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UNE GUERRE POUR LES FEMMES AFGHANES ?



de Christine Delphy

Il semble, depuis la prise de Kaboul, que la Coalition contre le terro­risme a livré la guerre à l’Afghanistan pour libérer les femmes afghanes. G.W. Bush a déclaré, dans son discours sur l’état de l’Union le 29 janvier 2002: «Le drapeau américain flotte de nouveau au-dessus de notre ambassade à Kaboul [...] Aujourd’hui, les femmes sont libres.» Mais si on se rappelle bien la succession des événements, c’est le troisième change­ment d’objectif depuis le début de la guerre. La guerre a été déclarée par G.W. Bush le 11 septembre 2001, à personne en particulier et au monde en général. Bien que cela corresponde à la réalité, cela constituait une inno­vation trop grande pour la presse et le public pour être maintenu. Dès le lendemain, un ennemi précis est choisi: c’est Ben Laden, que les USA somment les Taliban de livrer. À eux, les Américains. Devant la réponse des Taliban, classique dans les cas d’extradition, demandant des preuves de la culpabilité de Ben Laden, les USA répètent leur ultimatum. Quinze jours plus tard, ils rejettent une nouvelle offre des Taliban de livrer Ben Laden à un pays neutre, appelant cette offre des «négociations», et à Dieu ne plaise que les USA négocient L

«On vous sourit de Kaboul»

Puis Rumsfeld, secrétaire de la Défense, déclare que Ben Laden ne sera peut-être jamais trouvé; un troisième objectif apparaît: désormais, 1Une guerre pour les femmes afghanes ?

c’est le régime Taliban qui est l’ennemi. Les arguments contre ce régime ne manquent pas. Je dirais même plus : cela fait six ans qu’ils ne manquent pas, et six ans qu’ils ne suffisent pas à justifier une guerre. Mais tout à coup, ils suffisent. Pas tout seuls bien sûr : en plus d’être odieux, les Tali­ban ont abrité Ben Laden, soupçonné d’être l’auteur des attentats du

II septembre. Après un mois de bombardements, les troupes de l’Alliance entrent à Kaboul, les Occidentaux crient «Victoire» et ont le sentiment d’avoir accompli une bonne et belle chose à peu de frais. Les journaux publient des photos des sourires des femmes - non pardon, du sourire d’une femme - et la guerre trouve sa quatrième raison : la libération des femmes. La quatrième, mais peut-être pas la dernière. Pour cela il faudrait que ce soit la bonne.

Or ce n’est pas la bonne, parce que les gens que les «Alliés contre le terrorisme»2 ont ramenés au pouvoir ne sont pas mieux que les Taliban. On ne peut plus cacher la vérité sur l’Alliance du Nord. Étant donné le nombre de reporters sur le terrain, on ne peut pas cacher plus longtemps la méfiance des citadins de Kaboul et de Jalalabad3 à leur égard; une méfiance fondée sur leur expérience: entre 1992 et 1996, les troupes de l’Alliance du Nord (ou «Front uni») ont perpétré des massacres et des tue­ries gratuites de prisonniers et de blessés, ont terrorisé et rançonné les civils. On ne peut plus cacher que ce qui s’est passé entre 1992 et 1996 est en train de se reproduire aujourd’hui, quasiment à l’identique, dans un Afghanistan à nouveau découpé en fiefs et où les chefs de guerre sont toujours sur le point de déclencher les guerres civiles et multiples qui ont dévasté le pays entre le départ des Soviétiques et l’arrivée des Taliban.

Taliban et Moudjahidins: bonnet beige et beige bonnet

Ce n’est pas la bonne raison parce que les USA ne sont pas les amis des femmes afghanes. Les droits des femmes n’ont jamais été la préoccu­pation des USA, pas plus en Afghanistan qu’au Koweït ou qu’en Arabie Saoudite ou ailleurs - on peut même dire que c’est le contraire, et que les USA ont sciemment et volontairement sacrifié les femmes afghanes à leurs intérêts. A quand remontent les Moudjahidins, dont on appelle le regrou­pement ponctuel l’Alliance du Nord? Avant même que l’armée soviétique n’envahisse le pays en 1979 pour remplacer un président marxiste (Hafi- zullah Amin) par un autre (Babrak Karmal), les chefs de tribu et les autori­tés religieuses déclarent la guerre sainte contre le leadership marxiste de Nur Mohammed Taraki4.

Avant même de lutter contre l’invasion étrangère, dès 1978, les Khans et les Mollahs prennent donc les armes contre un gouvernement qui force les filles à aller à l’école, interdit le lévirat et la vente des femmes. Voilà ce qui les choque, les scandalise, les révulse. Les droits des femmes : ils valent une guerre à leurs yeux, ils valent qu’on se batte, oui, contre eux. Ils deviennent Moudjahidins: combattants de Dieu, contre le marxisme impie. L’invasion soviétique vient donner une dimension patriotique à ce combat. Les USA aident les Moudjahidins, car les ennemis de leurs enne­mis sont leurs amis. Qu’importe ce qu’ils font, ce qu’ils veulent? Les USA savent que ce qu’ils veulent, c’est remettre les femmes au pas. Mais ils contrecarrent Moscou, et voilà tout ce qui compte pour les USA. C’est aussi, hélas, tout ce qui comptera aux yeux de nos romanesques pionniers français, les «French Doctors »5 ; anti-soviétique pour eux est synonyme de «pour la liberté»: la liberté de qui? Ils ne se posent pas la question; ils trouvent les bérets seyants, et l’aventure excitante. Faire le bien dans des paysages magnifiques tout en contribuant à la lutte contre le totalitarisme, que demander de plus pour un jeune homme occidental de cette époque? Quant aux droits des femmes : mon Dieu, ce sont leurs coutumes, et les coutumes, c’est sacré, surtout quand on n’en pâtit pas personnellement6.

Le «blanchiment» par les médias , des mercenaires de la Coalition occidentale

En 1988, l’armée soviétique part. Les Moudjahidins n’ont plus comme ennemi que le gouvernement de Najibullah, le dernier premier ministre marxiste. Les Moudjahidins combattent tous au nom de l’Islam, pour un État islamique et pour l’application de la Charia - d’où leur nom. En Pashto, Urdu (et dans toutes les autres langues locales) on les appelle «Jihadi», ce qui est clairement dérivé de Jihad (ou Djihad). Ils ne se sont jamais caché d’être fondamentalistes. Les Français, depuis la guerre contre les Soviétiques, feignent cependant de croire que ce nom signifie «com­battants de la liberté». La désinformation sévit encore plus à la télévision française à partir des «événements». En septembre 2001 sont diffusés le film hagiographique Massoud l'Afghan et un documentaire fait par des femmes afghanes non nommées, qui ont filmé en caméra cachée les exé­cutions au stade de Kaboul par les Taliban. Après la prise de Kaboul, quelques informations sur la conduite de ces troupes «alliées» commen­cent à filtrer. Il est clair que les médias français se sont livrés à une auto­censure, et ont interdit au public une information objective et équilibrée. Ils ne manquaient pas d’informations, car même si leur connaissance de la région est piètre - aucun journal français n’a de correspondant perma­nent au Pakistan - les agences de presse, la presse, la télévision étran­gères et les sites Internet sont à leur disposition ; ils ont délibérément miscette information sous le boisseau, et refusé les articles que nous leur avons envoyés. Il faudra attendre le 23 janvier 2002 pour que le film sur les exécutions au stade de Kaboul soit rediffusé en entier (sur ARTE) dans Sorties de ténèbres ? par Saira Shah ; qu’on apprenne que ses autrices sont les femmes de RAWA (Association Révolutionnaire des Femmes Afghanes)7 ; pour qu’un autre documentaire, Femmes de Kaboul par Anto- nia Rados, également réalisé grâce à RAWA, montre la réalité de la vie des femmes après la prétendue «libération», et laisse enfin des Afghanes expliquer ce que les journalistes ont caché pendant quatre mois : que la répression des femmes a commencé avec les Moudjahidins, et non avec les Taliban. Récemment, Télérama a rompu avec le «politiquement correct» au point d’interviewer un musicien afghan qui dit : «Lorsque les communistes sont arrivés au pouvoir en 1979, les possibilités de concerts se sont multi­pliées et il m’est même arrivé d’aller faire des démonstrations dans les classes de musique des écoles de filles... Les difficultés ont commencé lorsque les moudjahidins sont arrivés en 1992 »8. Cette rétention d’infor­mations peut sembler anodine: pourtant, c’est un des dispositifs majeurs de la mise en condition de l’opinion. D’une part, les puissances occiden­tales ne pouvaient pas admettre qu’elles s’adjoignaient des troupes au sol aussi douteuses ; parce que les Moudjahidins étaient les alliés de la Coali­tion occidentale, «nous avons idéalisé ces hommes de main... au point d’oublier leur passé»9. D’autre part, pour justifier la guerre aux yeux de l’opinion, il fallait promettre qu’elle visait une «amélioration» du sort des Afghan-e-s, et pas seulement la vengeance américaine ou la consolidation du pouvoir occidental. Or l’opinion n’aurait pas cru aux promesses d’amé­lioration si elle avait su la vérité sur l’Alliance du Nord. Il fallait opposer, par action - les mensonges éhontés prononcés par les propagandistes habituels comme Bernard-Henri Lévy - mais surtout par omission, les «mauvais» Taliban aux «bons» Moudjahidins, tout au moins tant que ces derniers n’avaient pas gagné.

Pourquoi les Taliban arrivent au pouvoir en 1996

Les médias ont donc «jeté un voile sur le passé glorieux» et bien connu des Moudjahidins: à partir du départ des Soviétiques en 1989, les points communs entre eux ne suffisent plus à faire taire leurs rivalités. La cupidité et l’appétit de pouvoir de tous ces chefs de guerre les poussent à se battre sans cesse les uns contre les autres dans des alliances sitôt ren­versées que créées. Au bout de quatre ans, en 1992, ils prennent Kaboul et renversent Najibullah ; mais la guerre civile, et surtout la guerre contre lescivils ne s’arrête pas pour autant. Les soldats de l’Alliance du Nord pillent les maisons et violent les femmes. Les chefs locaux rançonnent les camions tous les 50 km, les transports sont impossibles, la corruption et le désordre empêchent l’application de la Charia.

Certains d’entre les Moudjahidins, et surtout les plus jeunes, qui ont pris les idéaux islamiques au sérieux, sont écœurés. Ils partent étudier au Pakistan. Ce sont les étudiants, les Taliban, les fils spirituels et parfois physiques des Moudjahidins. Aussi anticommunistes que leurs pères mais plus disciplinés, plus sérieux, et encore plus fondamentalistes: bref, de bons candidats à l’aide des USA, qui allongent les dollars aux madrasas (écoles coraniques) pakistanaises via l’Arabie Saoudite. Et en un an, les Taliban formidablement armés, conquièrent une grande partie du pays et entrent à Kaboul. Quand les Moudjahidins battent en retraite en 1996, ils laissent 50000 morts rien qu’à Kaboul et la ville en ruines. Ce que six ans de guerre anti-soviétique n’avaient pas réussi à faire, quatre ans de guerre entre factions l’ont accompli.

Et les femmes dans tout ça?

Alors, les USA ont-ils toujours lutté pour les droits des femmes? Non. Ont-ils jamais lutté pour les droits des femmes? Non. Ont-ils au contraire carrément foulé aux pieds les droits des femmes ? Oui. Car les droits des femmes ont été promus et défendus en Afghanistan entre 1978 et 1992: mais par des gouvernements marxistes ou pro-soviétiques. C’est de cette époque, celle de Amin, Karmak, Taraki et Najibullah, que Ton tire ces sta­tistiques étonnantes sur le grand nombre de femmes médecins, profes- seures, avocates. Et c’est pas de chance pour les femmes d’Afghanistan : car puisqu’elles étaient défendues par des gouvernements alliés à un ennemi des USA, il a bien fallu les sacrifier. On ne peut pas laisser les droits des gens, surtout quand ces gens ne sont que des femmes, interférer avec la poursuite de l’hégémonie mondiale. Les droits des femmes, c’est comme les enfants irakiens : leur mort est le prix de la puissance US, et les Américains le paient d’autant plus volontiers que finalement, ce ne sont pas eux qui le paient.

Les pères des Taliban, les Moudjahidins, armés cette fois par les Russes qu’ils avaient chassés douze ans auparavant, sont revenus à l’ombre des bombes américaines ; guère changés si on en juge par leur façon de faire la guerre10. Pourquoi auraient-ils changé en ce qui concerne les femmes, pourquoi seraient-ils devenus féministes, ces hommes qui, avant de se battre contre les Soviétiques, puis entre eux, se battaient contre les droits des femmes ?

Comme toutes les féministes du monde, qui ont mené depuis plus de deux ans la campagne internationale sur le sort fait aux Afghanes par les Taliban, j’espère que le gouvernement qui sera mis en place en Afghanis­tan garantira les droits humains des femmes, et fera respecter au moins quelques-uns de ces droits.

Un meilleur statut pour les femmes, ce pourrait être l’un de ces résul­tats non prévus d’une guerre : un bénéfice collatéral en quelque sorte. On peut l’espérer. Mais sans rêver. Car le parti tadjik de Rabbani, le président du gouvernement légal et reconnu par la communauté internationale jus­qu’aux accords de Bonn, a instauré la Charia à Kaboul en 1992. C’est le parti de Massoud, qui en était le commandant militaire, et dont les troupes se sont livrées à une orgie de viols et de meurtres quand il occupa le quar­tier Hazara de Kaboul au cours des luttes qui l’opposaient aux autres fac­tions en 1995.

En outre, en février 2002, la guerre américaine n’est pas finie, l’Al­liance du Nord se défait au fur et à mesure que les chefs de guerre qui la composent reconquièrent les fiefs qu’ils avaient perdus ; le Jamiat-i-Islami de Rabbani, étant entré dans Kaboul le premier, assoit chaque jour plus son pouvoir sur le terrain ; appuyé par les Russes, qui sont à Kaboul à nouveau, il a raflé la majorité des portefeuilles du gouvernement intéri­maire, en dépit des Américains. Ceux-ci ont certes réussi à faire nommer Karzai, un Pathan, à la tête du gouvernement intérimaire, à la place de Rabbani, l’homme des Russes, mais Karzai ne dispose d’aucun pouvoir réel11. Deux femmes sont entrées au gouvernement provisoire, deux exi­lées, l’une du parti Hezb-i-Wahdat et l’autre du parti Parchami, tous les deux contestés - comme les autres composantes de l’Alliance du Nord - parRAWA12.

Le Jamiat-i-Islami, poussé par les instances internationales dont toutes les parties afghanes ont encore besoin, fait quelques concessions au sujet des femmes. Qu’on en juge. Un porte-parole de Rabbani déclare, une semaine après la prise de Kaboul, sur BBC World: «Les «restrictions» desTaliban seront levées - sans plus de détails - et la burqa ne sera plus obligatoire ; le hidjab suffira»13. Le hidjab suffira : ça fait rêver.

Mais eut-ce été plus, est-ce que cela justifierait la guerre? Et si la défense des droits des femmes était la vraie raison des bombardements américains, est-ce que cela justifierait les bombardements ?

Un conte (avec morale) et une question : a-t-on le droit de bombarder les gens pour leur bien?

Il était une fois un pays où les femmes n’avaient toujours pas le droit de vote, en dépit de trente ans de luttes féministes, des années et des décennies après qu’elles l’eurent obtenu dans la plupart des nations voi­sines d’Europe. Comment ces autres nations traitèrent-elles ce pays? Lui firent-elles la guerre? Lui imposèrent-elles un embargo? Lui retirèrent- elles leur confiance et leur alliance ? Bien au contraire, elles défendirent ce pays quand il était attaqué ; et, au lendemain de la victoire, en 1945, elles l’aidèrent financièrement à se reconstruire, et le prièrent de revoir sa copie et d’accorder la citoyenneté aux femmes, ce qu’il fit.

Le droit de vote, c’est fondamental. Et pourtant, est-ce que je regrette que les USA, la Grande-Bretagne et l’URSS n’aient pas bombardé la France? Non. Car pour précieux que soit ce droit, s’il avait dû être conquis au prix d’une guerre, je me demande si sa valeur aurait jamais égalé son coût. Et je le regrette d’autant moins que cet exemple prouve qu’il existe des moyens de pression pacifiques et efficaces sur les États.

Quand il s’agit des droits des femmes, c’est-à-dire des droits humains, la question qui se pose à propos d’une guerre est toujours, à la fin, la même : quels sont les maux pires que la guerre pour une population ? À quel moment la guerre devient-elle préférable? Dire que la guerre est bénéfique pour les femmes afghanes, c’est décider qu’il vaut mieux pour elles mourir sous les bombes, mourir de faim, mourir de froid, que de vivre sous les Taliban. La mort plutôt que la servitude : c’est ce qu’a décidé l’opi­nion occidentale pour les femmes afghanes. Une décision qui a failli être héroïque. Qu’aurait-il fallu pour qu’elle le soit? Eh bien, que Rumsfeld par exemple dise: «Je préfère mourir plutôt que de voir les femmes afghanes une minute de plus sous la coupe des Taliban» ; que les Occidentaux met­tent leurs vies dans la balance, et non pas celles des Afghanes.

Une décision qui serait héroïque dans le premier cas est, dans le deuxième, une façon de jouer avec la vie d’autrui qui est moralement répugnante. Ici on est dans le deuxième cas. La façon irresponsable dont on traite en Occident l’alibi de la «libération des femmes afghanes» est une illustration du fait que les vies occidentales valent plus, infinimentplus, que les autres ; et du fait que l’Occident, non content de placer un prix fort bas sur ces autres vies, estime qu’il a le droit d’en disposer à sa guise. Jusqu’à récemment, on ne pouvait que déduire de la somme des dis­cours et des actes la décision prise à la place des femmes afghanes.

Les présupposés de l’alibi de la libération des femmes ou le paradoxe du missionnaire

Mais, quelques jours après que j’eus rédigé la première version de ce texte, cette décision et ses présupposés colonialistes ont été formulés explicitement dans une tribune libre du Monde14 : «Franz Xaver Kroetz ne peut-il pas concevoir que les femmes afghanes [....] voient dans les soldats américains (sic)15 des libérateurs plutôt que des preneurs d’otages ? L’idée que la liberté puisse avoir un prix élevé, qu’elle puisse même valoir de ris­quer sa propre vie, semble incompréhensible à plus d’un ami de la paix.» Contrairement aux apparences, la «propre vie» dont parle l’auteur de cet article n’est pas la sienne. Au moment même où il dit que la liberté des femmes afghanes vaut le sacrifice de leur vie, il leur dénie cette liberté : c’est lui qui fait ce «choix» pour elles. Cette contradiction ne lui est pas propre ; elle imprègne toute l’attitude occidentale vis-à-vis des Afghanes, parce qu’elle est, plus généralement, le principe organisateur de l’attitude des dominants vis-à-vis des dominé*e*s.

Je voudrais proposer une règle simple de morale internationale qui peut valoir aussi entre les personnes : on n’a pas le droit de prendre des décisions, surtout héroïques, quand d’autres que vous vont en supporter les conséquences. La seule population qui peut décider qu’une guerre vaut le coût, c’est celle qui subit ce coût. Or, ici, celle qui a décidé la guerre ne subit pas la guerre, et celle qui subit la guerre n’a pas décidé la guerre.

Pour l’instant, la guerre humanitaire n’a pas tenu ses promesses. Les femmes afghanes sont sur les routes, sous les tentes, dans les camps, par millions. Avant la guerre, quatre millions et demi d’Afghan*e*s vivaient dans des camps de réfugié-e-s au Pakistan et en Iran. Depuis, d’autres encore ont fui devant les bombardements américains. Leur nombre exact n’est pas connu, car beaucoup de ces personnes se cachent par crainte d’être refoulées ; on estime néanmoins que le Pakistan et l’Iran en comp­tent respectivement 700000 et 300000 de plus. Mais les plus en danger, et les plus difficiles à compter, sont les «personnes déplacées de l’intérieur», qui, essayant simplement d’échapper aux bombes, ont suivi la ligne de front dans le pays et sont aujourd’hui dans des camps improvisés, sansnourriture et sans protection contre les hommes armés. À ce jour, en rai­son de la partition du territoire en fiefs contrôlés par les troupes mal nour­ries des chefs de guerre, «soldats le jour et bandits la nuit», l’aide interna­tionale n’arrive pas à ces personnes. Quand les organisations ne renoncent pas à l’acheminer, elle est détournée par les bandes armées.

Beaucoup de personnes réfugiées - surtout parmi les «déplacées de l’intérieur» et les populations des hauts plateaux, privées depuis septembre d’aide alimentaire à cause de la guerre et maintenant isolées par la neige - sont mortes ou vont mourir16. Comme dans toutes les guerres et toutes les famines, ces morts comprendront un nombre disproportionné de femmes. Et sans aucune garantie que ce «sacrifice» leur vaudra des droits. Doit-on d’ailleurs parler de sacrifice, quand elles ne l’ont pas choisi? Non. Il faut parler ici de mauvais traitements imposés par autrui, voire de torture.

Mais ceci est temporaire, dira-t-on ; avec la paix revenue, l’aide ali­mentaire va reprendre, le pays va être reconstruit. On en est encore loin, parce que la reconstruction du pays exigerait la paix, et que la paix, juste­ment, n’est pas revenue.

Les USA se sont servis des chefs de guerre qui avaient semé la ruine en Afghanistan avant 1996; 700000 hommes armés rôdent dans un pays encore plus ravagé qu’avant. Les clivages ethniques, déjà accentués pendant la première guerre civile (1992-1996), ont été encore renforcés par les Tali­ban, qui méprisent tous les non-Pathans. Avec leur défaite, à la rivalité clas­sique des chefs de guerre s’ajoute le désir de vengeance des Hazaras, des Tadjiks et des Ouzbèks. RAWA demande instamment, le 10 janvier, qu’une force internationale «protège le peuple afghan contre les criminels de l’Al­liance du Nord»17. Quelques jours plus tard, Karzai commence à dénoncer les représailles contre les Pathans dans les régions où ils sont minoritaires ; puis il profite de sa visite à New York pour demander à l’ONU une force internationale de police, alors qu’il n’avait jusque-là demandé que de l’ar­gent 18. La reprise de la guerre civile, dont on pouvait sentir les prémisses pendant les combats contre les Taliban, par exemple pendant la prise de Kunduz, est en train de se déclarer de façon ouverte. Le Pathan Shirzai, le gouverneur de Kandahar, dispute avec 20000 hommes le contrôle d’Herat au Tadjik Ismaïl Khan19. Des combats ont éclaté au nord, dans la région de Kunduz, et au sud-est dans celle de Khost. Des affrontements ont eu lieu à Mazar-i-Charif entre les troupes de l’Ouzbek Dostum et celles du Tadjik Atta Mohammed, tandis qu’à Gardez, dans le sud-est, le gouverneur nommé par Karzai, Pacha Khan Zadran, se battait avec le chef local, Haji Saifullah, fai-sant 60 morts20. Même la plus protégée des villes, Kaboul, est en proie à l’insécurité. Un diplomate en poste déclare que les habitants ne vont plus dans certaines parties de la ville : «la culture de la kalachnikov y règne»21.

Mais les USA sont occupés à aplatir les montagnes de Tora-Bora, et ont réitéré maintes fois leur peu de goût pour «la construction de nations»: en clair, ils détruisent mais ne réparent pas les dégâts. Cette force internationale suffisante pour protéger l’ensemble du pays ne verra donc pas le jour: elle ne comprendra que 4500 hommes autour de Kaboul et pendant six mois22. Les USA ne veulent ni immobiliser assez de soldats pour contrôler les 700000 hommes en armes sur le territoire de l’Afgha­nistan, ni laisser les autres pays, qui comprendraient forcément la Russie, le faire. Les Taliban, reconvertis en hommes ordinaires (il leur suffît, comme un Afghan l’a montré à un reporter occidental, de nouer leur tur­ban un peu différemment), vont reprendre du service chez les seigneurs Pathans auxquels ils apporteront leur goût de la guerre - ils ne connais­sent que ça - et leur haine des Tadjiks et des Ouzbèks.

L’Occident n’a pas apporté la paix et la prospérité : il a détruit ce qu’il restait à détruire, il a fait fuir encore plus de gens d’un pays déjà exsangue, il a achevé d’affamer un peuple qui mourait de faim, et il a redonné des armes à des chefs de tribu qui ne rêvent que prébendes, conquêtes et massacres. On ne pouvait imaginer, avant la guerre, que l’Af­ghanistan puisse tomber dans un état encore pire que celui qui était le sien : c’est possible, nous l’avons fait.

Nouveau «devoir d’ingérence» et vieille «mission civilisatrice»

La moindre des décences voudrait que les Alliés arrêtent de clamer que c’est pour leur bien qu’on fait subir cela aux femmes afghanes (et aux hommes), et surtout s’abstiennent de prétendre que c’est au nom de leur liberté qu’on leur retire le droit de choisir leur sort, et même le droit de vivre. Mais on peut craindre au contraire que ce couplet ne devienne un tube ; la liste est longue des pays auxquels la Coalition des Alliés contre le mal s’est promis de porter le bien par le fer23. Et bien sûr, toute ressemblance avec des événements historiques passés, si passés qu’évoquer leur nom est ringard, toute ressemblance donc avec les guerres coloniales est une coïncidence.

La guerre ne fera jamais avancer les droits humains. Car, outre des Afghanes et des Afghans, cette guerre au nom de la civilisation a en deux mois envoyé un bon paquet de cette civilisation aux oubliettes. Les Conventions de Genève, déclarées invalides par les Alliés, d’abord com­plices des crimes du boucher de Mazar-i-Charif (le «général» Dostum, vice-ministre de la Défense dans le gouvernement Karzai) et des autres24; complices maintenant des manœuvres américaines qui inventent des nou­velles catégories pseudo-juridiques, les «combattants illégaux» de Guan- tanamo, qu’aucun droit, ni national, ni international, ni commun, ni de guerre, ne couvrirait25 ! Les libertés publiques, orgueil de nos démocraties, annulées. Le droit international, blessé à mort - le grand corps agonisant de l’ONU est là pour en témoigner.

Seule une coopération vraie et pacifique entre les nations fera pro­gresser les droits humains. Or elle n’est pas à l’ordre du jour. Non seule­ment les vrais buts de la guerre ne sont nullement les arguments avec les­quels on la «vend» aux opinions, mais ces arguments «humanitaires» ou «humanistes» eux-mêmes sont viciés au départ. Ceux de l’auteur de la tri­bune libre cité plus haut par exemple, sont typiquement les arguments des moines espagnols vis-à-vis des Indiens du Nouveau Monde : ils postulent que nous (les Occidentaux) savons ce qui est bon, pour tout le monde, et que nous avons le droit - et peut-être le devoir - de le proposer ou de l’imposer aux autres. Ces autres, qui nous sont intellectuellement et mora­lement inférieurs, n’ont pas la même valeur que nous : leur vie non plus n’a en conséquence pas la même valeur que la nôtre.

Les populations civiles des pays de l’alliance n’ont pas d’intérêt direct aux guerres impérialistes. Les motifs réels de leurs gouvernants ne les «motivent» pas: dès lors que des raisons économiques sont invoquées, la légitimité des guerres est diminuée aux yeux du public. Les gouvernements fournissent toujours aux guerres des motifs désintéressés, voire nobles, sinon comme seule raison des guerres, au moins comme adjuvant ou comme excipient. La guerre du Golfe était bien perçue par l’opinion comme une guerre «pour le pétrole», mais aussi comme «la guerre du droit» - l’un faisant passer l’autre. La guerre de Serbie, la plus populaire, est réputée avoir évité un génocide. Il est possible qu’il y ait de la duplicité dans les opinions publiques, qu’elles soient en réalité d’accord avec les motifs inté­ressés et égoïstes des guerres. Mais il est certain que ce n’est pas ce que les opinions mettent en avant : elles laissent le cynisme à leurs gouvernants.

Dans la guerre afghane, l’opinion française a accepté un «pastis» de raisons, dont certaines peu morales, comme la vengeance. Mais cette motivation honteuse doit être «équilibrée» par autre chose; on ne peutdonner pour unique but à cette guerre de martyriser encore plus l’une des populations les plus pauvres et les plus éprouvées du monde ; il faut que la guerre porte une promesse de bien, ou au moins de mieux, pour le peuple afghan, qu’il soit en quelque sorte «récompensé» pour ses souffrances.

Et c’est pourquoi le motif des femmes afghanes, apparu tard, est cependant crucial, car il confère au conflit sa nécessaire dimension «altruiste» et «morale». Mais, on l’a vu, ce motif recèle, en fait, la néga­tion du libre arbitre et même de la vie des personnes qu’il vise. À quelle structure éthique appartient donc ce motif moral, et dans quelle mesure est-il vraiment « altruiste » ?

Le motif moral - ici la «libération des femmes afghanes» - fait appel à des valeurs en apparence progressistes : mais en apparence seulement ; car à l’examen, elles consistent en la croyance plus ou moins consciente en la «mission» de l’Occident; or nous ne croyons avoir une telle mission que parce que nous croyons posséder la «civilisation» ; aucun journaliste, aucun homme politique, aucun intellectuel n’a critiqué l’équation faite par G.W. Bush et ses épigones entre Occident et civilisation après les attentats du World Trade Center - au contraire, un consensus total s’est dégagé pour y voir «une attaque contre la civilisation». L’action des puissances occiden­tales dans le monde non occidental s’appuie sur des opinions publiques dont la vision de ce monde n’a guère changé en profondeur depuis la fin de la colonisation. La croyance en la supériorité de l’Occident est intacte. Ce racisme plus ou moins affirmé s’allie aujourd’hui à une compassion de type paternaliste; leur combinaison produit une idéologie potentiellement très dangereuse pour les non-Occidentaux et plus largement pour les peuples et les groupes dominés, car elle justifie tant l’intervention militaire que l’action humanitaire, et parfois les deux en même temps, comme on l’a vu quand l’opinion américaine approuvait le largage simultané de bombes et de colis. Nourrir et punir, cela définit le rôle des parents vis-à-vis des enfants; le vocabulaire utilisé par G.W. Bush est très révélateur ; que ce soit à ses alliés ou à ses ennemis, il parle le langage d’un père sévère mais équitable, qui, selon la conduite des enfants, distribue les bons et les mauvais points, les châtiments et les récompenses. Également révélateur, le fait que les opinions occidentales ne semblent pas avoir été choquées par cette condescendance, ce qui indiquerait qu’elles s’identifient à la position assumée par G.W. Bush.

Sans tenter pour le moment de relier ces attitudes à l’action réelle des gouvernements occidentaux depuis cinquante ans, on doit constater que les changements idéologiques annoncés par la décolonisation, la Charte de l’ONU, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et toutes les autres conventions internationales, ne semblent ni refléter ni influencer le moins du monde le sentiment commun. Les mots ont changé : mais il n’est pas difficile de reconnaître sous le nouveau vocable du «devoir d’ingérence» la vieille mission civilisatrice, toujours aussi meurtrière, car elle incorpore le paradoxe du missionnaire: «On sauvera leurs âmes (leur liberté) même s’il faut les tuer pour cela.







[1] Le 22 septembre, les Taliban offrent de livrer Ben Laden si les USA peuvent produire des preuves contre lui, ce que les USA refusent de faire. Mais le 1er octobre, Mollah Omar propose d’extrader Ben Laden au Pakistan, où il serait en résidence surveillée à Peshawar avant de compa­raître devant un tribunal international, et cette fois-ci sans demander de preuves. Les USA rejet­tent cette offre avec mépris, réitérant ce que Ari

Fleischer, porte-parole de la Maison-Blanche, a répété plusieurs fois : « Il n’y aura ni discussions ni négociations avec les Taliban». S’il n’y avait pas d’autre solution que la guerre, c’est parce que les USA n’ont pas voulu qu’il y en ait : ils ont barré d’avance et refusé la voie alternative, la diploma­tie, même quand leurs adversaires le leur deman­daient (voir le site internet de Women living under Muslim Laws : www.wluml.org).

2 Tous les États qui ont emboîté verbalement le pas aux États-Unis, bien que ceux-ci aient livré la guerre seuls.

3 Patrice Claude, «Le pouvoir désordonné des

Moudjahidins s’installe sur Jalalabad en proie à

toutes les terreurs», Le Monde, 25-26 novembre 2001.

4. Ahmed Rashid (2001). U ombre des Taliban. Paris : Autrement.

5 Nom générique des associations humanitaires

6. Voir le film de Christophe de Ponfilly, Massoud d’origine française, Médecins sans frontières, l’Afghan, qui idéalise son sujet de façon irresponsable sable, à moins qu’il n’ait réalisé volontairement une œuvre de désinformation .

7. Les militantes de RAWA travaillent depuis des années avec les réfugiées afghanes au Pakistan, dans la clandestinité ; elles s’occupent en particu­lier de scolariser les filles ; elles entrent aussi en Afghanistan, au péril de leur vie, pour tourner des films sur la condition du pays sous les Taliban. Menacées de mort par tous les fondamentalistes,

elles dénoncent les Moudjahidins comme les Tali­ban ; et elles ont protesté avec la dernière énergie contre le bombardement de leur pays par les USA.

8 Rahim Khushnawaz, Télérama, N° 2714, 16 jan­vier 2002, p. 50.

9 Robert Fisk, «What will the Northern Alliance do in our name now?», The Independent, 14.11.01.

10 «L’Alliance du Nord avance avec son bagage now? I dread to think...», The Independent, de meurtres, de viols et de pillages.» (Robert Fisk, 14.11.01).

«What will the Northern Alliance do in our name

[11] Human Rights Watch, «Military assistance to the Afghan Opposition», octobre 2000.

[12]  A l’inverse de RAWA, une association de «soutien aux femmes afghanes» basée en France, Negar, est favorable à l’Alliance du Nord et aux bombardements. Selon cette association, une «Charte des droits fondamentaux de la femme afghane» aurait été signée par Massoud et plus récemment par Karzai (voir sur le site internet de la Coalition internationale contre la guerre, cicg.free.fr: Afghanistan; droits des femmes; interview de Shoukria Haïdar par C. Delphy). Cette association attribue l’horreur de la situation des femmes afghanes aux seuls Taliban, et ne men­tionne jamais les Moudjahidins (Lesbia, 208, décembre 2001, p. 33).

Une explication possible de ce côté partisan - dans le cas de Negar, pro-Alliance du Nord - réside peut-être dans le fait que, selon Sippi Azer- baijani-Moghadam, conseillère technique de la Commission de l’ONU pour les femmes et enfants réfugiés et spécialiste de la région, «les organisa­tions de femmes se sont formées à partir des groupes ethniques Pathan, Tadjik et Hazara» (Sha­ron Groves [2001]. «Report from Afghanistan», Feminist Studies, 27/3).



[13] Le hidjab dans l’acception afghane est le corps et la tête y compris le visage, et non un tchador iranien : un manteau enveloppant tout le simple foulard.



[14] Peter Schneider, Le Monde, 5 décembre 2001.

[15] L’usage par la presse du terme «libération» a probablement évoqué chez Schneider l’image des Françaises embrassant les soldats américains lors de la libération de Paris. Mais l’action ne se passe pas en France en 1944. En 2001 et en Afghanis­tan, les soldats américains ne se montrent pas ; ce sont les troupes de l’Alliance du Nord, dont la réputation n’est pas exactement celle de «libéra­teurs», qui sont entrées dans Kaboul.

[16] Il n’y a pas plus de décompte de ces morts que des victimes directes des bombes américaines, bien que, dès décembre, certaines organisations humanitaires nord-américaines les estiment à plus
de 3700.

17. «Lettre de RAWA», www.RAWA.org.

18. BBC World, 30 janvier 2002.

19. Globe and Mail, 22 janvier 2002.

20 AP et Time Magazine Newsletter, semaine du 1er au 7 février 2002.

21 Hindustan Times, d’après l’AFP, 25 janvier 2002.

22 Hindustan Times, 20 janvier 2002.

23 Le 31 janvier, G.W. Bush réitère pour la cin­quième fois depuis le 11 septembre l’assurance que les USA vont livrer une guerre à l’échelle mondiale, et met en cause de nouveaux pays: l’Iran et la Corée du Nord ainsi que le Hamas, le Hezbollah et le Djihad islamique, trois groupes de

résistance à l’occupation israélienne. Deux jours avant, les premiers soldats américains sont arri­vés aux Philippines. Les médias et l’opinion occi­dentale balaient ces déclarations depuis trois mois comme autant d’excès de langage. Il faudra sans doute qu’un autre pays soit la cible d’une campagne de bombardements, ce qui ne saurait tarder, pour qu’on prenne ces déclarations pour ce qu’elles ont: l’annonce d’un programme, et non des effets rhétoriques.

24 Robert Fisk. «We are the War Criminals .

25 . www.hrw.org, 22.01.02; cicg.free.fr, «Lettre Now», The Independent, 29.11.01 ; Human Rights de la CICG», 23.01.02; www.amnesty.org, lettre à Watch, www.hrw.org, 01.12.01; cicg.free.fr, M. Bush, 21.01.02. 


· Dans Nouvelles Questions Féministes 2002/1 (Vol. 21), pages 98 à 109



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