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Noam Chomsky,: PROPAGANDE, GUERRE NUCLÉAIRE, CLIMAT : Il faut sauver notre espèce !

 

Noam Chomsky, dans cette interview accordée à Olivier Berruyer pour ÉLUCID, revient sur les grands enjeux du moment : risque de guerre nucléaire mondiale, vaccination, climat, médias et propagandes. Le grand capital continue son œuvre et détruit tout sur son passage, pourra-t-on sauver l’humain ?



Chapitrage

[00:00 à 04:45] - Le modèle chomskyste de propagande et son évolution avec l'émergence des réseaux sociaux.

[04:45 à 13:10] - Les élections américaines et les soupçons de fraude.

[13:10 à 16:45] - Le mensonge en politique et les croyances des électeurs.

[16:45 à 23:55] - Le risque de guerre nucléaire.

[23:55 à 30:05] - La crise du Covid, symbole des failles du système capitaliste et de l'Union européenne.

[30:05 à 34:38] - Des solutions pour améliorer le système médiatique : une meilleure éducation des citoyens et des médias alternatifs.
Pour aller plus loin :



[0:29] - Le livre dont parle Noam Chomsky est son livre de référence sur la propagande : Fabriquer un consentement.

[2:10] - Vous trouverez ici la série 1619 du New York Times.

[11:10] - Vous trouverez sur cette page l'étude de l'Université de Yale dont parle Noam Chomsky, qui analyse la relation entre l'affinité partisane et la vision du changement climatique.


[20:05] - Vous pouvez ire ici l'éditorial du New York Times du 12 juin 2021 défendant l'idée d'une réintégration de l'Iran dans le concert des nations en échange de la création d'une Zone exempte d'armes nucléaires au Moyen-Orient, mais qui exclurait Israël... Vous trouverez ici la liste des traités ayant déjà créé des Zones exemptes d'armes nucléaires.

[27:55] Vous pouvez lire ici les actions des médecins cubains envoyés en Italie pour aider à lutter contre les ravages du Covid.

[29:00] Voici l'article du Washington Post du 16/03/2021 expliquant que l'administration Trump a fait pression sur le gouvernement du Brésil pour qu'il refuse le vaccin russe contre le Covid.

[31:55] - Nous vous recommandons cet article sur l'histoire des journaux ouvriers américains du XIXe et XXe siècle, qui sont souvent cités en exemple par Noam Chomsky comme une forme d'organisation efficace contre la propagande mainstream et pour la promotion des droits des travailleurs.

Appel à la grève lancé par le journal ouvrier Voice of action du 28/10/1933

Intervention de Fabienne Lefêbvre conseil National

Cher.es camarades,

Le pire dans une situation politique donnée, c’est de vouloir s’exonérer du réel !

Tout d’abord, non les Français n’ont pas voulu d’un rassemblement de la gauche, il suffisait de regarder le très haut taux d’abstention et le résultat de l’extrême droite à l’élection Présidentielle pour le savoir.

Les Français sont pragmatiques ils veulent avant tout du changement : pouvoir vivre de leur travail, sortir de la précarité, protéger les siens et la planète, alors qu’ils sont 12 millions à vivre sous le seuil de pauvreté, soit 12,46% de la population. Cet espoir de changement était seul, incarné par le vote pour la candidature communiste, portée par Fabien Roussel, et le programme des Jours Heureux.

D’ailleurs, les médias au service de la classe dominante, ne s’y sont pas trompés, servant en non-stop, la soupe à une nouvelle forme de sociale démocratie communautariste et populiste, qui ne cesse de s’adapter au système !

Adaptable jusqu’aux trahisons dont elle est coutumière, méprisant ses partenaires qu’elle maltraite jusqu’à les contraindre dans un accord de circonstance, en niant de faite, le poids réel du PCF pour mieux l’effacer !

La mascarade institutionnelle atteignant son paroxysme avec une supposée cohabitation, qui n’aurait apportée aucune réponse à la crise du capitalisme, rejouant le scénario de la pédagogie du renoncement, ce qui aurait été de nouveau mortifère pour les travailleurs !

Le peuple de gauche, a donc déserté les urnes, parce qu’il sait, que l’espoir ne passe pas par les rassemblements d’en haut et les états-majors déconnectés des luttes. Il ne veut pas d’une énième union de type lutte des places, il ne veut pas de rassemblement de façade, il cherche en réalité une organisation capable de le rassembler pour ses intérêts de classe, dans le seul but de changer ce système.

Croire que la NUPES, pouvait, ou pourrait, répondre à cette inspiration de changement radical, quand on sait que le capitalisme n’est pas réformable, est donc un leurre.

Le deuxième tour des législatives est alors sans appel, l’abstention culmine, Macron est certes affaibli, mais la droite et l’extrême droite restent dominantes, cette dernière progressant dangereusement avec 89 fascistes, faisant rentrer ainsi, la peste brune à l’Assemblée, et la gauche reste beaucoup trop faible. La bourgeoisie peut donc dormir tranquille !

Dans ce clair-obscur, et grâce à la très belle campagne de terrain pour la présidentielle, qui a été un point d’appui essentiel pour les législatives, nous conservons un groupe renforcé à l’Assemblée, c’est une bonne chose pour le relais des luttes, mais il doit impérativement garder son autonomie, sa capacité d’action propre et être force de propositions.

Néanmoins, le Parti en contractant cet accord qui l’a soumis et le contraint, a aussi perdu en visibilité dans de trop nombreuses circonscriptions, ce qui de facto, va nous mettre en difficulté pour les élections futures.

C’est pourquoi, si le Parti veut s’adresser réellement aux classes populaires qui s’abstiennent, dans un contexte d’accélération de la décomposition du capital et des guerres impérialistes en cours, il doit se redonner les moyens de porter une véritable analyse de classe, sur les grandes questions qui concernent le monde du travail, la ré-industrialisation, les modes de productions, la souveraineté énergétique…mais aussi sur le devenir de l’humanité, et de la paix dans le monde, paix menacée par l’OTAN, véritable bras armé de la classe dominante.

Tout cela, doit être au cœur de nos prochains débats, afin de redonner les outils indispensables au combat idéologique, qui nous permettrons de porter un véritable projet de société en rupture avec le capitalisme, d’autant que cette période qui s’ouvre sans élection, nous libèrera du temps, loin de l’écueil des manœuvres électoralistes.

Cela nous permettra de nous reconcentrer sur l’essentiel, sur nos batailles pour l’emploi et le pouvoir d’achat, mais aussi sur notre organisation, son renforcement, et son développement, notamment au travers des cellules d’entreprises, l’ouverture des travaux du Congrès devrait nous y aider, donnons-nous, donc le temps du débat et de l’élaboration collective, pour un 39ième Congrès qui soit à la hauteur des défis qui nous sont posés, tant pour notre peuple, que pour notre Parti !

Fabienne LEFEBVRE
Membre du Conseil national
Membre du Comité exécutif national


Les grandes manoeuvres en vue du futur congrès du PCF sont donc lancées



Les propos de M. Eric Coquerel, après ceux de Mme Mathilde Pannot et de MM Corbière et Quattenens tirant tous, avec les mêmes éléments de langage, sur Fabien Roussel pour le qualifier de détestable réac, sont intéressants car ils définissent une stratégie et une tactique communes, celle choisie par le lider maximo du mouvement populiste gazeux.

N’attendant même pas d’avoir quitté la table du festin dont ils étaient les invités, après avoir échoué ( en partie) dans leur OPA sur le journal L’Humanité et sa fête, ils attaquent aux orgues de Staline, avec une goujaterie certaine, le dirigeant du Parti qui est l’initiateur et le bâtisseur de cet immense rassemblement populaire et qui est force invitante.

La France insoumise refuse donc le débat démocratique nécessaire entre forces de la NUPES sur un sujet décisif, la place du travail dans le projet de transformation politique, économique et sociale.

Pas la peine de discuter de leurs menteries grossières (comme on disait du temps de Molière) sur les propos de F. Roussel, Il faut être un grand, un immense benêt pour croire que son projet est d’attaquer les titulaires du RSA et de supprimer les allocations familiales !

Je rappelle à ces innocents que la volonté d’un travail pour tous est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, celle issue du programme du ( vrai) CNR : “Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances” (5e alinéa).

Donc , nul besoin ici de revenir sur les dizaines de milliers de textes qui expliquent et entérinent l’importance du travail dans l’évolution psychologique ,sociale, sociétale des individus.

Non, ce qui est important c’est de mettre à jour le sens de l’offensive. A mon sens, c’est un fusil à plusieurs coups.

Tout d’abord le but principal de l’opération est d’influer sur la ligne et le choix des dirigeants du prochain congrès du PCF.

Comme une frustration de ne pouvoir le faire chez eux ( de congrès que nenni).

Ils jouent donc de tous feux, y compris la falsification des propos de F. Roussel désormais clairement estampillé adversaire.

Mais pour ceux qui suivent un peu la politique ,cette recherche des noises à tous prix a émaillé toute la campagne des Présidentielles.

Ils ameutent pour rassembler à l’extérieur du PCF mais aussi à l’intérieur de l’organisation pour changer sa ligne de retrouvailles avec la réalité sans faux semblants et mises sous le tapis des problèmes.

La deuxième cible est le député insoumis François Ruffin qui ne dit rien de différent sur ces questions que Fabien Roussel.

Dans ce coup de billard à plusieurs bandes, JLM et le groupe qui l’entourent trouvent depuis longtemps que F. Ruffin ne se prosterne pas assez devant les affirmations et retournements idéologiques du Lider Maximo et que sa popularité fait de l’ombre.

Les grandes manoeuvres en vue du futur congrès du PCF sont donc lancées , avec une violence ad hominem contre celui qui incarne une ligne autonome et unitaire.

Une ligne loin de toute génuflexion envers un sauveur suprême autoproclamé.


Travail ou chômage : Laurent Brun donne son opinion et se positionne...



Au delà des polémiques stériles et pas intéressantes, ce débat est presque aussi vieux que le mouvement ouvrier. Et il éclaire une partie du clivage entre réformistes et révolutionnaires. Les uns voulant « aider », les autres voulant « résoudre ». Le clivage n’est pas forcément indépassable car il peut y avoir des alliances objectives entre les deux (et il y en a eu plein dans l’histoire sociale de notre pays).

Ce n’est donc pas parce qu’il y a confrontation d’idées, que des alliances sont impossibles. Mais il est toujours utile de clarifier le point de vue révolutionnaire, pour éviter les usurpations, les fourvoiements ou les impasses.

Je n’ai pas la prétention de définir le point de vue révolutionnaire. Mais je vais essayer d’en dire ce que j’en comprend pour contribuer à la réflexion collective.

Les militants ouvriers se sont toujours battus pour le salaire, c’est l’élément central de l’affrontement capital/travail. Il s’agit bien sûr d’obtenir un salaire qui permette de vivre dignement (pouvoir se loger, manger correctement, se vêtir, se soigner, accéder au transport, etc…) mais pas seulement. Il s’agit de récupérer tous les fruits de notre travail donc avoir les moyens de vivre le mieux possible, notamment en accédant à des choses que les capitalistes voudraient nous faire concevoir comme superflus (le confort, la qualité des produits consommés, l’accès à la culture, au sport, aux loisirs, au temps libre, le droit aux vacances, etc…).

Par conséquent, même quand on se bat pour une protection face à des situations spécifiques (maladie, vieillesse, chômage), on défend un revenu de remplacement complet, financé par les cotisations sociales, plutôt que des aides diverses.

De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. C’est universaliste et maximaliste.

Au passage, on défend aussi la gestion ouvrière de ces sommes : puisque le salaire appartient au salarié, c’est à lui seul de gérer la partie qu’il socialise pour couvrir les risques de la vie.

Mais alors pourquoi revendiquer un travail pour tous ? Pourquoi ne pas juste demander un revenu pour tous (universel, de base, d’existence) déconnecté du travail ?

L’argument souvent utilisé c’est la productivité énorme générée par les nouvelles technologies qui réduirait drastiquement le besoin de travail humain et donc qui imposerait d’accepter la privation de travail d’une partie de la population. Par effort de justice on créerait donc un revenu pour les inactifs.

Mais le chômage n’est pas lié aux progrès techniques. Le chômage de masse n’apparaît pas avec l’invention de la machine à vapeur ou de l’ordinateur. Le chômage est une construction économique lié à une mauvaise allocation des ressources guidée par la profitabilité. Le chômage de masse apparaît avec l’accélération de l’exploitation du travail, issue des politique néolibérales des années 70.

Si ce n’était plus la profitabilite qui guidait la répartition du travail alors on pourrait le partager en réduisant le temps de travail, on pourrait changer la nature des productions (disparition du luxe mais réponse aux besoins sociaux comme les emplois dans les hôpitaux, les écoles…), on pourrait re-localiser les productions, etc. L’accès à un travail pour tous serait une réalité.

Donc il faut s’attaquer à l’organisation du travail et à sa répartition. C’est pour cela que les communistes proposent la sécurité d’emploi et de formation.

Pour moi, le salaire pour tous, c’est ceux qui veulent « aider ». L’emploi pour tous, avec un bon salaire, c’est ceux qui veulent « résoudre ».


Pour terminer, ceux qui défendent les allocations existantes, ne sont ni ceux qui veulent « aider », ni ceux qui veulent « résoudre ». Ils sont de droite et défendent une logique de charité : on ne donne pas assez pour vivre car le bénéficiaire doit avoir honte de sa situation. Quand le RSA est créé (promu par Martin Hirsch et mis en place par le gouvernement Fillon/Sarkozy), ce n’est pas par souci de justice sociale, ce n’est pas pour sortir de la misère les gens en situation de chômage total ou partiel, et ce n’est pas à la suite d’une lutte qui leur aurait imposer un compromis.

Le 1er avril 2021, le RSA socle s'élève à 565,34 euros pour une personne seule. Qui peut imaginer qu’on peut vivre correctement avec ça ??

Il ne s’agit pas de le supprimer à ceux qui en bénéficient. Il s’agit de dire que ça ne peut représenter en RIEN un horizon ou une situation acceptable.

Les communistes proposent la sécurité d’emploi et de formation. 

Autrement dit, on met en œuvre le droit au travail de 1871, inclus dans notre Constitution mais jamais appliqué. Chacun a le droit à un travail stable et bien rémunéré, et pour faire face aux restructurations technologiques sans passer par le mécanisme du chômage, on crée des transitions par des périodes de formation qui n’interrompent ni le salaire, ni l’acquisition et le maintien des droits liés au travail. Ce n’est pas suffisant pour transformer complètement la société. Mais c’est nécessaire.

Et ça ne veut pas dire qu’on attend cela en laissant mourir les chômeurs. On se bat à leurs côté contre la réforme de l’intermittence, contre la réforme de l’indemnisation chômage, etc… en revanche notre action ne s’arrête pas là. Notre ambition va au delà.

Il me semble que c’est le débat que veut lancer Fabien Roussel. Et personnellement je me retrouve plutôt bien dans la gauche du travail.

Laurent Brun Publié sur sa page Facebook

Faisons de la nouvelle édition de la Fête un événement exceptionnel de la rentrée politique






Les 9, 10 et 11 septembre prochains, tous à la  fête de l'Huma.

Cela repose beaucoup sur chacune et chacun d’entre nous.

Avec bien sûr, un nouveau site et un beau défi à relever pour les équipes de la fête et pour les militants, bâtisseurs et animateurs de la fête pendant tout son déroulement.

Avec également, un contexte de crise très préoccupant par la multiplicité de ses formes : crise économique, sociale, crise climatique, crise énergétique, alimentaire … et par la violence de ses conséquences pour notre peuple et pour le pays.

Avec enfin, un contexte politique issu des élections présidentielle et législatives et l’ambition de Macron de mettre en œuvre son projet dans le cadre d’une recomposition de l’Assemblée nationale, où la gauche a renforcé sa présence avec la coalition de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, mais où les forces de droite et d’extrême droite disposent de 3/4 des sièges.

D’ores et déjà, nous avons lancé notre campagne d’été pour répondre aux urgences du pays, avec les matériels militants du parti, dont celui pour la défense du pouvoir d’achat et l’augmentation des salaires.

Sur ce sujet, les parlementaires communistes sont à l’offensive, à l’Assemblée et au Sénat.

Et plus que jamais, l’intervention et la mobilisation populaire vont être décisives.

Elles sont incontournables pour construire, dans le même mouvement, les conditions solides et durables d’une alternative politique de gauche, qui s’attaque enfin aux causes de cette crise multiforme du capitalisme.

De nombreuses luttes se déroulent en ce moment même dans les entreprises et les services publics, parfois avec des succès, avec l’exigence qu’un projet politique leur donne des perspectives.

Et les communistes ont une grande responsabilité dans cette période pour nourrir cette intervention populaire, pour donner confiance au mouvement social, pour mener la grande bataille d’idées qui permette de renouer avec la perspective d’un véritable changement de majorité et de politique. Face aux idées de renoncement, aux projets de division et de haine, remettons dans les têtes les idées révolutionnaires et ce bel horizon des Jours heureux !

Dans ce contexte, la fête de l’Humanité, premier événement politique de la rentrée, a évidemment une importance toute particulière.

Adressons-nous largement aux syndicalistes, aux progressistes, aux citoyen·nes qui s’interrogent sur l’avenir de notre société, à toutes celles et ceux que nous avons rencontrés pendant la campagne de la présidentielle et des législatives, à participer à la Fête de l’Humanité au Plessis-Pâté / Brétigny-sur-Orge.

Ils y partageront des moments de fraternité comme nulle part ailleurs, des temps de débat politique très riches, participeront directement à la construction de ce rassemblement populaire agissant pour résister et pour que la gauche devienne enfin majoritaire dans le pays.

Et évidemment, ils pourront assister à des évènements musicaux de qualité, avec un plateau encore une fois exceptionnel.

Pour ces raisons, j’appelle chacune, chacun à œuvrer pour faire de cette nouvelle fête une grande réussite populaire et politique.

Cela passe dans un premier temps par acheter et faire acheter le bon de soutien à la fête à 35 euros, qui donne accès à ce grand événement et à faire de cet été un grand moment de rencontre et de mobilisation communiste.

Fabien Roussel

Secrétaire national du PCF

Vous pouvez dès à présent acheter 

              Les vignettes au siège de la section PCF d'Arras,

14 avenue de l'hippodrome

ou, auprès des militantes et des militants qui en assureront une large diffusion.

              Un bus est prévu pour le samedi 10 septembre 2022.


 Gratuité du transport pour les étudiants, lycéens et enfants

             Vignette 35 € + Bus 24€ = 59 €                             

                                       Départ 7h00   Béthune.
                                  Départ  7h30  Lillers.
                                  Départ  8h10  Parking de Thélus
                                  Départ de Plessis-Pâté vers 23h30 - Minuit

                                                   contact:

Laurent Danel          06/63/99/48/75

René Chevalier         06/75/07/39/84

☞   Pour Info: Le passe 3 jours (vignette) est de 35€ à la section du PCF d'Arras ou les militants communistes Arrageois. 

La France dans la tourmente

Par Christian_Picquet ( article très intéressant,  à débattre)

Voilà ! Maintenant que sont passés la seconde séquence électorale de l’année, le remaniement ministériel, l’installation de la nouvelle Assemblée nationale, le temps est venu de tenter d’apprécier à quel moment de la crise française nous sommes parvenus. Reconnaissons-le tout d’abord, si nous étions nombreuses et nombreux, au soir du premier tour des élections législatives, à deviner vers quelle situation convulsive nous nous dirigions, bien peu imaginaient que le verdict des urnes allait accoucher d’un authentique séisme la semaine suivante. Un devoir de lucidité s’impose face au processus qui pourrait bien venir désintégrer demain les mécanismes politiques ayant assuré, plusieurs décennies durant, une relative stabilité aux gouvernants. Non, je me dois de le préciser au vu de certains commentaires lus ces temps-ci, que la France fût devenue ingouvernable. Surtout en une période qui voit le mouvement social se débattre avec la difficulté de coordonner ses luttes et d’unir ses composantes syndicales, du fait également d’un rapport des forces politiques très déséquilibré en faveur de droites et d’extrêmes droites totalisant environ 65% des votes, l’appareil de l’État conserve en effet la capacité d’absorber des chocs de ce type, aussi violents puissent-ils apparaître à des élites qui n’avaient rien anticipé, emportées qu’elles sont toujours par leur court-termisme néolibéral. Les dispositions arbitraires que la Constitution confère au résident élyséen et à l’exécutif, d’article 49-3 en procédures d’urgence, comme les pouvoirs dévolus à une technostructure aussi fanatisée par la religion de l’argent omnipotent que soustraite à tout contrôle démocratique, restent de nature à maîtriser les turbulences, du moins à court terme. Cela dit, à tout le moins, pouvons-nous parler, à l’instar du politologue Benjamin Morel, d’une « vraie rupture depuis le quinquennat, qui a instauré une présidence impériale, avec une majorité qui ne doit son élection qu’au président élu »(L’Humanité, 22 juin 2022). Sachant que la réforme institutionnelle en question, adoptée en 2000 par un accord conjoint de Jacques Chirac et Lionel Jospin, avait été imaginée pour remédier à l’étiolement des équilibres originels sur lesquels reposait la V° République, et pour assurer le Prince d’un total contrôle sur une Assemblée ramenée au rôle de chambre d’enregistrement, on peut sans hésitation considérer que nous entrons dans un processus d’implosion des structures politiques à l’abri desquelles le système capitaliste reproduisait sa domination sur la société française. Un nouveau cycle historique s’ouvre donc, à ce point incertain qu’il convient d’en apprécier précisément les traits marquants.

DES SÉISMES IMBRIQUÉS

L’abstention vient de confirmer la désagrégation générale de tous les mécanismes de représentation. En progressant de plus d’un point sur le tour précédent (de 52,49% à 53,77%), elle signe le retrait d’une majorité du peuple français des procédures censées le doter de représentants reconnus de tous. En s’enracinant de consultation en consultation, et en se prolongeant d’attitudes similaires dans la plupart des rendez vous de la vie sociale (à commencer par les élections professionnelles), ce comportement traduit une défiance massive — voire une tendance structurante à la désaffiliation — envers les pouvoirs établis, les élus et les partis, le Parlement ou encore toutes les institutions de la démocratie politique et sociale. Il convient, à cet égard, d’en finir avec les formules usées, sur la « crise de la politique » ou la « crise démocratique », pour identifier ce qui est à la longue devenu une déconnection massive entre gouvernants et gouvernés, représentants et représentés.

Les études d’opinion montrent que ce sont les forces vives de la nation qui se sont trouvées affectées : de 71% chez les 18-24 ans et de 66% chez les 25-34 ans, la désertion des isoloirs s’est révélée majoritaire dans toutes les tranches d’âge jusqu’aux 50-59 ans (où elle s’élève à 57%), la non-participation des ouvriers atteignant 67%, celle des personnes percevant moins de 1250 euros mensuels étant de 64%, avant les cadres qui sont tout de même 54% à ne pas se déplacer. Les mêmes études laissent peu de doutes quant aux ressorts de cet absentéisme : au fil d’alternances n’ayant amené aucun changement des orientations mises en oeuvre à la direction du pays, et singulièrement depuis le référendum trahi de 2005 sur le projet de Constitution européenne, les Françaises et les Français ont manifestement acquis le sentiment que les marchés ont accaparé la réalité du pouvoir, que la citoyenneté n’est plus que l’alibi de la dépossession de leur souveraineté, que la nation n’est plus le cadre de l’exercice de cette dernière, que les diktats néolibéraux régissant l’Union européenne n’ont cessé d’anéantir leurs capacités de maîtriser leur avenir, et que le suffrage universel n’est dès lors plus qu’un leurre déformant leurs attentes et les privant d’espoir en un avenir meilleur.

La déroute infligée au président de la République et à ses partisans marque l’ouverture d’une crise de régime. Elle revêt une dimension véritablement sismique. Jamais, depuis 1958, l’hôte de l’Élysée n’avait été éloigné de 43 sièges de la majorité absolue au Palais-Bourbon : s’il manquait, par exemple, une quinzaine de voix à Michel Rocard, locataire de Matignon sous la présidence de François Mitterrand en 1988, il n’en disposait pas moins de réserves possibles pour faire adopter, au gré des circonstances, ses textes législatifs ; rien de comparable avec la configuration présente…

Traitant avec la plus grande désinvolture l’échéance législative, feignant de croire que son projet de casse sociale et de régression démocratique avait reçu l’approbation des électeurs le 24 avril, Emmanuel Macron a ignoré l’ampleur du rejet dont sa politique et sa pratique du pouvoir font l’objet. Il n’a pas moins sous-estimé l’amenuisement de sa propre base électorale : au second tour des législatives de 2017, LREM et le Modem totalisaient 52% des suffrages exprimés ; cette fois, la coalition « Ensemble ! » n’en a recueilli que 39%. De sorte que notre monarque, reconduit par défaut à la faveur d’un vote motivé par la seule volonté d’une majorité de Français de faire barrage au Rassemblement national, s’il possède incontestablement la légitimité de son élection, ne dispose en revanche pas de celle qui lui permettrait de conduire sa politique sans secousses majeures, cette dernière ne disposant d’aucun assentiment populaire. Dès lors que c’est l’autorité présidentielle elle-même, clé de voûte de nos institutions, qui vient de se trouver foudroyée, je n’hésite pas à parler d’une véritable crise de régime.

Avec l’installation, sur les bancs de l’Hémicycle, d’une extrême droite n’ayant jamais compté autant de députés, c’est la République qui se retrouve en grand danger. Pour la première fois depuis son irruption sur la scène nationale, au milieu du premier septennat mitterrandien, le national-lepénisme a su capitaliser des années d’efforts pour s’implanter dans les territoires. Longtemps restées infructueuses, ces tentatives viennent d’autoriser ce courant à envoyer 89 des siens à la Chambre. « Les nouveaux députés viennent du terrain. Ils sont d’ailleurs mis en avant comme des personnes proches du ‘’peuple’’ », souligne très justement Valérie Igounet (L’Obs, 23 juin 2022). Sa progression de 20% en moyenne d’un tour à l’autre, ses victoires dans 43% des duels ou triangulaires disputés par lui, l’élargissement de son implantation géographique — des terres désindustrialisées des Hauts-de-France ou du Nord-Est ainsi que de ses bastions du pourtour méditerranéen, jusqu’au sud-ouest girondin ou occitan, en passant par le Centre-Val-de-Loire — en sont le résultat.

Sans doute, l’incroyable cynisme de la Macronie, se dérobant à tout appel clair à battre l’extrême droite là où elle était confrontée à la gauche unie, a-t-il oeuvré au bénéfice des lepénistes, en faisant voler en éclats ce qu’il restait du réflexe de « barrage républicain ». Plus fondamentalement toutefois, Madame Le Pen et les siens ont su travailler, et surtout détourner au profit de leur projet d’une société d’apartheid ethnique, toutes les angoisses françaises, les souffrances engendrées par la précarité grandissante du travail, l’impression d’abandon et de déclassement largement éprouvée par des populations travailleuses reléguées loin des métropoles, la colère suscitée chez elles par la désindustrialisation comme par le retrait de la République et des services publics des territoires péri-urbains, le ressentiment diffus engendré par les pertes de souveraineté de la nation et du peuple sous les coups de boutoir de la globalisation marchande et financière, les peurs enchevêtrées face à un avenir incertain. Ce que Jérôme Jaffré traduit par ces mots : « En province, le vote du 19 juin apparaît soudain comme la transposition électorale du mouvement des ‘’Gilets jaunes’’. Le RN perce dans les départements de la ‘’France périphérique’’ : l’Eure, où il obtient quatre des cinq sièges, le Loiret, l’Aube, la Marne, la Haute-Marne » (Le Figaro, 21 juin 2022).

Il est maintenant à craindre, après les presque 42% obtenus par Madame Le Pen au second tour de la présidentielle, que ce 19 juin ait définitivement brisé le fameux « plafond de verre » qui interdisait encore à l’extrême droite d’accéder au pouvoir. Et qu’elle en retire une capacité accentuée de peser sur la recomposition de la droite qui s’amorce à peine, « Les Républicains » entrant dans un débat stratégique essentiel après avoir perdu la moitié de leur groupe au Palais-Bourbon, même s’ils ont résisté au siphonnage total tenté par la Macronie.

Pour la gauche, le chemin de la majorité apparaît encore long. L’union électorale réalisée au sein de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » a répondu à l’attente de rassemblement exprimée par le peuple de gauche, et elle a permis de repolariser un débat public que les macronistes cherchaient à résumer à leur duo avec l’extrême droite. Grâce à quoi, notre camp s’est assuré d’une présence plus que doublée dans l’Hémicycle (avec, en son sein, un groupe communiste et ultramarin renforcé, sous la présidence d’André Chassaigne). Il n’en est pas moins vrai qu’avec les 151 sièges obtenus dans l’Hexagone et en Outre-Mer, nous demeurons très éloignés de la majorité espérée. Nous ne retrouvons même pas les scores cumulés de nos candidatures du premier tour de la présidentielle, 53% de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon s’étant par exemple abstenus le 24 juin. À lui seul, le fait appelle une réflexion collective approfondie.

Plus fondamentalement, si notre coalition électorale réalise ses meilleures performances dans les centres-villes et leurs périphéries populaires immédiates (et, en premier lieu, auprès de la jeunesse des quartiers qui subit racisme et discriminations de toute sorte), ce dont on ne peut que se féliciter, elle ne parvient pas à mobiliser — ou à remobiliser — les plus lointaines périphéries urbaines ou encore les zones rurales, où se concentrent pourtant une très large partie des forces vives du pays, celles qui ne vivent que de leur travail et dont est le plus souvent parti le mouvement des « Gilets jaunes ». Cette France peuplée d’ouvriers et d’employés, de classes moyennes en difficultés, persiste à se détourner des isoloirs, lorsqu’elle ne laisse pas son exaspération s’égarer dans le vote en faveur de l’extrême droite.

Des géographes ont pourtant, de longue date, pointé le défi stratégique à relever pour les forces progressistes : la contre-révolution néolibérale a conjugué creusement des fractures sociales, réorganisation de l’outil productif aboutissant à la fragmentation extrême du salariat autant que de ses statuts, et remodèlement de l’organisation territoriale du pays. Christophe Guilluy, pour ne prendre que lui, a cherché à mettre en lumière ce qu’il nomme un « brouillage de classe parfait », sous les auspices de la métropolisation d’une partie de l’Hexagone : « Le processus de concentration des emplois qualifiés, des cadres et des revenus dans les plus grandes villes, et inversement la fragilisation économique et sociale de la France périphérique contribuent à accentuer les inégalités entre les deux France » (in Le Crépuscule de la France d’en haut, Flammarion 2016).

Sans reconquérir ces territoires abandonnée par la République et où le mouvement ouvrier a considérablement perdu en influence, aucune majorité politique ne pourra être retrouvée. C’est dire, n’ayons aucune pudeur à le reconnaître, que divers discours et positionnements au sein de la Nupes durant la campagne — je pense, entre autres, à la sortie de Jean-Luc Mélenchon, « la police tue », qui ne permettait en rien de poser les questions du contrôle de l’activité policière et de la lutte contre des bavures intolérables, beaucoup la ressentant comme la caricature du discours « antiflics » cher à une certaine extrême gauche — ont constitué d’incontestables obstacles dans le travail de conviction d’hommes et de femmes dont l’intérêt eût été d’appuyer la gauche réunie pour ce scrutin.

PAGE D’HISTOIRE NOUVELLE

Ce n’est pas faire preuve d’un catastrophisme déplacé que de considérer qu’une semblable précipitation d’événements, faisant basculer l’ordre politique d’une des principales puissances de la planète, et annonçant en son sein une instabilité comme elle n’en avait pas connue depuis quelque six décennies, tourne une page de notre histoire collective. À bien y regarder, deux crises majeures s’enchevêtrent, celle du mode international d’accumulation du capital et celle des institutions politiques du capitalisme français.

On ne peut, à cet égard, ignorer que les bouleversements français surviennent à un moment où l’économie transnationalisée et financiarisée connaît, sur fond de catastrophe écologique et d’aiguisement de ses contradictions intestines nous rapprochant d’une récession et d’un nouveau krach, un mouvement de réorganisation appelé à s’intensifier dans la prochaine période. Sous les impacts successifs des maelströms financiers de 1997, 2000 et 2008, puis de la pandémie du Covid-19, tous les dogmes du néolibéralisme ont fini par voler en éclats. Tant le mirage de l’unification du monde par des marchés prétendant dépasser le cadre des nations, que le retrait de l’État de ses missions sociales, ou encore la gestion monétaire confiée à des banques centrales rendues indépendantes, sans parler de l’exigence de rendements financiers sans cesse plus déconnectés des économies réelles et de la production, ont mené l’humanité au bord du gouffre.

L’économiste Robert Boyer, bien que l’on pût sans doute discuter ses thèses, n’en aborde pas moins avec pertinence ce changement de donne, soulignant que la mise à l’arrêt de l’économie par la toute proche épreuve sanitaire « a mis à mal la plupart des arrangements institutionnels et les règles qui assuraient, sans qu’on en prenne conscience, une coordination efficace : la sécurité sanitaire, la confiance dans les autorités publiques, la prévisibilité des marchés, les complémentarités sectorielles, la synchronisation des temps sociaux — école, transport, travail, loisir — un cadre juridique qui définit les responsabilités des décideurs en situation d’incertitude radicale. Ce sont autant de variables qui dépassent le seul champ économique » (in Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte 2020).

Avec pour horizon la recherche de nouveaux paradigmes de développement, les plus grandes puissances s’engagent dans des affrontements d’immense ampleur pour imposer leur leadership dans les relations internationales et accoucher de nouvelles hiérarchies de dépendance entre firmes multinationales, États, ensembles géopolitiques. La mondialisation hier réputée heureuse cède, dans ce contexte, la place à une « fragmentation » de l’ordre du monde, pour reprendre l’expression du Fonds monétaire international lui-même, les conflits militaires s’emparant de régions entières et la guerre redevenant une issue possible à des dérèglements d’une ampleur inégalée depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Ce grand chamboulement a un impact direct sur un pays dont la classe dirigeante se voit appelée à résoudre l’épineuse équation du renouvellement de l’insertion du capitalisme français dans une économie mondiale en pleines convulsions. Les mandatures de François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou François Hollande l’avaient vu tenter de convertir la France au catéchisme de la dérégulation et chercher à disloquer le « pacte de la Libération » ayant refondé notre matrice républicaine à partir des principes d’égalité et de solidarité nés de la lutte contre l’occupant hitlérien. Elle s’était appliquée à engager la nation dans la voie d’un fédéralisme européen consacrant la prédominance simultanée des marchés financiers et d’une puissance allemande ayant acquis les moyens d’une hégémonie synonyme de généralisation à tout le continent de son modèle ordolibéral.

Ces tentatives n’ayant remporté que des succès limités aux yeux des milieux d’affaires, Emmanuel Macron avait alors tenté une opération césariste à partir de 2017. Cette dernière consistait, à marche forcée, à plier l’Hexagone aux règles de la globalisation libérale, à accoucher d’une société fonctionnant à l’image d’une entreprise dans le mythique « système californien », à faire éclater la structuration politique traditionnelle du pays dans le but de former autour du premier personnage de l’État un bloc bourgeois où se retrouveraient les gagnants de ce capitalisme émancipé d’entraves juridiques et sociales devenues insupportables à la finance. Elle visait, sur cette base, à faire émerger un régime autoritaire, s’affranchissant de toute recherche de compromis avec les forces sociales et les « corps intermédiaires ». Bref, il s’agissait d’accoucher d’une démocratie sous contrôle, atrophiée, dépossédant la collectivité citoyenne de la possibilité de peser sur les politiques publiques. Cet assaut se brisa à son tour sur la secousse des « Gilets jaunes », la mobilisation syndicale exceptionnelle en défense de la retraite par répartition, et la menace sanitaire.

LES ATTENTES BAFOUÉES DU PAYS

De sorte que c’est sans projet à même de réunifier les diverses fractions possédantes face aux défis d’un monde se reconfigurant à très grande vitesse, que le clan aux manettes aborda la séquence électorale de 2022. Le flou savamment entretenu par l’occupant du Trône sur sa vision de l’avenir en a été la marque. Nos compatriotes n’en perçurent qu’une promesse de sang et de larmes, la communication présidentielle ayant surtout laissé transparaître la volonté d’allonger l’âge du départ à la retraite, le mépris royal affiché pour la question salariale, le refus d’apporter une réponse à la hauteur du démantèlement de ces deux services publics clés que sont l’école et la santé, l’inexistence de la moindre volonté de remédier à la désindustrialisation des territoires ou aux pertes de souveraineté de la France en matière énergétique ou alimentaire, ou la menace d’un retour à l’orthodoxie budgétaire alors qu’un nombre grandissant de familles voient leurs niveaux de vie terriblement grevés par l’inflation.

Cette posture visait clairement à obtenir le soutien de l’électorat fidèle au macronisme et à arracher le soutien d’un pan entier de l’électorat conservateur, celui dont le président sortant affichait l’ambition de priver le parti des « Républicains ». Elle n’en heurtait pas moins de front les attentes et les peurs du pays profond, autrement dit de sa très grande majorité. Au coeur de la crise française, s’enracinent dans les consciences des perceptions de la situation qui rendent explosive la prochaine période.

L’évanouissement de plus en plus prononcé des identités de classe, qui vertébrèrent si longtemps les confrontations politiques et sociales, pour leur substituer un individualisme consumériste par définition porteur d’inégalités et de mises en concurrence des êtres humains, a tout d’abord mis en relief la perte de dignité autant que le déchirement des liens sociaux, qu’éprouve cruellement la population travailleuse. Ce fut, on le sait, la racine du phénomène des « Gilets jaunes », et c’est également ce qui aujourd’hui creuse les divisions et attise les ressentiments entre des hommes et des femmes que tout devrait amener à se réunir pour réagir aux injustices dont ils font l’objet.

Ici encore, c’est Christophe Guilluy qui porte le bon diagnostic : « La réalité urbaine des petites villes et des villes moyennes n’a rien de commun avec celle des grandes métropoles. Tous deux ‘’urbains’’, le bobo parisien et l’ouvrier de Dunkerque ne vivent assurément pas dans la même société. En revanche, l’ouvrier de Dunkerque partage avec le rural du département de l’Orne une même vision des effets de la mondialisation, une même insécurité sociale » (op.cit.). Ce recul des solidarités alimente la tentation de retourner un sentiment massif de déclassement ou de relégation contre telle ou telle catégorie de population. Il est évidemment pain bénit pour des forces qui s’épanouissent quand les haines s’aiguisent et quand le racisme flambe.

Le besoin de protection, devant les difficultés de la vie et un avenir semblant s’assombrir de jour en jour, ne trouve pas davantage de réponse la part du bloc aux affaires. Ce qui n’a rien d’étonnant : le néolibéralisme organise en effet soigneusement la déliquescence de l’État et sa soumission aux besoins du capital, ce qui se concrétise par la privatisation de ses missions jusque dans les domaines régaliens, ou encore par l’asphyxie des libertés sous l’emprise croissante des géants du numérique sur la vie sociale et culturelle. Un processus qui va de pair avec sa colonisation par une haute technocratie indifférente à l’intérêt général qu’elle est théoriquement censée servir. Cette rupture avec la nation citoyenne est à ce point ressentie à très large échelle, et elle est si porteuse de confusion, que se mêlent désormais étroitement dans les esprits l’aspiration à l’égalité réelle et une immense panique devant le futur, le désir d’accéder à des libertés étendues et l’attente diffuse d’un retour à l’ordre, le souci de justice en faveur de quiconque subit ségrégation ou atteinte à sa dignité et l’exigence de tranquillité publique dans des villes ou des quartiers que leur abandon livre aux incivilités, aux violences et aux mafias.

Le préfet Gilles Clavreul identifie parfaitement l’engrenage : « Dans notre pays, qui plus que tout autre procède historiquement de l’État, le désarroi collectif est pour une large part le fruit de son retrait progressif, comparable à celui d’un acteur dont la silhouette s’efface de la scène. Le nouveau mythe d’une société entièrement autonome, délivrée de la contrainte physique autant que de la narration première qui la légitime, est plus angoissant à vivre pour nous Français que pour tout autre peuple, sauf peut-être pour celles des catégories de la population qui peuvent aisément se projeter dans le nouveau paradigme, c’est-à-dire les élites. » Et d’ajouter que ce mouvement a « frustré et démuni un corps social privé de références et de nourritures symboliques, en particulier au sein des classes populaires (…), engendrant un prévisible et implacable désir de retour à l’ordre ; et elle a libéré des forces spirituelles qui n’étaient qu’anesthésiées, et qui à peine sorties de leur hibernation se sont engouffrées dans la brèche identitaire, devenue une béance » (in Dans le silence de l’État, Éditions de l’Observatoire 2021).

L’atrophie de la démocratie devient également une source d’exaspération grandissante pour un peuple dont la relation à la politique et l’attachement à la souveraineté ont constitué le fil rouge des innombrables soulèvements civiques qui se sont égrenés depuis la Grande Révolution. L’hyper-présidentialisation à laquelle nous avons assisté au fil du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, un autoritarisme grandissant à mesure que le peuple se cabrait devant des décisions s’attaquant brutalement à ses droits comme à ses conditions d’existence, la volonté élyséenne de faire exploser les partis traditionnels et de contourner les élus des territoires ont eu pour effet de révéler au pays la réalité d’un régime n’ayant pour seul objectif que de protéger l’oligarchie possédante. Cela se traduit dorénavant en cet abstentionnisme de masse que nous venons encore de voir à l’oeuvre, en votes-sanctions prenant par surprise des pouvoirs imaginant toujours que les citoyens ont sombré dans l’apathie, ou en explosions sociales qui n’ont cessé de gagner en intensité ces dernières années.

Même un Marcel Gauchet, à sa manière, identifie une fracture qui n’a cessé de se creuser : « Emmanuel Macron a obtenu une majorité écrasante au Parlement (en 2017, c’est moi qui précise), mais elle n’a produit qu’un Parlement effacé (…). On a beaucoup dit que la V° République avait abaissé le Parlement. C’est vrai, mais il n’en continuait pas moins de jouer jusqu’à présent un rôle très important dans la vie politique. Sous Macron, il ne joue plus ce rôle et c’est un manque. Il n’y a plus de lieu de la délibération publique ; il y a un renforcement de la décision politique mais sans discussion politique dont le Parlement fournissait malgré tout un contrepoint » (in Macron, les leçons d’un échec, Stock 2021). Sans doute, touche-t-on ici la racine du comportement de l’électorat aux dernières législatives, refusant au chef de l’exécutif de lui accorder une majorité de députés et manifestant de cette manière une claire volonté de le priver de la totalité des pouvoirs.

Ce dernier trait fait écho à un imaginaire national battu en brèche par une globalisation décrétant la fin des États-nations et de leur souveraineté, ne jurant que par le libre-échangisme intégral, poussant les feux de la désindustrialisation comme de la désintégration d’une Éducation nationale désormais privée de réels moyens de reproduire le creuset français autour de ses valeurs fondatrices d’égalité et d’universalisme, organisant la rétraction de l’ambition culturelle par laquelle un peuple réalise son unité et fait de sa diversité une richesse. Or, de par l’histoire, et quelles qu’aient été les heures sombres de cette dernière, les Françaises et les Français ont régulièrement cherché à se construire un destin collectif. Non pour se figer dans un nationalisme replié sur lui-même, même si la pulsion en a existé à diverses périodes, mais le plus souvent pour affermir la communauté des citoyens loin des communautarismes délétères, et pour tenir au monde le discours de l’universalité des droits, de l’émancipation humaine et des coopérations solidaires. Ce à quoi se référait Jean Jaurès lorsqu’il évoquait le « génie français ».

Ni du côté des classes dirigeantes, ni de celui d’une gauche et d’un mouvement ouvrier ayant parfois cédé à l’illusion d’un univers « post-national », il n’y a été apporté de réponse. Soit, à droite et du côté des néolibéraux, en s’employant à convaincre l’opinion que la France ne serait plus qu’une « puissance intermédiaire » à laquelle il ne resterait plus pour option que l’intégration à un « camp occidental » placé sous direction des États-Unis. Soit, pour une partie de la gauche au moins, en oubliant qu’un internationalisme bien compris commence par un combat de chaque instant pour opposer au nationalisme belliqueux une vision citoyenne, laïque et pacifique de la nation. Avec pour conséquence funeste la montée en puissance des identitarismes de régression, comme le relève le politologue Stéphane Rozès : « Les peuples réagissent à la dépossession de la maîtrise de leurs destins en faisant remonter le caractère archaïque de leurs imaginaires » (in Quelles institutions pour demain ? Colloque de la Fondation Res Publica, 22 septembre 2021).

1958-2022

Il m’est arrivé récemment, à l’occasion d’un échange, d’oser cette appréciation en forme de mise en garde : « Nous sommes en 1958 ! » Il va de soi que je n’imaginais pas, par ces mots, assimiler deux contextes à tout point de vue dissemblables. La chute, voici plus de soixante ans, d’un régime parlementaire miné par son impuissance à faire entrer l’économie française dans la « modernité » du règne des grands monopoles industriels et financiers, la volonté des fractions dominantes de la bourgeoisie de régler leurs comptes aux groupes d’influence jugés archaïques et paralysants pour les pouvoirs en place, le besoin de sortir des aventures colonialistes et d’une guerre d’Algérie devenues incompatibles avec le nouvel âge du capitalisme ne ressemblent en rien à l’époque actuelle. Sauf sur un point : ce que recouvre la crise au-delà de ses apparences immédiates.

En juillet 1958, Cornelius Castoriadis cherchait à désigner les turbulences affectant en profondeur le système, alors très mal comprises de la gauche, en écrivant : « La crise des institutions politiques, c’est le fait que la bourgeoisie n’arrive plus à gérer la société à son profit de façon relativement efficace et cohérente (…). Mais cette crise, à son tour, n’est pas autonome ; elle n’est que l’expression, sur le plan politique, d’une crise beaucoup plus générale et profonde, d’une véritable crise de structure affectant tous les aspects de l’organisation de la société capitaliste française » (in La Société française, 10/18 1979). Nous sommes à peu près, dans les conditions particulières de 2022, devant un semblable tournant de situation.

Toute notre histoire contemporaine l’atteste, dès lors que les classes dirigeantes ne trouvent pas d’issue à une gageure de cette dimension par les voies habituelles de l’action politique, c’est vers le recours à des formules autoritaires d’exception qu’elles s’orientent. C’est généralement dans le bonapartisme qu’elle recherchent un débouché à même d’installer un nouvel ordre politique et de déterminer un autre équilibre entre les forces dominantes. Deux figures polarisent ainsi les confrontations politiques depuis plus de deux siècles : celle de Robespierre, symbole de l’irruption, sur le devant de la scène, des forces populaires qui cherchent régulièrement à bousculer les privilèges de la naissance et de la fortune ; et celle de Bonaparte, dont les émules prétendent toujours s’ériger au-dessus des classes en belligérance et rallier diverses fractions en déshérence de la société, afin de sortir d’états de paralysie institutionnelle au moyen de solutions musclées plus ou moins respectueuses de l’État de droit. En 1958, à l’avantage des secteurs dominants du capitalisme français, c’est au général de Gaulle qu’il revint d’endosser ce rôle de sauveur auto-proclamé, s’appuyant dans un premier temps sur l’état-major de l’armée d’Algérie pour perpétrer le putsch qui allait l’installer à la tête de l’État, avant de se débarrasser de ses encombrants alliés pour mieux instaurer la monarchie présidentielle telle que devait ensuite la constitutionnaliser la V° République.

Voici plusieurs années déjà que nous sommes entrés dans un moment bonapartiste. Successivement, Nicolas Sarkozy puis Emmanuel Macron postulèrent à la fonction, avec pour objectif affirmé de donner un nouveau cap au système, de redéfinir un bloc dominant à même de diriger le pays en l’assurant d’une majorité politique stable, et de vaincre durablement la résistance du corps social aux projets de remise en cause de ses principaux acquis. Que l’un et l’autre de ces présidents aient échoué, et que l’actuel tenant du titre viennent même de subir une déroute électorale sans précédent sous ces institutions, ne signifie nullement que la menace fût écartée.

L’ENGRENAGE FATAL DE LA BONAPARTISATION


Si l’on en cherchait une confirmation, la bonapartisation présente de notre théâtre politique l’apporterait. Car la tripartition dont a accouché le premier tour de l’élection présidentielle n’a pas fait émerger trois forces disposant de cohérences équivalentes, comme l’ont écrit un peu vite nombre de commentateurs, elle a plutôt cristallisé des phénomènes électoraux autour de trois personnages captant les suffrages de deux électeurs sur trois. Sur fond d’abstentionnisme record, la vie publique s’en est trouvée un peu plus dévitalisée, l’électorat qui continue de se rendre aux urnes déterminant ses comportements à partir du seul impératif de « voter utile », et non des projets en présence dans la compétition. De ce fait, loin d’avoir initié une recomposition de grande ampleur, cette nouvelle donne a, en réalité, fait considérablement reculer l’exigence d’une citoyenneté active et éclairée.

La lucidité nous impose d’en conclure que le Rassemblement national peut demain en être le grand bénéficiaire. Parce que le vote en sa faveur se révèle de plus en plus motivé par l’adhésion à son projet. Parce qu’il sait à merveille détourner les angoisses d’un très large pan de la société, utiliser à son profit le discrédit de la politique traditionnelle auprès de millions d’hommes et de femmes, et couvrir d’un vernis prétendument social son programme de haine et de division du pays. Parce que la vigilance démocratique s’est encore affaissée cette année, lorsque une part conséquente des électeurs de la droite traditionnelle et du parti macroniste en est venue, au second tour des législatives, à préférer les candidats lepénistes à ceux de la gauche unie. Parce que, pris au milieu d’une tourmente dont il ne voit pas comment s’extraire, un pouvoir minoritaire se montre tenté par des manoeuvres de conciliation avec l’extrême droite, pour faire adopter certaines de ses lois à l’Assemblée. Étape après étape, ses récents succès électoraux lui conférant une crédibilité grandissante, le parti d’origine fasciste qu’est le RN pourrait donc bien, si rien ne vient arrêter sa marche conquérante, se transformer en une force fonctionnelle à un débouché bonapartiste de la crise française.

Voilà, par conséquent, la gauche confrontée à un enjeu dont, pour certaines de ses composantes du moins, elle ne prend manifestement pas la mesure. Certes, je l’ai dit, la coalition électorale formée par Europe écologie-Les Verts, La France insoumise, le Parti communiste français et le Parti socialiste a réalisé l’exploit — inattendu des médias — de revenir au centre du jeu politique, redonnant du sens au clivage entre droite et gauche. Bien sûr, son programme partagé, quoique de nombreux points fussent toujours à clarifier, a écarté la tentation, récurrente au fil des décennies passées, de capituler devant la pression des marchés financiers. Sans doute, l’espoir a regagné ces hommes et ces femmes qui ont persisté ces dernières années, contre vents et marées contraires, à revendiquer leur appartenance à notre camp social et politique.

DÉFI VITAL POUR LA GAUCHE

Pour autant, nous n’en demeurons pas moins minoritaires, peu entendus de cette partie de la France travailleuse sans laquelle il nous sera impossible de conquérir une majorité politique. Nous venons de le voir avec une ampleur inégalée, ces salariés, ces ouvriers et ces employés, ces agents des services publics, ces membres de la classe moyenne subissant eux aussi la dégradation de leurs conditions d’existence, ces chômeurs, ces agriculteurs, ces petits entrepreneurs et artisans saignés à blanc par les donneurs d’ordre ou les banques, se défient de la politique, lorsqu’ils n’accordent pas leur soutien à leurs pires ennemis.

Parlons sans détours. Une majorité populaire nous restera inaccessible si nous ne prenons pas les moyens d’une réorientation visible et déterminée. Si ne sont pas prises en compte les préoccupations fondamentales de ces secteurs du monde du travail que nous ne parvenons pas à entraîner vers la rupture : le coût de l’énergie lorsque, sans voiture, il devient impossible de sortir des territoires péri-urbains dont, si souvent, les services publics se sont retirés ; les salaires, à tel point en berne qu’ils ne permettent pas de boucler le mois, alors que les prix des denrées essentielles ne cessent d’augmenter ; le travail qui, outre qu’il fût si mal rémunéré, est synonyme de souffrances psychologiques ou de troubles musculo-squelettiques faisant de l’activité une épreuve quasi-insoutenable bien avant l’âge de la retraite ; l’école, qui reproduit en les approfondissant sans cesse les inégalités de classe…

La victoire demeurera une espérance constamment déçue si d’aucuns poursuivent dans la voie sans issue consistant à répondre au malheur de tant de Françaises et de Français en négligeant de dénoncer le coût de la finance pour les êtres humains, en se contentant de quelques discours généraux sur la justice sociale, en substituant une idéologie intersectionnelle fumeuse au projet d’une République se réinventant en permettant aux citoyens et au monde du travail de prendre le pouvoir sur le capital, en promettant une transition écologique dont le contenu apparaît seulement punitif aux plus fragiles de nos compatriotes, ou encore en négligeant d’opposer à l’adversaire une autre vision de la nation… Et si l’on ne porte pas, avec le souci de la cohérence, un corps de propositions destinées à rassembler, dans une belle alliance, les classes moyennes urbaines qui sont en train de basculer vers la gauche, les habitants et habitantes des quartiers populaires dont le vote a valeur d’engagement contre les ségrégations du quotidien, et la fraction du peuple travailleur que l’oligarchie possédante a relégué au plus loin des métropoles.

C’est la perspective qu’a défendue Fabien Roussel au printemps. Elle n’a, en effet, rien perdu de son actualité l’importance accordée au travail, à l’emploi et aux salaires, à la défense d’une République qui en devenant sociale autant que laïque et universaliste soit l’instrument d’une reconquête du progrès et de la démocratie, à la volonté de rouvrir à la France la voie d’autres « Jours heureux » qui restituent au peuple sa souveraineté dans tous les domaines. Devant la redistribution générale des cartes qui s’amorce, les communistes auront à coeur de faire de ces grands objectifs des leviers au service de la clarification indispensable des débats à gauche.

LA MAJORITÉ POPULAIRE SE CONSTRUiT MAINTENANT

C’est sans attendre les prochains rendez-vous électoraux, qu’ils interviennent d’ailleurs à leur terme normal ou qu’ils soient anticipés par une dissolution de l’Assemblée nationale, que nous allons être mis à l’épreuve. L’illusion serait de croire que les questions de l’union, de la relation entre les partenaires impliqués dans celle-ci, du programme et de la stratégie ont été réglés par la double séquence politique qui vient de se conclure. Que la Nupes a dépassé sa réalité de coalition électorale pour devenir un mouvement mettant à l’ordre du jour l’effacement des identités et des spécificités de ses organisations fondatrices, voire pour résoudre le difficile problème du rapport entre les formations politiques et le mouvement social. Qu’il suffit de camper sur l’espace qu’a dessiné l’alliance, et de chercher à simplement l’élargir, pour créer la dynamique menant à une prochaine victoire. Que la clé de cette dernière résiderait dans des postures « radicales », pour démontrer au pays où se trouvent vraiment les opposants au macronisme.

En réalité, Emmanuel Macron, comme une droite et une extrême droite disposant de leurs agendas propres, sans parler d’un grand patronat ayant comme toujours pour feuille de route de faire payer la crise à notre peuple, nous tendent un piège redoutable. À travers son intervention télévisée du 14 Juillet, tout en faisant appel à l’esprit de « compromis », le Prince a clairement fait appel au renfort de la droite pour appliquer le programme de brutalisation sociale qui pourrait lui convenir : réforme du travail comprenant un énième durcissement de l’indemnisation des privés d’emplois et du versement du RSA, plan de « sobriété énergétique » dont le poids reposera essentiellement sur les classes populaires, contre-réforme des retraites… Il escompte manifestement, en ralliant le parti « Les Républicains » à ses projets de loi et en profitant de la stratégie de dédiabolisation qui rend si conciliants les amis de Madame Le Pen, tirer avantage du désarroi et des peurs qui, dans le pays profond, coexistent avec une intense colère. Ce qui lui permettrait, du même coup, d’isoler la gauche…

Pour cette raison, loin des seules attitudes protestataires et d’un recours trop systématique à la tactique de l’obstruction parlementaire — même si celle-ci est souvent indispensable pour relayer les revendications du mouvement social —, il va s’agir pour notre camp de faire simultanément preuve de combativité contre la politique de l’exécutif, et d’esprit de responsabilité afin de rendre au grand nombre la confiance en son aptitude à changer le cours des choses.

C’est dans la résistance quotidienne, à travers les luttes de terrain pour arracher des droits nouveaux, par la mise en avant des propositions répondant aux urgences de l’heure, en travaillant au plus large rassemblement de la gauche avec les forces du mouvement populaire qu’il sera possible de combattre efficacement. Et d’engager sans délai, dès la rentrée, la bataille de la construction d’une majorité politique qui fera bifurquer le destin français.

J’en termine avec cette note. Sa longueur tient au fait que je redoute plus que tout les approximations face aux épreuves qui nous attendent. Comme toujours, lorsque l’on entre dans une période lourde d’enjeux déterminants, il importe d’examiner avec soin les tendances lourdes qui se font jour et de savoir s’inscrire dans les contradictions que ces dernières révèlent. Pour ne pas s’être suffisamment livré à l’exercice, nos anciens ont subi bien des déboires. Aussi, sachons pour notre part faire preuve de rigueur. Dans une prochaine note, je reviendrai sur la gauche qu’appellent les gigantesques bouleversements en cours.

Noam Chomsky: « En Ukraine, la diplomatie a été mise de côté »

 

Noam Chomsky revient sur le contexte qui a amené l’invasion de l’Ukraine. Il explique qu’à présent, les parties impliquées dans le conflit sont soumises à un choix: la diplomatie ou la poursuite des hostilités avec des conséquences désastreuses pour l’humanité tout entière. Chomsky dénonce aussi l’indignation sélective des Occidentaux et tire la sonnette d’alarme sur la militarisation croissante. Une militarisation qui illustre la double pensée d’Orwell: d’un côté, on nous dit que l’armée russe peine à conquérir des villes situées à quelques kilomètres de sa frontière, de l’autre on nous dit qu’il faut gonfler nos dépenses militaires pour nous protéger de cet effroyable ennemi qui veut conquérir le monde… (IGA)


David Barsamian : Avant de passer au pire cauchemar du moment – la guerre en Ukraine et ses répercussions mondiales – un peu de contexte. Commençons par les garanties données par le président George H.W. Bush au dirigeant soviétique de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev, que l’OTAN ne bougerait pas « d’un pouce vers l’est ». Cette promesse a été vérifiée. Ma question est la suivante : pourquoi Gorbatchev n’a-t-il pas obtenu cela par écrit ?


Noam Chomsky : Il a accepté un « gentlemen’s agreement », ce qui n’est pas si rare en diplomatie. On se serre la main et c’est bon. Par ailleurs, obtenir cette promesse sur papier n’aurait fait aucune différence. Les traités écrits sur papier sont constamment rompus. Ce qui compte, c’est la bonne foi. Et H.W. Bush, le premier Bush, a respecté l’accord de manière explicite. Il s’est même orienté vers l’instauration d’un partenariat pour la paix qui intègrerait les pays d’Eurasie. Dans ce contexte, l’OTAN n’aurait pas été dissoute, mais elle aurait été marginalisée. Des pays comme le Tadjikistan, par exemple, auraient pu y adhérer sans faire officiellement partie de l’OTAN. Et Gorbatchev a approuvé cela. Cela aurait été un pas vers la création de ce qu’il appelait une maison européenne commune, sans alliances militaires.

Clinton, dans ses deux premières années, y a également adhéré. Ce que les spécialistes disent, c’est que vers 1994, Clinton a commencé à souffler le chaud et le froid. Aux Russes, il disait : « Oui, nous allons adhérer à l’accord ». À la communauté polonaise des États-Unis et aux autres minorités ethniques, il disait : « Ne vous inquiétez pas, nous allons vous intégrer à l’OTAN ». Vers 1996-97, Clinton a dit cela assez explicitement à son ami le président russe Boris Eltsine. Il l’avait aidé à gagner les élections de 1996. Il a dit à Eltsine : « Ne vous formalisez pas trop avec cette histoire d’OTAN. Nous allons nous étendre, mais j’en ai besoin à cause du vote ethnique aux États-Unis ».

En 1997, Clinton invite les pays dits de Visegrad – Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie – à rejoindre l’OTAN. Les Russes n’ont pas apprécié, mais ils n’en ont pas fait beaucoup d’histoires. Puis les pays baltes ont rejoint l’Alliance, et là encore, c’était la même chose. En 2008, le deuxième Bush, qui était très différent du premier, a invité la Géorgie et l’Ukraine à rejoindre l’OTAN. Chaque diplomate américain a très bien compris que la Géorgie et l’Ukraine étaient des lignes rouges pour la Russie. Ils toléreront l’expansion ailleurs, mais ces pays se trouvent dans leur cœur géostratégique et ils ne toléreront pas d’expansion là-bas. Par la suite, il y a eu le soulèvement Maidan en 2014, expulsant le président pro-russe. Et l’Ukraine s’est rapprochée de l’Ouest.

À partir de 2014, les États-Unis et l’OTAN ont commencé à déverser quantité d’armes en Ukraine. Il y avait des armes sophistiquées, des formations militaires, des exercices militaires conjoints, des démarches pour intégrer l’Ukraine dans le commandement militaire de l’OTAN… Rien de tout cela n’était secret, ça s’est fait ouvertement. Récemment, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, s’en est d’ailleurs vanté. Il a déclaré : « C’est ce que nous faisions depuis 2014 ». Bien sûr, c’était volontairement provocateur. Ils savaient qu’ils empiétaient sur ce que chaque dirigeant russe considérait comme une limite infranchissable. La France et l’Allemagne ont mis leur veto à l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN en 2008. Mais sous la pression des États-Unis, elle a été maintenue à l’ordre du jour. Et l’OTAN, c’est-à-dire les États-Unis, a pris des mesures pour accélérer l’intégration de facto de l’Ukraine dans le commandement militaire de l’OTAN.

En 2019, Volodymyr Zelensky a été élu avec une majorité écrasante – je pense environ 70 % des voix – sur base d’un programme de paix avec un plan pour mettre en œuvre la paix avec l’Ukraine orientale et la Russie, un plan pour régler le problème. Il a commencé à avancer dans ce sens. En fait, il a même essayé de se rendre dans le Donbass, la région orientale tournée vers la Russie, pour mettre en œuvre ce que l’on appelle l’accord de Minsk II. Cela aurait impliqué une sorte de fédéralisation de l’Ukraine avec un degré d’autonomie pour le Donbass, ce que la région demandait. Cela aurait donné quelque chose comme la Suisse ou la Belgique. Mais Zelensky a été bloqué par des milices d’extrême droite qui ont menacé de l’assassiner s’il persistait dans sa démarche.

C’est un homme courageux. Il aurait pu aller de l’avant s’il avait eu le soutien des États-Unis. Mais les États-Unis ont refusé. Pas de soutien, rien. Ce qui signifie qu’il a été laissé pour compte et qu’il a dû faire marche arrière. Les États-Unis étaient déterminés à appliquer cette politique d’intégration progressive de l’Ukraine dans le commandement militaire de l’OTAN. Cela s’est encore accéléré lorsque le président Biden a été élu. En septembre 2021, on pouvait même le lire sur le site Internet de la Maison-Blanche. Ça n’a pas fait la une des journaux, mais, bien sûr, les Russes le savaient. Biden a annoncé un programme, une déclaration commune pour accélérer le processus de formation militaire, les exercices militaires, plus d’armes dans le cadre de ce que son administration a appelé un « programme amélioré » de préparation à l’adhésion à l’OTAN.

Ça s’est encore accéléré en novembre. Et tout cela s’est passé avant l’invasion. Le secrétaire d’État Antony Blinken a signé ce qu’on a appelé une charte qui a essentiellement formalisé et étendu cet arrangement. Un porte-parole du département d’État a admis qu’avant l’invasion, les États-Unis refusaient de discuter de toute préoccupation russe en matière de sécurité. Tout cela fait partie du contexte.

Le 24 février, Poutine a commis une invasion, une invasion criminelle. Ces graves provocations ne la justifient en rien. Si Poutine avait été un homme d’État, il aurait fait quelque chose de tout à fait différent. Il serait retourné voir le président français Emmanuel Macron, il aurait saisi ses propositions provisoires et il aurait tenté de trouver un compromis avec l’Europe, il aurait tenté de prendre des mesures en faveur d’une maison commune européenne.

Évidemment, les États-Unis ont toujours été opposés à ce projet. Cela remonte loin dans l’histoire de la guerre froide, aux initiatives du président français de Gaulle visant à établir une Europe indépendante. Selon son expression « de l’Atlantique à l’Oural », il s’agissait d’intégrer la Russie à l’Occident, ce qui apparaissait comme une solution naturelle pour des raisons commerciales, mais aussi pour des raisons de sécurité évidemment. Ainsi, s’il y avait eu des hommes d’État dans le cercle étroit de Poutine, ils auraient saisi les initiatives de Macron et il auraient tenté de voir s’ils pouvaient en fait s’intégrer à l’Europe et éviter la crise. Au lieu de cela, ce qu’il a choisi est une politique qui, du point de vue russe, est une imbécillité totale. Outre le caractère criminel de l’invasion, il a choisi une politique qui a poussé l’Europe dans le creux de la main des États-Unis. En fait, il incite même la Suède et la Finlande à rejoindre l’OTAN. C’est le pire résultat possible du point de vue russe, indépendamment de la criminalité de l’invasion et des pertes très sérieuses que la Russie subit à cause de cela.

Donc, criminalité et stupidité du côté du Kremlin, grave provocation du côté des États-Unis. Voilà le contexte qui a conduit à cela. Pouvons-nous essayer de mettre un terme à cette horreur ? Ou devons-nous essayer de la perpétuer ? Ce sont les choix à faire.

Il n’y a qu’un seul moyen d’y mettre un terme. C’est la diplomatie. Mais par définition, il faut que les deux parties en conflit acceptent la diplomatie. Même quand elles n’aiment pas cela, elles l’acceptent comme la moins mauvaise solution. Cela offrirait à Poutine une sorte de porte de sortie. C’est une possibilité. L’autre possibilité est de faire traîner les choses en longueur et de voir combien tout le monde va souffrir, combien d’Ukrainiens vont mourir, combien la Russie va souffrir, combien de millions de personnes vont mourir de faim en Asie et en Afrique, combien nous allons progresser vers le réchauffement climatique jusqu’au point où il n’y aura plus aucune possibilité d’existence humaine vivable. Ce sont les options. Eh bien, avec une unanimité proche de 100%, les États-Unis et la plupart de l’Europe veulent choisir l’option de la non-diplomatie. C’est explicite. Nous devons continuer à faire du mal à la Russie.

Vous pouvez lire des articles dans le New York Times, le Financial Times de Londres et d’autres partout en Europe. Un refrain commun est : nous devons nous assurer que la Russie souffre. Peu importe ce qui arrive à l’Ukraine ou à qui que ce soit d’autre. Bien sûr, ce pari suppose que si Poutine est poussé à bout, sans échappatoire, forcé d’admettre sa défaite, il l’acceptera et n’utilisera pas les armes dont il dispose pour dévaster l’Ukraine.

Il y a beaucoup de choses que la Russie n’a pas faites. Les analystes occidentaux en sont plutôt surpris. Par exemple, elle n’a pas attaqué les lignes d’approvisionnement de la Pologne qui déversent des armes en Ukraine. Les Russes pourraient certainement le faire. Cela les amènerait très vite à une confrontation directe avec l’OTAN, c’est-à-dire avec les États-Unis. Et vous pouvez deviner ce qui se passera ensuite. Quiconque a déjà regardé des jeux de guerre sait où cela va aller – vers le haut de l’échelle de l’escalade, vers une guerre nucléaire terminale.

Voilà donc les jeux auxquels nous jouons avec les vies des Ukrainiens, des Asiatiques et des Africains, l’avenir de la civilisation. Tout ça pour affaiblir la Russie et s’assurer qu’elle souffre suffisamment. Eh bien, si vous voulez jouer à ce jeu, soyez honnête à ce sujet. Il n’y a aucune base morale pour cela. En fait, c’est moralement horrible. Et les gens qui montent sur leurs grands chevaux en disant que nous défendons des principes sont des imbéciles moraux quand on réfléchit à ce que cela implique.

Barsamian : Dans les médias, et au sein de la classe politique aux États-Unis, et probablement en Europe, il y a beaucoup d’indignation morale à propos de la barbarie, des crimes de guerre et des atrocités russes. Il ne fait aucun doute qu’ils se produisent comme dans toute guerre. Mais ne trouvez-vous pas cette indignation morale un peu sélective ?

Chomsky : L’indignation morale est tout à fait appropriée. Il doit y avoir une indignation morale. Mais si vous allez dans les pays du Sud, ils peinent à croire ce qu’ils voient. Ils condamnent la guerre, bien sûr. C’est un crime d’agression déplorable. Puis ils regardent l’Occident et disent : de quoi parlez-vous ? C’est ce que vous nous faites tout le temps!

C’est assez étonnant de voir la différence dans les commentaires. Vous lisez le New York Times et leur grand penseur, Thomas Friedman. Il a écrit une tribune il y a quelques semaines dans laquelle il a levé les mains en signe de désespoir. Il disait [en substance]: « Que pouvons-nous faire ? Comment pouvons-nous vivre dans ce monde avec un criminel de guerre ? Nous n’avons jamais connu cela depuis Hitler. Il y a un criminel de guerre en Russie. Nous ne savons pas comment agir. Nous n’avons jamais imaginé l’idée qu’il puisse y avoir un criminel de guerre n’importe où. »

Lorsque les gens du Sud entendent cela, ils ne savent pas s’ils doivent rire ou pleurer. Nous avons des criminels de guerre qui se promènent partout dans Washington. En fait, nous savons comment nous occuper de nos criminels de guerre. C’est arrivé le jour du vingtième anniversaire de l’invasion de l’Afghanistan. Rappelez-vous, il s’agissait d’une invasion injustifiée à laquelle l’opinion mondiale était fortement opposée. Pour le vingtième anniversaire, l’auteur de cette invasion, George W. Bush, un grand criminel de guerre qui a ensuite envahi l’Irak, a été interviewé dans la rubrique « lifestyle » du Washington Post. Dans cette interview, ils ont présenté un adorable grand-père loufoque qui joue avec ses petits-enfants, fait de blagues, montre les portraits qu’il a peints des personnes célèbres qu’il a rencontrées… Juste un cadre magnifique et amical.

Vous voyez, nous savons comment y faire avec les criminels de guerre. Thomas Friedman a tort. Nous les traitons très bien.

Ou prenez celui qui est probablement le plus grand criminel de guerre de la période moderne, Henry Kissinger. Nous le traitons non seulement poliment, mais aussi avec une grande admiration. Après tout, c’est cet homme qui a transmis l’ordre à l’armée de l’air de bombarder massivement le Cambodge – « tout ce qui vole sur tout ce qui bouge », c’était ses mots. Dans les archives, je ne connais pas d’exemple comparable à un tel appel au génocide de masse. Et cela a été mis en œuvre par un bombardement très intensif du Cambodge. Nous n’en savons pas grand-chose, car nous n’enquêtons pas sur nos propres crimes. Mais Taylor Owen et Ben Kiernan, deux historiens spécialistes du Cambodge, l’ont décrit. Il y a aussi notre rôle dans le renversement du gouvernement de Salvador Allende au Chili et l’instauration d’une dictature vicieuse dans ce pays, et ainsi de suite. Nous savons donc comment traiter nos criminels de guerre.

Pourtant, Thomas Friedman n’arrive pas à imaginer qu’il existe d’autres choses comme l’Ukraine. Et ce qu’il a écrit n’a pas fait de remous, ce qui veut dire que c’est considéré comme tout à fait raisonnable. On peut difficilement parler de sélectivité. C’est plus qu’étonnant. Donc, oui, l’indignation morale est parfaitement justifiée. C’est bien que les Américains commencent enfin à montrer de l’indignation à propos de crimes de guerre majeurs… commis par quelqu’un d’autre.

Barsamian : J’ai une petite devinette pour vous. C’est en deux parties. L’armée russe est inepte et incompétente. Ses soldats ont le moral très bas et sont mal dirigés. Son économie est comparable à celle de l’Italie et de l’Espagne. C’est la première partie de la devinette . L’autre partie, c’est que la Russie est un colosse militaire qui menace de nous submerger. Donc, nous avons besoin de plus d’armes. Élargissons l’OTAN. Comment conciliez-vous ces deux pensées contradictoires ?

Chomsky : Ces deux pensées constituent la norme partout en Occident. Je viens d’avoir une longue interview en Suède sur leurs projets d’adhésion à l’OTAN. J’ai fait remarquer que les dirigeants suédois nourrissent deux idées contradictoires, les deux que vous avez mentionnées. La première consiste à se réjouir du fait que la Russie a prouvé qu’elle était un tigre de papier incapable de conquérir des villes situées à quelques kilomètres de sa frontière et défendues par une armée essentiellement composée de citoyens. Donc, ils sont complètement incompétents sur le plan militaire. L’autre idée est qu’ils sont prêts à conquérir l’Occident et à nous détruire.

George Orwell avait un nom pour ça. Il appelait ça la double pensée, la capacité d’avoir deux idées contradictoires dans son esprit et de les croire toutes les deux. Orwell pensait à tort que c’était quelque chose que l’on ne pouvait trouver que dans l’État ultra-totalitaire dont il faisait la satire dans « 1984 ». Il avait tort. C’est possible dans les sociétés démocratiques libres. Nous en voyons un exemple dramatique en ce moment même. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois.

Cette double pensée est notamment caractéristique de la pensée de la guerre froide. Il faut remonter au principal document de la guerre froide de cette époque, le NSC-68 de 1950. Si vous l’examinez attentivement, il montre que l’Europe seule, sans compter les États-Unis, était militairement à égalité avec la Russie. Pourtant, nous avions encore besoin d’un énorme programme de réarmement pour contrer le projet de conquête mondiale du Kremlin.

C’est consigné dans un document, c’était une approche consciente. Dean Acheson, l’un des auteurs, a déclaré plus tard qu’il était nécessaire selon ses propres mots, d’être « plus clair que la vérité » afin de matraquer les esprits au sein du gouvernement. Nous voulons faire passer cet énorme budget militaire, alors nous devons être « plus clairs que la vérité » en inventant un État esclavagiste sur le point de conquérir le monde. Ce type de pensée a traversé toute la guerre froide. Je pourrais vous donner de nombreux autres exemples, mais nous le constatons à nouveau aujourd’hui de manière assez spectaculaire. Et la façon dont vous le dites est tout à fait correcte : ces deux idées sont en train de consumer l’Occident.

Barsamian : Il est également intéressant de noter que le diplomate George Kennan a prévu le danger que représente le déplacement des frontières de l’OTAN vers l’est dans une carte blanche très prémonitoire parue dans le New York Times en 1997.

Chomsky : Kennan s’était également opposé à la NSC-68. En fait, il avait été le directeur du Policy Planning Staff du département d’État. Il a été mis à la porte et remplacé par Paul Nitze. Il était considéré comme trop doux pour un monde aussi dur. C’était pourtant un faucon, radicalement anticommuniste, assez brutal lui-même à l’égard des positions américaines. Mais il s’est rendu compte que la confrontation militaire avec la Russie n’avait aucun sens.

Kennan pensait que la Russie finirait par s’effondrer à cause de ses contradictions internes, ce qui s’est avéré exact. Mais il a été considéré comme une colombe tout au long de son parcours. En 1952, il s’est montré favorable à l’unification de l’Allemagne en dehors de l’alliance militaire de l’OTAN. C’était également la proposition du dirigeant soviétique Joseph Staline. Kennan était alors ambassadeur en Union soviétique et un spécialiste de la Russie.

L’initiative venait de Staline, la proposition de Kennan. Certains Européens l’ont soutenue. Cela aurait mis fin à la guerre froide. Cela aurait débouché sur une Allemagne neutralisée, non-militarisée et ne faisant partie d’aucun bloc militaire. Mais la proposition a été presque totalement ignorée à Washington.

Un spécialiste de la politique étrangère, un homme respecté, James Warburg, a écrit un livre à ce sujet. Il vaut la peine d’être lu. Ça s’appelle « Germany: Key to Place ». Il y insistait pour que cette idée soit prise au sérieux, mais il avait été méprisé, ignoré, ridiculisé. Je l’ai mentionné plusieurs fois et on m’a traité de fou, moi aussi. Comment aurait-on pu faire confiance à Staline ? Eh bien, les archives sont sorties. Il s’avère qu’il était apparemment sérieux. Vous lisez maintenant les principaux historiens de la guerre froide, des gens comme Melvin Leffler. Et ils reconnaissent qu’il y avait une réelle opportunité pour un règlement pacifique à l’époque, une opportunité qui a été écartée au profit de la militarisation et d’une énorme expansion du budget militaire.

Passons maintenant au gouvernement Kennedy. Lorsque John Kennedy est entré en fonction, Nikita Khrouchtchev, dirigeant russe de l’époque, a fait une offre très importante pour procéder à des réductions mutuelles et à grande échelle des armes militaires offensives. Cela aurait débouché sur un fort apaisement des tensions. Les États-Unis étaient alors très en avance sur le plan militaire. Khrouchtchev voulait s’orienter vers le développement économique de la Russie et comprenait que cela était impossible dans le contexte d’une confrontation militaire avec un adversaire beaucoup plus riche. Il a donc d’abord fait cette offre au président Dwight Eisenhower, qui n’y a pas prêté attention. Elle a ensuite été proposée à Kennedy. Et même s’il savait que les États-Unis avaient déjà une fameuse longueur d’avance, son gouvernement a répondu par ce qui constitue le plus grand renforcement de la force militaire jamais vu dans l’Histoire en temps de paix.

Les États-Unis ont inventé cette histoire de « fossé de missiles » qu’il fallait combler. La Russie était soi-disant sur le point de nous écraser avec son avantage en matière de missiles. La Russie avait peut-être quatre missiles exposés sur une base aérienne quelque part.

Vous pouvez continuer encore et encore comme ça. La sécurité de la population n’est tout simplement pas une préoccupation des décideurs politiques. La sécurité des privilégiés, des riches, des entreprises, des fabricants d’armes, oui, mais pas celle du reste d’entre nous. Cette double pensée est constante, parfois consciente, parfois non. C’est exactement ce que décrivait Orwell, nous avons un hypertotalitarisme dans une société libre.

Barsamian : Dans un article de Truthout, vous citez le discours de 1953 d’Eisenhower sur la « Croix de fer ». Qu’y avez-vous trouvé d’intéressant ?

Chomsky : Vous devriez le lire et vous verrez pourquoi c’est intéressant. C’est le meilleur discours qu’il ait jamais prononcé. C’était en 1953, alors qu’il venait de prendre ses fonctions. En gros, ce qu’il a souligné, c’est que la militarisation était une attaque énorme contre notre propre société. Il – ou celui qui a écrit le discours – l’a exprimé avec beaucoup d’éloquence. Un avion à réaction signifie autant d’écoles et d’hôpitaux en moins. Chaque fois que nous augmentons notre budget militaire, nous nous attaquons à nous-mêmes.

Il l’a expliqué en détail, appelant à une baisse du budget militaire. Il avait lui-même un bilan assez terrible, mais à cet égard, il était dans le mille. Et ces mots devraient être gravés dans la mémoire de tous. Récemment, Biden a proposé un énorme budget militaire. Le Congrès l’a étendu au-delà même de ses souhaits, ce qui représente une attaque majeure contre notre société, exactement comme Eisenhower l’a expliqué il y a tant d’années.

Le prétexte? Nous sommes censés devoir nous défendre contre ce tigre de papier, si incompétent militairement qu’il ne peut pas se déplacer de quelques kilomètres au-delà de sa frontière sans s’effondrer. En réalité, avec un budget militaire aussi monstrueux, nous sommes amenés à nous nuire gravement et à mettre le monde entier en danger, nous allons gaspiller des ressources énormes qui seraient plus utiles pour affronter les crises existentielles auxquelles nous sommes confrontés. Pendant ce temps, nous versons l’argent des contribuables dans les poches des producteurs de combustibles fossiles afin qu’ils puissent continuer à détruire le monde le plus rapidement possible. C’est ce à quoi nous assistons avec la vaste expansion de la production de combustibles fossiles et l’augmentation des dépenses militaires. Il y a des gens qui s’en réjouissent. Allez dans les bureaux de direction de Lockheed Martin ou d’ExxonMobil, ils sont en extase. C’est une aubaine pour eux. Ils en tirent même du prestige. À présent, ils sont félicités pour avoir sauvé la civilisation… en détruisant la possibilité de vie sur Terre. Oubliez les peuples du Sud dont nous parlions plus haut. Imaginez des extraterrestres. S’ils existaient, ils penseraient que nous sommes tous complètement fous. Et ils auraient raison.