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Hommage à Aimé Halbeher prononcé par Frédéric Boccara, au nom du PCF, le 12 août 2021, Cimetière du Père Lachaise

 

Paris, le 26/04/2008. Mai 68 au café du Croissant, la grève ouvrière avec : Aimé Halbeher, alors secrétaire du syndicat CGT de Renault - Billancourt . Photo Pierre Pytkowicz


Aimé Halbeher était un grand révolutionnaire. Indissociablement syndicaliste et responsable politique, ouvrier devenu intellectuel par son exigence et par ce que pouvaient apporter le PCF et ses écoles, ajusteur-outilleur chez Renault, dans l’île Séguin, responsable de la CGT puis membre du comité central du PCF et rédacteur en chef de la revue Économie&Politique. C’est ainsi qu’il a marqué la vie publique et de nombreux militants et dirigeants.

Je lui rends hommage, ici, au nom du Parti communiste français, de sa direction nationale, au nom de la commission économique du PCF, avec laquelle il a toujours gardé des liens, au nom de la revue Économie&Politique, dont il a été rédacteur en chef de 1983 à 1990. Mais aussi en mon nom propre à la fois personnellement et comme fils de Paul Boccara, car tous les deux s’estimaient profondément. Il était d’ailleurs président de l’association pour la Fondation Paul Boccara.

Il est membre de l’UJRF lorsqu’en 1951 il commence à travailler à Renault titulaire d’un CAP, après sa formation au centre d’apprentissage de Renault. Et, dès 1954, il adhère à la CGT et la même année au parti communiste. Mobilisé pendant 30 mois lors de la guerre d’Algérie, il est de retour à Billancourt en 1959.

En 1961, il devient secrétaire général adjoint du syndicat CGT et accède à la direction nationale de la fédération des Travailleurs de la métallurgie, la FTM-CGT, ainsi qu’à la direction de la fédération de la Seine-Ouest du PCF.

Il quitte l’usine et devient permanent en 1963 pour assumer l’ensemble de ses responsabilités. Il est élu en 1967 secrétaire général du syndicat CGT des usines du groupe Renault.

Aimé a joué un rôle très important dans la grande grève de 1968 où il a fait preuve d’une grande intelligence pour rassembler et tenir l’occupation de l’usine forte de 20 000 salariés pendant 33 jours. Après les discussions de Grenelle, dont le constat est jugé insuffisant par une majorité d’ouvriers, il propose la poursuite du mouvement qui débouchera sur des avancées améliorant sensiblement celles de Grenelle. Le travail ne reprendra que le 18 juin 1968.

Aimé était une figure du mouvement ouvrier. Mais il a aussi été un homme politique français qui a marqué le XXe siècle, n’en déplaise à celles et ceux qui ont une conception étriquée de la politique, réduite aux fonctions électives ! Homme politique, donc, et militant révolutionnaire ! Il l’a été par son rôle dans les luttes de Renault bien évidemment ― Billancourt était alors surnommée « la forteresse ouvrière ». Mais, après avoir repris une activité professionnelle à Billancourt, il est devenu responsable politique : élu secrétaire de la section PCF de l’ensemble des usines Renault, puis membre du Comité Central du PCF en 1976 lors du 22ème congrès du PCF, moment politique national important.

Homme politique et révolutionnaire aussi parce qu’il a été rédacteur en chef de la revue Économie&Politique, fer de lance d’une bataille sociale, d’une bataille d’idées et d’une bataille politique pour laquelle il s’est dépensé sans compter, celle pour l’intervention des travailleurs dans la gestion des entreprises avec d’autres critères que ceux de la rentabilité capitaliste. Une bataille trop peu portée alors, à mon sens, par la direction nationale du PCF. Alors, pourtant, qu’avec l’arrivée de la gauche au pouvoir et l’engagement de nombreuses nationalisations cette bataille est décisive. Le maintien des critères de gestion capitalistes est en effet au cœur de l’échec de la gauche en 1981-83. Cet échec pèsera ensuite sur toute la période historique.

En ce sens, on peut lire l’intervention que fera Aimé au 25ème congrès du PCF en 1985 appelant à l’amplifier et à la nourrir.

Mais je veux citer, le texte qu’il a écrit en 2017 pour un numéro de la revue en hommage à Paul Boccara. En voici quelques extraits :

« Dans les années 1970 et 1980, de très nombreux militants communistes des entreprises publiques et privées [avaient] soif du débat de politique économique (…) de renverser la problématique de l’efficacité dans la production pour conforter les luttes des salariés en matière de salaire, de pouvoirs nouveaux, de formation et de création d’emplois utiles.
Ces militants communistes (…) estimaient que l’appel à l’intervention économique de Paul Boccara répondait aux valeurs et aux aspirations nées du grand mouvement social de mai 1968 ».

« les économistes communistes les appelaient à intervenir pour imposer des transformations profondes dans les gestions des entreprises, des banques et des institutions politiques et économiques du pays. »

« Les progrès théoriques et politiques de la section économique et les efforts de la direction du PCF pour renforcer l’influence et l’organisation communiste dans les entreprises se sont nourris de façon interactive »

« Un défi démocratique était lancé. Des idées transformatrices autogestionnaires ont commencé à flotter dans l’air » « La revue Économie&Politique du PCF passa de 3.000 abonnés en 1975 à 6.000 en 1985, puis à 10.000 en 1990. »

Tout cela montre que c’est loin d’être un hasard ou une nomination administrative, mais un cheminement politique personnel qui a amené Aimé à s’immerger dans les questions économiques, comme avant lui un autre grand dirigeant ouvrier de la métallurgie, ouvrier de l’aéronautique, Henri Jourdain.

Après 1990, Aimé a quitté le PCF. On a écrit sur lui, et c’est vrai, que c’est parce qu’il refusait la dérive électoraliste du PCF. Il s’en est éloigné et il a participé à la création de l’association « Rouges vifs ».

Mais, avec le recul de quelques années supplémentaires, et cependant avant le début actuel de réorientation du PCF, il s’est exprimé en 2017 : « J’ai 82 ans (…) des transformations gigantesques (…) se sont opérées dans les entreprises. Je pense néanmoins que si les conditions du militantisme révolutionnaire se sont extrêmement compliquées, cela ne me fait pas désespérer il y a (…) des potentiels nés des expériences historiques récentes qui peuvent accélérer la clairvoyance et la maturation des consciences. Je connais néanmoins la triste situation concernant l’activité du PCF dans les entreprises, la direction du Parti sous Robert Hue a liquidé l’activité des milliers de cellules d’entreprises, ceci pour de vulgaires ambitions électoralistes et ministérielles. (…) Mais dans une telle complexité, dans ce manque cruel d’existence d’un parti créateur au cœur de l’entreprise, le besoin de l’efficacité des financements ne m‘apparaît pas mort dans les consciences. Certaines réactions populaires et positives sur les gâchis, la corruption financière, les dépenses abusives, les inégalités sociales, les dégâts environnementaux me confortent dans l’idée qu’il y a urgence à populariser, vulgariser les immenses travaux réalisés par Paul Boccara et surtout poursuivre leur enrichissement en lien avec les réalités d’aujourd’hui dans les entreprises et les institutions ».

Que dire de l’homme, la personne, que j’ai trop peu connu ? J’avais un grand respect pour lui. Nous avions tous, je crois, un grand respect pour lui.

Aimé était un militant d’une grande culture acquise par son travail personnel et par une formation théorique dans les écoles du PCF. Il incarnait le désir d’apprendre, d’apporter et de faire dialoguer travailleurs et intellectuels, théorie et pratique, qui caractérisaient les plus brillants militants ouvriers de sa génération.

Il était aussi ce qu’on appelait un homme de masse et un rassembleur.

Courageux, il devait l’être car à l’époque on licenciait facilement les syndicalistes !

Il avait aussi la réputation d’être tenace mais son argumentation était patiente, bien que ferme… !

Il avait enfin un grand souci de la pédagogie.

Je l’ai peu connu personnellement. Il était très aimé à la maison.

Une anecdote : pour mon premier rapport à la commission économique, il avait tenu à être là. Mais comme il n’avait rien dit du tout, je m’étais inquiété et m’en était ouvert à mon père. Celui-ci m’avait dit : « il n’a rien dit, parce qu’il t’observe, il m’aime beaucoup, donc il a un préjugé favorable pour toi. Mais il a préféré ne rien dire pour réserver son jugement et ne pas te déstabiliser ». Pourtant, il savait bien le faire, quand il jugeait cela nécessaire ! C’était aussi un homme de combat, un combattant.
Plus récemment en 2017, nous nous sommes parlé à l’occasion du décès de mon père Paul. Il n’avait pas souhaité intervenir lors de la cérémonie, pour ne pas avoir à prononcer des mots trop durs contre les dirigeants nationaux d’alors, dans des circonstances où il jugeait cela déplacé. Mais il a accepté de rédiger ce texte politique, très gentiment et avec humilité.

Alors, au nom de toutes celles et ceux qui sont absents (je pense particulièrement à Catherine Mills, Yves Dimicoli, Denis Durand, Gisèle Cailloux, Jean-Louis Cailloux, Jean Chambon, Anne Lafaurie, Nasser Mansouri-Guilani, Jean-Marc Durand, Denis Recoquillon, Frédéric Rauch et bien d’autres qui n’ont pu être parmi nous), au nom du PCF, au nom de ses camarades communistes et au nom de la commission économique, je voudrais dire « merci Aimé ! ».

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