Injonctions, contrôles, reporting serré, l’Exécutif veut reprendre la main, l’opérateur EDF, jugé défaillant, est désormais sous surveillance rapprochée. Une analyse orientée, mal fondée, qui redistribue sans vergogne les cartes et les responsabilités, au risque fort de la confusion des rôles et de l’inefficacité.
Si aux yeux des opinions, le nombre de réacteurs nucléaires actuellement à l’arrêt (26 sur 56) est inquiétant, il l’est aussi pour les professionnels de la filière qui doivent relever un défi d’importance pour l’économie du pays et de ses citoyens, et pour la crédibilité de leur outil industriel.
Certes, c’est une conjonction de contingences adverses qui a conduit la flotte actuelle de réacteurs à ce niveau d’indisponibilité, et si aucune des difficultés rencontrées n’est rédhibitoire, en soi, leurs effets se potentialisent pour déboucher sur la situation critique que nous connaissons.
Détracteurs durables
Surfant sur la vague créée par ce contexte inédit, les adversaires du nucléaire ont vu leurs carquois se remplir de nombre et variétés de flèches qu’ils peuvent décocher sur ce grand corps malade qu’est actuellement la flotte française de réacteurs.
Les premières visent le caractère systémique que peut prendre tout ennui ou avarie, soit parce que plusieurs réacteurs sont touchés, soit parce qu’on considère qu’ils pourraient l’être, et que, par application du principe de précaution, on doit les arrêter pour investiguer, quitte à les mettre parfois durablement en panne.
Autre dimension de ce même aspect systémique, les contraintes liées au refroidissement des réacteurs (en bord de rivière, ou d’estuaire) en période de fortes chaleurs, lesquelles ont de beaux étés devant elles, avec l’évolution climatique.
La seconde bordée vise à assimiler ennuis techniques et vieillissement incontrôlé des installations, même si les faits démentent absolument ces assertions. Ainsi, la corrosion sous contrainte (CSC[1]) qui affecte certains réacteurs (à des degrés très divers d’ailleurs) concerne les unités les plus récentes du parc.
Troisième volée, les indisponibilités actuelles seraient dues à l’accumulation de laxismes, de reports et d’impasses dans la maintenance des réacteurs au fil des années, de telles inconséquences finissant par l’impossibilité physique de continuer à les exploiter.
C’est un propos qui se répand et dans cette veine, la pression exercée par le gouvernement sur EDF pour le redémarrage de tous les réacteurs est parfois vue comme irresponsable, la crainte sous-jacente étant qu’on redémarre, à tout prix, des réacteurs peu sûrs.
Tout au contraire, le parc de réacteurs d’EDF est toujours resté exploité avec sérieux et professionnalisme, quant aux contrôles auquel il est soumis, c’est faire bien peu de cas du rôle capital de l’ASN, autorité administrative indépendante, omniprésente, compétente et reconnue partout comme telle.
Déterminants durables
Pour les opinions, il n’est pas aisé de démêler le vrai du faux, de peser la réalité des dangers agités, ni de distribuer les responsabilités.
Il est clair, pourtant, que la situation est sans précédent et que les interrogations sont pleinement légitimes, d’autant qu’elles viennent percuter les arguments habituels des partisans du nucléaire qu’ils présentent comme l’outil de l’indépendance énergétique et du courant disponible et peu cher.
Certes ces opinions ont été travaillées de longue date, avec des discours réitérés sur le risque encouru d’avoir mis « tous les œufs dans le même panier », un argument des pro-EnRs, comme si l’intermittence de leurs champions pouvait garantir une continuité de fourniture. L’argument vaut pour l’étoffement d’une flotte de CCGgaz[2], mais on touche là les limites de l’alternative, avec les événements géopolitiques actuels.
De fait, c’est l’ampleur et le calendrier de réalisation du programme de modification des installations demandées par l’ASN, afin de permettre une exploitation des réacteurs au-delà de quarante années de fonctionnement (et pour dix années supplémentaires, au moins), qui est l’une des causes principales de la situation.
La raison de ce programme, qui n’existe nulle part ailleurs par son ampleur et sa profondeur, ne tient nullement à un niveau de sûreté de conception et d‘exploitation des réacteurs français qui se serait décalé des standards mondiaux (il en constitue au contraire le fleuron), mais bien à un degré d’exigence de l’ASN, qui a mis la barre très haut.
Se superposent à ces contraintes celles résultant des modifications dites « post-Fukushima » avec en particulier la mise en place d’un important « noyau dur[3] » pour chaque réacteur, dont ceux candidats au franchissement du cap 40 ans.
La réalisation de ce programme est une condition nécessaire (mais pas forcément suffisante), pour que l’ASN puisse autoriser la poursuite de l’exploitation, sachant qu’aucune limite physique au prolongement du fonctionnement des réacteurs (vieillissement des équipements non remplaçables, les cuves en particulier) n’a été identifiée. Pour donner une idée de l’importance des travaux afférents, chaque réacteur est arrêté six mois (en ordre de grandeur) pour pouvoir les réaliser.
Actuellement, sept réacteurs de 900 MWe sur 32 ont achevé cette séquence et une dizaine sont en chantier, il y a donc encore du travail en longue perspective, une dimension qui semble incompatible avec les injonctions martiales du temps présent.
Une fois encore, on ne peut séparer les efforts à réaliser pour requalifier les réacteurs aux nouvelles exigences de l’ASN de la richesse énorme qu’ils pourront produire dans la décennie qui vient et très probablement au-delà. Mais ces outils, à forte intensité en capital, ne pourront donner leur mesure économique que si leur exploitation n’est pas inféodée à la seule compensation des intermittences de flottes éoliennes et solaires, qu’on s’apprête parallèlement à hypertrophier.
Il n’y aura pas de place rentable pour tous les acteurs si les conditions d‘accès au réseau ne sont pas profondément transformées. Il est donc à craindre que les conditions d’une pleine valorisation de l’énorme effort entrepris pour pérenniser le parc nucléaire, à un haut degré de sûreté, ne soient jamais réunies.
Insuffisances durables
Comme expliqué par EDF, les effectifs compétents des entreprises en charge de la réalisation des modifications ont tous été mobilisés, mais le planning global était très serré et enchâssé dans celui des arrêts fatals pour rechargement du combustible, le tout à la merci du moindre bouleversement.
Or le Covid a d’emblée désorganisé cette horlogerie sans jeu. Des réacteurs se sont ainsi trouvés arrêtés sans qu’on puisse y réaliser les travaux prévus, à cause de l’allongement des chantiers sous Covid sur d’autres réacteurs, qui mobilisaient les compétences requises, non duplicables. Une réaction en chaine, implacable.
La corrosion sous contrainte (CSC) s’est ensuite superposée à une situation déjà très compliquée, rendant la gestion de l’ensemble inextricable, d’autant que les options de sûreté prises par EDF en face de ces désordres inattendus (de la CSC affectant l’inox forgé, c’est une surprise industrielle !), ont été conservatoires, avec mises à l’arrêt de réacteurs affectés, ou pouvant l’être, et découpe des tuyauteries suspectes, parfois à raison, mais parfois pas. Or les réparations (remplacement des tronçons affectés) sont particulièrement lourdes (approvisionnement spécifiques longs et délicats, puis soudages par des maîtres qualifiés et contrôles pointus, le tout en ambiance radioactive).
Phobies durables
Des marges raisonnables dans le dimensionnement de notre parc de production électrique n’auraient certes pas tout réglé, mais elles auraient au moins permis de pallier, en ordre de grandeur, l’effacement des réacteurs concernés par la CSC.
Mais ces marges, qui existaient, étaient essentiellement composées de centrales thermiques classiques (charbon, fioul) et les Verts aux portes du pouvoir, puis au pouvoir, n’ont eu de cesse que dénoncer ces pollueuses émettrices de CO2 (même si elles n’étaient presque jamais utilisées) et face à la galerie européenne, il n’était pas question de présenter un parc de production national possédant encore ces stigmates d’autres temps idéologiques, surtout quand il s’agit de montrer le chemin !
La loi dite « Energie-climat » de 2019 a d’ailleurs scellé le sort de ces centrales, toutes devaient être arrêtées en 2022 et leur fonctionnement strictement limité dans l’intervalle. Des décisions bien imprudentes, mais les décideurs avisés d’alors sont toujours au pouvoir, mieux, sur les mêmes créneaux.
Cette ultra-phobie des centrales « classiques » charbon, que nos voisins allemands redémarrent par dizaines, contraints par les carences en gaz russe, ne s’est pourtant pas éteinte en France, malgré le dur choc avec le réel.
Dans sa philippique pointant la responsabilité d’EDF dans la crise actuelle, notre première ministre presse l’opérateur de tenir les délais affichés de redémarrage des réacteurs afin, surtout, que le pays ne soit pas contraint à redémarrer l’unité charbon de Saint-Avold. Une déclaration surréaliste, on imaginait le péril sous la forme de coupures, voire de black-out, mais nous voilà décillés, c’est une alerte au feu de cheminée !
Avec l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim, c’est au total plus de 10 GW, soit une capacité équivalente à 12 réacteurs nucléaires, qui ont été retirés du jeu en quelques années (dit déjà, 12 réacteurs sont affectés par la CSC…, magie des chiffres ?).
Les 1650 MW de l’EPR de Flamanville manquent cruellement. Mais s’interroger sur les déboires du projet fait immanquablement repasser par ces mêmes déterminants qui plombent actuellement la maintenance de la flotte en exploitation : manque de perspectives pour une filière exigeante et donc, manque d’une masse critique de compétences.
Impasse durable
Le gouvernement veut mettre l’activité nucléaire d’EDF sous une tutelle incompétente, un choix politique qui pourrait bien se révéler imprudent, un appareil aussi inertiel que la filière nucléaire ne pouvant se conformer, sans délais, aux souhaits du politique, surtout quand ceux-ci sont clairement contradictoires.
Vouloir dénoncer devant l’opinion l’incurie d’EDF, incapable de respecter les dates de redémarrage des réacteurs, en mettant l’entreprise sous tutelle de ministres, est un mépris ostensible des salariés et de tous les sous-traitants impliqués, lesquels ont fait de leur mieux, dans des conditions sanitaires (Covid) ou météorologique (canicule) souvent éprouvantes, pour exécuter des tâches difficiles.
Une telle attitude est un déni de réalité, et illustre bien le pilotage hors sol du dossier par des responsables politiques, au plus haut niveau, qui conduisent sans rétroviseur, mais aussi sans vision.
[1]. La corrosion sous contrainte (CSC) résulte de l’action conjuguée d’une contrainte mécanique et d’un milieu agressif. Cette dégradation conduit à l’amorçage d’une ou plusieurs fissures puis à leur propagation au sein du matériau.
[2]. CCGaz : centrale thermique à cycle combiné gaz, une centrale électrique brûlant du gaz naturel et utilisant le principe du cycle combiné (turbine à gaz + turbine à vapeur).
[3]. Création d’un “noyau dur” constituant une ligne de défense supplémentaire pour faire face aux agressions extrêmes afin de limiter les rejets radioactifs massifs et d’éviter les effets durables dans l’environnement. Entre autres, une source électrique autonome supplémentaire permettant le refroidissement du réacteur est créée (DUS, pour diesel d’ultime secours).
Gérard Petit Article publié sur le Blog Telos et sur Linkedin
Gérard Petit est ingénieur en génie atomique - Retraité d'EDF
Si aux yeux des opinions, le nombre de réacteurs nucléaires actuellement à l’arrêt (26 sur 56) est inquiétant, il l’est aussi pour les professionnels de la filière qui doivent relever un défi d’importance pour l’économie du pays et de ses citoyens, et pour la crédibilité de leur outil industriel.
Certes, c’est une conjonction de contingences adverses qui a conduit la flotte actuelle de réacteurs à ce niveau d’indisponibilité, et si aucune des difficultés rencontrées n’est rédhibitoire, en soi, leurs effets se potentialisent pour déboucher sur la situation critique que nous connaissons.
Détracteurs durables
Surfant sur la vague créée par ce contexte inédit, les adversaires du nucléaire ont vu leurs carquois se remplir de nombre et variétés de flèches qu’ils peuvent décocher sur ce grand corps malade qu’est actuellement la flotte française de réacteurs.
Les premières visent le caractère systémique que peut prendre tout ennui ou avarie, soit parce que plusieurs réacteurs sont touchés, soit parce qu’on considère qu’ils pourraient l’être, et que, par application du principe de précaution, on doit les arrêter pour investiguer, quitte à les mettre parfois durablement en panne.
Autre dimension de ce même aspect systémique, les contraintes liées au refroidissement des réacteurs (en bord de rivière, ou d’estuaire) en période de fortes chaleurs, lesquelles ont de beaux étés devant elles, avec l’évolution climatique.
La seconde bordée vise à assimiler ennuis techniques et vieillissement incontrôlé des installations, même si les faits démentent absolument ces assertions. Ainsi, la corrosion sous contrainte (CSC[1]) qui affecte certains réacteurs (à des degrés très divers d’ailleurs) concerne les unités les plus récentes du parc.
Troisième volée, les indisponibilités actuelles seraient dues à l’accumulation de laxismes, de reports et d’impasses dans la maintenance des réacteurs au fil des années, de telles inconséquences finissant par l’impossibilité physique de continuer à les exploiter.
C’est un propos qui se répand et dans cette veine, la pression exercée par le gouvernement sur EDF pour le redémarrage de tous les réacteurs est parfois vue comme irresponsable, la crainte sous-jacente étant qu’on redémarre, à tout prix, des réacteurs peu sûrs.
Tout au contraire, le parc de réacteurs d’EDF est toujours resté exploité avec sérieux et professionnalisme, quant aux contrôles auquel il est soumis, c’est faire bien peu de cas du rôle capital de l’ASN, autorité administrative indépendante, omniprésente, compétente et reconnue partout comme telle.
Déterminants durables
Pour les opinions, il n’est pas aisé de démêler le vrai du faux, de peser la réalité des dangers agités, ni de distribuer les responsabilités.
Il est clair, pourtant, que la situation est sans précédent et que les interrogations sont pleinement légitimes, d’autant qu’elles viennent percuter les arguments habituels des partisans du nucléaire qu’ils présentent comme l’outil de l’indépendance énergétique et du courant disponible et peu cher.
Certes ces opinions ont été travaillées de longue date, avec des discours réitérés sur le risque encouru d’avoir mis « tous les œufs dans le même panier », un argument des pro-EnRs, comme si l’intermittence de leurs champions pouvait garantir une continuité de fourniture. L’argument vaut pour l’étoffement d’une flotte de CCGgaz[2], mais on touche là les limites de l’alternative, avec les événements géopolitiques actuels.
De fait, c’est l’ampleur et le calendrier de réalisation du programme de modification des installations demandées par l’ASN, afin de permettre une exploitation des réacteurs au-delà de quarante années de fonctionnement (et pour dix années supplémentaires, au moins), qui est l’une des causes principales de la situation.
La raison de ce programme, qui n’existe nulle part ailleurs par son ampleur et sa profondeur, ne tient nullement à un niveau de sûreté de conception et d‘exploitation des réacteurs français qui se serait décalé des standards mondiaux (il en constitue au contraire le fleuron), mais bien à un degré d’exigence de l’ASN, qui a mis la barre très haut.
Se superposent à ces contraintes celles résultant des modifications dites « post-Fukushima » avec en particulier la mise en place d’un important « noyau dur[3] » pour chaque réacteur, dont ceux candidats au franchissement du cap 40 ans.
La réalisation de ce programme est une condition nécessaire (mais pas forcément suffisante), pour que l’ASN puisse autoriser la poursuite de l’exploitation, sachant qu’aucune limite physique au prolongement du fonctionnement des réacteurs (vieillissement des équipements non remplaçables, les cuves en particulier) n’a été identifiée. Pour donner une idée de l’importance des travaux afférents, chaque réacteur est arrêté six mois (en ordre de grandeur) pour pouvoir les réaliser.
Actuellement, sept réacteurs de 900 MWe sur 32 ont achevé cette séquence et une dizaine sont en chantier, il y a donc encore du travail en longue perspective, une dimension qui semble incompatible avec les injonctions martiales du temps présent.
Une fois encore, on ne peut séparer les efforts à réaliser pour requalifier les réacteurs aux nouvelles exigences de l’ASN de la richesse énorme qu’ils pourront produire dans la décennie qui vient et très probablement au-delà. Mais ces outils, à forte intensité en capital, ne pourront donner leur mesure économique que si leur exploitation n’est pas inféodée à la seule compensation des intermittences de flottes éoliennes et solaires, qu’on s’apprête parallèlement à hypertrophier.
Il n’y aura pas de place rentable pour tous les acteurs si les conditions d‘accès au réseau ne sont pas profondément transformées. Il est donc à craindre que les conditions d’une pleine valorisation de l’énorme effort entrepris pour pérenniser le parc nucléaire, à un haut degré de sûreté, ne soient jamais réunies.
Insuffisances durables
Comme expliqué par EDF, les effectifs compétents des entreprises en charge de la réalisation des modifications ont tous été mobilisés, mais le planning global était très serré et enchâssé dans celui des arrêts fatals pour rechargement du combustible, le tout à la merci du moindre bouleversement.
Or le Covid a d’emblée désorganisé cette horlogerie sans jeu. Des réacteurs se sont ainsi trouvés arrêtés sans qu’on puisse y réaliser les travaux prévus, à cause de l’allongement des chantiers sous Covid sur d’autres réacteurs, qui mobilisaient les compétences requises, non duplicables. Une réaction en chaine, implacable.
La corrosion sous contrainte (CSC) s’est ensuite superposée à une situation déjà très compliquée, rendant la gestion de l’ensemble inextricable, d’autant que les options de sûreté prises par EDF en face de ces désordres inattendus (de la CSC affectant l’inox forgé, c’est une surprise industrielle !), ont été conservatoires, avec mises à l’arrêt de réacteurs affectés, ou pouvant l’être, et découpe des tuyauteries suspectes, parfois à raison, mais parfois pas. Or les réparations (remplacement des tronçons affectés) sont particulièrement lourdes (approvisionnement spécifiques longs et délicats, puis soudages par des maîtres qualifiés et contrôles pointus, le tout en ambiance radioactive).
Phobies durables
Des marges raisonnables dans le dimensionnement de notre parc de production électrique n’auraient certes pas tout réglé, mais elles auraient au moins permis de pallier, en ordre de grandeur, l’effacement des réacteurs concernés par la CSC.
Mais ces marges, qui existaient, étaient essentiellement composées de centrales thermiques classiques (charbon, fioul) et les Verts aux portes du pouvoir, puis au pouvoir, n’ont eu de cesse que dénoncer ces pollueuses émettrices de CO2 (même si elles n’étaient presque jamais utilisées) et face à la galerie européenne, il n’était pas question de présenter un parc de production national possédant encore ces stigmates d’autres temps idéologiques, surtout quand il s’agit de montrer le chemin !
La loi dite « Energie-climat » de 2019 a d’ailleurs scellé le sort de ces centrales, toutes devaient être arrêtées en 2022 et leur fonctionnement strictement limité dans l’intervalle. Des décisions bien imprudentes, mais les décideurs avisés d’alors sont toujours au pouvoir, mieux, sur les mêmes créneaux.
Cette ultra-phobie des centrales « classiques » charbon, que nos voisins allemands redémarrent par dizaines, contraints par les carences en gaz russe, ne s’est pourtant pas éteinte en France, malgré le dur choc avec le réel.
Dans sa philippique pointant la responsabilité d’EDF dans la crise actuelle, notre première ministre presse l’opérateur de tenir les délais affichés de redémarrage des réacteurs afin, surtout, que le pays ne soit pas contraint à redémarrer l’unité charbon de Saint-Avold. Une déclaration surréaliste, on imaginait le péril sous la forme de coupures, voire de black-out, mais nous voilà décillés, c’est une alerte au feu de cheminée !
Avec l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim, c’est au total plus de 10 GW, soit une capacité équivalente à 12 réacteurs nucléaires, qui ont été retirés du jeu en quelques années (dit déjà, 12 réacteurs sont affectés par la CSC…, magie des chiffres ?).
Les 1650 MW de l’EPR de Flamanville manquent cruellement. Mais s’interroger sur les déboires du projet fait immanquablement repasser par ces mêmes déterminants qui plombent actuellement la maintenance de la flotte en exploitation : manque de perspectives pour une filière exigeante et donc, manque d’une masse critique de compétences.
Impasse durable
Le gouvernement veut mettre l’activité nucléaire d’EDF sous une tutelle incompétente, un choix politique qui pourrait bien se révéler imprudent, un appareil aussi inertiel que la filière nucléaire ne pouvant se conformer, sans délais, aux souhaits du politique, surtout quand ceux-ci sont clairement contradictoires.
Vouloir dénoncer devant l’opinion l’incurie d’EDF, incapable de respecter les dates de redémarrage des réacteurs, en mettant l’entreprise sous tutelle de ministres, est un mépris ostensible des salariés et de tous les sous-traitants impliqués, lesquels ont fait de leur mieux, dans des conditions sanitaires (Covid) ou météorologique (canicule) souvent éprouvantes, pour exécuter des tâches difficiles.
Une telle attitude est un déni de réalité, et illustre bien le pilotage hors sol du dossier par des responsables politiques, au plus haut niveau, qui conduisent sans rétroviseur, mais aussi sans vision.
[1]. La corrosion sous contrainte (CSC) résulte de l’action conjuguée d’une contrainte mécanique et d’un milieu agressif. Cette dégradation conduit à l’amorçage d’une ou plusieurs fissures puis à leur propagation au sein du matériau.
[2]. CCGaz : centrale thermique à cycle combiné gaz, une centrale électrique brûlant du gaz naturel et utilisant le principe du cycle combiné (turbine à gaz + turbine à vapeur).
[3]. Création d’un “noyau dur” constituant une ligne de défense supplémentaire pour faire face aux agressions extrêmes afin de limiter les rejets radioactifs massifs et d’éviter les effets durables dans l’environnement. Entre autres, une source électrique autonome supplémentaire permettant le refroidissement du réacteur est créée (DUS, pour diesel d’ultime secours).
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Gérard Petit est ingénieur en génie atomique - Retraité d'EDF
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