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CUBA: ça c'est passer un 25 novembre 1956
Par un petit matin du 25 novembre 1956, un yacht de 18 mètres, avec 82 hommes à bord, le Granma, quittait Tuxpan sur la côte mexicaine pour aller libérer Cuba de la dictature de Batista.
Ce sera ensuite le débarquement dans des conditions très difficiles, l’attaque surprise à Alegria de Pio, les morts, les prisonniers, les trahisons, l’armement perdu et la dispersion de ceux qui ont survécu.
Ce seront aussi les retrouvailles d’une douzaine de guérilleros le 18 décembre, dans la Sierra Maestra, à Cinco Palmas, quand après avoir embrassé son frère Raul, Fidel lui demande :
- Combien de fusils tu apportes ?
- Cinq.
- Avec les deux que j’ai, cela fait sept. Alors oui, maintenant, nous allons gagner la guerre !
Et c’est ce qui est arrivé grâce à la vision stratégique et au sens tactique de ce personnage hors du commun.
Par un curieux coup de l’Histoire, c’est un 25 novembre 2016, soit 60 ans, jour pour jour, après le départ du Granma que Fidel nous a quittés pour un dernier voyage.
Je n’ai pas honte de le dire, ma peine était immense car cet homme, en compagnie d’Ernesto Che Guevara, avait symbolisé l’espoir de ma génération.
En avril 2016, j’étais chez moi, à La Havane, quand j’ai regardé, en direct, son dernier discours à la télévision. Nous savions tous que nous ne le verrions plus nous parler et l’émotion était palpable.
Lui-même l’avait dit : « ce sera peut-être la dernière fois que je parlerai dans cette salle ».
Il est revenu sur son parcours politique, lié à sa volonté de défendre l’indépendance de son pays et de lutter contre l’exploitation des plus pauvres.
Il s’inquiétait aussi pour les futures générations qui allaient devoir résoudre le grand problème d’alimenter des milliards d’êtres humains alors que les ressources naturelles étaient limitées.
Néanmoins, il estimait que le risque majeur pour la terre résidait dans le pouvoir destructif des armements modernes qui pourraient compromettre la paix de la planète et rendre la vie impossible à l’espèce humaine sur toute la superficie terrestre.
Ces dernières paroles témoignaient donc de la vision profondément humaniste d’un de ces géants du 20ème siècle.
Alors, il me semble que les projets auxquels nous participons à Cuba, les campagnes que nous menons contre le blocus sont une façon de rembourser un peu l’énorme dette que les peuples du monde ont envers ce petit pays qui a donné naissance à de tels personnages.
C’est dans ce contexte que s’est tenue la récente rencontre au Parlement Européen de Bruxelles qui fait l’objet d’un article (Dans le ventre de la bête).
Parfois, la tâche qui nous incombe peut sembler trop importante, il convient alors de se souvenir de l’optimisme raisonné de la rencontre de Cinco Palmas et de le faire nôtre.
Un dernier mot : en ne le désignant que par son prénom, je fais miennes les paroles du chanteur cubain Tony Avila dans Balsero : « Nunca le dijo Castro a Fidel » car l’appeler par son nom de famille était réservé à ses ennemis.
Ce sera ensuite le débarquement dans des conditions très difficiles, l’attaque surprise à Alegria de Pio, les morts, les prisonniers, les trahisons, l’armement perdu et la dispersion de ceux qui ont survécu.
Ce seront aussi les retrouvailles d’une douzaine de guérilleros le 18 décembre, dans la Sierra Maestra, à Cinco Palmas, quand après avoir embrassé son frère Raul, Fidel lui demande :
- Combien de fusils tu apportes ?
- Cinq.
- Avec les deux que j’ai, cela fait sept. Alors oui, maintenant, nous allons gagner la guerre !
Et c’est ce qui est arrivé grâce à la vision stratégique et au sens tactique de ce personnage hors du commun.
Par un curieux coup de l’Histoire, c’est un 25 novembre 2016, soit 60 ans, jour pour jour, après le départ du Granma que Fidel nous a quittés pour un dernier voyage.
Je n’ai pas honte de le dire, ma peine était immense car cet homme, en compagnie d’Ernesto Che Guevara, avait symbolisé l’espoir de ma génération.
En avril 2016, j’étais chez moi, à La Havane, quand j’ai regardé, en direct, son dernier discours à la télévision. Nous savions tous que nous ne le verrions plus nous parler et l’émotion était palpable.
Lui-même l’avait dit : « ce sera peut-être la dernière fois que je parlerai dans cette salle ».
Il est revenu sur son parcours politique, lié à sa volonté de défendre l’indépendance de son pays et de lutter contre l’exploitation des plus pauvres.
Il s’inquiétait aussi pour les futures générations qui allaient devoir résoudre le grand problème d’alimenter des milliards d’êtres humains alors que les ressources naturelles étaient limitées.
Néanmoins, il estimait que le risque majeur pour la terre résidait dans le pouvoir destructif des armements modernes qui pourraient compromettre la paix de la planète et rendre la vie impossible à l’espèce humaine sur toute la superficie terrestre.
Ces dernières paroles témoignaient donc de la vision profondément humaniste d’un de ces géants du 20ème siècle.
Alors, il me semble que les projets auxquels nous participons à Cuba, les campagnes que nous menons contre le blocus sont une façon de rembourser un peu l’énorme dette que les peuples du monde ont envers ce petit pays qui a donné naissance à de tels personnages.
C’est dans ce contexte que s’est tenue la récente rencontre au Parlement Européen de Bruxelles qui fait l’objet d’un article (Dans le ventre de la bête).
Parfois, la tâche qui nous incombe peut sembler trop importante, il convient alors de se souvenir de l’optimisme raisonné de la rencontre de Cinco Palmas et de le faire nôtre.
Un dernier mot : en ne le désignant que par son prénom, je fais miennes les paroles du chanteur cubain Tony Avila dans Balsero : « Nunca le dijo Castro a Fidel » car l’appeler par son nom de famille était réservé à ses ennemis.
Guerre/paix, Echos d’un débat – « L'affirmation de la paix est le plus grand des combats » Jean Jaurès
De nouveau, la guerre et les menaces d’extension de la guerre ressurgissent sur le continent européen, avec tous les risques d’embrasement, leur cortège de souffrances et de destructions mais aussi leurs charognards de tous poils, marchands d’armes, spéculateurs et profiteurs de guerre et des conséquences déjà concrètes sur notre vie quotidienne.
Un débat a eu lieu à Beauvais, le 7 octobre, avec Patrick Le Hyaric, ancien directeur de l’Humanité et ancien député communiste européen, autour de son dernier livre (à lire absolument !), pour débattre sur les causes de la guerre en Ukraine et sur des pistes et propositions pour une « sécurité humaine globale ». Retour sur 3 heures de conférence puis de débats passionnants.
Patrick Le Hyaric a d’emblée posé les choses clairement : « Il ne peut y avoir aucune justification, aucune circonstance atténuante à l’agression guerrière de Poutine contre l’Ukraine et son infernale mécanique des atrocités. » Soulignant que cette guerre provoque d’ailleurs l’effet inverse de ce qu’il prétend rechercher puisque l’Otan est réhabilité et que des pays neutres jusqu’ici comme la Suède et la Finlande demandent à y adhérer ; quant au Danemark, il réintègre la « politique commune européenne de défense » qu’il avait quittée après avoir rejeté le Traité de Maastricht il y a 30 ans ! Le dirigeant communiste a aussi enfoncé le clou : « La Russie de Poutine soumise au règne des oligarques n’a rien à voir avec l’URSS mais rêve ouvertement de la reconstitution de l’empire des tzars. »
Pour autant, les choses étant dites sans complaisance aucune pour le pouvoir russe, il est indispensable de chercher à comprendre quel enchaînement a conduit à cette situation gravissime et dans quel contexte mondial s’inscrit ce conflit qui déjà provoque une nouvelle course aux armements.
P. le Hyaric est alors revenu sur les 30 dernières années, en montrant, faits précis à l’appui, comment les dirigeants des USA avaient violé délibérément l’engagement fait auprès de Gorbatchev, au moment du processus de « réunification » de l’Allemagne, de ne pas étendre l’Otan vers l’Est ; et comment, malgré les multiples avertissements venus de toutes parts, ils avaient poursuivi leur volonté d’expansion de ce bras armé des USA jusqu’à vouloir y intégrer l’Ukraine en violation d’un accord de 1994 qui en avait organisé la « dénucléarisation militaire ».
Cette fuite en avant militaire des USA et de l’Otan s’inscrit dans des logiques de domination économique et territoriale, dans le cadre d’une crise profonde du capitalisme mondialisé : les richesses considérables du sol et du sous-sol ukrainien étant un enjeu de premier plan, comme d’ailleurs la volonté des USA d’imposer aux pays européens l’achat du gaz de schiste venu d’Outre-Atlantique plutôt que celui qui était acheminé de Russie par le gazoduc dit Nord Stream (saboté mystérieusement il y a peu…).
L’ancien député européen a appelé à prendre la mesure des bouleversements du monde (Tony Blair, ex-Premier Ministre anglais, a dit le 16 juillet 2022 : « Nous arrivons à la fin de la domination politique et économique de l’Occident ») avec l’essor de nouvelles puissances « émergentes » : les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) représenteront en 2050, 50 % des richesses produites dans le Monde tandis que le G7 n’en représentera plus que 20 % ! Et la Chine devançera les USA dès 2030.
Toute la politique des USA vise à tenter d’empêcher cette perte de leur puissance par trois moyens : la domination financière avec le dollar qui accorde aux USA un privilège incroyable de faire financer leurs dépenses par le reste du monde ; la domination juridique avec la scandaleuse extra-territorialité du droit états-unien qui lui permet de s’ingérer dans la politique intérieure des États et de dicter leurs décisions aux entreprises en fonction des intérêts des USA ; et évidemment la domination militaire avec la volonté constante d’enrôler les États européens dans cette aventure, au prix d’une folle relance de la course aux armements (les dépenses atteignent désormais 2 113 milliards de dollars!!!) avec des risques insensés – y compris nucléaire - pour la planète et la dilapidation d’argent dans des œuvres de mort alors que tant d’argent manque pour relever les défis sociaux et environnementaux.
Deux faits inquiétants parmi d’autres illustrent bien cela : le budget militaire de l’Otan est désormais 20 fois celui de la Russie, et le changement de stratégie militaire de la France est passé de « paix-crise-paix » à « compétition-contestation-affrontement », dans une logique clairement guerrière illustrée par exemple par le commandement français de bases de l’Otan en Roumanie et Estonie.
S’inspirant de l’esprit de Jaurès, P. Le Hyaric a longuement appelé à créer les conditions de « gagner la paix » plutôt que l’illusion meurtrière de « gagner la guerre » : en encourageant toutes les initiatives diplomatiques de l’ONU, de la Chine, de l’Inde pour une désescalade, un cessez-le-feu et l’engagement de discussions ; et en travaillant à la perspective d’une nouvelle Conférence pour la Sécurité et la coopération en Europe associant tous les pays européens y compris la Russie. Pour cela, il y a une nécessité urgente d’agir pour développer un vaste mouvement citoyen et des peuples pour la paix, pour contrebalancer la guerre idéologique des va-t-en-guerre et les poisons des nationalismes, et pour imposer un nouveau rapport de force favorable aux forces de paix, avec l’objectif d’un Pacte mondial pour une sécurité humaine globale.
Thierry Aury
secrétaire départemental PCF Oise
membre du Conseil national du PCF
Patrick Le Hyaric a d’emblée posé les choses clairement : « Il ne peut y avoir aucune justification, aucune circonstance atténuante à l’agression guerrière de Poutine contre l’Ukraine et son infernale mécanique des atrocités. » Soulignant que cette guerre provoque d’ailleurs l’effet inverse de ce qu’il prétend rechercher puisque l’Otan est réhabilité et que des pays neutres jusqu’ici comme la Suède et la Finlande demandent à y adhérer ; quant au Danemark, il réintègre la « politique commune européenne de défense » qu’il avait quittée après avoir rejeté le Traité de Maastricht il y a 30 ans ! Le dirigeant communiste a aussi enfoncé le clou : « La Russie de Poutine soumise au règne des oligarques n’a rien à voir avec l’URSS mais rêve ouvertement de la reconstitution de l’empire des tzars. »
Pour autant, les choses étant dites sans complaisance aucune pour le pouvoir russe, il est indispensable de chercher à comprendre quel enchaînement a conduit à cette situation gravissime et dans quel contexte mondial s’inscrit ce conflit qui déjà provoque une nouvelle course aux armements.
P. le Hyaric est alors revenu sur les 30 dernières années, en montrant, faits précis à l’appui, comment les dirigeants des USA avaient violé délibérément l’engagement fait auprès de Gorbatchev, au moment du processus de « réunification » de l’Allemagne, de ne pas étendre l’Otan vers l’Est ; et comment, malgré les multiples avertissements venus de toutes parts, ils avaient poursuivi leur volonté d’expansion de ce bras armé des USA jusqu’à vouloir y intégrer l’Ukraine en violation d’un accord de 1994 qui en avait organisé la « dénucléarisation militaire ».
Cette fuite en avant militaire des USA et de l’Otan s’inscrit dans des logiques de domination économique et territoriale, dans le cadre d’une crise profonde du capitalisme mondialisé : les richesses considérables du sol et du sous-sol ukrainien étant un enjeu de premier plan, comme d’ailleurs la volonté des USA d’imposer aux pays européens l’achat du gaz de schiste venu d’Outre-Atlantique plutôt que celui qui était acheminé de Russie par le gazoduc dit Nord Stream (saboté mystérieusement il y a peu…).
L’ancien député européen a appelé à prendre la mesure des bouleversements du monde (Tony Blair, ex-Premier Ministre anglais, a dit le 16 juillet 2022 : « Nous arrivons à la fin de la domination politique et économique de l’Occident ») avec l’essor de nouvelles puissances « émergentes » : les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) représenteront en 2050, 50 % des richesses produites dans le Monde tandis que le G7 n’en représentera plus que 20 % ! Et la Chine devançera les USA dès 2030.
Toute la politique des USA vise à tenter d’empêcher cette perte de leur puissance par trois moyens : la domination financière avec le dollar qui accorde aux USA un privilège incroyable de faire financer leurs dépenses par le reste du monde ; la domination juridique avec la scandaleuse extra-territorialité du droit états-unien qui lui permet de s’ingérer dans la politique intérieure des États et de dicter leurs décisions aux entreprises en fonction des intérêts des USA ; et évidemment la domination militaire avec la volonté constante d’enrôler les États européens dans cette aventure, au prix d’une folle relance de la course aux armements (les dépenses atteignent désormais 2 113 milliards de dollars!!!) avec des risques insensés – y compris nucléaire - pour la planète et la dilapidation d’argent dans des œuvres de mort alors que tant d’argent manque pour relever les défis sociaux et environnementaux.
Deux faits inquiétants parmi d’autres illustrent bien cela : le budget militaire de l’Otan est désormais 20 fois celui de la Russie, et le changement de stratégie militaire de la France est passé de « paix-crise-paix » à « compétition-contestation-affrontement », dans une logique clairement guerrière illustrée par exemple par le commandement français de bases de l’Otan en Roumanie et Estonie.
S’inspirant de l’esprit de Jaurès, P. Le Hyaric a longuement appelé à créer les conditions de « gagner la paix » plutôt que l’illusion meurtrière de « gagner la guerre » : en encourageant toutes les initiatives diplomatiques de l’ONU, de la Chine, de l’Inde pour une désescalade, un cessez-le-feu et l’engagement de discussions ; et en travaillant à la perspective d’une nouvelle Conférence pour la Sécurité et la coopération en Europe associant tous les pays européens y compris la Russie. Pour cela, il y a une nécessité urgente d’agir pour développer un vaste mouvement citoyen et des peuples pour la paix, pour contrebalancer la guerre idéologique des va-t-en-guerre et les poisons des nationalismes, et pour imposer un nouveau rapport de force favorable aux forces de paix, avec l’objectif d’un Pacte mondial pour une sécurité humaine globale.
Thierry Aury
secrétaire départemental PCF Oise
membre du Conseil national du PCF
L’ESPRIT CRITIQUE APPLIQUÉ À LA GUERRE EN UKRAINE
« Nous vous appelons à redoubler d’efforts pour chercher un cadre réaliste pour un cessez-le-feu » : 35 parlementaires américains, figures de l’aile progressiste du parti Démocrate, avaient appelé, le 24 octobre dernier, Joe Biden à « déployer de vigoureux efforts diplomatiques en soutien à un règlement négocié et à un cessez-le-feu, à engager des pourparlers directs avec la Russie (et) à explorer les perspectives pour un nouvel accord de sécurité européen acceptable par toutes les parties ».
C’était la première fois qu’un appel de cette teneur émanait du parti du Président. Les intéressés avaient clairement souligné dans leur déclaration leur opposition à l’invasion « illégale et scandaleuse » de l’Ukraine par la Russie. Il n’empêche : leur prise de position fut assimilée à celle des Républicains pro-Poutine, et ce à la veille des élections stratégiques du 8 novembre. Mis sous pression, les auteurs de la lettre à Biden se sont finalement résolus à retirer leur appel.
La guerre, elle, se poursuit de plus belle au risque de basculer brusquement dans l’irréparable…
La France n’est pas l’Amérique. Pourtant, force est de constater qu’ici aussi, sur ce même sujet, la parole libre et l’esprit critique ont du mal à se frayer un chemin, notamment dans les grands media . Même émanant de personnalités respectées et dont le rejet de l’agression russe ne souffre aucune ambiguïté, une prise de position s’écartant du discours « politiquement correct » fait courir à son auteur le risque de l’amalgame infamant.
La France n’est pas l’Amérique. Pourtant, force est de constater qu’ici aussi, sur ce même sujet, la parole libre et l’esprit critique ont du mal à se frayer un chemin, notamment dans les grands media . Même émanant de personnalités respectées et dont le rejet de l’agression russe ne souffre aucune ambiguïté, une prise de position s’écartant du discours « politiquement correct » fait courir à son auteur le risque de l’amalgame infamant.
Il faut donc rendre hommage aux quelques voix courageuses -experts en relations internationales ou anciens généraux, notamment- qui osent braver ce danger en esquissant qui un doute (sur le prolongement indéfini de la guerre au nom de l’objectif de la « gagner ») , qui une proposition ( d’ouvrir « une porte de sortie » à l’envahisseur en espérant rendre possible une issue au conflit par la voie politique et non militaire).
Et voici qu’un autre spécialiste souvent consulté sur la tragédie ukrainienne, l’ex-ambassadeur Michel Duclos, non suspect de faiblesse à l’égard du Kremlin, vient d’exprimer à son tour des propos qui auront sans doute dérangé plus d’un commentateur attitré : dans la phase critique où est désormais entré le conflit, « On ne peut laisser aux seuls Ukrainiens la responsabilité de définir les buts de guerre et le calendrier d’une éventuelle négociation »
(1) Puisse cette analyse responsable faire son chemin parmi les dirigeants européens !
Puissent-ils se poser, comme le diplomate, la terrible question de savoir « si nous ne sommes pas entrés dans une spirale qui rend presqu’inévitable un choc frontal entre la Russie et l’OTAN » et en tirer les conclusions qui s’imposent !
Le pire est que nombre d’observateurs, sinon de responsables politiques, partagent cette conviction, mais n’osent l’exprimer de peur de s’exposer aux préjugés et aux anathèmes. Faut-il leur rappeler que le défaut d’esprit critique finit toujours par se payer cher ?
Cela vaut pour la guerre en Ukraine.
Engrenage de la guerre : « La nuée de l’orage est déjà sur nous »
C’est ainsi que Jean Jaurès, dans son dernier discours prononcé à Vaise le 25 juillet 1914 alertait sur la gravité de la situation internationale, deux jours après l’ultimatum fulminé par l’Autriche-Hongrie à la Serbie. La gravité de la situation est extrême.
Face au danger extrême et immédiat de généralisation de la guerre, c’est un sentiment d’impuissance qui domine parmi les peuples, et que les mécanismes de régulation des grandes crises internationales ont été démantelés au cours de la dernières période.
Le danger aigu de la crise actuelle tient au fait que, dans le contexte de fragmentation militarisée de la mondialisation capitaliste, aucune des parties en présence ne peut se résoudre à reculer, à perdre, alors qu’elles s’affrontent pour la définition de nouvelles hiérarchies de dépendance.
La question est : est-ce que l’une d’elles est prête à aller jusqu’au bout de l’affrontement ?
Pour l’instant, non. Mais demain ?
D’un côté, le pouvoir russe fait considérablement monter les enchères en cherchant à reprendre l’initiative et à ressouder autour de lui ses appuis, après les flottements qui ont suivi les revers militaires dans la région de Kharkov. Pour lui, la guerre contre l’OTAN a déjà commencé. En décrétant la mobilisation partielle, il prend le risque de remettre en cause le compromis sur lequel il repose : assurer au peuple russe la stabilité, en échange de son désintérêt des questions politiques.
D’un côté, le pouvoir russe fait considérablement monter les enchères en cherchant à reprendre l’initiative et à ressouder autour de lui ses appuis, après les flottements qui ont suivi les revers militaires dans la région de Kharkov. Pour lui, la guerre contre l’OTAN a déjà commencé. En décrétant la mobilisation partielle, il prend le risque de remettre en cause le compromis sur lequel il repose : assurer au peuple russe la stabilité, en échange de son désintérêt des questions politiques.
La guerre devient désormais une réalité tangible pour des centaines de milliers de familles russes. Il faut se garder des discours annonçant l’effondrement du pays, présentant la Russie comme « village Potemkine » et reposant en réalité sur des clichés. Le pouvoir russe tient et depuis plusieurs années il n’a pris aucune grande décision sans être assuré du soutien d’une majorité de la population, réforme des retraites de 2018 exceptée.
Quand Vladimir Poutine et son ministre de la Défense, Sergeï Choïgou, disent que « ce n’est pas tant une guerre contre l’Ukraine que contre l’Occident collectif », en utilisant comme argument l’aide massive que l’OTAN accorde à l’Ukraine (un total de 85 milliards de dollars depuis l’invasion russe de février 2022), cela fait écho à ce que pense une majorité de la population russe dont on pourrait résumer la perception de la situation par : « ce n’est pas nous qui avons quitté l’Occident, mais l’Occident qui nous a quittés ».
Qu’en sera-t-il cette fois-ci avec la mobilisation ?
Une des clés de la situation tient dans l’évolution qui va se produire maintenant dans la population russe qui ne peut plus vivre « comme si » la guerre n’existait pas. Contrairement aux clichés russophobes récemment recyclés, le peuple de Russie n’est pas une masse amorphe. La solidarité avec les pacifistes russes est nécessaire. Les protestations contre la mobilisation existent. L’exil contraint de plus de 250 000 personnes fuyant la mobilisation en quelques jours est un phénomène important. Elles doivent être accueillies dignement.
L’évolution prochaine va également dépendre de la situation économique. Pour l’instant, le secteur « utile » pour le pouvoir, à savoir les hydrocarbures, qui représentent 40% du PIB russe, fait plus que résister aux sanctions étant donné qu’ils sont soutenus par l’explosion des prix. Les prévisions annoncent en outre une augmentation de 40% des exportations au cours des prochaines années. Force de constater que les manifestations courageuses contre la mobilisation n’ébranlent pas le pouvoir qui reste solidement installé sur ses bases matérielles, capitalistes kleptocratiques, et idéologiques, réactionnaires et nationalistes.
Par ailleurs, la conduite des référendums dans les républiques autoproclamées du Donbass et les territoires occupés va permettre au gouvernement russe de dire que l’Ukraine attaque le territoire de la Fédération de Russie avec l’aide des armes de l’OTAN. De ce point de vue, il ne faut pas tenir « pour du bluff » la menace nucléaire, et ce d’autant plus que la doctrine d’emploi russe a été élargie en 2020 afin de rendre possible un emploi tactique, et non plus uniquement stratégique, et a ouvert une possibilité d’emploi en premier. Enfin, il ne faut pas oublier que l’opposition au pouvoir la plus puissante et la plus influente est l’extrême-droite ultra-nationaliste, relégitimée depuis l’assassinat de la fille d’Alexandre Douguine, qui n’est pas « l’éminence grise » de Poutine, mais qui coagule un certain nombre de déchets idéologiques venus du pire de la tradition réactionnaire slavophile, des anti-Lumières et du fascisme occidental.
Enfin, la question de l’isolement ou non de la Russie sur la scène internationale est un autre facteur qui compte pour le pouvoir. D’un côté il se décrédibilise auprès de ses alliés proches, par exemple en ayant annoncé à l’Arménie, qu’il ne la soutiendrait pas en cas d’invasion azerbaïdjanaise, ce qu’ont aussitôt exploité les Etats-Unis en envoyant Nancy Pelosi à Erevan. D’un autre côté, le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, qui s’est tenu les 15 et 16 septembre à Samarcande, ont été l’occasion d’élargir cette alliance économique à l’Iran et plus largement au Moyen-Orient.
Cette montée des enchères du pouvoir russe s’accompagne en miroir du refus de toute négociation en Europe et en Amérique. On voit ici à quel point la logique de bloc participe à l’engrenage. Le discours de Joe Biden à l’assemblée générale de l’ONU s’inscrit pleinement dans son ambition stratégique de redessiner les contours de l’impérialisme américain en dévoyant les institutions multilatérales et en se faisant le héraut d’un soi-disant « camp des démocraties ». Avec un aplomb hypocrite rare, il est allé jusqu’à déclarer que « les Etats-Unis veulent que cette guerre se termine », alors qu’à eux seuls les USA fournissent la moitié de la totalité de l’aide militaire à l’Ukraine et renforcent leurs positions militaires en Europe. Et que dire du discours d’Emmanuel Macron qui enjoint, sur un ton paternaliste totalement désuet, les pays non-alignés à choisir leur camp ?
L’évolution prochaine va également dépendre de la situation économique. Pour l’instant, le secteur « utile » pour le pouvoir, à savoir les hydrocarbures, qui représentent 40% du PIB russe, fait plus que résister aux sanctions étant donné qu’ils sont soutenus par l’explosion des prix. Les prévisions annoncent en outre une augmentation de 40% des exportations au cours des prochaines années. Force de constater que les manifestations courageuses contre la mobilisation n’ébranlent pas le pouvoir qui reste solidement installé sur ses bases matérielles, capitalistes kleptocratiques, et idéologiques, réactionnaires et nationalistes.
Par ailleurs, la conduite des référendums dans les républiques autoproclamées du Donbass et les territoires occupés va permettre au gouvernement russe de dire que l’Ukraine attaque le territoire de la Fédération de Russie avec l’aide des armes de l’OTAN. De ce point de vue, il ne faut pas tenir « pour du bluff » la menace nucléaire, et ce d’autant plus que la doctrine d’emploi russe a été élargie en 2020 afin de rendre possible un emploi tactique, et non plus uniquement stratégique, et a ouvert une possibilité d’emploi en premier. Enfin, il ne faut pas oublier que l’opposition au pouvoir la plus puissante et la plus influente est l’extrême-droite ultra-nationaliste, relégitimée depuis l’assassinat de la fille d’Alexandre Douguine, qui n’est pas « l’éminence grise » de Poutine, mais qui coagule un certain nombre de déchets idéologiques venus du pire de la tradition réactionnaire slavophile, des anti-Lumières et du fascisme occidental.
Enfin, la question de l’isolement ou non de la Russie sur la scène internationale est un autre facteur qui compte pour le pouvoir. D’un côté il se décrédibilise auprès de ses alliés proches, par exemple en ayant annoncé à l’Arménie, qu’il ne la soutiendrait pas en cas d’invasion azerbaïdjanaise, ce qu’ont aussitôt exploité les Etats-Unis en envoyant Nancy Pelosi à Erevan. D’un autre côté, le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, qui s’est tenu les 15 et 16 septembre à Samarcande, ont été l’occasion d’élargir cette alliance économique à l’Iran et plus largement au Moyen-Orient.
Cette montée des enchères du pouvoir russe s’accompagne en miroir du refus de toute négociation en Europe et en Amérique. On voit ici à quel point la logique de bloc participe à l’engrenage. Le discours de Joe Biden à l’assemblée générale de l’ONU s’inscrit pleinement dans son ambition stratégique de redessiner les contours de l’impérialisme américain en dévoyant les institutions multilatérales et en se faisant le héraut d’un soi-disant « camp des démocraties ». Avec un aplomb hypocrite rare, il est allé jusqu’à déclarer que « les Etats-Unis veulent que cette guerre se termine », alors qu’à eux seuls les USA fournissent la moitié de la totalité de l’aide militaire à l’Ukraine et renforcent leurs positions militaires en Europe. Et que dire du discours d’Emmanuel Macron qui enjoint, sur un ton paternaliste totalement désuet, les pays non-alignés à choisir leur camp ?
Heureusement que d’autres chefs d’Etat ont délivré des discours à la hauteur de la situation, tel que Gustavo Petro, le président colombien, qui, dans une remarquable intervention, a conjugué impératif de la paix, urgence écologique et urgence sociale. Ce décalage montre à quel point la logique de blocs défendue par nombre de pays occidentaux n’est pas partagée.
Au-delà des discours, nombre de signaux vont dans le sens d’une escalade en Occident également. L’ancien secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, vient de rédiger, avec l’appui du gouvernement ukrainien, un projet de traité de « garanties de sécurité », qui, entre les lignes, ouvre la voie à une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. L’UE prépare un 8e train de sanctions, en étant d’ailleurs à la peine pour en trouver de nouvelles, à moins que l’interdiction de délivrance des visas refasse surface. La décision des Etats baltes de ne pas délivrer de visa humanitaire aux Russes qui refusent la mobilisation est d’un cynisme rare et fournit des arguments au pouvoir russe. Surtout, l’idée qu’une victoire ukrainienne soit possible après le succès de la campagne d’Izioum est prise comme argument pour condamner toute idée de cessez-le-feu, comme l’a fait Ursula Von der Leyen.
Mais personne ne s’interroge sur le prix de la poursuite de la guerre sur sa première victime, le peuple ukrainien (Donbass inclus), qui subit bombardements, catastrophe humanitaire, violences en tout genres, crimes de guerre, exécutions, tortures, mauvais traitements, manque d’assistance médicale, d’eau et de nourriture. La poursuite de la guerre signifie la poursuite de ces violations des droits humains.
C’est dans ce contexte d’urgence et d’extrême gravité qu’il convient de reposer l’exigence d’un cessez-le-feu et de la paix. Le choix est clair : guerre ou paix. Les possibilités sont infimes, aussi grandes qu’un trou de souris. Mais il faut s’y engager.
Pour cela, il convient de combattre deux arguments qui reviennent dans le débat public.
D’une part, il y a ceux qui spéculent sur une victoire ukrainienne en renforçant l’envoi d’armes, y compris des chars, à l’Ukraine. Même avec l’aide de l’OTAN, cela relève pour le moment de la spéculation. La défaite n’est pas une option pour le pouvoir russe, de même que pour le pouvoir ukrainien. Parier sur une victoire ne repose sur aucun argument sérieux. On peut par contre être certain que cela participe de l’engrenage du conflit. Répétons-le : la poursuite de la guerre signifie la poursuite des destructions et des violences contre la population civile.
D’autre part, ceux qui pensent qu’un cessez-le-feu gèlerait la situation sur le terrain, y compris la présence de troupes russes en Ukraine. Mais le cessez-le-feu, nécessaire, doit s’inscrire dans une dynamique politique, celle de la paix, qui n’est pas simplement l’absence de guerre. Il est important d’y donner du contenu. Les négociations devront prendre en compte à la fois la souveraineté du peuple ukrainien, que piétine Poutine, et l’impératif de sécurité du peuple russe et de tous les peuples. Le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Li, a appelé à une « résolution pacifique du conflit » dans ce sens. Le président mexicain, Lopez Obrador, à la formation d’un groupe de contact international, incluant le secrétaire général de l’ONU. Plus largement, les nécessaires négociations, qui ne seront pas simples, doivent se placer dans un cadre plus large : celui de la construction d’une architecture équilibrée de sécurité collective pour les peuples d’Europe, dans laquelle l’OTAN n’a pas sa place. Pour y arriver, cela implique d’ouvrir la voie d’un désarmement négocié, global et multilatéral, dans les domaines nucléaires et conventionnels, le refus du recours au nucléaire. Enfin, pour l’Ukraine, dans un cadre européen de sécurité collective, il conviendra de poser la question de sa neutralité et du statut du Donbass.
Le chemin est étroit. Mais le courage politique impose de l’emprunter si l’on veut éviter la catastrophe.
Au-delà des discours, nombre de signaux vont dans le sens d’une escalade en Occident également. L’ancien secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, vient de rédiger, avec l’appui du gouvernement ukrainien, un projet de traité de « garanties de sécurité », qui, entre les lignes, ouvre la voie à une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. L’UE prépare un 8e train de sanctions, en étant d’ailleurs à la peine pour en trouver de nouvelles, à moins que l’interdiction de délivrance des visas refasse surface. La décision des Etats baltes de ne pas délivrer de visa humanitaire aux Russes qui refusent la mobilisation est d’un cynisme rare et fournit des arguments au pouvoir russe. Surtout, l’idée qu’une victoire ukrainienne soit possible après le succès de la campagne d’Izioum est prise comme argument pour condamner toute idée de cessez-le-feu, comme l’a fait Ursula Von der Leyen.
Mais personne ne s’interroge sur le prix de la poursuite de la guerre sur sa première victime, le peuple ukrainien (Donbass inclus), qui subit bombardements, catastrophe humanitaire, violences en tout genres, crimes de guerre, exécutions, tortures, mauvais traitements, manque d’assistance médicale, d’eau et de nourriture. La poursuite de la guerre signifie la poursuite de ces violations des droits humains.
C’est dans ce contexte d’urgence et d’extrême gravité qu’il convient de reposer l’exigence d’un cessez-le-feu et de la paix. Le choix est clair : guerre ou paix. Les possibilités sont infimes, aussi grandes qu’un trou de souris. Mais il faut s’y engager.
Pour cela, il convient de combattre deux arguments qui reviennent dans le débat public.
D’une part, il y a ceux qui spéculent sur une victoire ukrainienne en renforçant l’envoi d’armes, y compris des chars, à l’Ukraine. Même avec l’aide de l’OTAN, cela relève pour le moment de la spéculation. La défaite n’est pas une option pour le pouvoir russe, de même que pour le pouvoir ukrainien. Parier sur une victoire ne repose sur aucun argument sérieux. On peut par contre être certain que cela participe de l’engrenage du conflit. Répétons-le : la poursuite de la guerre signifie la poursuite des destructions et des violences contre la population civile.
D’autre part, ceux qui pensent qu’un cessez-le-feu gèlerait la situation sur le terrain, y compris la présence de troupes russes en Ukraine. Mais le cessez-le-feu, nécessaire, doit s’inscrire dans une dynamique politique, celle de la paix, qui n’est pas simplement l’absence de guerre. Il est important d’y donner du contenu. Les négociations devront prendre en compte à la fois la souveraineté du peuple ukrainien, que piétine Poutine, et l’impératif de sécurité du peuple russe et de tous les peuples. Le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Li, a appelé à une « résolution pacifique du conflit » dans ce sens. Le président mexicain, Lopez Obrador, à la formation d’un groupe de contact international, incluant le secrétaire général de l’ONU. Plus largement, les nécessaires négociations, qui ne seront pas simples, doivent se placer dans un cadre plus large : celui de la construction d’une architecture équilibrée de sécurité collective pour les peuples d’Europe, dans laquelle l’OTAN n’a pas sa place. Pour y arriver, cela implique d’ouvrir la voie d’un désarmement négocié, global et multilatéral, dans les domaines nucléaires et conventionnels, le refus du recours au nucléaire. Enfin, pour l’Ukraine, dans un cadre européen de sécurité collective, il conviendra de poser la question de sa neutralité et du statut du Donbass.
Le chemin est étroit. Mais le courage politique impose de l’emprunter si l’on veut éviter la catastrophe.
Vincent Boulet,
membre de la Commission des relations internationales du PCF
Guerre en Ukraine, le danger d'un conflit mondial s'aggrave ! Exigeons la paix !
Dans son rapport au dernier Conseil National du PCF des 17 et 18 septembre, Fabien Roussel est revenu sur les défis posés par la guerre en Ukraine. Nous reproduisons ci-après son expression.
"Aux crises sociales, économiques, climatique s’ajoutent à la guerre en Ukraine. L'offensive menée par l'armée ukrainienne dans la région de Kharkiv et dans le Donbass fait reculer partiellement les troupes russes, sans être pour l'instant en mesure d'emporter la décision définitive. Le cimetière découvert hier révèle encore une fois toutes les atrocités de cette guerre.
La réalité est que personne aujourd'hui ne peut gagner cette guerre.
Les positions des uns et des autres se radicalisent. Chacun veut être le vainqueur. Et il faudra un perdant. Dans ce contexte, si la Russie est acculée, le risque nucléaire et le risque d'une extension du conflit est maximum.
Il faut prendre au sérieux la déclaration du secrétaire général de l'Onu qui, au coeur de cet été, affirmait que l'humanité n'est désormais qu'à « une erreur de jugement », de l' « anéantissement nucléaire ». Et l'armement envoyé par milliards par l'OTAN nous rapproche un peu plus chaque jour d'une troisième guerre mondiale.
L'alternative est claire : soit la guerre, soit une solution diplomatique.
Les évènements de l'été ont montré que des accords partiels étaient pourtant possibles : sur l'exportation des céréales, ou sur la centrale nucléaire de Zaporijia. Des propositions existent. Des initiatives diplomatiques sont possibles et sont même prises.
Le président mexicain Lopez Obrador a appelé à la création d'un « comité de médiation » comprenant le secrétaire général de l'ONU. Il présentera un plan lors de la réunion de l'assemblée générale des Nations Unies la semaine prochaine. Là aussi là France à un rôle essentiel à jouer.
Je regrette, de ce point de vue, que le président de la République, tout en affichant en parole une volonté de règlement diplomatique de la guerre en Ukraine, s'aligne sur les surenchères bellicistes des États-Unis et de l'Otan.
De même nous devons aussi être ferme sur notre soutien au peuple arménien qui subit à nouveau depuis plusieurs jours les bombardements de l'Azerbaïdjan, avec, en creux, l’enjeu du gaz encore une fois.
La Paix est plus que jamais à l’ordre du jours de notre activité. C'est le sens de l'appel de personnalités que je vous propose de lancer dans les prochaines semaines pour contribuer à la relance d'un grand mouvement pour la paix."
L'initiative du jeudi 21 septembre (Journée internationale de la Paix) devra y contribuer en amplifiant la mobilisation pour la paix, pour le désarmement, pour une solution diplomatique immédiate à la guerre.
La guerre en Ukraine connaît une amplification marquée à la fois par une intervention massive de l'OTAN et par la volonté de la Fédération de Russie d'annexer une partie de l'Ukraine qui, rappelons le, est un État souverain internationalement reconnu et dont l'occupation même partielle ne saurait être acceptée.
Le renforcement des arsenaux militaires, en particulier de l'OTAN et des USA, ne peut-être qu'un prélude à l'élargissement du conflit et ne peut se traduire que par une nouvelle escalade dévastatrice pour les peuples.
La volonté d'annexion affirmée par la Russie qui a mis en oeuvre l'invasion militaire de l'Ukraine est inacceptable et nous la condamnons. Le discours de V. Poutine le 21 septembre prévoit en effet le lancement du processus d'annexion à la Russie de 20% du territoire ukrainien. S'y ajoute la menace d'utiliser des armes nucléaires, ce qui de plus abaisse dangereusement le seuil de la dissuasion.
Nous réaffirmons la nécessité absolue que soit mis fin à la guerre en Ukraine sur la base de la reconnaissance de la souveraineté de ce pays et des intérêts légitimes de sécurité des pays de la région et en particulier de la Fédération de Russie.
Tous les efforts doivent être tournés dans ce sens et non dans celui d'une escalade dont les conséquences sont extrêmement dangereuses pour tous les peuples du monde.
ARTE: 28'' Trêve précaire à Gaza
à regarder et méditer à partir de 12'25'' mn jusque 34'25'' mn, concernant les frappes israéliennes sur Gaza
Trêve précaire entre l’armée israélienne et le Jihad islamique / Bande de Gaza : va-t-on vers une nouvelle guerre ?
Après la neutralisation par les forces de sécurité israélienne, lundi dernier, de l’un des chefs du Jihad islamique palestinien en Cisjordanie, l’État hébreu a frappé Gaza tout le week-end durant. En réponse, l’enclave a répliqué par des tirs de roquettes. Si ces trois jours d’hostilités ont coûté la vie à 44 Palestiniens, dont plusieurs enfants, une trêve précaire entre le groupe armé palestinien et Israël est entrée en vigueur dimanche soir. Cette confrontation entre l’État hébreu et des groupes armés de Gaza est la plus meurtrière depuis la guerre de mai 2021, qui avait fait 260 morts en Palestine. Pour l’heure, le Hamas, le principal allié du Jihad islamique palestinien, se tient à l’écart du conflit, et Yaïr Lapid, le chef du gouvernement israélien, pointe un autre adversaire du doigt : l’Iran. Alors que le conflit israélo-palestinien semble ne plus faire partie des priorités de l’agenda international, jusqu’où peuvent aller ces confrontations ?
Enfin, retrouvez également les chroniques de Marie Bonnisseau et Victor Dekyvère ainsi que le "À la Loop" de Matthieu Conquet.
Sommet de Madrid : Vers une stratégie guerrière globale
Du 28 au 30 juin, quarante chefs d’État se sont réunis à Madrid pour le sommet de l’OTAN. Dans une atmosphère feutrée, loin du fracas des armes, ils n’ont pourtant parlé que de cela. Plusieurs questions cruciales étaient inscrites à l’ordre du jour dans un contexte de guerre en Ukraine. Cette réunion, dans un climat d’inquiétude et de demande d’OTAN notamment dans les pays baltes et en Pologne, a clairement désigné la Russie comme un ennemi alors que l’adhésion de la Finlande et de la Suède était examinée. Les rapports avec la Chine qualifiés de « défi systémique » étaient également au cœur des réflexions.
Il y a deux ans pourtant, E. Macron parlait, à propos de l’OTAN, de « mort cérébrale » tandis que D.Trump la jugeait « obsolète ». Madrid célèbre désormais l’unité, la solidarité et la solidité de l’institution. V. Poutine a été de toute évidence le fédérateur de ces évènements. Il souhaitait affaiblir l’OTAN, il l’a ressuscitée.
La guerre en Ukraine
La guerre et le soutien à Kiev ont été la grande affaire de ce sommet même si l’OTAN n’est pas directement impliquée dans le conflit. Pour autant, depuis l’annexion de la Crimée (2014), l’OTAN n’est jamais restée passive et avec l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, elle apporte au régime de V. Zelensky un soutien politique massif. Cependant, ce sont surtout les États qui fournissent les aides matérielles.
En 2010, la Russie était considérée comme un partenaire avec qui il fallait coopérer. Aujourd’hui, elle est devenue une menace. Alors que les armées russes s’installent durablement dans le Donbass, mais pas vraiment au-delà, ces affrontements risquent de durer puisqu’il n’y a pas de compromis possible, à ce jour, entre l’Ukraine et la Russie. Le sommet a examiné les divers moyens d’endiguer cette offensive attisant même les tensions dans les zones d’escalade possibles (Kaliningrad) pouvant mettre le feu à l’Europe.
De manière moins sensible que par le passé, deux lignes étaient perceptibles chez les occidentaux. On a distingué le camp de ceux qui veulent la victoire finale de l’Ukraine (États-Unis, Grande-Bretagne, Pologne, pays baltes…). La formule de B. Johnson résume à elle seule cette perspective : « Toute tentative de régler le conflit maintenant ne ferait que causer une instabilité durable ». Au regard du contexte, sur un mode mezzo voce, la France a considéré qu’il fallait poursuivre le dialogue et négocier avec la Russie.
L’adhésion de la Finlande et de la Suède
Cette situation nouvelle est incontestablement une réaction à l’offensive russe. Certes, ces deux pays neutres bénéficient, comme membres de l’Union européenne, d’une clause de défense (art.42.7) jugée insuffisante puisqu’ils demandent à se placer sous la protection américaine au sein de l’OTAN. Mais, ne nous y trompons pas, la coopération avec l’Alliance n’est pas vraiment une nouveauté.
Cette adhésion a rencontré dans un premier temps le veto de R.T. Erdogan qui, comme cela en devient l’usage, a utilisé le chantage pour obtenir des concessions toutes à son avantage. Il a fait monter les enchères contre les Kurdes du PKK (Turquie) et du PYD (Syrie), engagés dans la lutte contre Daesh, et obtenu la possibilité d’extradition de réfugiés politiques, la levée de l’embargo sur des ventes d’armes voire un feu vert pour l’invasion du Rojava. Fort de ses gains, bien au-delà de ses espérances, il a levé son opposition au processus d’adhésion qui devra cependant être officialisé au cours d’une longue procédure.
De toute évidence, ces adhésions constituent un atout pour l’OTAN. Elle disposera d’une profondeur stratégique en mer Baltique et d’une capacité militaire renforcée sur le flanc nord intensément disputé avec le réchauffement climatique du Pôle.
Pour autant, ces adhésions, comme le soulignait le sénateur Pierre Laurent en commission des Affaires étrangères, « n’éloignent pas la Finlande et la Suède du front, mais elles deviennent le front ». Cette nouvelle intégration traduit la permanence de la logique de confrontation d’autant que la garantie de sécurité de l’OTAN est d’abord et avant tout celle des États-Unis.
Une nouvelle ère stratégique
Le sommet a adopté un document de référence fixant les orientations pour une décennie. Il y est rappelé que l’OTAN est une alliance militaire et nucléaire et que s’ouvre une « nouvelle ère de compétition stratégique ». L’objectif est de passer d’un rôle régional à un rôle global, puisque l’alliance aurait désormais vocation à intervenir sur toutes les latitudes notamment face à la Chine.
Dans cette perspective, l’augmentation des dépenses militaires a été au centre des discussions. Pour le secrétaire général de l’OTAN, les 2% ne sont plus un plafond mais un plancher. Il y a ainsi une volonté très forte d’accroître tout à la fois le budget commun et celui des États.
Le temps est donc à l’euphorie de l’unité mais l’inquiétude demeure sur la durée de cette lune de miel avec les États-Unis. La question de la cohérence interne de l’alliance n’est pas résolue. Combien de temps les alliés seront-ils capables de s’entendre ?
La question des partenariats de l’OTAN était également à l’ordre du jour. Le renforcement des liens entre l’Union européenne et l’Alliance a semblé se régler sous la pesanteur des circonstances, éludant pour un temps le débat sur l’autonomie stratégique européenne c’est-à-dire la capacité de l’Union à prendre en main son destin en matière de défense. Moins médiatique mais tout aussi déterminant, l’approfondissement des relations de l’OTAN avec le secteur privé afin de promouvoir des technologies militaires émergentes.
Enfin des inquiétudes ont vu le jour chez des partenaires du front Sud de l’OTAN (Espagne, Italie, Grèce voire France) sur le peu d’attention portée aux menaces en Méditerranée, notamment orientale, au regard des coups de boutoir permanents de la Turquie.
En Europe : changement de système de défense
Ce sommet marque l’un des plus importants changements du système de défense depuis la fin de la guerre froide se traduisant par un renforcement de la présence de l’OTAN sur le front Est de l’Europe.
Les effectifs de 40 000 hommes seront portés à 300 000 au travers de la Force de Réaction (NRF). Huit nouveaux groupements tactiques seront déployés dans les pays baltes, en Bulgarie, en Hongrie, en Slovaquie et en Roumanie. Les États-Unis renforceront leurs contingents en Pologne, enverront une quarantaine de F35 au Royaume-Uni et deux destroyers en Espagne.
Ce retour, très conséquent, ne sera pourtant pas au niveau de celui de la guerre froide. Si le réinvestissement américain apparaît comme la conséquence de l’invasion de l’Ukraine, il s’inscrit dans une stratégie à plus long terme et autrement plus déterminante aux yeux de Washington, celle visant la Chine.
« La Chine un défi systémique » : un piège pour l’Europe
La présence du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande lors de ce sommet, alors que ces pays ne sont pas membres de l’OTAN constitue un signe évident de placer la Chine au centre d’une stratégie de containment. Pour Washington, Pékin passe avant Moscou.
Il y a deux ans, la Chine était mentionnée au sommet de l’OTAN, pour la première fois et ce, en dépit des vaines résistances opposées par la France et l’Allemagne. Les deux capitales rappelaient que la zone d’action de l’OTAN devait être circonscrite à la zone euro-atlantique. Depuis, l’Union européenne a déclaré que la Chine était un « rival systémique ».
Le fait de mentionner la Chine dans une déclaration de l’OTAN, alors que Pékin n’est pas un adversaire militaire est déjà une victoire pour les États-Unis. Pour J. Biden, la guerre en Ukraine est une formidable opportunité pour atteindre ses objectifs, à savoir recruter l’Europe dans sa croisade contre la Chine. Ainsi, l’agenda américain peut avancer plus rapidement dans la perspective de muer l’Alliance en instrument militaire du « choc des civilisations ».
Washington pare cette offensive d’une justification idéologique, celle d’une alliance des démocraties contre les régimes autoritaires (Chine, Russie, Iran). Cette stratégie masque des intérêts plus pragmatiques, celle de la compétition systémique avec la Chine pour la suprématie mondiale. L’Europe n’a rien à gagner dans ces affrontements et cela constitue même un piège dangereux. Est-ce le modèle que l’on veut pour l’Europe d’un Occident contre le reste du monde ? La réaction des pays africains face au conflit en Ukraine devrait nous alerter. Cette vision du monde est celle des États-Unis et de l’OTAN qui militarisent les défis politiques. S’il existe des divergences sérieuses avec la Chine sur nombre de dossiers, présenter ce pays comme une menace, antagoniser toutes les relations ne peut qu’accentuer des clivages lourds de menaces.
Dans le contexte de guerre en Ukraine, il est devenu plus difficile de résister à J. Biden qui en profite pour faire taire les oppositions et impose un alignement inconditionnel. Le piège est cynique et cela pourrait constituer une future tragédie que de s’y plier.
L’attitude de la France
Paris, sur la plupart des dossiers, a manifesté son accord inconditionnel avec Washington ou a capitulé. Favorable à l’adhésion de la Finlande et de la Suède, elle a tu ses exigences de poursuivre le dialogue avec la Russie et s’est conformée à la volonté américaine sur la Chine. L’opacité est également de mise sur les concessions faites à la Turquie contre nos alliés Kurdes.
La France a réitéré son engagement à livrer des armes à l’Ukraine (véhicules blindés, canons Caesar voire des missiles Exoset). Elle s’est montrée en revanche plus réservée sur l’augmentation du budget qui pourrait se traduire par l’achat de matériels américains et d’équipements non nécessaires.
De toute évidence, ce sommet de l’OTAN marque un tournant dangereux, une escalade guerrière tournant le dos à la diplomatie et à la recherche de la paix équitable et durable. Les conséquences risquent d’être funestes. La sortie de l’OTAN et l’existence même de cette organisation obsolète sont posées si l’on veut contribuer à bâtir une nouvelle architecture de sécurité collective en Europe et dans le monde.
Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient
Noam Chomsky: « En Ukraine, la diplomatie a été mise de côté »
Noam Chomsky revient sur le contexte qui a amené l’invasion de l’Ukraine. Il explique qu’à présent, les parties impliquées dans le conflit sont soumises à un choix: la diplomatie ou la poursuite des hostilités avec des conséquences désastreuses pour l’humanité tout entière. Chomsky dénonce aussi l’indignation sélective des Occidentaux et tire la sonnette d’alarme sur la militarisation croissante. Une militarisation qui illustre la double pensée d’Orwell: d’un côté, on nous dit que l’armée russe peine à conquérir des villes situées à quelques kilomètres de sa frontière, de l’autre on nous dit qu’il faut gonfler nos dépenses militaires pour nous protéger de cet effroyable ennemi qui veut conquérir le monde… (IGA)
David Barsamian : Avant de passer au pire cauchemar du moment – la guerre en Ukraine et ses répercussions mondiales – un peu de contexte. Commençons par les garanties données par le président George H.W. Bush au dirigeant soviétique de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev, que l’OTAN ne bougerait pas « d’un pouce vers l’est ». Cette promesse a été vérifiée. Ma question est la suivante : pourquoi Gorbatchev n’a-t-il pas obtenu cela par écrit ?
Noam Chomsky : Il a accepté un « gentlemen’s agreement », ce qui n’est pas si rare en diplomatie. On se serre la main et c’est bon. Par ailleurs, obtenir cette promesse sur papier n’aurait fait aucune différence. Les traités écrits sur papier sont constamment rompus. Ce qui compte, c’est la bonne foi. Et H.W. Bush, le premier Bush, a respecté l’accord de manière explicite. Il s’est même orienté vers l’instauration d’un partenariat pour la paix qui intègrerait les pays d’Eurasie. Dans ce contexte, l’OTAN n’aurait pas été dissoute, mais elle aurait été marginalisée. Des pays comme le Tadjikistan, par exemple, auraient pu y adhérer sans faire officiellement partie de l’OTAN. Et Gorbatchev a approuvé cela. Cela aurait été un pas vers la création de ce qu’il appelait une maison européenne commune, sans alliances militaires.
Clinton, dans ses deux premières années, y a également adhéré. Ce que les spécialistes disent, c’est que vers 1994, Clinton a commencé à souffler le chaud et le froid. Aux Russes, il disait : « Oui, nous allons adhérer à l’accord ». À la communauté polonaise des États-Unis et aux autres minorités ethniques, il disait : « Ne vous inquiétez pas, nous allons vous intégrer à l’OTAN ». Vers 1996-97, Clinton a dit cela assez explicitement à son ami le président russe Boris Eltsine. Il l’avait aidé à gagner les élections de 1996. Il a dit à Eltsine : « Ne vous formalisez pas trop avec cette histoire d’OTAN. Nous allons nous étendre, mais j’en ai besoin à cause du vote ethnique aux États-Unis ».
En 1997, Clinton invite les pays dits de Visegrad – Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie – à rejoindre l’OTAN. Les Russes n’ont pas apprécié, mais ils n’en ont pas fait beaucoup d’histoires. Puis les pays baltes ont rejoint l’Alliance, et là encore, c’était la même chose. En 2008, le deuxième Bush, qui était très différent du premier, a invité la Géorgie et l’Ukraine à rejoindre l’OTAN. Chaque diplomate américain a très bien compris que la Géorgie et l’Ukraine étaient des lignes rouges pour la Russie. Ils toléreront l’expansion ailleurs, mais ces pays se trouvent dans leur cœur géostratégique et ils ne toléreront pas d’expansion là-bas. Par la suite, il y a eu le soulèvement Maidan en 2014, expulsant le président pro-russe. Et l’Ukraine s’est rapprochée de l’Ouest.
À partir de 2014, les États-Unis et l’OTAN ont commencé à déverser quantité d’armes en Ukraine. Il y avait des armes sophistiquées, des formations militaires, des exercices militaires conjoints, des démarches pour intégrer l’Ukraine dans le commandement militaire de l’OTAN… Rien de tout cela n’était secret, ça s’est fait ouvertement. Récemment, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, s’en est d’ailleurs vanté. Il a déclaré : « C’est ce que nous faisions depuis 2014 ». Bien sûr, c’était volontairement provocateur. Ils savaient qu’ils empiétaient sur ce que chaque dirigeant russe considérait comme une limite infranchissable. La France et l’Allemagne ont mis leur veto à l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN en 2008. Mais sous la pression des États-Unis, elle a été maintenue à l’ordre du jour. Et l’OTAN, c’est-à-dire les États-Unis, a pris des mesures pour accélérer l’intégration de facto de l’Ukraine dans le commandement militaire de l’OTAN.
En 2019, Volodymyr Zelensky a été élu avec une majorité écrasante – je pense environ 70 % des voix – sur base d’un programme de paix avec un plan pour mettre en œuvre la paix avec l’Ukraine orientale et la Russie, un plan pour régler le problème. Il a commencé à avancer dans ce sens. En fait, il a même essayé de se rendre dans le Donbass, la région orientale tournée vers la Russie, pour mettre en œuvre ce que l’on appelle l’accord de Minsk II. Cela aurait impliqué une sorte de fédéralisation de l’Ukraine avec un degré d’autonomie pour le Donbass, ce que la région demandait. Cela aurait donné quelque chose comme la Suisse ou la Belgique. Mais Zelensky a été bloqué par des milices d’extrême droite qui ont menacé de l’assassiner s’il persistait dans sa démarche.
C’est un homme courageux. Il aurait pu aller de l’avant s’il avait eu le soutien des États-Unis. Mais les États-Unis ont refusé. Pas de soutien, rien. Ce qui signifie qu’il a été laissé pour compte et qu’il a dû faire marche arrière. Les États-Unis étaient déterminés à appliquer cette politique d’intégration progressive de l’Ukraine dans le commandement militaire de l’OTAN. Cela s’est encore accéléré lorsque le président Biden a été élu. En septembre 2021, on pouvait même le lire sur le site Internet de la Maison-Blanche. Ça n’a pas fait la une des journaux, mais, bien sûr, les Russes le savaient. Biden a annoncé un programme, une déclaration commune pour accélérer le processus de formation militaire, les exercices militaires, plus d’armes dans le cadre de ce que son administration a appelé un « programme amélioré » de préparation à l’adhésion à l’OTAN.
Ça s’est encore accéléré en novembre. Et tout cela s’est passé avant l’invasion. Le secrétaire d’État Antony Blinken a signé ce qu’on a appelé une charte qui a essentiellement formalisé et étendu cet arrangement. Un porte-parole du département d’État a admis qu’avant l’invasion, les États-Unis refusaient de discuter de toute préoccupation russe en matière de sécurité. Tout cela fait partie du contexte.
Le 24 février, Poutine a commis une invasion, une invasion criminelle. Ces graves provocations ne la justifient en rien. Si Poutine avait été un homme d’État, il aurait fait quelque chose de tout à fait différent. Il serait retourné voir le président français Emmanuel Macron, il aurait saisi ses propositions provisoires et il aurait tenté de trouver un compromis avec l’Europe, il aurait tenté de prendre des mesures en faveur d’une maison commune européenne.
Évidemment, les États-Unis ont toujours été opposés à ce projet. Cela remonte loin dans l’histoire de la guerre froide, aux initiatives du président français de Gaulle visant à établir une Europe indépendante. Selon son expression « de l’Atlantique à l’Oural », il s’agissait d’intégrer la Russie à l’Occident, ce qui apparaissait comme une solution naturelle pour des raisons commerciales, mais aussi pour des raisons de sécurité évidemment. Ainsi, s’il y avait eu des hommes d’État dans le cercle étroit de Poutine, ils auraient saisi les initiatives de Macron et il auraient tenté de voir s’ils pouvaient en fait s’intégrer à l’Europe et éviter la crise. Au lieu de cela, ce qu’il a choisi est une politique qui, du point de vue russe, est une imbécillité totale. Outre le caractère criminel de l’invasion, il a choisi une politique qui a poussé l’Europe dans le creux de la main des États-Unis. En fait, il incite même la Suède et la Finlande à rejoindre l’OTAN. C’est le pire résultat possible du point de vue russe, indépendamment de la criminalité de l’invasion et des pertes très sérieuses que la Russie subit à cause de cela.
Donc, criminalité et stupidité du côté du Kremlin, grave provocation du côté des États-Unis. Voilà le contexte qui a conduit à cela. Pouvons-nous essayer de mettre un terme à cette horreur ? Ou devons-nous essayer de la perpétuer ? Ce sont les choix à faire.
Il n’y a qu’un seul moyen d’y mettre un terme. C’est la diplomatie. Mais par définition, il faut que les deux parties en conflit acceptent la diplomatie. Même quand elles n’aiment pas cela, elles l’acceptent comme la moins mauvaise solution. Cela offrirait à Poutine une sorte de porte de sortie. C’est une possibilité. L’autre possibilité est de faire traîner les choses en longueur et de voir combien tout le monde va souffrir, combien d’Ukrainiens vont mourir, combien la Russie va souffrir, combien de millions de personnes vont mourir de faim en Asie et en Afrique, combien nous allons progresser vers le réchauffement climatique jusqu’au point où il n’y aura plus aucune possibilité d’existence humaine vivable. Ce sont les options. Eh bien, avec une unanimité proche de 100%, les États-Unis et la plupart de l’Europe veulent choisir l’option de la non-diplomatie. C’est explicite. Nous devons continuer à faire du mal à la Russie.
Vous pouvez lire des articles dans le New York Times, le Financial Times de Londres et d’autres partout en Europe. Un refrain commun est : nous devons nous assurer que la Russie souffre. Peu importe ce qui arrive à l’Ukraine ou à qui que ce soit d’autre. Bien sûr, ce pari suppose que si Poutine est poussé à bout, sans échappatoire, forcé d’admettre sa défaite, il l’acceptera et n’utilisera pas les armes dont il dispose pour dévaster l’Ukraine.
Il y a beaucoup de choses que la Russie n’a pas faites. Les analystes occidentaux en sont plutôt surpris. Par exemple, elle n’a pas attaqué les lignes d’approvisionnement de la Pologne qui déversent des armes en Ukraine. Les Russes pourraient certainement le faire. Cela les amènerait très vite à une confrontation directe avec l’OTAN, c’est-à-dire avec les États-Unis. Et vous pouvez deviner ce qui se passera ensuite. Quiconque a déjà regardé des jeux de guerre sait où cela va aller – vers le haut de l’échelle de l’escalade, vers une guerre nucléaire terminale.
Voilà donc les jeux auxquels nous jouons avec les vies des Ukrainiens, des Asiatiques et des Africains, l’avenir de la civilisation. Tout ça pour affaiblir la Russie et s’assurer qu’elle souffre suffisamment. Eh bien, si vous voulez jouer à ce jeu, soyez honnête à ce sujet. Il n’y a aucune base morale pour cela. En fait, c’est moralement horrible. Et les gens qui montent sur leurs grands chevaux en disant que nous défendons des principes sont des imbéciles moraux quand on réfléchit à ce que cela implique.
Barsamian : Dans les médias, et au sein de la classe politique aux États-Unis, et probablement en Europe, il y a beaucoup d’indignation morale à propos de la barbarie, des crimes de guerre et des atrocités russes. Il ne fait aucun doute qu’ils se produisent comme dans toute guerre. Mais ne trouvez-vous pas cette indignation morale un peu sélective ?
Chomsky : L’indignation morale est tout à fait appropriée. Il doit y avoir une indignation morale. Mais si vous allez dans les pays du Sud, ils peinent à croire ce qu’ils voient. Ils condamnent la guerre, bien sûr. C’est un crime d’agression déplorable. Puis ils regardent l’Occident et disent : de quoi parlez-vous ? C’est ce que vous nous faites tout le temps!
C’est assez étonnant de voir la différence dans les commentaires. Vous lisez le New York Times et leur grand penseur, Thomas Friedman. Il a écrit une tribune il y a quelques semaines dans laquelle il a levé les mains en signe de désespoir. Il disait [en substance]: « Que pouvons-nous faire ? Comment pouvons-nous vivre dans ce monde avec un criminel de guerre ? Nous n’avons jamais connu cela depuis Hitler. Il y a un criminel de guerre en Russie. Nous ne savons pas comment agir. Nous n’avons jamais imaginé l’idée qu’il puisse y avoir un criminel de guerre n’importe où. »
Lorsque les gens du Sud entendent cela, ils ne savent pas s’ils doivent rire ou pleurer. Nous avons des criminels de guerre qui se promènent partout dans Washington. En fait, nous savons comment nous occuper de nos criminels de guerre. C’est arrivé le jour du vingtième anniversaire de l’invasion de l’Afghanistan. Rappelez-vous, il s’agissait d’une invasion injustifiée à laquelle l’opinion mondiale était fortement opposée. Pour le vingtième anniversaire, l’auteur de cette invasion, George W. Bush, un grand criminel de guerre qui a ensuite envahi l’Irak, a été interviewé dans la rubrique « lifestyle » du Washington Post. Dans cette interview, ils ont présenté un adorable grand-père loufoque qui joue avec ses petits-enfants, fait de blagues, montre les portraits qu’il a peints des personnes célèbres qu’il a rencontrées… Juste un cadre magnifique et amical.
Vous voyez, nous savons comment y faire avec les criminels de guerre. Thomas Friedman a tort. Nous les traitons très bien.
Ou prenez celui qui est probablement le plus grand criminel de guerre de la période moderne, Henry Kissinger. Nous le traitons non seulement poliment, mais aussi avec une grande admiration. Après tout, c’est cet homme qui a transmis l’ordre à l’armée de l’air de bombarder massivement le Cambodge – « tout ce qui vole sur tout ce qui bouge », c’était ses mots. Dans les archives, je ne connais pas d’exemple comparable à un tel appel au génocide de masse. Et cela a été mis en œuvre par un bombardement très intensif du Cambodge. Nous n’en savons pas grand-chose, car nous n’enquêtons pas sur nos propres crimes. Mais Taylor Owen et Ben Kiernan, deux historiens spécialistes du Cambodge, l’ont décrit. Il y a aussi notre rôle dans le renversement du gouvernement de Salvador Allende au Chili et l’instauration d’une dictature vicieuse dans ce pays, et ainsi de suite. Nous savons donc comment traiter nos criminels de guerre.
Pourtant, Thomas Friedman n’arrive pas à imaginer qu’il existe d’autres choses comme l’Ukraine. Et ce qu’il a écrit n’a pas fait de remous, ce qui veut dire que c’est considéré comme tout à fait raisonnable. On peut difficilement parler de sélectivité. C’est plus qu’étonnant. Donc, oui, l’indignation morale est parfaitement justifiée. C’est bien que les Américains commencent enfin à montrer de l’indignation à propos de crimes de guerre majeurs… commis par quelqu’un d’autre.
Barsamian : J’ai une petite devinette pour vous. C’est en deux parties. L’armée russe est inepte et incompétente. Ses soldats ont le moral très bas et sont mal dirigés. Son économie est comparable à celle de l’Italie et de l’Espagne. C’est la première partie de la devinette . L’autre partie, c’est que la Russie est un colosse militaire qui menace de nous submerger. Donc, nous avons besoin de plus d’armes. Élargissons l’OTAN. Comment conciliez-vous ces deux pensées contradictoires ?
Chomsky : Ces deux pensées constituent la norme partout en Occident. Je viens d’avoir une longue interview en Suède sur leurs projets d’adhésion à l’OTAN. J’ai fait remarquer que les dirigeants suédois nourrissent deux idées contradictoires, les deux que vous avez mentionnées. La première consiste à se réjouir du fait que la Russie a prouvé qu’elle était un tigre de papier incapable de conquérir des villes situées à quelques kilomètres de sa frontière et défendues par une armée essentiellement composée de citoyens. Donc, ils sont complètement incompétents sur le plan militaire. L’autre idée est qu’ils sont prêts à conquérir l’Occident et à nous détruire.
George Orwell avait un nom pour ça. Il appelait ça la double pensée, la capacité d’avoir deux idées contradictoires dans son esprit et de les croire toutes les deux. Orwell pensait à tort que c’était quelque chose que l’on ne pouvait trouver que dans l’État ultra-totalitaire dont il faisait la satire dans « 1984 ». Il avait tort. C’est possible dans les sociétés démocratiques libres. Nous en voyons un exemple dramatique en ce moment même. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois.
Cette double pensée est notamment caractéristique de la pensée de la guerre froide. Il faut remonter au principal document de la guerre froide de cette époque, le NSC-68 de 1950. Si vous l’examinez attentivement, il montre que l’Europe seule, sans compter les États-Unis, était militairement à égalité avec la Russie. Pourtant, nous avions encore besoin d’un énorme programme de réarmement pour contrer le projet de conquête mondiale du Kremlin.
C’est consigné dans un document, c’était une approche consciente. Dean Acheson, l’un des auteurs, a déclaré plus tard qu’il était nécessaire selon ses propres mots, d’être « plus clair que la vérité » afin de matraquer les esprits au sein du gouvernement. Nous voulons faire passer cet énorme budget militaire, alors nous devons être « plus clairs que la vérité » en inventant un État esclavagiste sur le point de conquérir le monde. Ce type de pensée a traversé toute la guerre froide. Je pourrais vous donner de nombreux autres exemples, mais nous le constatons à nouveau aujourd’hui de manière assez spectaculaire. Et la façon dont vous le dites est tout à fait correcte : ces deux idées sont en train de consumer l’Occident.
Barsamian : Il est également intéressant de noter que le diplomate George Kennan a prévu le danger que représente le déplacement des frontières de l’OTAN vers l’est dans une carte blanche très prémonitoire parue dans le New York Times en 1997.
Chomsky : Kennan s’était également opposé à la NSC-68. En fait, il avait été le directeur du Policy Planning Staff du département d’État. Il a été mis à la porte et remplacé par Paul Nitze. Il était considéré comme trop doux pour un monde aussi dur. C’était pourtant un faucon, radicalement anticommuniste, assez brutal lui-même à l’égard des positions américaines. Mais il s’est rendu compte que la confrontation militaire avec la Russie n’avait aucun sens.
Kennan pensait que la Russie finirait par s’effondrer à cause de ses contradictions internes, ce qui s’est avéré exact. Mais il a été considéré comme une colombe tout au long de son parcours. En 1952, il s’est montré favorable à l’unification de l’Allemagne en dehors de l’alliance militaire de l’OTAN. C’était également la proposition du dirigeant soviétique Joseph Staline. Kennan était alors ambassadeur en Union soviétique et un spécialiste de la Russie.
L’initiative venait de Staline, la proposition de Kennan. Certains Européens l’ont soutenue. Cela aurait mis fin à la guerre froide. Cela aurait débouché sur une Allemagne neutralisée, non-militarisée et ne faisant partie d’aucun bloc militaire. Mais la proposition a été presque totalement ignorée à Washington.
Un spécialiste de la politique étrangère, un homme respecté, James Warburg, a écrit un livre à ce sujet. Il vaut la peine d’être lu. Ça s’appelle « Germany: Key to Place ». Il y insistait pour que cette idée soit prise au sérieux, mais il avait été méprisé, ignoré, ridiculisé. Je l’ai mentionné plusieurs fois et on m’a traité de fou, moi aussi. Comment aurait-on pu faire confiance à Staline ? Eh bien, les archives sont sorties. Il s’avère qu’il était apparemment sérieux. Vous lisez maintenant les principaux historiens de la guerre froide, des gens comme Melvin Leffler. Et ils reconnaissent qu’il y avait une réelle opportunité pour un règlement pacifique à l’époque, une opportunité qui a été écartée au profit de la militarisation et d’une énorme expansion du budget militaire.
Passons maintenant au gouvernement Kennedy. Lorsque John Kennedy est entré en fonction, Nikita Khrouchtchev, dirigeant russe de l’époque, a fait une offre très importante pour procéder à des réductions mutuelles et à grande échelle des armes militaires offensives. Cela aurait débouché sur un fort apaisement des tensions. Les États-Unis étaient alors très en avance sur le plan militaire. Khrouchtchev voulait s’orienter vers le développement économique de la Russie et comprenait que cela était impossible dans le contexte d’une confrontation militaire avec un adversaire beaucoup plus riche. Il a donc d’abord fait cette offre au président Dwight Eisenhower, qui n’y a pas prêté attention. Elle a ensuite été proposée à Kennedy. Et même s’il savait que les États-Unis avaient déjà une fameuse longueur d’avance, son gouvernement a répondu par ce qui constitue le plus grand renforcement de la force militaire jamais vu dans l’Histoire en temps de paix.
Les États-Unis ont inventé cette histoire de « fossé de missiles » qu’il fallait combler. La Russie était soi-disant sur le point de nous écraser avec son avantage en matière de missiles. La Russie avait peut-être quatre missiles exposés sur une base aérienne quelque part.
Vous pouvez continuer encore et encore comme ça. La sécurité de la population n’est tout simplement pas une préoccupation des décideurs politiques. La sécurité des privilégiés, des riches, des entreprises, des fabricants d’armes, oui, mais pas celle du reste d’entre nous. Cette double pensée est constante, parfois consciente, parfois non. C’est exactement ce que décrivait Orwell, nous avons un hypertotalitarisme dans une société libre.
Barsamian : Dans un article de Truthout, vous citez le discours de 1953 d’Eisenhower sur la « Croix de fer ». Qu’y avez-vous trouvé d’intéressant ?
Chomsky : Vous devriez le lire et vous verrez pourquoi c’est intéressant. C’est le meilleur discours qu’il ait jamais prononcé. C’était en 1953, alors qu’il venait de prendre ses fonctions. En gros, ce qu’il a souligné, c’est que la militarisation était une attaque énorme contre notre propre société. Il – ou celui qui a écrit le discours – l’a exprimé avec beaucoup d’éloquence. Un avion à réaction signifie autant d’écoles et d’hôpitaux en moins. Chaque fois que nous augmentons notre budget militaire, nous nous attaquons à nous-mêmes.
Il l’a expliqué en détail, appelant à une baisse du budget militaire. Il avait lui-même un bilan assez terrible, mais à cet égard, il était dans le mille. Et ces mots devraient être gravés dans la mémoire de tous. Récemment, Biden a proposé un énorme budget militaire. Le Congrès l’a étendu au-delà même de ses souhaits, ce qui représente une attaque majeure contre notre société, exactement comme Eisenhower l’a expliqué il y a tant d’années.
Le prétexte? Nous sommes censés devoir nous défendre contre ce tigre de papier, si incompétent militairement qu’il ne peut pas se déplacer de quelques kilomètres au-delà de sa frontière sans s’effondrer. En réalité, avec un budget militaire aussi monstrueux, nous sommes amenés à nous nuire gravement et à mettre le monde entier en danger, nous allons gaspiller des ressources énormes qui seraient plus utiles pour affronter les crises existentielles auxquelles nous sommes confrontés. Pendant ce temps, nous versons l’argent des contribuables dans les poches des producteurs de combustibles fossiles afin qu’ils puissent continuer à détruire le monde le plus rapidement possible. C’est ce à quoi nous assistons avec la vaste expansion de la production de combustibles fossiles et l’augmentation des dépenses militaires. Il y a des gens qui s’en réjouissent. Allez dans les bureaux de direction de Lockheed Martin ou d’ExxonMobil, ils sont en extase. C’est une aubaine pour eux. Ils en tirent même du prestige. À présent, ils sont félicités pour avoir sauvé la civilisation… en détruisant la possibilité de vie sur Terre. Oubliez les peuples du Sud dont nous parlions plus haut. Imaginez des extraterrestres. S’ils existaient, ils penseraient que nous sommes tous complètement fous. Et ils auraient raison.
Jacques Baud, sur le conflit Ukrainien : "En quoi ce conflit est plus sanctionnable qu'un autre ?"
Les Européens et les Américains ont-ils poussé Moscou à la guerre ?
L’ex-agent du renseignement stratégique suisse, Jacques Baud, répond à nos questions.
Il est l’auteur de « Poutine, maitre du jeu ? » aux Editions Max Milo.
POSITION DU GOUVERNEMENT CUBAIN CONCERNANT L'UKRAINE
La volonté des États-Unis de poursuivre l'expansion progressive de l'OTAN vers les frontières de la Fédération de Russie a conduit à un scénario, aux implications d'une portée imprévisible, qui aurait pu être évité.
Les mouvements militaires effectués par les États-Unis et l'OTAN au cours de ces derniers mois vers les régions adjacentes à la Fédération de Russie, précédés par la fourniture d'armes modernes à l'Ukraine, sont bien connus, ce qui ensemble constitue un encerclement militaire progressif.
Il est impossible d'examiner la situation actuelle en Ukraine avec rigueur et honnêteté, sans évaluer minutieusement les justes revendications de la Fédération de Russie auprès des États-Unis et de l'OTAN et les facteurs qui ont conduit à l'usage de la force et au non-respect des principes juridiques et des normes internationales auxquels Cuba souscrit, qu’elle soutient avec toute la vigueur possible et qui constituent une référence essentielle, notamment pour les petits pays, contre l'hégémonisme, les abus de pouvoir et les injustices.
Défenseur du Droit international et attachée à la Charte des Nations unies, Cuba est un pays qui défendra toujours la paix et s'opposera à l'usage ou à la menace de la force contre tout État.
Nous regrettons profondément la perte de vies de civils innocents en Ukraine. Le peuple cubain a eu et continue d'avoir une relation étroite avec le peuple ukrainien.
L'histoire exigera des comptes du gouvernement des États-Unis pour les conséquences d'une doctrine militaire de plus en plus offensive en dehors des frontières de l'OTAN, qui menace la paix, la sécurité et la stabilité internationales.
La récente décision adoptée par l'OTAN d'activer, pour la première fois, la Force de réaction de cette alliance militaire renforce nos préoccupations.
Ce fut une erreur d'ignorer durant des décennies les réclamations fondées de garanties de sécurité de la part de la Fédération de Russie et de supposer que ce pays resterait les bras croisés face à une menace directe à sa sécurité nationale. La Russie a le droit de se défendre. Il est impossible de parvenir à la paix en encerclant ou en acculant les États.
Le projet de résolution sur la situation en Ukraine non adopté au Conseil de Sécurité le 25 février, qui sera soumis à l'Assemblée générale, n'a pas été conçu comme une véritable contribution à la recherche de solutions à la crise actuelle.
Au contraire, il s'agit d'un texte déséquilibré, qui ne tient pas compte des préoccupations légitimes de toutes les parties concernées. Il ne reconnaît pas non plus la responsabilité de ceux qui ont fomenté ou déployé des actions agressives qui ont précipité l'escalade de ce conflit.
Nous plaidons pour une solution diplomatique sérieuse, constructive et réaliste à la crise actuelle en Europe, par des moyens pacifiques, qui garantisse la sécurité et la souveraineté de tous, ainsi que la paix, la stabilité et la sécurité régionale et internationale.
Cuba rejette l'hypocrisie et les doubles standards. Il convient de se rappeler qu'en 1999, les États-Unis et l'OTAN ont lancé une agression de grande envergure contre la Yougoslavie, un pays européen qu'ils ont fragmenté, au prix de nombreuses vies humaines, en fonction de leurs objectifs géopolitiques, en ignorant la Charte des Nations unies.
Les États-Unis et certains alliés ont eu recours à la force en de multiples occasions. Ils ont envahi des États souverains pour provoquer des changements de régime et ils interviennent dans les affaires intérieures d'autres nations qui ne se plient pas à leurs intérêts de domination et qui défendent leur intégrité territoriale et leur indépendance.
Ils sont également responsables de la mort de centaines de milliers de civils, qu'ils qualifient de « dommages collatéraux », du déplacement de millions de personnes et de vastes destructions sur l'ensemble de notre planète, en conséquence de leurs guerres de pillage.
La Havane, 26 février 2022
Rompre avec l’OTAN pour assurer la sécurité collective
La question de l’OTAN est un enjeu international de première importance, sur fond de bruits de botte et de montée des tensions internationales que ce soit à l’Est de l’Europe ou dans la zone indo-pacifique, de la stratégie OTAN 2030, et des discussions sur la « boussole stratégique » de l’Union Européenne, dont une première version est en cours de discussion. Les prochains mois seront émaillés d’échéances importantes : comme la publication d’une nouvelle déclaration conjointe UE-OTAN en décembre, la tenue d’un sommet européen sur les questions de défense durant la présidence française du conseil de l’UE et le prochain sommet de l’OTAN prévu à Madrid en juin 2022.
Surtout, la question n’est pas uniquement celle de documents stratégiques et de réunions aux sommet. L’histoire a montré que les discours va-t’en guerre peuvent rapidement se transformer en étincelles aux conséquences incontrôlables. Quand le vieux Caton répète qu’il faut aller détruire Carthage, l’impérialisme romain finit déclencher le conflit. On ne veut pas la paix en préparant la guerre. La situation est donc très dangereuse. L’expulsion de diplomates de l’ambassade russe auprès de l’OTAN, ayant entraîné la décision prise par Moscou de fermer cette dernière ou encore la demande formulée par les gouvernements atlantistes de Pologne, de Lituanie et de Lettonie d’activer l’article 4 de l’OTAN en prenant prétexte de l’instrumentalisation dramatique, indigne et honteuse des migrants aux frontières biélorusses sont autant de nouvelles étapes franchies dans la montée des tensions.
Tout cela fait de la question de l’OTAN un enjeu immédiat et très important de la campagne présidentielle et législative de 2022. Le PCF et son candidat Fabien Roussel mettent dans le débat public des propositions précises, aptes à faire bouger les lignes à gauche et dans la société française. Les contradictions qui s’exercent en Europe sur la question de l’OTAN, qui se sont cristallisées avec l’affaire de l’alliance AUKUS, rendent possible de donner à nos propositions une dimension nouvelle.
Sortir de l’OTAN, cet outil de l’impérialisme atlantiste, est non seulement une nécessité historique, mais une urgence politique. La sortie de la France du commandement militaire intégré de l’alliance atlantique en est une première étape. C’est possible. La France l’a déjà fait en 1966.
Une telle démarche doit se compléter d’une alternative concrète. Celle de la sécurité collective des peuples et des nations. La France doit ouvrir la perspective d’un nouveau traité de paix, de coopération et de sécurité collective en proposant un tel objectif aux pays européens et à leurs voisins, jusqu’à la Russie, entre autres. Soyons clair : il ne sera pas possible que cela soit réalisé dans le cadre des mécanismes de l’Union Européenne où pèse lourd le poids des gouvernements pro-américains d’Europe de l’Est, dans le paysage politique actuel. Il s’agira donc d’une démarche proposée aux Etats volontaires et à leurs citoyens. Ce traité devra mettre à plat l’ensemble des sujets de tensions, par exemple avec la Russie. La négociation sera sans doute longue. L’acte final de la conférence d’Helsinki a nécessité quatre ans de discussions. Mais ce qui a été possible en pleine guerre froide l’est également aujourd’hui. Ce traité, négocié dans le cadre d’une conférence « pan-européenne », dans laquelle les mouvements citoyens auront un rôle à jouer, sera une pierre importante dans la construction d’une véritable sécurité collective humaine, et dans celle d’une sorte de maison commune allant de Paris à Moscou de paix, de coopération et de sécurité collective, sous l’égide de la charte de l’ONU.
C’est ainsi que les réunions interministérielles des ministres de la Défense et des Affaires étrangères de l’UE qui sont prévues à Brest entre le 12 et le 14 janvier prochains seront une occasion importante de mobiliser les communistes, et au-delà, sur ces questions.
Vincent Boulet
membre de la Commission des relations internationales du PCF
responsable aux questions européennes
Surtout, la question n’est pas uniquement celle de documents stratégiques et de réunions aux sommet. L’histoire a montré que les discours va-t’en guerre peuvent rapidement se transformer en étincelles aux conséquences incontrôlables. Quand le vieux Caton répète qu’il faut aller détruire Carthage, l’impérialisme romain finit déclencher le conflit. On ne veut pas la paix en préparant la guerre. La situation est donc très dangereuse. L’expulsion de diplomates de l’ambassade russe auprès de l’OTAN, ayant entraîné la décision prise par Moscou de fermer cette dernière ou encore la demande formulée par les gouvernements atlantistes de Pologne, de Lituanie et de Lettonie d’activer l’article 4 de l’OTAN en prenant prétexte de l’instrumentalisation dramatique, indigne et honteuse des migrants aux frontières biélorusses sont autant de nouvelles étapes franchies dans la montée des tensions.
Tout cela fait de la question de l’OTAN un enjeu immédiat et très important de la campagne présidentielle et législative de 2022. Le PCF et son candidat Fabien Roussel mettent dans le débat public des propositions précises, aptes à faire bouger les lignes à gauche et dans la société française. Les contradictions qui s’exercent en Europe sur la question de l’OTAN, qui se sont cristallisées avec l’affaire de l’alliance AUKUS, rendent possible de donner à nos propositions une dimension nouvelle.
Sortir de l’OTAN, cet outil de l’impérialisme atlantiste, est non seulement une nécessité historique, mais une urgence politique. La sortie de la France du commandement militaire intégré de l’alliance atlantique en est une première étape. C’est possible. La France l’a déjà fait en 1966.
Une telle démarche doit se compléter d’une alternative concrète. Celle de la sécurité collective des peuples et des nations. La France doit ouvrir la perspective d’un nouveau traité de paix, de coopération et de sécurité collective en proposant un tel objectif aux pays européens et à leurs voisins, jusqu’à la Russie, entre autres. Soyons clair : il ne sera pas possible que cela soit réalisé dans le cadre des mécanismes de l’Union Européenne où pèse lourd le poids des gouvernements pro-américains d’Europe de l’Est, dans le paysage politique actuel. Il s’agira donc d’une démarche proposée aux Etats volontaires et à leurs citoyens. Ce traité devra mettre à plat l’ensemble des sujets de tensions, par exemple avec la Russie. La négociation sera sans doute longue. L’acte final de la conférence d’Helsinki a nécessité quatre ans de discussions. Mais ce qui a été possible en pleine guerre froide l’est également aujourd’hui. Ce traité, négocié dans le cadre d’une conférence « pan-européenne », dans laquelle les mouvements citoyens auront un rôle à jouer, sera une pierre importante dans la construction d’une véritable sécurité collective humaine, et dans celle d’une sorte de maison commune allant de Paris à Moscou de paix, de coopération et de sécurité collective, sous l’égide de la charte de l’ONU.
C’est ainsi que les réunions interministérielles des ministres de la Défense et des Affaires étrangères de l’UE qui sont prévues à Brest entre le 12 et le 14 janvier prochains seront une occasion importante de mobiliser les communistes, et au-delà, sur ces questions.
Vincent Boulet
membre de la Commission des relations internationales du PCF
responsable aux questions européennes
Commémoration à Montigny-en Gohelle le 29 mai au Dahomay
Le 27 mai 1941, à la fosse Dahomey à Montigny-en-Gohelle, le mineur Michel Brûlé donne la consigne de stopper les compresseurs. Tous les marteaux-piqueurs s'arrêtent. C'est la grève générale. En 48 h, elle mobilise 100 000 mineurs du Pays noir de Auchel à Crespin sur 130 km.
Cette mobilisation a été initiée par un petit groupe d'hommes réunis clandestinement à Dechy (près de Douai) dans l'estaminet de Célestin Leduc, autour de Martha Desrumaux, dirigeante du PC. Neuf mois de réunions clandestines, de distributions de tracts et de journaux en particulier L'Enchaîné clandestin. De multiples discussions dans les salles des pendus et plus encore dans les entrailles de la terre ont permis de briser la chape de plomb sous laquelle l'occupant, Vichy et les collaborateurs enfermaient les travailleurs du sous-sol.
Pierre Chéret, responsable de la FNDIRP, brosse ce qu'était ce Pays noir, un véritable maquis souvent connu par les seuls mineurs, cheminots ou métallos. Un territoire marqué par des luttes en particulier ce grand printemps de 1936 du Front populaire où les travailleurs ont conquis de nouveaux droits (congés payés...) et retrouvé leur fierté.
Pierre Chéret évoque la dureté de l'Occupation, la présence des préfets, de la police, de la gendarmerie et de la justice acquis à Vichy, d'un patronat prompt à collaborer, d'une presse muette soumise à la censure, et de dirigeants syndicaux - maîtres des UL et UD, acquis eux-aussi à la politique collaborationniste de Pétain et Vichy.
Pendant neuf mois, réunions clandestines, débrayages et grèves ont permis aux mineurs et à leurs familles de prendre conscience de la nocivité mortifère de la résignation, de l'Occupation et de la collaboration. Ils se sont souvenus de leurs luttes et de leurs victoires d'avant-guerre. Ainsi le Pays noir est devenu une véritable poudrière. L'étincelle surgit ce 27 mai 1941 !
Ce 27 mai, le pari est gagné ! Pendant quinze jours, les molettes au sommet des chevalements ne tournent plus. 500 000 tonnes de charbon ne sont pas extraites et n'iront pas alimenter la machine de guerre nazie comme le rappelle le maire de Montigny-en-Gohelle, Marcella Della Franca, et Jean-François Raffy, sous-préfet de Lens.
Tous deux insistent sur le rôle essentiel des femmes mobilisées pour faire connaître et amplifier le mouvement.
Les 4 et 5 juin, ces femmes sont plusieurs centaines à manifester dans les rues de Billy-Montigny en scandant : " Pas de carbon pour les boches !"
Ainsi la grève se dévoile sous ces deux aspects : grève revendicative et grève patriotique !
Interpellant une demie douzaine de jeunes du Lycée Pasteur d'Hénin-Beaumont accompagnés par leur proviseur, Pierre Outteryck souligne qu'aujourd'hui cette histoire trop méconnue doit être portée par la jeunesse de notre région. Il propose qu'en 2022, de grandes manifestations mettent en avant cette grève extraordinaire.
La sénatrice Cathy Apourceau et tous les participants ne peuvent oublier que le premier convoi de déportés partis de France vers le système concentrationnaire nazi fut composé de 244 ouvriers-mineurs : 136 ne reviendront jamais !
Pierre Outteryck
Professeur agrégé d'histoire
Question D'ANDRÉ CHASSAIGNE au gouvernement - Israël-Palestine
Palestine: 5 techniques de manipulation du langage au service des dominants
Il y a peu d’exemples aussi frappants du rôle du langage dans la déformation d’une réalité que celle de l’entreprise d’apartheid de l’Etat colonialiste d’Israël, pardon, du « conflit israélo-palestinien ».
Que s’est-il passé ces dix derniers jours au Proche-Orient ?
Un quartier de Jérusalem est en train d’être vidé de ses habitants palestiniens au profit de colons israéliens, énième épisode d’un État colonial dirigé en ce moment par un gouvernement d’extrême-droite. Les protestations des Palestiniens ont été violemment réprimées par la police israélienne. En représailles, des roquettes ont été tirées depuis la bande de Gaza, cette prison à ciel ouvert coupée du monde par un blocus israélien depuis plus de dix ans, et où la situation des habitants est devenue, aux dires de l’ONU, « invivable ».
L’armée israélienne a répliqué par des bombardements, pardon, des « frappes » (plus précises, ciblées et plus « pro »).
Cet épisode d’une guerre coloniale que beaucoup d’entre nous ont toujours connu n’est pourtant pas décrit en ces termes. A lire la presse cette semaine, il y aurait à Jérusalem « des affrontements », des « heurts », une « escalade de la violence » entre deux peuples ennemis. Qu’importe qu’il y ait d’un côté des manifestants et de l’autre la police armée, d’un côté la bande de Gaza et de l’autre une puissance nucléaire. A entendre nos médias, on est dans une guerre à armes égales, voire avec un côté plus légitime que d’autre…
Cet épisode d’une guerre coloniale que beaucoup d’entre nous ont toujours connu n’est pourtant pas décrit en ces termes. A lire la presse cette semaine, il y aurait à Jérusalem « des affrontements », des « heurts », une « escalade de la violence » entre deux peuples ennemis. Qu’importe qu’il y ait d’un côté des manifestants et de l’autre la police armée, d’un côté la bande de Gaza et de l’autre une puissance nucléaire. A entendre nos médias, on est dans une guerre à armes égales, voire avec un côté plus légitime que d’autre…
Exemples : « International : pluie mortelle de roquettes sur Tel-Aviv, frappes musclées d’Israël sur Gaza », titrent Challenges, la Provence ou Nice Matin, reprenant une dépêche AFP. La mort d’un côté, les muscles de l’autre : la sacro-sainte « neutralité journalistique » en pleine action. Et sur France Info, on pouvait entendre que « l’aviation a mené des raids à Gaza et les groupes armés palestiniens bombardent Israël ». Vous avez dit « journalisme militant » ?
Par le miracle des mots, la répression menée par un Etat colonialiste ayant instauré un régime d’Apartheid devient la réaction légitime et courageuse (« musclée ») d’un pays exposé à la barbarie de terroristes assoiffés de sang.
Hélas, le traitement médiatique de ce qu’il se passe en Israël et Palestine n’est qu’une illustration de plus de la faculté de notre classe dominante à déformer la réalité vue et vécue à son profit, en invisibilisant sa domination illégitime et en inversant la responsabilité de ses actions. Petit guide des procédés les plus répandus en la matière :
On préfère parler de « conflit israélo-palestinien », c’est-à-dire d’une guerre entre deux pays, plutôt que de répression coloniale israélienne ou de résistance palestinienne. La domination coloniale disparaît du même coup.
Dans un tout autre domaine, celui du travail, le terme de « partenaires sociaux » s’est imposé pour décrire les syndicats qui représentent les salariés et le patronat : non seulement l’expression masque tout lien de domination entre les deux, mais elle invente en plus un « partenariat ». Pourtant, le système capitaliste est basé, qu’on le veuille ou non, sur la division entre le capital et le travail et sur le fait que les possédants prospèrent sur le travail des autres. Ils ont intérêt à ce qu’ils soient le moins possible rémunérés, tandis que ceux qui travaillent ont intérêt à une rémunération du capital (les dividendes) la plus basse possible. Nulle partenariat et nulle égalité : un contrat de travail implique nécessairement un lien de subordination. C’est ce lien de subordination que l’expression « collaborateur », en lieu et place de « salarié », est venue nier. L’objectif n’est pas, pour celles et ceux qui l’ont diffusé, de prôner une « collaboration » qui ne peut exister pour des raisons intrinsèques au capitalisme, mais de neutraliser les velléités de résistances qui passent par la reconnaissance de l’asymétrie de positions et d’intérêts divergents. Le « dialogue social » entre « partenaires sociaux » est l’inverse du rapport de force entre salarié et patron, et ces évolutions langagières ont bien pour objectif d’annihiler l’idée même de résistance.
2 – L’inversion : il s’agit de transformer le dominant en victime et le dominé (ou l’exploité, opprimé, etc) en bourreau.
Ce procédé a été utilisé contre tous les mouvements de résistance de notre histoire. Nelson Mandela et son parti anti-apartheid, l’ANC, sont désormais montrés comme exemple de ténacité et de courage, mais lorsqu’ils combattaient, ils étaient décrits comme des terroristes par les gouvernements etats-uniens et britanniques jusqu’aux années 2000. Au Proche-Orient, le fait que le mouvement palestinien Hamas soit décrit comme terroriste suffit à disqualifier l’ensemble de la résistance palestinienne. Les roquettes envoyées sur les villes Israélienne, même si elles font toujours beaucoup moins de victimes que les bombardements de l’aviation israélienne, sont traitées avec beaucoup plus de sévérité.
Par le miracle des mots, la répression menée par un Etat colonialiste ayant instauré un régime d’Apartheid devient la réaction légitime et courageuse (« musclée ») d’un pays exposé à la barbarie de terroristes assoiffés de sang.
Hélas, le traitement médiatique de ce qu’il se passe en Israël et Palestine n’est qu’une illustration de plus de la faculté de notre classe dominante à déformer la réalité vue et vécue à son profit, en invisibilisant sa domination illégitime et en inversant la responsabilité de ses actions. Petit guide des procédés les plus répandus en la matière :
Et hop, magie : le colonialisme a disparu
1 – L’égalisation : il s’agit de décrire une situation de domination sous la forme d’une égalité de position et de responsabilité. On préfère parler de « conflit israélo-palestinien », c’est-à-dire d’une guerre entre deux pays, plutôt que de répression coloniale israélienne ou de résistance palestinienne. La domination coloniale disparaît du même coup.
Dans un tout autre domaine, celui du travail, le terme de « partenaires sociaux » s’est imposé pour décrire les syndicats qui représentent les salariés et le patronat : non seulement l’expression masque tout lien de domination entre les deux, mais elle invente en plus un « partenariat ». Pourtant, le système capitaliste est basé, qu’on le veuille ou non, sur la division entre le capital et le travail et sur le fait que les possédants prospèrent sur le travail des autres. Ils ont intérêt à ce qu’ils soient le moins possible rémunérés, tandis que ceux qui travaillent ont intérêt à une rémunération du capital (les dividendes) la plus basse possible. Nulle partenariat et nulle égalité : un contrat de travail implique nécessairement un lien de subordination. C’est ce lien de subordination que l’expression « collaborateur », en lieu et place de « salarié », est venue nier. L’objectif n’est pas, pour celles et ceux qui l’ont diffusé, de prôner une « collaboration » qui ne peut exister pour des raisons intrinsèques au capitalisme, mais de neutraliser les velléités de résistances qui passent par la reconnaissance de l’asymétrie de positions et d’intérêts divergents. Le « dialogue social » entre « partenaires sociaux » est l’inverse du rapport de force entre salarié et patron, et ces évolutions langagières ont bien pour objectif d’annihiler l’idée même de résistance.
2 – L’inversion : il s’agit de transformer le dominant en victime et le dominé (ou l’exploité, opprimé, etc) en bourreau.
Ce procédé a été utilisé contre tous les mouvements de résistance de notre histoire. Nelson Mandela et son parti anti-apartheid, l’ANC, sont désormais montrés comme exemple de ténacité et de courage, mais lorsqu’ils combattaient, ils étaient décrits comme des terroristes par les gouvernements etats-uniens et britanniques jusqu’aux années 2000. Au Proche-Orient, le fait que le mouvement palestinien Hamas soit décrit comme terroriste suffit à disqualifier l’ensemble de la résistance palestinienne. Les roquettes envoyées sur les villes Israélienne, même si elles font toujours beaucoup moins de victimes que les bombardements de l’aviation israélienne, sont traitées avec beaucoup plus de sévérité.
Ainsi, une puissance coloniale parvient à passer pour la victime du terrorisme émanant d’un territoire occupé et harcelé. L’inversion existe dans le débat public dans un tout autre domaine, celui des violences sexuelles et sexistes. Par un miracle de propagande et alors que 80% des victimes de violences sexuelles sont des femmes, la société française souffrirait considérablement du féminisme ou de “la haine contre les hommes”. Bref, les bourgeois accusés de viols sont forcément victimes d’un complot ou de leur époque. De Dominique Strauss-Kahn à Pierre Ménès, le premier réflexe, lorsque ces affaires éclatent, est d’accuser les réseaux sociaux, la « bienpensance » et le caractère malfaisant des victimes.
3 – La diabolisation et la déshumanisation : ces procédés relativement classiques en temps de répression consistent à attribuer des caractéristiques négatives aux résistants ou victimes et de leur retirer leur humanité dans le portrait que l’on fait d’eux.
Cette déshumanisation, c’est parler « d’Arabe » au lieu de « Palestiniens », ce qu’utilise à outrance les autorités israéliennes, comme l’explique Xavier Guignard sur le réseau social twitter : « Les autorités israéliennes et sa large population parlent « d’Arabes », pour leur nier tout caractère national. L’Arabe, l’indigne, c’est l’autre ».
L’appellation de « terroristes » joue évidemment ce rôle, et tout journaliste digne de ce nom devrait toujours se poser la question de son emploi à chacun de ces moments. Dans notre histoire sociale, la classe ouvrière a fait et continue de faire l’objet de descriptions négatives, de la part des écrivains et des journalistes. A l’opposé, les dominants ont toujours droit à des descriptions qui mettent en avant leur humanité, leurs passions, leurs joies et leurs peines.
“les torts sont partagés”
Cette déshumanisation, c’est parler « d’Arabe » au lieu de « Palestiniens », ce qu’utilise à outrance les autorités israéliennes, comme l’explique Xavier Guignard sur le réseau social twitter : « Les autorités israéliennes et sa large population parlent « d’Arabes », pour leur nier tout caractère national. L’Arabe, l’indigne, c’est l’autre ».
L’appellation de « terroristes » joue évidemment ce rôle, et tout journaliste digne de ce nom devrait toujours se poser la question de son emploi à chacun de ces moments. Dans notre histoire sociale, la classe ouvrière a fait et continue de faire l’objet de descriptions négatives, de la part des écrivains et des journalistes. A l’opposé, les dominants ont toujours droit à des descriptions qui mettent en avant leur humanité, leurs passions, leurs joies et leurs peines.
Les grands patrons ont le droit à leurs portraits dans le magazine du Monde, décrits comme des personnages remplis de contradictions, complexes… Et les salariés qu’ils licencient ne sont que des numéros, des « ressources humaines » à gérer ou optimiser.
4 – La complexification : procédé consistant à empêcher toute grille de lecture de la réalité et toute perception des rapports de domination au profit d’une affirmation du caractère « complexe » des choses, c’est-à-dire de l’impossibilité de dire quelque chose de clair et d’utile sur la société.
Notre monde serait « de plus en plus complexe » car « tout va de plus en plus vite » et il serait devenu trop « manichéen » de décrire la société sous l’angle des rapports de domination. « Tout n’est pas tout noir ou tout blanc », n’est-ce pas ?
Ce discours est très répandu dans la classe médiatique et « intellectuelle » quand il s’agit, par exemple, de parler de lutte des classes : elle n’existerait plus, car il y aurait tout plein de groupes différents, pas de cohésion et une économie mondialisée. Comme si le monde d’avant était plus simple, comme si le capitalisme n’avait pas toujours été mondialisé, comme si les classes sociales avaient déjà été homogènes et parfaitement conscientes d’elles-mêmes.
L’analyse en termes de lutte des classes a toujours été une façon de ramasser la réalité au sein de catégories forcément perfectibles, mais utiles pour comprendre le monde qui nous entourent – et le transformer. Le refus d’une grille de lecture de la société est une façon pour la classe dominante d’empêcher la lecture de son pouvoir et de ses mécanismes de domination. Le « conflit israélien » n’est « très complexe » que si l’on s’interdit de voir qu’Israël met en place un régime d’Apartheid qui passe par l’infériorisation et l’assassinat à petit feu de tout un peuple.
La complexité a donc bon dos, car si « tout est complexe », alors autant laisser tomber et confier l’analyse de la société aux experts, aux journalistes et aux intellectuels, et surtout, ne rien remettre en question.
5 – L’abstraction : procédé qui vise à noyer la responsabilité des dominants au sein de processus flous et grandiloquents où la volonté humaine n’a plus sa place.
La guerre au Proche-Orient, c’est de « la folie humaine » en acte ! La « haine de l’autre », « l’escalade de la violence », au lieu de parler de « violence coloniale »…
5 – L’abstraction : procédé qui vise à noyer la responsabilité des dominants au sein de processus flous et grandiloquents où la volonté humaine n’a plus sa place.
La guerre au Proche-Orient, c’est de « la folie humaine » en acte ! La « haine de l’autre », « l’escalade de la violence », au lieu de parler de « violence coloniale »…
Bref, autant de choses grandes et terribles dont le gouvernement de Netanyahou n’est qu’un jouet comme d’autres. La « mondialisation » a été quant à elle le concept fourre-tout qui joue ce rôle pour expliquer et justifier l’inéluctabilité des politiques néolibérales en France ces trente dernières années, logique dont nos dirigeants et notre patronat n’ont été que les suiveurs impuissants. Comme si la mondialisation était un processus récent et comme si ses dernières moutures – via des traités de libre-échange – n’avaient pas été conçus, voulus et appliqués par des êtres de chairs et d’os.
Il en va de même de « la finance » ou des « marchés financiers », ou encore « l’argent-roi » : ces entités abstraites et désincarnées ont eu bon dos pour cacher le visage de la grande bourgeoisie. Car celui qui a du patrimoine financier ce n’est ni un dieu tout puissant, ni tout le monde : c’est la classe bourgeoise, point.
Le terme de « néolibéralisme » est particulièrement commode pour éviter de parler du système qui assoit son pouvoir, c’est-à-dire le capitalisme, et dont le néolibéralisme n’est qu’une série de politiques menées, sa prolongation dans toutes les sphères de la vie, et pas un rouleau compresseur contre lequel on ne pourrait rien faire. Vous l’aurez compris : sans capitalisme, pas de néolibéralisme. Ces cinq techniques de négation des rapports de domination sont à l’œuvre pour justifier l’épisode actuelle de répression de la résistance palestinienne par le régime d’apartheid israélien, mais elles le sont aussi pour justifier le patriarcat, la domination bourgeoise, l’exploitation au travail en France et dans le monde. Pour ne pas rester prisonnier de ces procédés, il faut les connaître et appliquer une vigilance constante des discours que nous tenons et qui nous sont diffusés. Et utiliser nos propres mots, ceux qui décrivent la réalité telle qu’elle est : traversée par des rapports de domination que l’on peut renverser et détruire.
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