Au nom de l’antiracisme et de l’anti-esclavage, on déboulonne ou on saccage les statues de personnages qui ont fait une partie de notre histoire : Christophe Collomb, Léopold II, Colbert, Clemenceau et même de Gaulle ! Et tout ça parce que MM Floyd et Traoré ont, malheureusement, perdu la vie suite à une opération policière inappropriée. Par Raphael Piastra.
Bien sûr qu’il y a des racistes dans la police. Mais il y en a aussi chez les gendarmes, les juges, les professeurs, les viticulteurs, les journalistes… On sait qu’il y a même encore des esclaves y compris au sein de nos démocraties. Pour exprimer sa réprobation le droit de manifester existe. Il a même été constitutionnalisé. Mais manifester ne doit pas entrainer de saccages et débordements en tous genres souligne Raphael Piastra.
Puisqu’il va s’agir d’ériger de nouvelles statues, nous en proposons une. Celle d’un personnage qui a fait encore polémique par la rudesse de certains aspects de sa politique. Et pourtant il a œuvré contre le racisme et l’esclavage. Notre avons donc décidé de porter notre attention sur Maximilien Robespierre. Choix curieux voire contestable pour certains. Alors disons-le d’emblée pour ne pas avoir à y revenir, nous sommes de ceux sur qui ce personnage exerce une certaine fascination. D’école nous sommes plus Soboul et Mathiez que Furet ou Touchard ! Que le lectorat se rassure, nous assumons. Avec Clemenceau nous estimons que « La Révolution française est un bloc dont on ne peut rien distraire. » Dans ce bloc il y a bien entendu les droits et libertés consacrés par la Déclaration de 1789. Mais il y a aussi, qu’on le veuille ou non, la Terreur décidée par Robespierre afin que la Révolution, menacée de l’intérieur et de l’extérieur, triomphe. « Louis doit mourir pour que la République vive » s’est exclamé Robespierre (ce dernier vota contre la mort de Marie-Antoinette et s’éleva à plusieurs reprises contre le traitement fait aux enfants du monarque).
La très grande majorité de nos concitoyens ignorent que « l’Incorruptible » (au sens d’intransigeant sur les principes de vie qu’elle soit personnelle ou professionnelle ; à l’opposé de Danton par exemple !) a mené une action décisive contre l’esclavage. Avant de le montrer, redisons quelques mots sur Robespierre. Ce dernier est né le 6 mai 1758 à Arras (Artois, aujourd’hui Pas-de-Calais) et mort guillotiné le 28 juillet 1794 (10 thermidor an II) à Paris, place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). Robespierre est l’une des principales figures de la Révolution française et demeure aussi l’un des personnages les plus controversés de cette période.
Avocat de métier, il est élu député du Tiers- Etat aux États généraux de 1789 et devient bientôt l’une des principales figures des « démocrates » à l’Assemblée constituante. Co-fondateur et membre du club des Jacobins dès ses origines, il en devient progressivement l’une des figures de proue. Il se pose comme un des leaders de la Commune Insurrectionnelle de Paris. Puis Robespierre est élu à la Convention nationale, où il siège sur les bancs de la Montagne et s’oppose à la Gironde. Suite aux émeutes (journées du printemps 1793), il entre le 27 juillet 1793 au Comité de Salut Public, où il participe à l’instauration d’un gouvernement révolutionnaire et de la Terreur, dans un contexte de guerre extérieure contre les monarchies coalisées (Autriche) et de guerre civile (insurrections fédéralistes, guerre de Vendée…).
Durant son mandat de député, Robespierre a donc défendu des thématiques humanistes.
Là encore c’est méconnu du grand public. Parmi elles : l’abolition de la peine de mort (eh oui !) et de l’esclavage, le droit de vote des gens de couleur, des juifs ou des comédiens. On citera aussi son soutien au suffrage universel et à l’égalité des droits contre le suffrage censitaire. Qui dit mieux pour un « terroriste » (Albert Mathiez, Robespierre terroriste, réed. Kessinger Publishing, 2009) ?
Le diable y étant, allons un peu dans le détail. En mars 1790, la Constituante, obéissant aux pressions des colons et des villes portuaires, adopte la pérennité de l’esclavage. Le 12 mai 1790, Maximilien Robespierre monte à la tribune pour réclamer au moins l’égalité civile pour tous les hommes quelle que soit leur couleur. Il se heurte à Barnave, qui prédit la perte des colonies si l’Assemblée décide de suivre cette utopie. Les débats sont houleux et longs. Faut-il parler de « Noirs non-libres » ? Ou plutôt d’esclaves ? Robespierre et ses amis refusent absolument de déshonorer l’Assemblée en employant ce mot honni. Les Droits de l’Homme ne peuvent se contenter d’une géométrie variable en fonction de la couleur de la peau. Le 13 mai Robespierre remonte à la tribune et lance à l’Assemblée une phrase que l’Histoire retiendra entre toutes : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! Périssent les colonies, s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté ». Point n’y fait. Le 15 mai 1791, c’est bien le décret colonialiste défendu par Barnave qui est adopté. Robespierre monte une dernière fois à la tribune pour défendre le principe des droits des hommes dans son entier, sans consentir aucun amendement (contre la constitutionnalisation de l’esclavage dans les colonies s’intitule son discours). ll s’égosille même tellement il crie (ce sera souvent le cas lors de ses discours !!).
Le premier décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises est voté sous l’influence de et par Robespierre et les membres de la Convention le 4 février 1794 (le 16 pluviôse de l’an II, dans le calendrier révolutionnaire)
.Le texte prévoit une abolition de l’esclavage dans les colonies françaises sans indemnisation des propriétaires : « La Convention nationale déclare que l’esclavage des Nègres, dans toutes les Colonies, est aboli ; en conséquence elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens Français, et jouiront de tous les droits assurés par la constitution. – Elle renvoie au comité de salut public, pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour assurer l’exécution du présent décret ».
Face à une certaine lenteur dans l’exécution du décret, Robespierre a dû signer au Comité de Salut Public en avril 1794 deux ordres d’application du décret du 4 février. On a là un engagement humaniste que peu de gens connaissent. Et puis, incontestablement, il y a Robespierre menant la Terreur « mal nécessaire ». Selon nous il n’existe pas de tri sélectif dans l’histoire. Dès lors il convient de la prendre en bloc cette Révolution. De prendre en bloc l’un de ses personnages clefs.
Un certain Bonaparte rétablira l’esclavage par la loi du 20 mai 1802. Va-t-on aller saccager son tombeau aux Invalides?
Il faudra attendre avril 1848 pour que ladite abolition soit enfin votée de façon définitive. Au prix d’une soixantaine d’années de lutte.
On voit la place centrale qu’a occupé sur l’abolition de l’esclavage Robespierre l’homme qui nous divise le plus mais aussi de ces hommes qui ont fait la France (Marcel Gauchet, Gallimard, 2018). Alors oui, érigeons des statues en son honneur là où il n’y en a pas et fleurissons celles qui existent ! Peu de temps avant sa mort Robespierre justifia la politique de Terreur ainsi : « si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante (…) ». Cet extrait d’un long (comme à l’accoutumée !) discours, démontre l’ambivalence d’un homme qui savait donc manier les concepts humanistes et ceux plus expéditifs mais justifiés, à ses yeux, comme un mal nécessaire.
L’essentiel reste que, et on le sait peu, de nombreuses villes de France ont marqué le souvenir de Robespierre, là par des rues, là par des boulevards ou là par des écoles. A l’heure qu’il est pas une n’a été souillée !….
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public à l’Université Clermont Auvergne
Membre de l’Association des Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution Française
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