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La France dans la tourmente

Par Christian_Picquet ( article très intéressant,  à débattre)

Voilà ! Maintenant que sont passés la seconde séquence électorale de l’année, le remaniement ministériel, l’installation de la nouvelle Assemblée nationale, le temps est venu de tenter d’apprécier à quel moment de la crise française nous sommes parvenus. Reconnaissons-le tout d’abord, si nous étions nombreuses et nombreux, au soir du premier tour des élections législatives, à deviner vers quelle situation convulsive nous nous dirigions, bien peu imaginaient que le verdict des urnes allait accoucher d’un authentique séisme la semaine suivante. Un devoir de lucidité s’impose face au processus qui pourrait bien venir désintégrer demain les mécanismes politiques ayant assuré, plusieurs décennies durant, une relative stabilité aux gouvernants. Non, je me dois de le préciser au vu de certains commentaires lus ces temps-ci, que la France fût devenue ingouvernable. Surtout en une période qui voit le mouvement social se débattre avec la difficulté de coordonner ses luttes et d’unir ses composantes syndicales, du fait également d’un rapport des forces politiques très déséquilibré en faveur de droites et d’extrêmes droites totalisant environ 65% des votes, l’appareil de l’État conserve en effet la capacité d’absorber des chocs de ce type, aussi violents puissent-ils apparaître à des élites qui n’avaient rien anticipé, emportées qu’elles sont toujours par leur court-termisme néolibéral. Les dispositions arbitraires que la Constitution confère au résident élyséen et à l’exécutif, d’article 49-3 en procédures d’urgence, comme les pouvoirs dévolus à une technostructure aussi fanatisée par la religion de l’argent omnipotent que soustraite à tout contrôle démocratique, restent de nature à maîtriser les turbulences, du moins à court terme. Cela dit, à tout le moins, pouvons-nous parler, à l’instar du politologue Benjamin Morel, d’une « vraie rupture depuis le quinquennat, qui a instauré une présidence impériale, avec une majorité qui ne doit son élection qu’au président élu »(L’Humanité, 22 juin 2022). Sachant que la réforme institutionnelle en question, adoptée en 2000 par un accord conjoint de Jacques Chirac et Lionel Jospin, avait été imaginée pour remédier à l’étiolement des équilibres originels sur lesquels reposait la V° République, et pour assurer le Prince d’un total contrôle sur une Assemblée ramenée au rôle de chambre d’enregistrement, on peut sans hésitation considérer que nous entrons dans un processus d’implosion des structures politiques à l’abri desquelles le système capitaliste reproduisait sa domination sur la société française. Un nouveau cycle historique s’ouvre donc, à ce point incertain qu’il convient d’en apprécier précisément les traits marquants.

DES SÉISMES IMBRIQUÉS

L’abstention vient de confirmer la désagrégation générale de tous les mécanismes de représentation. En progressant de plus d’un point sur le tour précédent (de 52,49% à 53,77%), elle signe le retrait d’une majorité du peuple français des procédures censées le doter de représentants reconnus de tous. En s’enracinant de consultation en consultation, et en se prolongeant d’attitudes similaires dans la plupart des rendez vous de la vie sociale (à commencer par les élections professionnelles), ce comportement traduit une défiance massive — voire une tendance structurante à la désaffiliation — envers les pouvoirs établis, les élus et les partis, le Parlement ou encore toutes les institutions de la démocratie politique et sociale. Il convient, à cet égard, d’en finir avec les formules usées, sur la « crise de la politique » ou la « crise démocratique », pour identifier ce qui est à la longue devenu une déconnection massive entre gouvernants et gouvernés, représentants et représentés.

Les études d’opinion montrent que ce sont les forces vives de la nation qui se sont trouvées affectées : de 71% chez les 18-24 ans et de 66% chez les 25-34 ans, la désertion des isoloirs s’est révélée majoritaire dans toutes les tranches d’âge jusqu’aux 50-59 ans (où elle s’élève à 57%), la non-participation des ouvriers atteignant 67%, celle des personnes percevant moins de 1250 euros mensuels étant de 64%, avant les cadres qui sont tout de même 54% à ne pas se déplacer. Les mêmes études laissent peu de doutes quant aux ressorts de cet absentéisme : au fil d’alternances n’ayant amené aucun changement des orientations mises en oeuvre à la direction du pays, et singulièrement depuis le référendum trahi de 2005 sur le projet de Constitution européenne, les Françaises et les Français ont manifestement acquis le sentiment que les marchés ont accaparé la réalité du pouvoir, que la citoyenneté n’est plus que l’alibi de la dépossession de leur souveraineté, que la nation n’est plus le cadre de l’exercice de cette dernière, que les diktats néolibéraux régissant l’Union européenne n’ont cessé d’anéantir leurs capacités de maîtriser leur avenir, et que le suffrage universel n’est dès lors plus qu’un leurre déformant leurs attentes et les privant d’espoir en un avenir meilleur.

La déroute infligée au président de la République et à ses partisans marque l’ouverture d’une crise de régime. Elle revêt une dimension véritablement sismique. Jamais, depuis 1958, l’hôte de l’Élysée n’avait été éloigné de 43 sièges de la majorité absolue au Palais-Bourbon : s’il manquait, par exemple, une quinzaine de voix à Michel Rocard, locataire de Matignon sous la présidence de François Mitterrand en 1988, il n’en disposait pas moins de réserves possibles pour faire adopter, au gré des circonstances, ses textes législatifs ; rien de comparable avec la configuration présente…

Traitant avec la plus grande désinvolture l’échéance législative, feignant de croire que son projet de casse sociale et de régression démocratique avait reçu l’approbation des électeurs le 24 avril, Emmanuel Macron a ignoré l’ampleur du rejet dont sa politique et sa pratique du pouvoir font l’objet. Il n’a pas moins sous-estimé l’amenuisement de sa propre base électorale : au second tour des législatives de 2017, LREM et le Modem totalisaient 52% des suffrages exprimés ; cette fois, la coalition « Ensemble ! » n’en a recueilli que 39%. De sorte que notre monarque, reconduit par défaut à la faveur d’un vote motivé par la seule volonté d’une majorité de Français de faire barrage au Rassemblement national, s’il possède incontestablement la légitimité de son élection, ne dispose en revanche pas de celle qui lui permettrait de conduire sa politique sans secousses majeures, cette dernière ne disposant d’aucun assentiment populaire. Dès lors que c’est l’autorité présidentielle elle-même, clé de voûte de nos institutions, qui vient de se trouver foudroyée, je n’hésite pas à parler d’une véritable crise de régime.

Avec l’installation, sur les bancs de l’Hémicycle, d’une extrême droite n’ayant jamais compté autant de députés, c’est la République qui se retrouve en grand danger. Pour la première fois depuis son irruption sur la scène nationale, au milieu du premier septennat mitterrandien, le national-lepénisme a su capitaliser des années d’efforts pour s’implanter dans les territoires. Longtemps restées infructueuses, ces tentatives viennent d’autoriser ce courant à envoyer 89 des siens à la Chambre. « Les nouveaux députés viennent du terrain. Ils sont d’ailleurs mis en avant comme des personnes proches du ‘’peuple’’ », souligne très justement Valérie Igounet (L’Obs, 23 juin 2022). Sa progression de 20% en moyenne d’un tour à l’autre, ses victoires dans 43% des duels ou triangulaires disputés par lui, l’élargissement de son implantation géographique — des terres désindustrialisées des Hauts-de-France ou du Nord-Est ainsi que de ses bastions du pourtour méditerranéen, jusqu’au sud-ouest girondin ou occitan, en passant par le Centre-Val-de-Loire — en sont le résultat.

Sans doute, l’incroyable cynisme de la Macronie, se dérobant à tout appel clair à battre l’extrême droite là où elle était confrontée à la gauche unie, a-t-il oeuvré au bénéfice des lepénistes, en faisant voler en éclats ce qu’il restait du réflexe de « barrage républicain ». Plus fondamentalement toutefois, Madame Le Pen et les siens ont su travailler, et surtout détourner au profit de leur projet d’une société d’apartheid ethnique, toutes les angoisses françaises, les souffrances engendrées par la précarité grandissante du travail, l’impression d’abandon et de déclassement largement éprouvée par des populations travailleuses reléguées loin des métropoles, la colère suscitée chez elles par la désindustrialisation comme par le retrait de la République et des services publics des territoires péri-urbains, le ressentiment diffus engendré par les pertes de souveraineté de la nation et du peuple sous les coups de boutoir de la globalisation marchande et financière, les peurs enchevêtrées face à un avenir incertain. Ce que Jérôme Jaffré traduit par ces mots : « En province, le vote du 19 juin apparaît soudain comme la transposition électorale du mouvement des ‘’Gilets jaunes’’. Le RN perce dans les départements de la ‘’France périphérique’’ : l’Eure, où il obtient quatre des cinq sièges, le Loiret, l’Aube, la Marne, la Haute-Marne » (Le Figaro, 21 juin 2022).

Il est maintenant à craindre, après les presque 42% obtenus par Madame Le Pen au second tour de la présidentielle, que ce 19 juin ait définitivement brisé le fameux « plafond de verre » qui interdisait encore à l’extrême droite d’accéder au pouvoir. Et qu’elle en retire une capacité accentuée de peser sur la recomposition de la droite qui s’amorce à peine, « Les Républicains » entrant dans un débat stratégique essentiel après avoir perdu la moitié de leur groupe au Palais-Bourbon, même s’ils ont résisté au siphonnage total tenté par la Macronie.

Pour la gauche, le chemin de la majorité apparaît encore long. L’union électorale réalisée au sein de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » a répondu à l’attente de rassemblement exprimée par le peuple de gauche, et elle a permis de repolariser un débat public que les macronistes cherchaient à résumer à leur duo avec l’extrême droite. Grâce à quoi, notre camp s’est assuré d’une présence plus que doublée dans l’Hémicycle (avec, en son sein, un groupe communiste et ultramarin renforcé, sous la présidence d’André Chassaigne). Il n’en est pas moins vrai qu’avec les 151 sièges obtenus dans l’Hexagone et en Outre-Mer, nous demeurons très éloignés de la majorité espérée. Nous ne retrouvons même pas les scores cumulés de nos candidatures du premier tour de la présidentielle, 53% de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon s’étant par exemple abstenus le 24 juin. À lui seul, le fait appelle une réflexion collective approfondie.

Plus fondamentalement, si notre coalition électorale réalise ses meilleures performances dans les centres-villes et leurs périphéries populaires immédiates (et, en premier lieu, auprès de la jeunesse des quartiers qui subit racisme et discriminations de toute sorte), ce dont on ne peut que se féliciter, elle ne parvient pas à mobiliser — ou à remobiliser — les plus lointaines périphéries urbaines ou encore les zones rurales, où se concentrent pourtant une très large partie des forces vives du pays, celles qui ne vivent que de leur travail et dont est le plus souvent parti le mouvement des « Gilets jaunes ». Cette France peuplée d’ouvriers et d’employés, de classes moyennes en difficultés, persiste à se détourner des isoloirs, lorsqu’elle ne laisse pas son exaspération s’égarer dans le vote en faveur de l’extrême droite.

Des géographes ont pourtant, de longue date, pointé le défi stratégique à relever pour les forces progressistes : la contre-révolution néolibérale a conjugué creusement des fractures sociales, réorganisation de l’outil productif aboutissant à la fragmentation extrême du salariat autant que de ses statuts, et remodèlement de l’organisation territoriale du pays. Christophe Guilluy, pour ne prendre que lui, a cherché à mettre en lumière ce qu’il nomme un « brouillage de classe parfait », sous les auspices de la métropolisation d’une partie de l’Hexagone : « Le processus de concentration des emplois qualifiés, des cadres et des revenus dans les plus grandes villes, et inversement la fragilisation économique et sociale de la France périphérique contribuent à accentuer les inégalités entre les deux France » (in Le Crépuscule de la France d’en haut, Flammarion 2016).

Sans reconquérir ces territoires abandonnée par la République et où le mouvement ouvrier a considérablement perdu en influence, aucune majorité politique ne pourra être retrouvée. C’est dire, n’ayons aucune pudeur à le reconnaître, que divers discours et positionnements au sein de la Nupes durant la campagne — je pense, entre autres, à la sortie de Jean-Luc Mélenchon, « la police tue », qui ne permettait en rien de poser les questions du contrôle de l’activité policière et de la lutte contre des bavures intolérables, beaucoup la ressentant comme la caricature du discours « antiflics » cher à une certaine extrême gauche — ont constitué d’incontestables obstacles dans le travail de conviction d’hommes et de femmes dont l’intérêt eût été d’appuyer la gauche réunie pour ce scrutin.

PAGE D’HISTOIRE NOUVELLE

Ce n’est pas faire preuve d’un catastrophisme déplacé que de considérer qu’une semblable précipitation d’événements, faisant basculer l’ordre politique d’une des principales puissances de la planète, et annonçant en son sein une instabilité comme elle n’en avait pas connue depuis quelque six décennies, tourne une page de notre histoire collective. À bien y regarder, deux crises majeures s’enchevêtrent, celle du mode international d’accumulation du capital et celle des institutions politiques du capitalisme français.

On ne peut, à cet égard, ignorer que les bouleversements français surviennent à un moment où l’économie transnationalisée et financiarisée connaît, sur fond de catastrophe écologique et d’aiguisement de ses contradictions intestines nous rapprochant d’une récession et d’un nouveau krach, un mouvement de réorganisation appelé à s’intensifier dans la prochaine période. Sous les impacts successifs des maelströms financiers de 1997, 2000 et 2008, puis de la pandémie du Covid-19, tous les dogmes du néolibéralisme ont fini par voler en éclats. Tant le mirage de l’unification du monde par des marchés prétendant dépasser le cadre des nations, que le retrait de l’État de ses missions sociales, ou encore la gestion monétaire confiée à des banques centrales rendues indépendantes, sans parler de l’exigence de rendements financiers sans cesse plus déconnectés des économies réelles et de la production, ont mené l’humanité au bord du gouffre.

L’économiste Robert Boyer, bien que l’on pût sans doute discuter ses thèses, n’en aborde pas moins avec pertinence ce changement de donne, soulignant que la mise à l’arrêt de l’économie par la toute proche épreuve sanitaire « a mis à mal la plupart des arrangements institutionnels et les règles qui assuraient, sans qu’on en prenne conscience, une coordination efficace : la sécurité sanitaire, la confiance dans les autorités publiques, la prévisibilité des marchés, les complémentarités sectorielles, la synchronisation des temps sociaux — école, transport, travail, loisir — un cadre juridique qui définit les responsabilités des décideurs en situation d’incertitude radicale. Ce sont autant de variables qui dépassent le seul champ économique » (in Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte 2020).

Avec pour horizon la recherche de nouveaux paradigmes de développement, les plus grandes puissances s’engagent dans des affrontements d’immense ampleur pour imposer leur leadership dans les relations internationales et accoucher de nouvelles hiérarchies de dépendance entre firmes multinationales, États, ensembles géopolitiques. La mondialisation hier réputée heureuse cède, dans ce contexte, la place à une « fragmentation » de l’ordre du monde, pour reprendre l’expression du Fonds monétaire international lui-même, les conflits militaires s’emparant de régions entières et la guerre redevenant une issue possible à des dérèglements d’une ampleur inégalée depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Ce grand chamboulement a un impact direct sur un pays dont la classe dirigeante se voit appelée à résoudre l’épineuse équation du renouvellement de l’insertion du capitalisme français dans une économie mondiale en pleines convulsions. Les mandatures de François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou François Hollande l’avaient vu tenter de convertir la France au catéchisme de la dérégulation et chercher à disloquer le « pacte de la Libération » ayant refondé notre matrice républicaine à partir des principes d’égalité et de solidarité nés de la lutte contre l’occupant hitlérien. Elle s’était appliquée à engager la nation dans la voie d’un fédéralisme européen consacrant la prédominance simultanée des marchés financiers et d’une puissance allemande ayant acquis les moyens d’une hégémonie synonyme de généralisation à tout le continent de son modèle ordolibéral.

Ces tentatives n’ayant remporté que des succès limités aux yeux des milieux d’affaires, Emmanuel Macron avait alors tenté une opération césariste à partir de 2017. Cette dernière consistait, à marche forcée, à plier l’Hexagone aux règles de la globalisation libérale, à accoucher d’une société fonctionnant à l’image d’une entreprise dans le mythique « système californien », à faire éclater la structuration politique traditionnelle du pays dans le but de former autour du premier personnage de l’État un bloc bourgeois où se retrouveraient les gagnants de ce capitalisme émancipé d’entraves juridiques et sociales devenues insupportables à la finance. Elle visait, sur cette base, à faire émerger un régime autoritaire, s’affranchissant de toute recherche de compromis avec les forces sociales et les « corps intermédiaires ». Bref, il s’agissait d’accoucher d’une démocratie sous contrôle, atrophiée, dépossédant la collectivité citoyenne de la possibilité de peser sur les politiques publiques. Cet assaut se brisa à son tour sur la secousse des « Gilets jaunes », la mobilisation syndicale exceptionnelle en défense de la retraite par répartition, et la menace sanitaire.

LES ATTENTES BAFOUÉES DU PAYS

De sorte que c’est sans projet à même de réunifier les diverses fractions possédantes face aux défis d’un monde se reconfigurant à très grande vitesse, que le clan aux manettes aborda la séquence électorale de 2022. Le flou savamment entretenu par l’occupant du Trône sur sa vision de l’avenir en a été la marque. Nos compatriotes n’en perçurent qu’une promesse de sang et de larmes, la communication présidentielle ayant surtout laissé transparaître la volonté d’allonger l’âge du départ à la retraite, le mépris royal affiché pour la question salariale, le refus d’apporter une réponse à la hauteur du démantèlement de ces deux services publics clés que sont l’école et la santé, l’inexistence de la moindre volonté de remédier à la désindustrialisation des territoires ou aux pertes de souveraineté de la France en matière énergétique ou alimentaire, ou la menace d’un retour à l’orthodoxie budgétaire alors qu’un nombre grandissant de familles voient leurs niveaux de vie terriblement grevés par l’inflation.

Cette posture visait clairement à obtenir le soutien de l’électorat fidèle au macronisme et à arracher le soutien d’un pan entier de l’électorat conservateur, celui dont le président sortant affichait l’ambition de priver le parti des « Républicains ». Elle n’en heurtait pas moins de front les attentes et les peurs du pays profond, autrement dit de sa très grande majorité. Au coeur de la crise française, s’enracinent dans les consciences des perceptions de la situation qui rendent explosive la prochaine période.

L’évanouissement de plus en plus prononcé des identités de classe, qui vertébrèrent si longtemps les confrontations politiques et sociales, pour leur substituer un individualisme consumériste par définition porteur d’inégalités et de mises en concurrence des êtres humains, a tout d’abord mis en relief la perte de dignité autant que le déchirement des liens sociaux, qu’éprouve cruellement la population travailleuse. Ce fut, on le sait, la racine du phénomène des « Gilets jaunes », et c’est également ce qui aujourd’hui creuse les divisions et attise les ressentiments entre des hommes et des femmes que tout devrait amener à se réunir pour réagir aux injustices dont ils font l’objet.

Ici encore, c’est Christophe Guilluy qui porte le bon diagnostic : « La réalité urbaine des petites villes et des villes moyennes n’a rien de commun avec celle des grandes métropoles. Tous deux ‘’urbains’’, le bobo parisien et l’ouvrier de Dunkerque ne vivent assurément pas dans la même société. En revanche, l’ouvrier de Dunkerque partage avec le rural du département de l’Orne une même vision des effets de la mondialisation, une même insécurité sociale » (op.cit.). Ce recul des solidarités alimente la tentation de retourner un sentiment massif de déclassement ou de relégation contre telle ou telle catégorie de population. Il est évidemment pain bénit pour des forces qui s’épanouissent quand les haines s’aiguisent et quand le racisme flambe.

Le besoin de protection, devant les difficultés de la vie et un avenir semblant s’assombrir de jour en jour, ne trouve pas davantage de réponse la part du bloc aux affaires. Ce qui n’a rien d’étonnant : le néolibéralisme organise en effet soigneusement la déliquescence de l’État et sa soumission aux besoins du capital, ce qui se concrétise par la privatisation de ses missions jusque dans les domaines régaliens, ou encore par l’asphyxie des libertés sous l’emprise croissante des géants du numérique sur la vie sociale et culturelle. Un processus qui va de pair avec sa colonisation par une haute technocratie indifférente à l’intérêt général qu’elle est théoriquement censée servir. Cette rupture avec la nation citoyenne est à ce point ressentie à très large échelle, et elle est si porteuse de confusion, que se mêlent désormais étroitement dans les esprits l’aspiration à l’égalité réelle et une immense panique devant le futur, le désir d’accéder à des libertés étendues et l’attente diffuse d’un retour à l’ordre, le souci de justice en faveur de quiconque subit ségrégation ou atteinte à sa dignité et l’exigence de tranquillité publique dans des villes ou des quartiers que leur abandon livre aux incivilités, aux violences et aux mafias.

Le préfet Gilles Clavreul identifie parfaitement l’engrenage : « Dans notre pays, qui plus que tout autre procède historiquement de l’État, le désarroi collectif est pour une large part le fruit de son retrait progressif, comparable à celui d’un acteur dont la silhouette s’efface de la scène. Le nouveau mythe d’une société entièrement autonome, délivrée de la contrainte physique autant que de la narration première qui la légitime, est plus angoissant à vivre pour nous Français que pour tout autre peuple, sauf peut-être pour celles des catégories de la population qui peuvent aisément se projeter dans le nouveau paradigme, c’est-à-dire les élites. » Et d’ajouter que ce mouvement a « frustré et démuni un corps social privé de références et de nourritures symboliques, en particulier au sein des classes populaires (…), engendrant un prévisible et implacable désir de retour à l’ordre ; et elle a libéré des forces spirituelles qui n’étaient qu’anesthésiées, et qui à peine sorties de leur hibernation se sont engouffrées dans la brèche identitaire, devenue une béance » (in Dans le silence de l’État, Éditions de l’Observatoire 2021).

L’atrophie de la démocratie devient également une source d’exaspération grandissante pour un peuple dont la relation à la politique et l’attachement à la souveraineté ont constitué le fil rouge des innombrables soulèvements civiques qui se sont égrenés depuis la Grande Révolution. L’hyper-présidentialisation à laquelle nous avons assisté au fil du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, un autoritarisme grandissant à mesure que le peuple se cabrait devant des décisions s’attaquant brutalement à ses droits comme à ses conditions d’existence, la volonté élyséenne de faire exploser les partis traditionnels et de contourner les élus des territoires ont eu pour effet de révéler au pays la réalité d’un régime n’ayant pour seul objectif que de protéger l’oligarchie possédante. Cela se traduit dorénavant en cet abstentionnisme de masse que nous venons encore de voir à l’oeuvre, en votes-sanctions prenant par surprise des pouvoirs imaginant toujours que les citoyens ont sombré dans l’apathie, ou en explosions sociales qui n’ont cessé de gagner en intensité ces dernières années.

Même un Marcel Gauchet, à sa manière, identifie une fracture qui n’a cessé de se creuser : « Emmanuel Macron a obtenu une majorité écrasante au Parlement (en 2017, c’est moi qui précise), mais elle n’a produit qu’un Parlement effacé (…). On a beaucoup dit que la V° République avait abaissé le Parlement. C’est vrai, mais il n’en continuait pas moins de jouer jusqu’à présent un rôle très important dans la vie politique. Sous Macron, il ne joue plus ce rôle et c’est un manque. Il n’y a plus de lieu de la délibération publique ; il y a un renforcement de la décision politique mais sans discussion politique dont le Parlement fournissait malgré tout un contrepoint » (in Macron, les leçons d’un échec, Stock 2021). Sans doute, touche-t-on ici la racine du comportement de l’électorat aux dernières législatives, refusant au chef de l’exécutif de lui accorder une majorité de députés et manifestant de cette manière une claire volonté de le priver de la totalité des pouvoirs.

Ce dernier trait fait écho à un imaginaire national battu en brèche par une globalisation décrétant la fin des États-nations et de leur souveraineté, ne jurant que par le libre-échangisme intégral, poussant les feux de la désindustrialisation comme de la désintégration d’une Éducation nationale désormais privée de réels moyens de reproduire le creuset français autour de ses valeurs fondatrices d’égalité et d’universalisme, organisant la rétraction de l’ambition culturelle par laquelle un peuple réalise son unité et fait de sa diversité une richesse. Or, de par l’histoire, et quelles qu’aient été les heures sombres de cette dernière, les Françaises et les Français ont régulièrement cherché à se construire un destin collectif. Non pour se figer dans un nationalisme replié sur lui-même, même si la pulsion en a existé à diverses périodes, mais le plus souvent pour affermir la communauté des citoyens loin des communautarismes délétères, et pour tenir au monde le discours de l’universalité des droits, de l’émancipation humaine et des coopérations solidaires. Ce à quoi se référait Jean Jaurès lorsqu’il évoquait le « génie français ».

Ni du côté des classes dirigeantes, ni de celui d’une gauche et d’un mouvement ouvrier ayant parfois cédé à l’illusion d’un univers « post-national », il n’y a été apporté de réponse. Soit, à droite et du côté des néolibéraux, en s’employant à convaincre l’opinion que la France ne serait plus qu’une « puissance intermédiaire » à laquelle il ne resterait plus pour option que l’intégration à un « camp occidental » placé sous direction des États-Unis. Soit, pour une partie de la gauche au moins, en oubliant qu’un internationalisme bien compris commence par un combat de chaque instant pour opposer au nationalisme belliqueux une vision citoyenne, laïque et pacifique de la nation. Avec pour conséquence funeste la montée en puissance des identitarismes de régression, comme le relève le politologue Stéphane Rozès : « Les peuples réagissent à la dépossession de la maîtrise de leurs destins en faisant remonter le caractère archaïque de leurs imaginaires » (in Quelles institutions pour demain ? Colloque de la Fondation Res Publica, 22 septembre 2021).

1958-2022

Il m’est arrivé récemment, à l’occasion d’un échange, d’oser cette appréciation en forme de mise en garde : « Nous sommes en 1958 ! » Il va de soi que je n’imaginais pas, par ces mots, assimiler deux contextes à tout point de vue dissemblables. La chute, voici plus de soixante ans, d’un régime parlementaire miné par son impuissance à faire entrer l’économie française dans la « modernité » du règne des grands monopoles industriels et financiers, la volonté des fractions dominantes de la bourgeoisie de régler leurs comptes aux groupes d’influence jugés archaïques et paralysants pour les pouvoirs en place, le besoin de sortir des aventures colonialistes et d’une guerre d’Algérie devenues incompatibles avec le nouvel âge du capitalisme ne ressemblent en rien à l’époque actuelle. Sauf sur un point : ce que recouvre la crise au-delà de ses apparences immédiates.

En juillet 1958, Cornelius Castoriadis cherchait à désigner les turbulences affectant en profondeur le système, alors très mal comprises de la gauche, en écrivant : « La crise des institutions politiques, c’est le fait que la bourgeoisie n’arrive plus à gérer la société à son profit de façon relativement efficace et cohérente (…). Mais cette crise, à son tour, n’est pas autonome ; elle n’est que l’expression, sur le plan politique, d’une crise beaucoup plus générale et profonde, d’une véritable crise de structure affectant tous les aspects de l’organisation de la société capitaliste française » (in La Société française, 10/18 1979). Nous sommes à peu près, dans les conditions particulières de 2022, devant un semblable tournant de situation.

Toute notre histoire contemporaine l’atteste, dès lors que les classes dirigeantes ne trouvent pas d’issue à une gageure de cette dimension par les voies habituelles de l’action politique, c’est vers le recours à des formules autoritaires d’exception qu’elles s’orientent. C’est généralement dans le bonapartisme qu’elle recherchent un débouché à même d’installer un nouvel ordre politique et de déterminer un autre équilibre entre les forces dominantes. Deux figures polarisent ainsi les confrontations politiques depuis plus de deux siècles : celle de Robespierre, symbole de l’irruption, sur le devant de la scène, des forces populaires qui cherchent régulièrement à bousculer les privilèges de la naissance et de la fortune ; et celle de Bonaparte, dont les émules prétendent toujours s’ériger au-dessus des classes en belligérance et rallier diverses fractions en déshérence de la société, afin de sortir d’états de paralysie institutionnelle au moyen de solutions musclées plus ou moins respectueuses de l’État de droit. En 1958, à l’avantage des secteurs dominants du capitalisme français, c’est au général de Gaulle qu’il revint d’endosser ce rôle de sauveur auto-proclamé, s’appuyant dans un premier temps sur l’état-major de l’armée d’Algérie pour perpétrer le putsch qui allait l’installer à la tête de l’État, avant de se débarrasser de ses encombrants alliés pour mieux instaurer la monarchie présidentielle telle que devait ensuite la constitutionnaliser la V° République.

Voici plusieurs années déjà que nous sommes entrés dans un moment bonapartiste. Successivement, Nicolas Sarkozy puis Emmanuel Macron postulèrent à la fonction, avec pour objectif affirmé de donner un nouveau cap au système, de redéfinir un bloc dominant à même de diriger le pays en l’assurant d’une majorité politique stable, et de vaincre durablement la résistance du corps social aux projets de remise en cause de ses principaux acquis. Que l’un et l’autre de ces présidents aient échoué, et que l’actuel tenant du titre viennent même de subir une déroute électorale sans précédent sous ces institutions, ne signifie nullement que la menace fût écartée.

L’ENGRENAGE FATAL DE LA BONAPARTISATION


Si l’on en cherchait une confirmation, la bonapartisation présente de notre théâtre politique l’apporterait. Car la tripartition dont a accouché le premier tour de l’élection présidentielle n’a pas fait émerger trois forces disposant de cohérences équivalentes, comme l’ont écrit un peu vite nombre de commentateurs, elle a plutôt cristallisé des phénomènes électoraux autour de trois personnages captant les suffrages de deux électeurs sur trois. Sur fond d’abstentionnisme record, la vie publique s’en est trouvée un peu plus dévitalisée, l’électorat qui continue de se rendre aux urnes déterminant ses comportements à partir du seul impératif de « voter utile », et non des projets en présence dans la compétition. De ce fait, loin d’avoir initié une recomposition de grande ampleur, cette nouvelle donne a, en réalité, fait considérablement reculer l’exigence d’une citoyenneté active et éclairée.

La lucidité nous impose d’en conclure que le Rassemblement national peut demain en être le grand bénéficiaire. Parce que le vote en sa faveur se révèle de plus en plus motivé par l’adhésion à son projet. Parce qu’il sait à merveille détourner les angoisses d’un très large pan de la société, utiliser à son profit le discrédit de la politique traditionnelle auprès de millions d’hommes et de femmes, et couvrir d’un vernis prétendument social son programme de haine et de division du pays. Parce que la vigilance démocratique s’est encore affaissée cette année, lorsque une part conséquente des électeurs de la droite traditionnelle et du parti macroniste en est venue, au second tour des législatives, à préférer les candidats lepénistes à ceux de la gauche unie. Parce que, pris au milieu d’une tourmente dont il ne voit pas comment s’extraire, un pouvoir minoritaire se montre tenté par des manoeuvres de conciliation avec l’extrême droite, pour faire adopter certaines de ses lois à l’Assemblée. Étape après étape, ses récents succès électoraux lui conférant une crédibilité grandissante, le parti d’origine fasciste qu’est le RN pourrait donc bien, si rien ne vient arrêter sa marche conquérante, se transformer en une force fonctionnelle à un débouché bonapartiste de la crise française.

Voilà, par conséquent, la gauche confrontée à un enjeu dont, pour certaines de ses composantes du moins, elle ne prend manifestement pas la mesure. Certes, je l’ai dit, la coalition électorale formée par Europe écologie-Les Verts, La France insoumise, le Parti communiste français et le Parti socialiste a réalisé l’exploit — inattendu des médias — de revenir au centre du jeu politique, redonnant du sens au clivage entre droite et gauche. Bien sûr, son programme partagé, quoique de nombreux points fussent toujours à clarifier, a écarté la tentation, récurrente au fil des décennies passées, de capituler devant la pression des marchés financiers. Sans doute, l’espoir a regagné ces hommes et ces femmes qui ont persisté ces dernières années, contre vents et marées contraires, à revendiquer leur appartenance à notre camp social et politique.

DÉFI VITAL POUR LA GAUCHE

Pour autant, nous n’en demeurons pas moins minoritaires, peu entendus de cette partie de la France travailleuse sans laquelle il nous sera impossible de conquérir une majorité politique. Nous venons de le voir avec une ampleur inégalée, ces salariés, ces ouvriers et ces employés, ces agents des services publics, ces membres de la classe moyenne subissant eux aussi la dégradation de leurs conditions d’existence, ces chômeurs, ces agriculteurs, ces petits entrepreneurs et artisans saignés à blanc par les donneurs d’ordre ou les banques, se défient de la politique, lorsqu’ils n’accordent pas leur soutien à leurs pires ennemis.

Parlons sans détours. Une majorité populaire nous restera inaccessible si nous ne prenons pas les moyens d’une réorientation visible et déterminée. Si ne sont pas prises en compte les préoccupations fondamentales de ces secteurs du monde du travail que nous ne parvenons pas à entraîner vers la rupture : le coût de l’énergie lorsque, sans voiture, il devient impossible de sortir des territoires péri-urbains dont, si souvent, les services publics se sont retirés ; les salaires, à tel point en berne qu’ils ne permettent pas de boucler le mois, alors que les prix des denrées essentielles ne cessent d’augmenter ; le travail qui, outre qu’il fût si mal rémunéré, est synonyme de souffrances psychologiques ou de troubles musculo-squelettiques faisant de l’activité une épreuve quasi-insoutenable bien avant l’âge de la retraite ; l’école, qui reproduit en les approfondissant sans cesse les inégalités de classe…

La victoire demeurera une espérance constamment déçue si d’aucuns poursuivent dans la voie sans issue consistant à répondre au malheur de tant de Françaises et de Français en négligeant de dénoncer le coût de la finance pour les êtres humains, en se contentant de quelques discours généraux sur la justice sociale, en substituant une idéologie intersectionnelle fumeuse au projet d’une République se réinventant en permettant aux citoyens et au monde du travail de prendre le pouvoir sur le capital, en promettant une transition écologique dont le contenu apparaît seulement punitif aux plus fragiles de nos compatriotes, ou encore en négligeant d’opposer à l’adversaire une autre vision de la nation… Et si l’on ne porte pas, avec le souci de la cohérence, un corps de propositions destinées à rassembler, dans une belle alliance, les classes moyennes urbaines qui sont en train de basculer vers la gauche, les habitants et habitantes des quartiers populaires dont le vote a valeur d’engagement contre les ségrégations du quotidien, et la fraction du peuple travailleur que l’oligarchie possédante a relégué au plus loin des métropoles.

C’est la perspective qu’a défendue Fabien Roussel au printemps. Elle n’a, en effet, rien perdu de son actualité l’importance accordée au travail, à l’emploi et aux salaires, à la défense d’une République qui en devenant sociale autant que laïque et universaliste soit l’instrument d’une reconquête du progrès et de la démocratie, à la volonté de rouvrir à la France la voie d’autres « Jours heureux » qui restituent au peuple sa souveraineté dans tous les domaines. Devant la redistribution générale des cartes qui s’amorce, les communistes auront à coeur de faire de ces grands objectifs des leviers au service de la clarification indispensable des débats à gauche.

LA MAJORITÉ POPULAIRE SE CONSTRUiT MAINTENANT

C’est sans attendre les prochains rendez-vous électoraux, qu’ils interviennent d’ailleurs à leur terme normal ou qu’ils soient anticipés par une dissolution de l’Assemblée nationale, que nous allons être mis à l’épreuve. L’illusion serait de croire que les questions de l’union, de la relation entre les partenaires impliqués dans celle-ci, du programme et de la stratégie ont été réglés par la double séquence politique qui vient de se conclure. Que la Nupes a dépassé sa réalité de coalition électorale pour devenir un mouvement mettant à l’ordre du jour l’effacement des identités et des spécificités de ses organisations fondatrices, voire pour résoudre le difficile problème du rapport entre les formations politiques et le mouvement social. Qu’il suffit de camper sur l’espace qu’a dessiné l’alliance, et de chercher à simplement l’élargir, pour créer la dynamique menant à une prochaine victoire. Que la clé de cette dernière résiderait dans des postures « radicales », pour démontrer au pays où se trouvent vraiment les opposants au macronisme.

En réalité, Emmanuel Macron, comme une droite et une extrême droite disposant de leurs agendas propres, sans parler d’un grand patronat ayant comme toujours pour feuille de route de faire payer la crise à notre peuple, nous tendent un piège redoutable. À travers son intervention télévisée du 14 Juillet, tout en faisant appel à l’esprit de « compromis », le Prince a clairement fait appel au renfort de la droite pour appliquer le programme de brutalisation sociale qui pourrait lui convenir : réforme du travail comprenant un énième durcissement de l’indemnisation des privés d’emplois et du versement du RSA, plan de « sobriété énergétique » dont le poids reposera essentiellement sur les classes populaires, contre-réforme des retraites… Il escompte manifestement, en ralliant le parti « Les Républicains » à ses projets de loi et en profitant de la stratégie de dédiabolisation qui rend si conciliants les amis de Madame Le Pen, tirer avantage du désarroi et des peurs qui, dans le pays profond, coexistent avec une intense colère. Ce qui lui permettrait, du même coup, d’isoler la gauche…

Pour cette raison, loin des seules attitudes protestataires et d’un recours trop systématique à la tactique de l’obstruction parlementaire — même si celle-ci est souvent indispensable pour relayer les revendications du mouvement social —, il va s’agir pour notre camp de faire simultanément preuve de combativité contre la politique de l’exécutif, et d’esprit de responsabilité afin de rendre au grand nombre la confiance en son aptitude à changer le cours des choses.

C’est dans la résistance quotidienne, à travers les luttes de terrain pour arracher des droits nouveaux, par la mise en avant des propositions répondant aux urgences de l’heure, en travaillant au plus large rassemblement de la gauche avec les forces du mouvement populaire qu’il sera possible de combattre efficacement. Et d’engager sans délai, dès la rentrée, la bataille de la construction d’une majorité politique qui fera bifurquer le destin français.

J’en termine avec cette note. Sa longueur tient au fait que je redoute plus que tout les approximations face aux épreuves qui nous attendent. Comme toujours, lorsque l’on entre dans une période lourde d’enjeux déterminants, il importe d’examiner avec soin les tendances lourdes qui se font jour et de savoir s’inscrire dans les contradictions que ces dernières révèlent. Pour ne pas s’être suffisamment livré à l’exercice, nos anciens ont subi bien des déboires. Aussi, sachons pour notre part faire preuve de rigueur. Dans une prochaine note, je reviendrai sur la gauche qu’appellent les gigantesques bouleversements en cours.

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