Rechercher dans ce blog

Jean-Marc Jancovici: 100% renouvelable pour pas plus cher, fastoche ?



Jean-Marc Jancovici est un ingénieur reconnu pour ses publications sur l’énergie et le climat, fondateur du shift project, spécialiste de la transition énergétique, mêlant connaissances techniques et économiques.

Il propose dans cet article une étude détaillée des coûts d’investissements nécessaires des divers scénarios "100%ENR" en les comparant avec le scénario actuel 50% nucléaire...

Il prend en compte ce que beaucoup de promoteurs du 100% ENR oublient, le coût de renforcement des réseaux électrique, le coût du stockage rendu nécessaire par l’intermittence des ENR, la durée de vie des installations et la nécessité de leur renouvellement...

Le résultat est sans appel, même en étant économiquement optimiste pour les ENR et pessimiste pour le nucléaire, les scénarios 100% ENR coutent deux fois plus chers, et dans des scénarios réalistes 6 à 10 fois plus chers en investissements.

Sans compter l’impossible faisabilité politique de stockage massif dans les scénarios 100% ENR qui supposeraient des centaines de barrages dont on se demande quelle région pourrait les accepter compte tenu de leur impact environnemental...

Bref, un peu de réalisme...


Une petite introduction…

Depuis que les énergies fossiles sont passées du statut de « bénédiction » (car elles ont permis la croissance économique) à celui de « problème », à cause du changement climatique évidemment, un certain nombre de scénarios « 100% renouvelables » ont vu le jour. Si le nucléaire n’est pas présent non plus dans ces scénarios, alors que cette énergie n’engendre pas d’émissions significatives de gaz à effet de serre, c’est qu’ils sont en général promus par des entités qui n’aiment pas plus l’atome que le carbone.

Ces scénarios peuvent porter sur toute l’énergie ou juste sur l’électricité, mais dans tous les cas de figure ils supposent que cette dernière est aussi 100% ENR. En général, les deux énergies renouvelables qui dominent dans ces scénarios, pour la partie électrique, sont l’éolien et le solaire.

Un avenir 100% ENR, nous sommes tous pour, a priori. Ou plus exactement nous sommes tous pour si « tout le reste est comme aujourd’hui » : on s’est débarrassé des combustibles fossiles, du nucléaire, et par ailleurs personne n’a froid l’hiver, ne manque de carburant pour se déplacer, ou ne voit son usine, son train ou son bureau à l’arrêt faute d’électricité pour que les machines fonctionnent, et tout cela ne coute pas plus cher, ni n’engendre d’ennuis particuliers. Qui serait contre ?

Or, quand une histoire est si séduisante, comment savoir si elle crédible, ou si elle relève du conte de fées ? C’est là que les ennuis commencent : en une heure de temps, c’est hélas impossible. Les trajectoires proposées reposent sur des modèles qu’un observateur externe ne peut ni analyser ni valider sans s’être plongé dedans de manière approfondie. Or, sans cette étape, il est impossible de savoir dans quelle mesure ils sont susceptibles de fonder une politique publique.

Personne ne sait, sans y passer la nuit (au sens propre), si ces scénarios ne supposent pas une disponibilité en ressources (par exemple des métaux de toute nature pour faire les panneaux ou les éoliennes, les éléments de réseau, et les dispositifs de stockage) qui ne peut être assurée, ou si ils supposent d’investir chaque année une fraction excessive du PIB (lequel dépend par ailleurs de l’énergie disponible !) dans le système électrique, ou de mettre au travail 60% de la population dans la filière énergétique…. ce qui empêche, du coup, d’avoir des gens pour faire quoi que ce soit d’autre !

L’exercice que je vous propose ci-dessous consiste non point à regarder quelle trajectoire permet d’arriver à une électricité 100% ENR, mais tout simplement combien d’argent il aura fallu investir une fois que l’on y sera, à consommation électrique inchangée. Disons que c’est un petit calcul pour donner un ordre de grandeur, sans plus de prétention, mais qui est quand même largement suffisant pour forger quelques conclusions fortes à la fin.

NB : le calcul ci-dessous est fait en supposant la consommation d’électricité en France constante. Que ce soit pour le nucléaire ou pour éolien et/ou solaire, le résultat final sera proportionnel, en première approche, à la quantité d’électricité consommée dans l’année. En valeur absolue, les investissements peuvent donc être inférieurs à ce qui est calculé ci-dessous si nous réduisons la consommation électrique. Mais le rapport entre les deux (entre ce qu’il faut pour nucléaire et ce qu’il faut pour éolien et/ou solaire) est, en première approximation, indépendant du niveau de consommation.

NB2 : le débat nucléaire vs ENR est bien un débat pour l’essentiel à côté de la question climatique, même si le solaire engendre plus d’émissions que le nucléaire à production identique. Remplacer une énergie sans émissions significatives de CO2 (le nucléaire) par une autre énergie sans émissions significatives de CO2 (les ENR) ne change rien aux émissions de gaz à effet de serre. J’y reviens dans la 2è partie de cet article.

NB3 : cette comparaison est strictement monétaire. De ce fait, elle n’inclut pas des externalités qui ne sont pas dans les couts, comme par exemple l’occupation d’espace, l’utilisation supplémentaire de métal et donc les externalités minières, etc.
De quoi partons-nous ?

Nous partons de la situation actuelle de la France, où l’essentiel de la production est faite par le nucléaire (environ les 3/4).


Décomposition de la production électrique en France en 2016. L’ensemble représente 531 TWh (1 TWh = 1 milliard de kWh). Source : RTE.

Pour autant, le nucléaire ne représente pas du tout les 3/4 de la puissance installée, mais bien moins, parce que son « facteur de charge », c’est à dire la proportion du temps où il produit à pleine puissance dans l’année, est bien supérieur à celui des autres moyens de production.


Décomposition de la puissance électrique installée en France en 2016. Source : RTE. L’ensemble représente 131 GW (1 GW = 1 million de kW, et 1 kW, c’est la puissance d’un fer à repasser, ou un peu moins que celle d’un lave-vaisselle).

Côté production, la puissance électrique installée par Français est donc d’environ 2 kW, alors que côté consommation, la puissance d’un abonnement domestique ordinaire – avec 2,3 personnes par foyer en moyenne – est plutôt de 6 kW, donc environ 3 kW par personne. Si on rajoute les puissances installées pour l’industrie, les immeubles tertiaires, les collectivités (éclairage), les transports (train et métro), les parties communes des immeubles résidentiels (ascenseurs, éclairage…) on augmente d’un facteur 1,5 à 2.

Cela signifie que si chacun avait son « autonomie électrique », dimensionnée sur son usage de pointe, et capable de couvrir tous les usages actuels, il faudrait probablement tripler la puissance installée dans le pays, sans parler des éléments évoqués ci-dessous.



Facteurs de charge de chaque moyen utilisé en France en 2016. Ce facteur représente le « pourcentage moyen de la puissance utilisée ». Ainsi, pour le fioul, sa production à la fin de l’année est la même que si il était constamment réglé pour produire à 5% de sa puissance installée (qui est de 7,14 GW à fin 2016) toute l’année.


De même, pour l’hydroélectricité, sa production à la fin de l’année est la même que si elle était constamment réglé pour produire à 28% de sa puissance installée (qui est de 25,8 GW à fin 2016). Calculs de l’auteur sur données RTE.

On voit que pour le solaire, le facteur de charge est de 14%, et de 20% pour l’éolien, soit respectivement un cinquième et un petit tiers de ce qu’il est pour le nucléaire. Or ces deux premiers moyens produisent « autant qu’ils peuvent » : comme ils sont prioritaires sur le réseau, leur production ne baisse (ou ne s’arrête) que pour une seule raison : pas assez de vent ou de soleil. Si le facteur est bas, ce n’est donc pas parce que nous décidons délibérément de ne pas nous en servir à pleine capacité, mais juste parce que la nature ne permet pas de faire plus.


Comme les graphiques ci-dessus le montrent, les facteurs de charge varient beaucoup d’un moyen de production à un autre. Pour le solaire il est bas parce que mère nature a décidé qu’il n’y aurait pas de soleil la nuit, et qu’il y en aurait peu l’hiver et les jours de pluie. Pour l’éolien, c’est pareil, mère nature ayant décidé qu’il n’y aurait pas de vent optimal en permanence (il y a souvent du vent, mais plus ou moins fort…). Ces premiers moyens sont dits fatals : ils produisent quand les conditions extérieures sont favorables, et donc l’électricité est disponible à ces moments là et pas à d’autres.

Mais l’essentiel de la production vient de moyens dits « pilotables » (ils sont déclenchés à la demande). Certains sont très sollicités (nucléaire), d’autres très peu (fioul), mais ils sont essentiels pour assurer la stabilité du réseau à certains moments, notamment la pointe du soir en hiver quand il fait froid (et à ce moment là il fait nuit, donc le solaire est à zéro, et si il fait froid il y a un anticyclone, et le vent est à pas grand chose).

Ces moyens sont l’hydroélectricité pilotable, à partir de barrages (environ 15 GW actuellement, le reste est du fil de l’eau qui produit en permanence), du gaz, du fioul et du charbon. Mais le nucléaire en fait aussi partie désormais : il peut faire varier sa puissance à l’échelle de l’heure, pour suivre la courbe journalière de charge.


Courbe de charge du réacteur Golfech 2 sur un mois. Source EDF


On constate facilement que le réacteur est capable de grandes variations de puissance, à la hausse comme à la baisse. Il peut donc s’ajuster facilement à la courbe de demande (on parle de suivi de charge). En pratique, une centrale nucléaire peut désormais faire varier sa puissance de 30 MW par minute, ce qui est équivalent à ce que sait faire une centrale à gaz ordinaire (une centrale à gaz très performante peut aller à 50 MW par minute).

Ce même nucléaire assure aussi la moitié ou plus du surplus de production hivernal (il est donc inexact de dire, comme on l’entend parfois, que le chauffage électrique est fait uniquement avec des centrales à charbon « allumées » pour l’hiver).


Production nucléaire mensuelle en France de janvier 1991 à décembre 2015. Le surplus saisonnier du nucléaire est très net, et représente en gros 50 TWh sur l’année. Or le chauffage électrique c’est environ 70 TWh (sans l’eau chaude sanitaire), et ce n’est par ailleurs pas le seul usage qui augmente l’hiver (l’éclairage aussi, parce que les journées sont plus courtes, la cuisson, parce que l’on mange mijoté, le dégivrage des rails, et plein d’autres choses). Un autre contributeur saisonnier significatif est l’hydroélectricité, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, avec toutefois une régularité moins nette (source ENTSOE pour les données des deux graphiques).

                          Lire la suite ci-dessous

                               👇🏻

https://jancovici.com/transition-energetique/renouvelables/100-renouvelable-pour-pas-plus-cher-fastoche/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire