Gilles Cohen-Tannoudji |
Physicien engagé, Gilles Cohen-Tanoudji se prononce pour une inversion du calendrier électoral où les élections législatives précéderaient l’élection présidentielle. Il nous explique le rôle important qu’ont eu les deux parlements à travers l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques) autour des enjeux du nucléaire, en particulier sur le réacteur de recherche ASTRID.
* Par Gilles Cohen-Tannoudji, physicien au CEA, conseiller scientifique auprès de la directrice de la recherche fondamentale au CEA.En tant que membre du conseil scientifique de l’ONG Sauvons le climat, j’ai aidé le député communiste André Chassaigne à formuler la demande de saisine de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) à propos de l’arrêt du programme ASTRID d’étude et construction d’un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium. Dans son rapport, cet office qui, rappelons-le, comporte des parlementaires des deux chambres (l’Assemblée nationale et le Sénat) et de tous les groupes parlementaires désavoue clairement la politique gouvernementale en matière de nucléaire civil1, au point qu’il a probablement joué un rôle important dans le tête-à-queue qu’a opéré l’exécutif en matière de politique nucléaire : même si elle n’est pas suffisante, la décision de relancer la filière nucléaire française récemment annoncée tourne franchement le dos aux orientations affichées en début de quinquennat.
Or cette question est un enjeu majeur qui, lors des élections présidentielle et législatives du printemps prochain, divise les forces de gauche : alors que le candidat du PCF, Fabien Roussel, proposait une forte relance du nucléaire, les candidats de la France insoumise et de EELV se prononcaient pour une sortie plus ou moins rapide du nucléaire. Les arguments qu’ils opposaient à Fabien Roussel (un référendum au début du quinquennat pour la France insoumise et le prétexte que l’extrême droite est favorable au nucléaire) manquent totalement de sérieux.
Ce désaccord est un obstacle sérieux à l’union des forces de gauche dans le cas d’une élection présidentielle, alors qu’il ne serait pas insurmontable dans le cas d’élections législatives. J’en prends pour exemple ce qui s’est passé au début des années 2000, pendant la cohabitation entre le président Chirac et le gouvernement de la gauche plurielle. Le ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche de l’époque, Claude Allègre, du Parti socialiste, avait décidé qu’il ne fallait pas construire le synchrotron SOLEIL, que la communauté scientifique avait proposé pour remplacer l’installation LURE d’Orsay, laquelle se révélait insuffisante pour répondre aux nombreux besoins en recherche fondamentale (en physique et en biologie) et pour des applications technologiques. Il lui préférait un instrument en collaboration européenne. L’opposition à ce choix avait conduit le PCF à demander une saisine de l’OPECST. Et après un très important travail comportant de très nombreuses auditions de personnalités politiques mais aussi scientifiques, auquel j’ai participé comme conseiller d’un des deux rapporteurs, le député PCF Christian Cuvilliez, le rapport de l’OPECST a abouti à la décision de construire SOLEIL, et à la démission du ministre. Cet épisode n’a pas abouti à la rupture de la majorité de la gauche plurielle.
De cet exemple je tire la conclusion que, comme je le soutiens depuis la décision du premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, d’inverser le calendrier électoral – lequel, compte tenu de la dissolution de l’Assemblée nationale intervenue en 1997, aurait dû faire précéder l’élection présidentielle par les élections législatives – et comme le pensent toutes les personnes à qui j’en ai parlé, il serait hautement souhaitable que les élections législatives précèdent l’élection présidentielle.
Voici, brièvement résumé mon argumentation. Avec des législatives avant la présidentielle, il est évident que les forces politiques en compétition devraient mettre l’enjeu législatif au moins aussi haut que l’enjeu présidentiel : elles devraient adapter leurs stratégies à l’ensemble des deux enjeux. Inévitablement, dès le premier tour, les élections législatives joueraient le rôle d’une sorte de primaire, au suffrage universel, pour l’élection présidentielle qui suivrait : au sein de chaque camp, elles départageraient les concurrents et permettraient d’éviter les candidatures de diversion. Pour assurer la cohérence entre les deux enjeux, on pourrait demander aux candidats et candidates aux élections législatives d’inclure dans leur bulletin un parrainage explicite à un candidat ou une candidate à l’élection présidentielle. On obtiendrait ainsi, dès le premier tour des législatives, grâce au suffrage universel et non grâce aux sondages, une visibilité des rapports des forces réels pour la présidentielle qui suivrait : on connaîtrait pour chaque candidat potentiel ou candidate potentielle le nombre de parrainages dont il ou elle aurait bénéficié, ainsi que sur quelle majorité il ou elle pourrait s’appuyer pour former un gouvernement si lui ou elle remportait l’élection. Il appartiendrait aux forces politiques en compétition de tenir compte de cette visibilité pour décider de l’investiture du candidat ou de la candidate à la présidence de la République dans la semaine suivant le premier tour des législatives. Se tiendrait ensuite une campagne électorale pour la présidentielle, où s’affronteraient ces personnalités démocratiquement investies dans des débats entièrement centrés sur les véritables enjeux de notre pays.
Je ne vois pas en quoi un tel calendrier serait en contradiction avec l’esprit et la lettre de la Constitution de la Ve République ; je pense au contraire que l’adopter serait une mesure très salutaire pour enrayer la montée, qui semble inexorable, du taux d’abstention aux élections décisives.
Je pense que Fabien Roussel, qui se prononce pour redonner tout son rôle au Parlement, gagnerait beaucoup à se prononcer pour qu’un tel calendrier électoral (qui d’après la Constitution ne dépend que du vote d’une loi) soit débattu à l’Assemblée nationale dès le début du quinquennat, quitte à ce qu’il soit ensuite inscrit dans le marbre de la Constitution après un référendum ou le vote par le congrès d’une réforme de la Constitution.
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