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À l'indignation, monsieur Darmanin, a succédé la rage

Au lendemain du drame qui a coûté la vie à 27 personnes dans la Manche, Michaël Neuman, directeur d'études au Centre de réflexion sur l'action et les savoir humanitaires de la fondation MSF, dénonce les responsabilités de l'État français et du ministre de l'Intérieur.



M. Darmanin,

La place n’est plus à l’indignation mais à la rage.

La rage de voir que cette tragédie de plus, ces 27 personnes mortes noyées en Manche faute de n’avoir pas reçu l’attention minimale pourtant due à n’importe quel être humain ne suscite chez vous rien d’autre que des coutumières accusations contre les passeurs et trafiquants.

La rage de voir qu’il n’y a, chez vous plus d’espace pour la compassion et la lucidité. Faisant face aux flots d’indifférence au mieux, de haine au pire que les personnes exilées subissent aux frontières de la France, elles ne reçoivent de votre part qu’humiliation et violence.

La rage de voir qu’aux si nombreuses voix qui vous ont alerté sur le fait que la Manche deviendrait, devenait, un cimetière, vous n’avez eu d’autres réponses que de saluer la politique de la maire de Calais qui en collaboration avec les services de l’Etat a fait de sa ville un lieu d’effroi pour les exilés.

La rage de voir que la France n’est aujourd’hui rien d’autre que le garde-frontière de la Grande Bretagne, dans un chantage dont les perdants ne sont jamais ni vous ni Priti Patel, ni Jean Castex, ni Boris Johnson mais bien ces hommes, ces femmes et ces enfants que vous pourchassez inlassablement.

La rage de voir que pour faire rêver un ministre de l’Intérieur, les barbelés ne suffisent plus et que votre petit bout de rêve à vous, c’est une camp prison comme celui que vous avez visité à Grèce, sur l’île de Samos tout récemment.

La rage de constater qu’à la détresse de mes collègues sauveteurs en mer en Méditerranée découvrant au milieu d’un amas de survivants une dizaine de corps sans vie, vous n’offrez comme seule politique que le maintien coûte que coûte des candidats à l’exil européen dans les immondes prisons libyennes.

La rage de voir que vous n’êtes bien entendu pas tout seul dans votre entreprise mortifère : nombreux sont ceux qui estiment aujourd’hui qu’un bon migrant est un migrant noyé ou désespéré, car il ne viendra plus, ni lui, ni d’autres. Quelle idée fausse, pourtant.

La rage de voir que malgré les démentis apportés par les faits, établis par la science, vous persistez, vous et d'autres dirigeants à ne pas comprendre que vos frontières tuent, que vos politiques nourrissent les trafics et les passeurs bien plus qu’elles les découragent.

La rage de constater que ces politiques, vous les menez en notre nom, qu’en notre nom vous condamnez dans un seul souffle bonnes âmes et acteurs de la solidarité renvoyés à leurs idéaux naïfs pour y préférer votre dialectique de l’abject : fermeté et humanité.

La rage d’anticiper que de ce drame rien de bon ne naitra et que vous perpétuerez, encore et toujours vos politiques empruntes de morgue et de bêtise. Pourtant vous savez. Que vos politiques tuent.

Vos politiques tuent, de la Pologne au Canaries, de la Grèce à la Libye, de la Méditerranée à la Manche, de la Bidassoa à la Vallée de la Clarée, vos politiques tuent.

Vos politiques tuent de ne pas concevoir qu’un autre accueil est possible, un accueil dont la possibilité est pourtant démontrée tous les jours par des millions de citoyens, des élus, des organisations, en France, en Italie, en Allemagne, en Grèce et ailleurs en Europe : tout un peuple qui continue de voir en ces réprouvés des personnes, des enfants aussi car ils sont nombreux, ces enfants, et non des toxines dont il faudrait se débarrasser par crainte de ‘grand remplacement’.

Aujourd’hui, votre fermeté et votre humanité ont condamné à la mort 27 personnes parties de chez elles parce qu’elles ont, un jour, estimé qu’elles n’avaient plus de choix; elles ont condamné à la mort 27 personnes décidées à ne plus supporter les conditions de vie auxquelles vous les condamniez, dans la boue et les tentes déchiquetées, de Grande-Synthe, de Briançon ou d’ailleurs.

Oui, la rage.


Énième expulsion à Calais : un harcèlement étatique à défaut d’une politique humanitaire



Hier 6 avril, entre 15h et 18h, six opérations d’expulsion de grande ampleur se sont déroulées à Calais. Sans aucune opération de mise à l’abri concomitante, les personnes exilées ont été expulsées de leur lieu de vie. Les équipes HRO ont dénombré au moins 126 tentes, 170 bâches et 77 couvertures prises aux personnes exilées par les forces de l’ordre. Au moins 76 de ces tentes contenaient des affaires personnelles qui n’ont pas pu être récupérées. Les personnes expulsées indiquent avoir notamment perdu dans cette opération de nombreux objets de valeur tels que des documents d’identité, des médicaments, des téléphones portables ou encore de l’argent. Ces expulsions sont intervenues alors que les températures sont tombées hier à 3°c. Les autorités ont choisi de ne pas activer le Plan Grand Froid tout en enlevant à près de 300 personnes leurs abris de fortune, les laissant ainsi sans protection contre la grêle et la neige.

Le Commissaire central de Calais, présent au moment de ces opérations, a justifié ces expulsions sur la base du flagrant délit d’occupation de terrain, et ce alors même que la flagrance ne peut pas être une base pour expulser. Il est particulièrement éloquent qu’une de ces opérations d’expulsion intervienne onze jours seulement après une décision de justice favorable aux habitants d’un de ces terrains. En effet, par une ordonnance du 26 mars 2021, le tribunal administratif de Lille avait rejeté la requête en référé mesure utile de la commune de Calais visant à faire expulser le terrain habité par la communauté Erythréenne. Le juge avait notamment relevé que, sur ce terrain, « les services de l’Etat ont érigé, au profit des migrants, des installations sanitaires, et où l’association la Vie active, mandatée à cet effet, distribue des vivres et de l’eau potable deux fois par jour ».

Alors que le juge administratif a rejeté la demande d’expulsion d’un de ces terrains, l’utilisation du régime pénal de l’enquête de flagrance pour parvenir à cette fin apparait alors d’autant plus abusive. Cette manœuvre de contournement des voies légales est au service d’une politique répressive de harcèlement des personnes exilées à Calais.

Ces expulsions constituent de la part des autorités un pas de plus dans l’inhumanité et le détournement du droit à Calais.



Communiqué de presse Human Rights Observers

Signataires :

Human Rights Observers

L’Auberge des Migrants

La Cabane juridique

Project Play

Collective Aid

Utopia 56 Calais

Salam Nord/Pas-de-Calasi

Refugee InfoBus




« Traités pire que des chiens » : l'évêque d'Arras dénonce le sort des migrants de Calais



L’évêque d’Arras et les chrétiens du Calaisis poussent un virulent coup de gueule contre la situation des migrants à Calais


L'évêque d'Arras a co-signé une déclaration avec le Secours catholique sur le sort des migrants à Calais. Les chrétiens de Calais le soutiennent avec une lettre ouverte au préfet.

Après la rencontre de Mgr Leborgne, évêque d’Arras, auprès des migrants, les chrétiens de Calais (Pas-de-Calais) ont écrit au préfet du Pas-de-Calais une lettre ouverte. Le but : faire évoluer la manière dont sont traités les demandeurs d’asile par les autorités. Avec des mots forts à la suite de ceux de l’évêque d’Arras : les exilés sont « traités pire que des chiens ».
Coup de gueule

Le 3 mars 2021, Olivier Leborgne, évêque du diocèse d’Arras et Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique – Caritas France, ont fait une déclaration commune sur la situation des exilés à Calais. Ce texte espérait une réponse des autorités publiques. Mais ce sont les catholiques de Calais qui s’en sont emparés, pour appuyer les dénonciations et défendre la dignité de l’homme mise terriblement à mal à Calais depuis de nombreuses années.

Mercredi 3 mars, Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique, et Mgr Leborgne, évêque d’Arras, se sont rendus à Calais, à la rencontre des exilés. Un texte puissant est sorti de cette visite avec deux axes : une dénonciation sans fard de la maltraitance quotidienne infligée aux migrants ; et des propositions pour sortir de ce marasme humanitaire.

On pourrait appeler cela un coup de gueule comme de temps en temps il est nécessaire de la faire devant l’injustice et l’immobilisme. Ces dernières années, il y en a eu plusieurs, venant de tous les bords, de toutes les associations présentes sur place. Des députés sont montés au créneau, la commission des droits de l’homme et même les experts des Nations Unies aussi. Rien n’y fait.


À Calais, les migrants continuent d’être « expulsés » systématiquement dès qu’un moindre point de fixation, une tente, trois planches, ou même seulement un duvet pointent le bout de leur nez dans un terrain vague, un bois, une parcelle de trottoir.

« Expulsés », c’est le mot gentil pour décrire la réalité que toutes les associations expliquent, qui ressemble plus à du harcèlement, policier et institutionnel. Alors, y’en a marre. Cette fois, ce sont les chrétiens qui se mouillent, et au premier chef leurs représentants.

« Notre conviction est forte : rien ne justifie que ces personnes soient ainsi maltraitées, exclues de l’accès à des besoins essentiels, humiliées dans le plus profond de leur être » : voilà un extrait de cette déclaration.Les mots du Secours catholique et de Mgr Leborgne sont forts, sont durs. « Mais c’est à la hauteur de ce qu’on fait subir à ces personnes dont les autorités nient les souffrances », confie Juliette Delaplace.
Bâtons dans les roues aux associations

Chargée de mission littoral du Secours Catholique, elle confirme l’horreur vécue tous les jours sur place, avec des décisions officielles aberrantes, qui « en plus d’être inefficaces sont inhumaines ».

Car si les migrants sont traqués, les associations sont aussi empêchées de faire leur travail, si petit soit-il, si nécessaire soit-il pour nourrir, réchauffer, soigner. « On nous a obligés en février 2020 à fermer notre lieu de répit dit La Crèche, qui malgré nos tentatives de réouverture, reste fermé. Et nous en sommes au huitième arrêté de la mairie de Calais interdisant la distribution de nourriture gratuite à Calais ».

Le lieu dit la Crèche n’est autre que la Maison du doyenné, rue de Croy à Calais, devenue en décembre 2020 la halte de nuit d’une poignée de migrants. La commission de sécurité l’a estimée dangereuse pour l’accueil, obligeant sa fermeture deux mois plus tard.
Bras-de-fer ?

Un bras de fer entre les chrétiens, la mairie et la préfecture est-il en train de pointer son nez ? En tout cas, les chrétiens de Calais ne veulent plus se taire. Ils ont décidé de faire front avec leur évêque. Une lettre ouverte circule depuis le 22 mars 2021, pour interpeller massivement le préfet.

Là encore, pas de politiquement correct. Soupçonnera-t-on les chrétiens de mentir et d’exagérer ?

Les chrétiens du Calaisis diffusent depuis lundi 22 mars 2021 une lettre ouverte qui ne mâche pas ses mots. Ils invitent tous les chrétiens du Calaisis à signer cette lettre et à l’envoyer au préfet.

Dans cette lettre, ils listent les atteintes manifestes aux droits de l’Homme.

« Avec notre évêque, nous constatons qu’il s’agit d’une politique de maltraitance indigne de notre humanité : faire la file dehors dans le froid ou la pluie pour manger, marcher 3km pour aller aux toilettes ou pour se rendre au point de passage de la navette pour prendre une douche, cacher ses effets personnels dans un bosquet. Garder, nuit et jour, sur soi ses papiers, poser sa tente dans la boue, s’y poser quelques heures pour dormir, protéger cette même tente et son sac de couchage contre une confiscation par les forces de l’ordre, courir, se cacher, dormir quelques heures en sachant que le lendemain comme l’avant-veille et comme toutes les 48 heures les jours précédents, la police viendra vous déloger… Est-il concevable de faire vivre cela à des enfants, des femmes et des hommes, en France, en 2021 ? »

« Pire que des chiens »

L’émotion est palpable : « Nous ne pouvons rester indifférents à ce qui se passe. C’est pourquoi, nous voulions vous faire part de notre désarroi. Aujourd’hui, ces personnes sont ‘traitées pire que des chiens’. Aucun être humain ne peut accepter ça. Or, la fraternité est inscrite dans notre devise nationale ; par conséquent et légitimement nous nous posons la question, sommes-nous en train de nous en éloigner ? »

Ils proposent aussi de rencontrer les services institutionnels compétents : « À travers nos prêtres et leurs conseils paroissiaux, nous proposons une réflexion pour conduire à l’amélioration de la situation. Nous nous en remettons à vos disponibilités pour échanger à ce propos ».


Ce ne sont pas des objets. Or, on les traite pire que des chiensMgr Leborgneévêque d'Arras
Signe d’espoir

Cette mobilisation catholique « est un signe d’espoir », selon Juliette Delaplace. « Cela montre que cette situation ne concerne pas que les associations. La violation des droits humains et la dignité reniée concernent les catholiques, et aussi les habitants de Calais. Cela montre que les Calaisiens ne sont pas tous d’accord avec la politique de la mairie ».

Si on pense que les déclarations et lettre ouverte ne servent à rien, elles ont au moins le mérite d’attirer les projecteurs à nouveau sur la situation. Et les associations ne se contentent pas de parler et de subir.

Plusieurs, dont le Secours catholique, en sont venues à multiplier les démarches juridiques contre l’autorité publique. Les arrêtés municipaux d’interdiction de distribution alimentaire sont contestés par voie pénale. Même le préfet du Pas-de-Calais est assigné en justice pour le démantèlement d’un camp de migrants en septembre 2020.

Mais tout cela n’arrête pas le rouleau compresseur d’une politique sans âme ; qui a en plus son inefficacité contre elle, puisqu’aucune des mesures de harcèlement ne stoppe l’arrivée des migrants.

S’il est beau de dénoncer, on ne peut pas reprocher au Secours catholique de critiquer sans proposer. Des solutions existent selon l’association.
Un moratoire sur les expulsions

L’appel du Secours catholique repose sur trois points simples, demandés depuis des années par les associations du Calaisis :
décréter un moratoire immédiat sur les expulsions de lieux de vie (campements, bidonvilles, squats),
ouvrir des lieux couverts d’accès aux services de base (alimentation, hygiène, recharge électrique, information sur les droits). Ces lieux, adaptés au nombre de personnes présentes, peuvent être répartis sur plusieurs endroits du littoral,
ouvrir immédiatement des dispositifs de mise à l’abri.

Le but est de construire un plan d’action, et non comme actuellement des destructions de campements systématiques et des mises à l’abri occasionnelles.
Ouvrir le dialogue ?

L’appel se conclut ainsi : « C’est pourquoi, au-delà des mesures d’urgence attendues, nous attendons des pouvoirs publics l’ouverture d’un large espace de dialogue qui, en écoutant les personnes exilées et en s’appuyant sur les initiatives de solidarité, pourra trouver avec tous les acteurs concernés les voies de solutions acceptables par tous ».

Depuis trois semaines, quel retour le Secours catholique a eu de ce texte, de la mairie, de la préfecture, des autorités ? Aucun. Silence radio. Nada.