement reculer l’exigence d’une citoyenneté active et éclairée.

La lucidité nous impose d’en conclure que le Rassemblement national peut demain en être le grand bénéficiaire. Parce que le vote en sa faveur se révèle de plus en plus motivé par l’adhésion à son projet. Parce qu’il sait à merveille détourner les angoisses d’un très large pan de la société, utiliser à son profit le discrédit de la politique traditionnelle auprès de millions d’hommes et de femmes, et couvrir d’un vernis prétendument social son programme de haine et de division du pays. Parce que la vigilance démocratique s’est encore affaissée cette année, lorsque une part conséquente des électeurs de la droite traditionnelle et du parti macroniste en est venue, au second tour des législatives, à préférer les candidats lepénistes à ceux de la gauche unie. Parce que, pris au milieu d’une tourmente dont il ne voit pas comment s’extraire, un pouvoir minoritaire se montre tenté par des manoeuvres de conciliation avec l’extrême droite, pour faire adopter certaines de ses lois à l’Assemblée. Étape après étape, ses récents succès électoraux lui conférant une crédibilité grandissante, le parti d’origine fasciste qu’est le RN pourrait donc bien, si rien ne vient arrêter sa marche conquérante, se transformer en une force fonctionnelle à un débouché bonapartiste de la crise française.

Voilà, par conséquent, la gauche confrontée à un enjeu dont, pour certaines de ses composantes du moins, elle ne prend manifestement pas la mesure. Certes, je l’ai dit, la coalition électorale formée par Europe écologie-Les Verts, La France insoumise, le Parti communiste français et le Parti socialiste a réalisé l’exploit — inattendu des médias — de revenir au centre du jeu politique, redonnant du sens au clivage entre droite et gauche. Bien sûr, son programme partagé, quoique de nombreux points fussent toujours à clarifier, a écarté la tentation, récurrente au fil des décennies passées, de capituler devant la pression des marchés financiers. Sans doute, l’espoir a regagné ces hommes et ces femmes qui ont persisté ces dernières années, contre vents et marées contraires, à revendiquer leur appartenance à notre camp social et politique.

DÉFI VITAL POUR LA GAUCHE

Pour autant, nous n’en demeurons pas moins minoritaires, peu entendus de cette partie de la France travailleuse sans laquelle il nous sera impossible de conquérir une majorité politique. Nous venons de le voir avec une ampleur inégalée, ces salariés, ces ouvriers et ces employés, ces agents des services publics, ces membres de la classe moyenne subissant eux aussi la dégradation de leurs conditions d’existence, ces chômeurs, ces agriculteurs, ces petits entrepreneurs et artisans saignés à blanc par les donneurs d’ordre ou les banques, se défient de la politique, lorsqu’ils n’accordent pas leur soutien à leurs pires ennemis.

Parlons sans détours. Une majorité populaire nous restera inaccessible si nous ne prenons pas les moyens d’une réorientation visible et déterminée. Si ne sont pas prises en compte les préoccupations fondamentales de ces secteurs du monde du travail que nous ne parvenons pas à entraîner vers la rupture : le coût de l’énergie lorsque, sans voiture, il devient impossible de sortir des territoires péri-urbains dont, si souvent, les services publics se sont retirés ; les salaires, à tel point en berne qu’ils ne permettent pas de boucler le mois, alors que les prix des denrées essentielles ne cessent d’augmenter ; le travail qui, outre qu’il fût si mal rémunéré, est synonyme de souffrances psychologiques ou de troubles musculo-squelettiques faisant de l’activité une épreuve quasi-insoutenable bien avant l’âge de la retraite ; l’école, qui reproduit en les approfondissant sans cesse les inégalités de classe…

La victoire demeurera une espérance constamment déçue si d’aucuns poursuivent dans la voie sans issue consistant à répondre au malheur de tant de Françaises et de Français en négligeant de dénoncer le coût de la finance pour les êtres humains, en se contentant de quelques discours généraux sur la justice sociale, en substituant une idéologie intersectionnelle fumeuse au projet d’une République se réinventant en permettant aux citoyens et au monde du travail de prendre le pouvoir sur le capital, en promettant une transition écologique dont le contenu apparaît seulement punitif aux plus fragiles de nos compatriotes, ou encore en négligeant d’opposer à l’adversaire une autre vision de la nation… Et si l’on ne porte pas, avec le souci de la cohérence, un corps de propositions destinées à rassembler, dans une belle alliance, les classes moyennes urbaines qui sont en train de basculer vers la gauche, les habitants et habitantes des quartiers populaires dont le vote a valeur d’engagement contre les ségrégations du quotidien, et la fraction du peuple travailleur que l’oligarchie possédante a relégué au plus loin des métropoles.

C’est la perspective qu’a défendue Fabien Roussel au printemps. Elle n’a, en effet, rien perdu de son actualité l’importance accordée au travail, à l’emploi et aux salaires, à la défense d’une République qui en devenant sociale autant que laïque et universaliste soit l’instrument d’une reconquête du progrès et de la démocratie, à la volonté de rouvrir à la France la voie d’autres « Jours heureux » qui restituent au peuple sa souveraineté dans tous les domaines. Devant la redistribution générale des cartes qui s’amorce, les communistes auront à coeur de faire de ces grands objectifs des leviers au service de la clarification indispensable des débats à gauche.

LA MAJORITÉ POPULAIRE SE CONSTRUiT MAINTENANT

C’est sans attendre les prochains rendez-vous électoraux, qu’ils interviennent d’ailleurs à leur terme normal ou qu’ils soient anticipés par une dissolution de l’Assemblée nationale, que nous allons être mis à l’épreuve. L’illusion serait de croire que les questions de l’union, de la relation entre les partenaires impliqués dans celle-ci, du programme et de la stratégie ont été réglés par la double séquence politique qui vient de se conclure. Que la Nupes a dépassé sa réalité de coalition électorale pour devenir un mouvement mettant à l’ordre du jour l’effacement des identités et des spécificités de ses organisations fondatrices, voire pour résoudre le difficile problème du rapport entre les formations politiques et le mouvement social. Qu’il suffit de camper sur l’espace qu’a dessiné l’alliance, et de chercher à simplement l’élargir, pour créer la dynamique menant à une prochaine victoire. Que la clé de cette dernière résiderait dans des postures « radicales », pour démontrer au pays où se trouvent vraiment les opposants au macronisme.

En réalité, Emmanuel Macron, comme une droite et une extrême droite disposant de leurs agendas propres, sans parler d’un grand patronat ayant comme toujours pour feuille de route de faire payer la crise à notre peuple, nous tendent un piège redoutable. À travers son intervention télévisée du 14 Juillet, tout en faisant appel à l’esprit de « compromis », le Prince a clairement fait appel au renfort de la droite pour appliquer le programme de brutalisation sociale qui pourrait lui convenir : réforme du travail comprenant un énième durcissement de l’indemnisation des privés d’emplois et du versement du RSA, plan de « sobriété énergétique » dont le poids reposera essentiellement sur les classes populaires, contre-réforme des retraites… Il escompte manifestement, en ralliant le parti « Les Républicains » à ses projets de loi et en profitant de la stratégie de dédiabolisation qui rend si conciliants les amis de Madame Le Pen, tirer avantage du désarroi et des peurs qui, dans le pays profond, coexistent avec une intense colère. Ce qui lui permettrait, du même coup, d’isoler la gauche…

Pour cette raison, loin des seules attitudes protestataires et d’un recours trop systématique à la tactique de l’obstruction parlementaire — même si celle-ci est souvent indispensable pour relayer les revendications du mouvement social —, il va s’agir pour notre camp de faire simultanément preuve de combativité contre la politique de l’exécutif, et d’esprit de responsabilité afin de rendre au grand nombre la confiance en son aptitude à changer le cours des choses.

C’est dans la résistance quotidienne, à travers les luttes de terrain pour arracher des droits nouveaux, par la mise en avant des propositions répondant aux urgences de l’heure, en travaillant au plus large rassemblement de la gauche avec les forces du mouvement populaire qu’il sera possible de combattre efficacement. Et d’engager sans délai, dès la rentrée, la bataille de la construction d’une majorité politique qui fera bifurquer le destin français.

J’en termine avec cette note. Sa longueur tient au fait que je redoute plus que tout les approximations face aux épreuves qui nous attendent. Comme toujours, lorsque l’on entre dans une période lourde d’enjeux déterminants, il importe d’examiner avec soin les tendances lourdes qui se font jour et de savoir s’inscrire dans les contradictions que ces dernières révèlent. Pour ne pas s’être suffisamment livré à l’exercice, nos anciens ont subi bien des déboires. Aussi, sachons pour notre part faire preuve de rigueur. Dans une prochaine note, je reviendrai sur la gauche qu’appellent les gigantesques bouleversements en cours.

LIBERTE HEBDO N° 1543-44-45. EDITO DE PHILIPPE

ROULEAU COMPRESSEUR

Il s'en passe de belles dans l'hémicycle de L'Assemblée nationale. 

La dernière polémique, soulevée par Marine Le Pen et relayée avec grand éclat par le Républicain Éric Ciotti, porte sur la tenue vestimentaire des députés. Plus précisément, selon l'ancien LR Renaud Muselier. ceux de la Nupes seraient « sales et débraillés ».
Il leur faut porter une cravate ! « Et nous alors ? » s'emporte cette fois l'insoumise Clémentine Autain qui accuse la droite et l'extrême droite de sexisme.

Voilà encore un débat de nature à passionner les Françaises et les Français. 
Ce n'est pas comme celui portant sur la redevance de l'audiovisuel supprimée ce samedi 23 juillet comme le souhaitait Emmanuel Macron et son gouvernement. 
Les Républicains et le Rassemblement national ont bien évidemment voté pour cette suppression.
On a même entendu une députée du parti d'extrême droite, Caroline Parmentier, déclarer froidement qu'« une grande démocratie comme la nôtre n’a pas besoin de service public ». Voilà au moins qui est clair. 

Tant pis pour la garantie d'indépendance de la radio et de la télévision publique. La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak a dû boire du petit lait, elle qui considère que, de toute façon, c'est l'Arcom et non la redevance qui garantit cette indépendance. Même chose pour le ministre des Comptes publics. Gabriel Allai, qui dit son attachement à un audiovisuel fort mais qui qualifie la redevance d’obsolète à l'heure des tablettes et des smartphones.

La chose était jouée d'avance, peu importe les vrais débats. Et le gouvernement, comme les députés qui ont voté pour la suppression, se targuent d'avoir « rendu » 138 euros à chaque citoyen possédant un téléviseur. Cela s'appelle la méthode du rouleau compresseur.

Lors des débats pour le pouvoir d’achat, il eût donc été fou de s'arrêter en si bon chemin. Est donc venu le tour des retraites. Et là, grand numéro de cirque. Alors que mardi 26 juillet les députés avaient voté, contre l’avis du gouvernement, une revalorisation supplémentaire de 500 millions d'euros
pour les pensions de retraites, ledit gouvernement ne cache pas son courroux. 

Qu'à cela ne tienne, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire demande un second vote. 
La chose se règle dans la nuit, à 2h39.  Adieu les 500 millions.

Évidemment, le ministre, qui se moque de l'indignation des députés communistes et de la Nupes en général, rappelle que le parti présidentiel détient la majorité et qu'il existe un règlement. 
Donc, pour lui, pas de passage en force. Juste le règlement. Si ce n'est pas du rouleau compresseur, qu'est-ce ?
Face à de tels comportement, il n'est pas du tout certain que la voix du peuple soit de retour dans une Assemblée nationale qui aurait retrouvé son rôle.