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Sommet de Madrid : Vers une stratégie guerrière globale



Du 28 au 30 juin, quarante chefs d’État se sont réunis à Madrid pour le sommet de l’OTAN. Dans une atmosphère feutrée, loin du fracas des armes, ils n’ont pourtant parlé que de cela. Plusieurs questions cruciales étaient inscrites à l’ordre du jour dans un contexte de guerre en Ukraine. Cette réunion, dans un climat d’inquiétude et de demande d’OTAN notamment dans les pays baltes et en Pologne, a clairement désigné la Russie comme un ennemi alors que l’adhésion de la Finlande et de la Suède était examinée. Les rapports avec la Chine qualifiés de « défi systémique » étaient également au cœur des réflexions.

Il y a deux ans pourtant, E. Macron parlait, à propos de l’OTAN, de « mort cérébrale » tandis que D.Trump la jugeait « obsolète ». Madrid célèbre désormais l’unité, la solidarité et la solidité de l’institution. V. Poutine a été de toute évidence le fédérateur de ces évènements. Il souhaitait affaiblir l’OTAN, il l’a ressuscitée.

La guerre en Ukraine
La guerre et le soutien à Kiev ont été la grande affaire de ce sommet même si l’OTAN n’est pas directement impliquée dans le conflit. Pour autant, depuis l’annexion de la Crimée (2014), l’OTAN n’est jamais restée passive et avec l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, elle apporte au régime de V. Zelensky un soutien politique massif. Cependant, ce sont surtout les États qui fournissent les aides matérielles.

En 2010, la Russie était considérée comme un partenaire avec qui il fallait coopérer. Aujourd’hui, elle est devenue une menace. Alors que les armées russes s’installent durablement dans le Donbass, mais pas vraiment au-delà, ces affrontements risquent de durer puisqu’il n’y a pas de compromis possible, à ce jour, entre l’Ukraine et la Russie. Le sommet a examiné les divers moyens d’endiguer cette offensive attisant même les tensions dans les zones d’escalade possibles (Kaliningrad) pouvant mettre le feu à l’Europe.

De manière moins sensible que par le passé, deux lignes étaient perceptibles chez les occidentaux. On a distingué le camp de ceux qui veulent la victoire finale de l’Ukraine (États-Unis, Grande-Bretagne, Pologne, pays baltes…). La formule de B. Johnson résume à elle seule cette perspective : « Toute tentative de régler le conflit maintenant ne ferait que causer une instabilité durable ». Au regard du contexte, sur un mode mezzo voce, la France a considéré qu’il fallait poursuivre le dialogue et négocier avec la Russie.

L’adhésion de la Finlande et de la Suède
Cette situation nouvelle est incontestablement une réaction à l’offensive russe. Certes, ces deux pays neutres bénéficient, comme membres de l’Union européenne, d’une clause de défense (art.42.7) jugée insuffisante puisqu’ils demandent à se placer sous la protection américaine au sein de l’OTAN. Mais, ne nous y trompons pas, la coopération avec l’Alliance n’est pas vraiment une nouveauté.

Cette adhésion a rencontré dans un premier temps le veto de R.T. Erdogan qui, comme cela en devient l’usage, a utilisé le chantage pour obtenir des concessions toutes à son avantage. Il a fait monter les enchères contre les Kurdes du PKK (Turquie) et du PYD (Syrie), engagés dans la lutte contre Daesh, et obtenu la possibilité d’extradition de réfugiés politiques, la levée de l’embargo sur des ventes d’armes voire un feu vert pour l’invasion du Rojava. Fort de ses gains, bien au-delà de ses espérances, il a levé son opposition au processus d’adhésion qui devra cependant être officialisé au cours d’une longue procédure.

De toute évidence, ces adhésions constituent un atout pour l’OTAN. Elle disposera d’une profondeur stratégique en mer Baltique et d’une capacité militaire renforcée sur le flanc nord intensément disputé avec le réchauffement climatique du Pôle.

Pour autant, ces adhésions, comme le soulignait le sénateur Pierre Laurent en commission des Affaires étrangères, « n’éloignent pas la Finlande et la Suède du front, mais elles deviennent le front ». Cette nouvelle intégration traduit la permanence de la logique de confrontation d’autant que la garantie de sécurité de l’OTAN est d’abord et avant tout celle des États-Unis.

Une nouvelle ère stratégique
Le sommet a adopté un document de référence fixant les orientations pour une décennie. Il y est rappelé que l’OTAN est une alliance militaire et nucléaire et que s’ouvre une « nouvelle ère de compétition stratégique ». L’objectif est de passer d’un rôle régional à un rôle global, puisque l’alliance aurait désormais vocation à intervenir sur toutes les latitudes notamment face à la Chine.

Dans cette perspective, l’augmentation des dépenses militaires a été au centre des discussions. Pour le secrétaire général de l’OTAN, les 2% ne sont plus un plafond mais un plancher. Il y a ainsi une volonté très forte d’accroître tout à la fois le budget commun et celui des États.

Le temps est donc à l’euphorie de l’unité mais l’inquiétude demeure sur la durée de cette lune de miel avec les États-Unis. La question de la cohérence interne de l’alliance n’est pas résolue. Combien de temps les alliés seront-ils capables de s’entendre ?

La question des partenariats de l’OTAN était également à l’ordre du jour. Le renforcement des liens entre l’Union européenne et l’Alliance a semblé se régler sous la pesanteur des circonstances, éludant pour un temps le débat sur l’autonomie stratégique européenne c’est-à-dire la capacité de l’Union à prendre en main son destin en matière de défense. Moins médiatique mais tout aussi déterminant, l’approfondissement des relations de l’OTAN avec le secteur privé afin de promouvoir des technologies militaires émergentes.

Enfin des inquiétudes ont vu le jour chez des partenaires du front Sud de l’OTAN (Espagne, Italie, Grèce voire France) sur le peu d’attention portée aux menaces en Méditerranée, notamment orientale, au regard des coups de boutoir permanents de la Turquie.

En Europe : changement de système de défense
Ce sommet marque l’un des plus importants changements du système de défense depuis la fin de la guerre froide se traduisant par un renforcement de la présence de l’OTAN sur le front Est de l’Europe.
Les effectifs de 40 000 hommes seront portés à 300 000 au travers de la Force de Réaction (NRF). Huit nouveaux groupements tactiques seront déployés dans les pays baltes, en Bulgarie, en Hongrie, en Slovaquie et en Roumanie. Les États-Unis renforceront leurs contingents en Pologne, enverront une quarantaine de F35 au Royaume-Uni et deux destroyers en Espagne.

Ce retour, très conséquent, ne sera pourtant pas au niveau de celui de la guerre froide. Si le réinvestissement américain apparaît comme la conséquence de l’invasion de l’Ukraine, il s’inscrit dans une stratégie à plus long terme et autrement plus déterminante aux yeux de Washington, celle visant la Chine.

« La Chine un défi systémique » : un piège pour l’Europe
La présence du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande lors de ce sommet, alors que ces pays ne sont pas membres de l’OTAN constitue un signe évident de placer la Chine au centre d’une stratégie de containment. Pour Washington, Pékin passe avant Moscou.

Il y a deux ans, la Chine était mentionnée au sommet de l’OTAN, pour la première fois et ce, en dépit des vaines résistances opposées par la France et l’Allemagne. Les deux capitales rappelaient que la zone d’action de l’OTAN devait être circonscrite à la zone euro-atlantique. Depuis, l’Union européenne a déclaré que la Chine était un « rival systémique ».

Le fait de mentionner la Chine dans une déclaration de l’OTAN, alors que Pékin n’est pas un adversaire militaire est déjà une victoire pour les États-Unis. Pour J. Biden, la guerre en Ukraine est une formidable opportunité pour atteindre ses objectifs, à savoir recruter l’Europe dans sa croisade contre la Chine. Ainsi, l’agenda américain peut avancer plus rapidement dans la perspective de muer l’Alliance en instrument militaire du « choc des civilisations ».

Washington pare cette offensive d’une justification idéologique, celle d’une alliance des démocraties contre les régimes autoritaires (Chine, Russie, Iran). Cette stratégie masque des intérêts plus pragmatiques, celle de la compétition systémique avec la Chine pour la suprématie mondiale. L’Europe n’a rien à gagner dans ces affrontements et cela constitue même un piège dangereux. Est-ce le modèle que l’on veut pour l’Europe d’un Occident contre le reste du monde ? La réaction des pays africains face au conflit en Ukraine devrait nous alerter. Cette vision du monde est celle des États-Unis et de l’OTAN qui militarisent les défis politiques. S’il existe des divergences sérieuses avec la Chine sur nombre de dossiers, présenter ce pays comme une menace, antagoniser toutes les relations ne peut qu’accentuer des clivages lourds de menaces.

Dans le contexte de guerre en Ukraine, il est devenu plus difficile de résister à J. Biden qui en profite pour faire taire les oppositions et impose un alignement inconditionnel. Le piège est cynique et cela pourrait constituer une future tragédie que de s’y plier.

L’attitude de la France
Paris, sur la plupart des dossiers, a manifesté son accord inconditionnel avec Washington ou a capitulé. Favorable à l’adhésion de la Finlande et de la Suède, elle a tu ses exigences de poursuivre le dialogue avec la Russie et s’est conformée à la volonté américaine sur la Chine. L’opacité est également de mise sur les concessions faites à la Turquie contre nos alliés Kurdes.

La France a réitéré son engagement à livrer des armes à l’Ukraine (véhicules blindés, canons Caesar voire des missiles Exoset). Elle s’est montrée en revanche plus réservée sur l’augmentation du budget qui pourrait se traduire par l’achat de matériels américains et d’équipements non nécessaires.

De toute évidence, ce sommet de l’OTAN marque un tournant dangereux, une escalade guerrière tournant le dos à la diplomatie et à la recherche de la paix équitable et durable. Les conséquences risquent d’être funestes. La sortie de l’OTAN et l’existence même de cette organisation obsolète sont posées si l’on veut contribuer à bâtir une nouvelle architecture de sécurité collective en Europe et dans le monde.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient


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