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Cauchemar en cuisine ! SODEXO: de la grande restauration chic étoilé, à la cantine de TF1.


Traiteurs, cantines, cuisines étoilées, la justice se met à table
Un fournisseur de main d'œuvre - du plongeur à la serveuse - à de grands noms de la restauration est accusé de travail dissimulé et d ubérisation du métier…


LE POINT COMMUN entre le pâtissier star Pierre Henné, le restaurant parisien étoilé Apicius, les Bateaux-Mouches de la Seine et lu cantine de TF1, gérée par Sodexo ?

Toutes ces boîtes ont suivi, ces dernières années, un régime al­légé en frais de personnel. A la place de salariés, elles faisaient discrète­ment travailler dans leurs locaux des autoentrepreneurs, bombardés plon­geurs, serveurs, commis, etc. Mais lu justice ne goûte pas la recette. Au printemps 2019, un juge parisien a donc ouvert une information judi­ciaire concernant cette pratique.

Pour dénicher des travailleurs pas chers (et aux cotisations sociales al­légées), nos restaurateurs adressent - adressaient, vu le contexte - leur demande ù des start-up qui, ensuite, relayaient l’offre à des micro-entre-preneurs enregistrés auprès d’elles.

le secteur de la restauration dispose pourtant déjà d’une farandole de dis­positifs - du CDI à l'intérim en passant par les extras - pour recruter du personnel à titre permanent ou temporaire.





Factures gastronomiques

Et qui dit contrat de travail dit, en théorie, respect du Code du même nom, que ce soit en matière de salaire, de durée ou de conditions de travail. Avec Brigad, l’une de ces start-up fournisseuses, tout est sim­plifié ! Comme le claironne son site, «vous évitez la paperasse : pas de dé­marches administratives (contrat, déclarations) puisque notre plate­forme repose sur la prestation de services ».

En pratique, la personne envoyée par Brigad dans un restaurant, une cantine ou chez un traiteur n'est pas un salarié mais - à lui seul - une société commerciale, baptisée « Brigader », qui vient effectuer une pres­tation. La start-up fixe le tarif ho­raire, rédige la facture pour le Brigader, l’envoie au resto puis en­caisse le montant avant de le lui reverser, non sans avoir gardé 25 % pour elle. Gourmande, va !

Avec de tels arguments, Brigad (17 millions d’euros de chiffre d’af­faires en 2019) suscite rapidement l’intérêt des taverniers : depuis 2017, plus de 10 000 sociétés issues du sec­teur des hôtels, des cafés et des res­taurants y ont déjà recouru. Et cer­taines, qui utilisent des Brigaders pour remplacer des salariés en arrêt maladie ou en congés payés, voire de façon permanente, frôlent l’indiges­tion.

Le géant de la restauration col­lective Sodexo et ses filiales, notam­ment, ont opté pour la formule « buffet à volonté » : ils ont affecté plusieurs centaines de Brigaders à plus de 250 sites, parmi lesquels des Ehpad, des hôpitaux et des cantines d’entreprise - dont celle de TF1.

Pas top, chef !

Le groupe Châteauform’, leader français du séminaire haut de gamme, a préféré le menu « dégus­tation » et a englouti 350 Brigaders dans ses établissements. Fauchon Traiteur, Maison Pradier, restau­rants branchés du Palais de Chaillot ou de l’opéra Garnier... la liste des utilisateurs est copieuse, mais aucun d’eux n’a voulu s’exprimer sur le sujet. Pudiques, avec ça...

Cette boulimie n'est pas du goût de tous. Spécialisée dans le secteur, la boîte d’intérim Staffmatch à déposé, en 2018, une plainte contre Brigad. Le syndicat patronal du travail temporaire Prism'emploi s’y est associé, pour « complicité de travail dissimulé pur dissimulation d’em­plois salariés, travail dissimulé par dissimulation d’Activité, prêt illicite de main-d’œuvre et marchandage ».

Ils estiment que les Brigaders, qui n’ont aucune autonomie, ne sont pas de vrais travailleurs indépendants. De fait, ils ne fixent pus leur tarif, travaillent dans les locaux de l’en­treprise utilisatrice, sont souvent in­tégrés dans une équipe de salariés et toujours placés sous la direction d’un supérieur. Pire encore, certains turbinent sept jours sur sept, plu­sieurs semaines durant. Cauchemar en cuisine !

La plainte a entraîné l’ouverture de l'information judiciaire de 2019, et les découvertes des enquêteurs ac­créditent l’idée d'un système fai­sandé... Dans cette hypothèse, des milliers d'entreprises ayant eu re­cours à des Brigaders pourraient se voir renvoyées devant le tribunal cor­rectionnel pour travail dissimulé.

Stop, chef! « Si la justice ne met pas un terme à tout cela, des pans entiers du salariat disparaîtront au prorit de faux micro-entrepreneurs et des plateformes qui les exploitent », pré­vient M‘ Bellaiche. l’avocat de Staffmatch. Côté Brigad, on se veut serein depuis qu’une action en référé a été lancée - et perdue - par Staffmatch, en novembre dernier. Du reste, la start-up a survécu aux fermetures de restaurants en étendant son ac­tivité au domaine de la santé privée. Elle propose des Brigaders aides-soignants, auxiliaires de vie ou même infirmiers.

Rien qu’en février dernier, 4 000 missions ont été réalisées dans ce secteur, assurément en plein boom !

Jérôme Canard du canard enchaîné

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