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La foutaise anticommuniste des « 100 millions de morts » – par Bruno Guigue



Du Parlement européen aux manuels scolaires en passant par Michel Onfray, l’anticommunisme a repris du service. « Démocratie contre totalitarisme », les « 100 millions de morts », le Goulag, la Révolution culturelle, tout s’enchevêtre et compose un tableau destiné à sidérer l’opinion, inoculant l’idée d’une vaste conspiration des forces du mal dont la Chine, cet odieux régime totalitaire dont Le Monde prédisait la « faillite » il y a encore trois mois, constituerait le dernier avatar. Mais si seulement on se contentait d’affabuler sur le présent ! Non, il faut encore réécrire l’histoire en la repeignant aux couleurs de l’idéologie dominante.

On va même jusqu’à dire que ce sont les courageuses démocraties occidentales menées par l’Oncle Sam qui ont vaincu Hitler, et non l’Union soviétique. Peu importe la réalité historique, peu importe que, de Moscou à Stalingrad, de Stalingrad à Koursk, et de Koursk à Berlin, ce soit l’URSS qui ait abattu la machine de guerre du nazisme et expédié ses plans de domination raciale dans les poubelles de l’histoire. Et qu’au prix de 27 millions de morts, le peuple soviétique ait libéré le monde de cette folie meurtrière.

On oublie, par la même occasion, de rappeler l’immense contribution du communisme à l’émancipation humaine. Car c’est le bolchevisme qui a donné son élan décisif à la lutte anticoloniale, et le « Congrès des peuples de l’Orient », réuni à Bakou en 1920, qui a inauguré un processus de libération constituant l’événement majeur du XXe siècle. Un appel à la révolte qui a connu un succès retentissant en Asie ! Après avoir transformé le plus grand pays de la planète, la Russie, le communisme a triomphé dans le pays le plus peuplé, la Chine. Et mettant fin à un siècle de chaos et de pillage colonial, Mao Zedong a restauré la souveraineté chinoise en 1949.

Après avoir unifié le pays, aboli le patriarcat, réalisé la réforme agraire, amorcé l’industrialisation, vaincu l’analphabétisme, donné aux Chinois 24 ans d’espérance de vie supplémentaire, mais aussi commis dans les années 60 des erreurs tragiques dont le peuple chinois a tiré le bilan, le maoïsme a passé la main. Ses successeurs ont tenu compte des enseignements tirés de cette expérience, et ils ont construit une économie mixte, pilotée par un État fort, dont les résultats ont défié les prévisions les plus optimistes. Mais sans la Chine de Mao, comment celle de Deng et de Xi eût-elle jamais vu le jour ?

Certes, au terme d’un siècle d’existence, le communisme réel paraît fort éloigné d’une théorie élaborée au beau milieu du XXe siècle. Mais quelle doctrine, dans l’histoire, fait exception à la règle selon laquelle les actions des hommes échappent à leurs intentions ? Et en existe-t-il une seule qui ait réussi à faire de la coexistence humaine un lit de roses ? La marche en avant du communisme n’a pas été sans échecs, et l’effondrement de l’Union soviétique, désastreux pour l’équilibre mondial, en témoigne. Le communisme historique n’a aboli ni la division interne de la société, ni le poids de la contrainte étatique. Mais il a conjuré les affres du sous-développement, vaincu la malnutrition, éradiqué l’analphabétisme, élevé le niveau d’éducation et libéré la femme dans des pays où le capitalisme n’avait laissé que des ruines.

A l’évidence, il vaut mieux naître en Chine qu’en Inde : le taux de mortalité infantile y est quatre fois moins élevé et l’espérance de vie y est de 77 ans contre 68. En Inde, il vaut mieux vivre au Kérala : dirigé par les communistes depuis 1957, cet État est le plus développé de toute l’Union, et le seul où les femmes jouissent d’un taux de scolarisation proche de 100 %. Il vaut mieux résider à Cuba, pays socialiste, qu’à Haïti, ce protectorat américain : l’espérance de vie y est de 80 ans au lieu de 64, et elle a même dépassé celle des États-Unis. Il est vrai que le système de santé et le système éducatif cubains sont des modèles mondialement reconnus. Vainqueur de deux impérialismes, le Vietnam socialiste, lui aussi, connaît un développement spectaculaire fondé sur une économie mixte et un État fort.

Le mouvement communiste n’a pas fondé une société sans classes, mais il a mené des luttes de classes qui ont contribué au progrès social dans le monde entier. Si les Français bénéficient de la Sécurité sociale, ils le doivent au communiste Ambroise Croizat, figure de la Résistance avant de devenir ministre du général de Gaulle en 1944. Les avancées sociales du monde développé ne sont pas le fruit de la générosité patronale, mais de conquêtes arrachées de haute lutte. En construisant un rapport de forces favorable, les combats menés par les communistes ont joué un rôle majeur. Leur influence dans les syndicats, le contre-pouvoir instauré dans les pays développés, mais aussi le prestige de l’Union soviétique et l’écho rencontré par les avancées obtenues dans les pays socialistes ont contribué au progrès social en Occident et ailleurs.

Mais il en faut davantage pour décourager les détracteurs du communisme. Les violences commises lors des processus révolutionnaires, en effet, servent de prétexte à une interprétation anhistorique. Réduisant le processus réel à un théâtre d’ombres idéologiques, cette lecture partisane s’affranchit de toute contextualisation. Elle occulte alors la véritable signification du phénomène communiste : la réponse des masses prolétarisées à la crise paroxystique de sociétés coloniales et semi-coloniales (Russie, Chine, Corée, Vietnam, Cuba). Dans la même veine, le décompte des victimes du communisme se prête à une inflation grotesque. On empile alors sans nuance les morts de la guerre civile russe, de la guerre civile chinoise, de la collectivisation forcée, du Goulag, du Grand Bond en Avant et de la Révolution culturelle. Nier la réalité des violences commises au nom du communisme est absurde, mais les compilations de chiffres qui interdisent toute compréhension historique et identifient le communisme à une entreprise criminelle sont ineptes.

Cette supercherie a évidemment pour finalité d’occulter la contribution du capitalisme aux horreurs du siècle. Elle s’affranchit d’une série de faits massifs : les massacres coloniaux, les guerres impérialistes, les crimes des dictatures et les embargos imposés par les prétendues démocraties, sans parler de la paupérisation de populations entières par le capitalisme, ont fait vingt fois plus de morts que le communisme. Les critères d’appréciation que l’on applique à ce dernier deviendraient-ils sans objet lorsqu’on veut les appliquer aux crimes capitalistes ? Et des atrocités commises par les démocraties occidentales, pourquoi ne déduit-on pas le caractère criminogène du libéralisme ?

Puisque les fourriers de l’anticommunisme adorent les chiffres, on ne résistera pas au plaisir de leur en donner quelques-uns. Lorsque Hannah Arendt accrédite la thèse d’un « système concentrationnaire » homogène qui serait commun au nazisme et au stalinisme, par exemple, il est clair qu’elle s’affranchit de la réalité des faits. Contrairement aux camps nazis, le Goulag n’obéissait pas à une logique d’extermination, mais de punition et de rééducation. Et des travaux menés par les historiens J. Arch Getty, Gábor T. Rittersporn et Viktor N. Zemskov depuis l’ouverture des archives soviétiques, il ressort un tableau du système carcéral soviétique beaucoup plus fiable que les extrapolations habituelles.
A lire les vrais chiffres du goulag

Entre 1933 et 1953, le nombre de prisonniers, toutes catégories confondues, oscille entre 900 000 et 1 700 000, atteignant un pic de deux millions en 1938, soit un taux d’incarcération moyen comparable à celui des États-Unis au début du XXIe siècle. Bien sûr, les conditions de détention sont très dures. Mêlés à des détenus de droit commun qui représentent 90% des effectifs, les opposants ou déclarés tels y purgent une peine infamante. En raison du froid et des conditions sanitaires, la mortalité est élevée, surtout durant la guerre, mais la population soviétique souffre davantage lorsqu’elle est proche du front. On y déplore au total 1 300 000 décès, soit un taux de 4,1% pour l’ensemble de la période (1933-1953) et de 10% durant la guerre.¹

Au million de morts du Goulag (1933-1953), il faut évidemment ajouter les 680 000 exécutions de la terreur des années 1936-38. Et si l’on veut compléter le tableau, on peut aussi lui imputer les deux à trois millions de victimes de la révolution chinoise (1949-1969), la violente révolution agraire menée par une paysannerie famélique à la fin des années 40 étant responsable de la majorité de ces pertes humaines dans un pays qui comptait 500 millions d’habitants en 1949 et un milliard en 1980. Mais si ces événements dramatiques ont plongé l’humanité dans des abîmes de violence, que dire des dix millions d’Amérindiens exterminés par la démocratie américaine, des dix millions de Congolais assassinés par le roi des Belges, des deux millions d’Algériens, d’Indochinois et de Malgaches abattus par la République française entre 1945 et 1962, des deux millions de Coréens, des trois millions de Vietnamiens et des quatre millions d’habitants d’Asie du Sud-Est, du Moyen-Orient et d’Amérique latine éliminés à distance par la cybernétique militaire, exécutés par les dictatures ou massacrés par les terroristes dont Washington tire les ficelles ?
A lire : Indonésie, 3 millions de morts, le génocide anticommuniste de 1965 ne doit pas être oublié

Manifestement, le nombre des victimes importe moins que leur position sur l’échiquier politique. En Indonésie, la répression militaire organisée par la CIA contre les communistes en 1965 a fait 700 000 morts. Mais cet événement ne figure dans aucun livre d’histoire occidental. Et encore de tels chiffres ne mentionnent-ils que les victimes directes des opérations militaires ou paramilitaires. Si l’on tient compte de l’effet mortifère des sanctions économiques imposées par les États-Unis, le bilan humain prend des dimensions incalculables, et les 500 000 enfants assassinés par l’embargo contre l’Irak (1991-2003) illustrent à eux seuls cette anthologie de l’horreur. Ces victimes immolées sur l’autel de la prétendue démocratie et des soi-disant droits de l’homme, il est vrai, sont de mesure nulle en regard de la mission civilisatrice de l’Occident.

Mais la falsification idéologique ne s’arrête pas en si bon chemin. Comme il faut à tout prix grossir les chiffres du côté adverse, on procède à une autre supercherie statistique. On inclut en effet, dans le décompte des victimes du communisme, le bilan des catastrophes rencontrées par les pays socialistes au cours de leur développement. On attribue alors la famine des années 1931-33 à la volonté perverse du régime stalinien qui serait seul responsable, avec la dékoulakisation, d’une dramatique pénurie des ressources alimentaires. Or cette interprétation est erronée. Pour l’historien américain Mark Tauger, certes, « le régime porte la responsabilité partielle de la crise et des cinq millions de décès environ qui en ont résulté », mais il faut distinguer « responsabilité et acte intentionnel ».
A lire : sur la famine de 1932 en URSS

La famine de 1931-33 fut « un événement extrêmement compliqué, avec des causes à la fois environnementales et humaines ». En définitive, « les actions du régime soviétique, pour sévères qu’elles eussent été, semblent clairement avoir été orientées vers la gestion d’une crise économique involontaire et d’une famine, plutôt que vers la création intentionnelle d’une telle crise afin de punir un groupe particulier ».² Que cette famine n’ait pas seulement frappé l’Ukraine, mais aussi une grande partie de la Russie, au demeurant, invalide de manière factuelle la thèse chère aux néo-nazis de Kiev selon laquelle Staline aurait voulu punir les Ukrainiens en les faisant mourir de faim.

En Chine, l’échec retentissant du Grand Bond en Avant a également provoqué une famine responsable de dix à douze millions de morts entre 1959 et 1961. Alors qu’il s’agit d’une erreur monumentale de politique économique aggravée par des conditions climatiques désastreuses, le discours dominant attribue cette catastrophe à la nature criminelle du maoïsme. Le principal inconvénient de cette vision anhistorique des faits, c’est donc qu’elle en brouille l’intelligibilité. Elle occulte les conditions objectives dont les communistes, saisissant les rênes d’une société au bord de l’effondrement, ont hérité malgré eux. Car une fois la prise du pouvoir accomplie, il a fallu sortir le pays des ornières de la misère et de la dépendance. Et faute d’alternative crédible, la transition vers la modernité fut menée à coups d’investissements colossaux et de rythmes infernaux.

Cet effort de développement s’est effectué dans les pires conditions, toutes les ressources étant dirigées vers la croissance accélérée des forces productives, le primat de l’industrie lourde reléguant au second plan la production de biens de consommation. Il a fallu jeter les bases d’une économie moderne sans aucun appui extérieur, rectifier les erreurs commises, changer de trajectoire lorsque c’était nécessaire. Drame d’un décollage industriel accéléré dans un environnement hostile, cette expérience s’est aussi payée d’un drame politique, seule la poigne de fer du parti communiste ayant pu maintenir le cap contre vents et marées. Mais si la Russie, la Chine et le Vietnam sont devenus des nations modernes, il est clair qu’elles le doivent aux efforts accomplis sous le socialisme.

L’histoire ne délivre aucune excuse absolutoire, mais encore faut-il considérer les faits avec honnêteté intellectuelle. Admettons que les régimes communistes soient responsables de ces tragédies humaines. Si l’on tient vraiment à les inscrire au passif du communisme, la logique voudrait qu’on inscrive au passif du capitalisme les famines qui ont frappé les populations soumises au joug colonial et néo-colonial européen. Alors les faits parleront d’eux-mêmes. Les ravages du colonialisme européen sont de l’ordre du non quantifiable, et les génocides s’ajoutent aux génocides. Pour ne prendre que cet exemple, la domination britannique en Inde, c’est combien de dizaines de millions de morts ? Et qui sait que Churchill, en ordonnant la réquisition des réserves de céréales, a fait périr trois millions de Bengalis en 1943 ?

Bataille de chiffres, inventaire des hécatombes, comptabilité macabre à vocation accusatoire, lecture criminologique de l’histoire ? Aucun problème, allons-y. Mais à cet égard, on voit infiniment plus de raisons d’être communiste que libéral, conservateur, réactionnaire et tout ce qu’on voudra. Oui, il y a eu 100 millions de morts, mais ils sont imputables au capitalisme et à ses avatars, le colonialisme et l’impérialisme. Le communisme, lui, a sauvé infiniment plus de vies qu’il n’en a sacrifiées. Si les révolutions communistes ont généré des violences, celles-ci répondaient à la cruauté des systèmes d’oppression dont elles ont signifié la disparition. Et contrairement aux horreurs occidentales, jamais le communisme, même lorsqu’il avait la main lourde, ne s’en est pris à des enfants. Désolé, mais aucune comptabilité objective des victimes n’établira d’équivalence historique entre communisme et barbarie. Leitmotiv de l’idéologie dominante, foutaise libérale, cette imputation exclusive des malheurs du siècle se condamne elle-même à l’insignifiance.

1. J. Arch Getty, Gábor T. Rittersporn and Viktor N. Zemskov, « Victims of the Soviet Penal System in the Pre-War Years : A First Approach on the Basis of Archival Evidence », The American Historical Review, Oxford University Press, 1993.

2. Mark Tauger, Famine et transformation agricole en URSS, Delga, 2017, p. 23.


« Oui, je suis ce Danton ! je suis ce Robespierre ! » dixit Victor Hugo




De gauche à droite : Danton à la tribune de la Convention ; Robespierre à la tribune de la Convention ; Hugo député de la deuxième République en 1848.

Dans « Réponse à un acte d'accusation », long poème recueilli dans les Contemplations (I, VII) en 1856, Victor Hugo, bouillant fauteur de la bataille d'Hernani au théâtre en 1830 déjà, poursuit la même bataille contre ceux qui lui « crient raca » (1), grammairiens et autres sectateurs « du bon goût et l’ancien vers françois », au motif qu'il aurait en poésie « saccagé le fond tout autant que la forme », et que, « démagogue horrible et débordé », il aurait « dévasté le vieil ABCD » ! Oui, oui, en 1837, Victor Hugo a osé publier dans Les Voix intérieures un poème vulgairement intitulé « La Vache » ! et il y use même, quelle horreur ! du mot « ventre » ou encore du mot « pis » ! — Et pourquoi pas ? leur rétorque en substance le député de la République née de la révolution de 1848, puis, depuis Guernesey où il a dû s'exiler, le pourfendeur de « Napoléon le petit ».

Initialement monarchiste, Victor Hugo s'affirme ensuite ardent républicain. Il se veut ainsi, après Danton et après Robespierre, porte-parole des libertés qui, quoique encore bafouées, sont a priori celles du peuple, donc celles de l'écrivain aussi : « J’ai dit aux mots : Soyez république ! soyez / La fourmilière immense, et travaillez ! croyez, / Aimez, vivez ! ». « Qui délivre le mot, délivre la pensée. » (2)

Victor Hugo, Les Contemplations, Autrefois 1830–1843, Livre premier, Aurore, VII. Réponse à un acte d’accusation, extrait.

« Causons.

Quand je sortis du collège, du thème,
Des vers latins, farouche, espèce d’enfant blême
Et grave, au front penchant, aux membres appauvris,
Quand, tâchant de comprendre et de juger, j’ouvris
Les yeux sur la nature et sur l’art, l’idiome,
Peuple et noblesse, était l’image du royaume ;
La poésie était la monarchie ; un mot
Était un duc et pair, ou n’était qu’un grimaud ;
Les syllabes pas plus que Paris et que Londre
Ne se mêlaient ; ainsi marchent sans se confondre
Piétons et cavaliers traversant le pont Neuf ;
La langue était l’état avant quatre-vingt-neuf ;
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ;
Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes (3), ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versaille aux carrosses du roi ;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitant les patois ; quelques-uns aux galères
Dans l’argot ; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas,
Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ;
Populace du style au fond de l’ombre éparse ;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas (4) leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqué d’une F (5) ;
N’exprimant que la vie abjecte et familière,
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers ;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire : Qu’il s’en aille (6) ;
Et Voltaire criait : Corneille s’encanaille !
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins ; je m’écriai : Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ?
Et sur l’Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes (7) effarés,
Et sur les bataillons d’alexandrins carrés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge (8) au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !
Je fis une tempête au fond de l’encrier,
Et je mêlai, parmi les ombres débordées,
Au peuple noir des mots l’essaim blanc des idées ;
Et je dis : Pas de mot où l’idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humide d’azur !
Discours affreux ! — Syllepse, hypallage, litote (9),
Frémirent ; je montai sur la borne Aristote,
Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.
Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,
Tous ces tigres, les huns, les scythes et les daces,
N’étaient que des toutous auprès de mes audaces ;
Je bondis hors du cercle et brisai le compas.
Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?
Guichardin (10) a nommé le Borgia, Tacite
Le Vitellius. Fauve, implacable, explicite,
J’ôtai du cou du chien stupéfait son collier
D’épithètes ; dans l’herbe, à l’ombre du hallier,
Je fis fraterniser la vache et la génisse,
L’une étant Margoton et l’autre Bérénice.
Alors, l’ode, embrassant Rabelais, s’enivra ;
Sur le sommet du Pinde (11) on dansait Ça ira ;
Les neuf muses, seins nus, chantaient la Carmagnole ;
L’emphase frissonna dans sa fraise espagnole ;
Jean, l’ânier, épousa la bergère Myrtil.
On entendit un roi dire : Quelle heure est-il ?
Je massacrais l’albâtre, et la neige, et l’ivoire,
Je retirai le jais de la prunelle noire,
Et j’osai dire au bras : Sois blanc, tout simplement.
Je violai du vers le cadavre fumant ;
J’y fis entrer le chiffre ; ô terreur ! Mithridate
Du siège de Cyzique eût pu citer la date.
Jours d’effroi ! les Laïs (12) devinrent des catins.
Force mots, par Restaut (13) peignés tous les matins,
Et de Louis quatorze ayant gardé l’allure,
Portaient encor perruque ; à cette chevelure
La Révolution, du haut de son beffroi,
Cria : Transforme-toi ! c’est l’heure. Remplis-toi
De l’âme de ces mots que tu tiens prisonnière !
Et la perruque alors rugit, et fut crinière.
Liberté ! c’est ainsi qu’en nos rébellions,
Avec des épagneuls nous fîmes des lions,
Et que, sous l’ouragan maudit que nous soufflâmes,
Toutes sortes de mots se couvrirent de flammes
. J’affichai sur Lhomond (14) des proclamations.
On y lisait : « — Il faut que nous en finissions !
« Au panier les Bouhours, les Batteux, les Brossettes (15) !
« À la pensée humaine ils ont mis les poucettes.
« Aux armes, prose et vers ! formez vos bataillons !
« Voyez où l’on en est : la strophe a des bâillons,
« L’ode a des fers aux pieds, le drame est en cellule.
« Sur le Racine mort le Campistron pullule ! (16) — »
Boileau (17) grinça des dents ; je lui dis : Ci-devant,
Silence ! et je criai dans la foudre et le vent :
Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe !
Et tout quatrevingt-treize éclata. Sur leur axe,
On vit trembler l’athos, l’ithos et le pathos (18).
Les matassins (19), lâchant Pourceaugnac et Cathos (20),
Poursuivant Dumarsais (21) dans leur hideux bastringue,
Des ondes du Permesse (22) emplirent leur seringue.
La syllabe, enjambant la loi qui la tria,
Le substantif manant, le verbe paria,
Accoururent. On but l’horreur jusqu’à la lie.
On les vit déterrer le songe d’Athalie (23) ;
Ils jetèrent au vent les cendres du récit
De Théramène (24) ; et l’astre Institut (25) s’obscurcit.
Oui, de l’ancien régime ils ont fait tables rases,
Et j’ai battu des mains, buveur du sang des phrases,
Quand j’ai vu, par la strophe écumante et disant
Les choses dans un style énorme et rugissant,
L’Art poétique (26) pris au collet dans la rue,
Et quand j’ai vu, parmi la foule qui se rue,
Pendre, par tous les mots que le bon goût proscrit,
La lettre aristocrate à la lanterne esprit.
Oui, je suis ce Danton ! je suis ce Robespierre !
J’ai, contre le mot noble à la longue rapière,
Insurgé le vocable ignoble, son valet,
Et j’ai, sur Dangeau (27) mort, égorgé Richelet (28).
Oui, c’est vrai, ce sont là quelques-uns de mes crimes.
J’ai pris et démoli la bastille des rimes.
J’ai fait plus : j’ai brisé tous les carcans de fer
Qui liaient le mot peuple, et tiré de l’enfer
Tous les vieux mots damnés, légions sépulcrales ;
J’ai de la périphrase écrasé les spirales,
Et mêlé, confondu, nivelé sous le ciel
L’alphabet, sombre tour qui naquit de Babel ;
Et je n’ignorais pas que la main courroucée
Qui délivre le mot, délivre la pensée. »

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1. Raca : terme d'injure venu de l'araméen, signifiant « tête vide ». « Crier raca » : marquer un profond mépris à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose.

2. In « Réponse à une accusation ».

3. Phèdre (chez Euripide, Sophocle, Sénèque, Racine, entre autres), Jocaste (chez Sophocle, Racine, entre autres, Mérope (chez Euripide et Voltaire, entre autres) : figures de reines dans la tragédie antique ou moderne.

4. Claude Favre, baron de Pérouges, seigneur de Vaugelas (1585-1650), est un grammairien, l'un des premiers membres de l'Académie française, principal auteur du premier Dictionnaire de l'Académie, célèbre pour la pureté de sa langue et pour le purisme du goût qu'il affiche en matière de « bien parler» et de « bien escrire ». Il contribue ainsi à établir la distinction qu'on continuera de faire encore longtemps après lui, entre le beau parler, qui est celui de la cour et du grand monde, et le parler vulgaire, qui est celui des « crocheteurs de Port-au-Foin ».

5. Vaugelas marque certains mots d'un F : familier, comme le garde-chiourme marque au fer le forçat.

6. Auteur d'un Lexique de Corneille, Charles Marty-Laveaux, in De la langue de Corneille, article 1, in Bibliothèque de l'École des chartes, année 1861, tome 22, pp. 209-236, observe que, surtout dans ses comédies, Corneille n'hésite pas à user de mots empruntés horresco referens au lexique de l'art militaire ou à celui des maçons, des charpentiers, etc., ou encore à celui de la vie quotidienne. Il relève par ailleurs chez Corneille « quelques trivialités », qui certes l'étaient sans de leur temps, mais qui ne sont plus depuis longtemps tenues pour telles. « Nous citerons comme exemples, cajoler, tâter pour éprouver, pousser à bout, prendre en traître, tomber des nues, se moquer de, faire pester, avoir la larme à l'œil, avoir sur les bras. [...]. Quelques-unes, comme pousser à bout, se retrouvent chez Racine ; parfois aussi celles qu'on rencontre chez ce dernier poëte, si elles ne sont pas identiques, sont au moins équivalentes : ainsi on n'y lit pas avoir la larme à l'œil, mais on peut y recueillir être tout en larmes, qui n'est guère moins familier. »

7. Tropes : figures de style, figures de rhétorique.

8. Bonnet rouge : il s'agit bien sûr du bonnet rouge des sans-culottes.

9. Syllepse, hypallage, litote : trois figures de style, des plus remarquables.

10. François Guichardin ou le Guichardin, en italien Francesco Guicciardini (1483-1540), historien, philosophe, diplomate et homme politique florentin du XVIe siècle, qui, dans sa Storia d'Italia n'idéalise pas les grands hommes, ne leur prête pas des jambes de cheval quand ils ont celles d'un âne, mais évoque ces hommes dans leur particulare, i.e. tels qu'ils sont.

11. Le Pinde : massif montagneux de l'Épire, dans le Nord de la Grèce et le Sud-Est de l'Albanie, vu par les Grecs anciens comme le siège des Muses et celui d'Apollon, dieu de la musique et de la poésie.

12. Laïs : célèbre courtisane grecque.

13. Pierre Restaut (1696-1764), grammairien et pédagogue pointilleux, auteur en 1730 des Principes généraux et raisonnes de la grammaire française (avec des Observations sur l'orthographe, les accents, la ponctuation et la prononciation et un abrégé des règles de la versification française).

14. Charles François Lhomond, dit l'abbé Lhomond (1727-1794), professeur à l'Université de Paris, humaniste érudit et grammairien pédagogue, auteur du manuel de latin intitulé De viris illustribus urbis Romæ (Des hommes illustres de Rome).

15. Dominique Bouhours (1628-1702), prêtre jésuite, grammairien, biographe et apologiste, continuateur de Vaugelas ; Charles Batteux (1713-1780), homme d'Église, érudit, traducteur du latin, auteur, entre autres, d'un Cours de belles-lettres distribué par exercices en 1747 et de De la construction oratoire en 1763 ; Claude Julien Brossette (1671-1743), seigneur de Varennes Rapetour, avocat lyonnais, homme de lettres, fondateur et secrétaire perpétuel de l'Académie de Lyon, correspondant et éditeur de Nicolas Boileau.

16. Jean Galbert de Campistron (Toulouse, 1656-1723, Toulouse), auteur de tragédies et d'opéras, élu mainteneur de l'Académie des Jeux floraux en 1694 ; émule maladroit de Racine, d'où surnommé « le singe de Racine ».

17. Nicolas Boileau, dit Boileau-Despréaux (1636-1711), homme de lettres, poète, traducteur, polémiste et théoricien de la littérature, connu, entre autres, pour son Art poétique (1674), dans lequel figurent ces deux vers passés en proverbe ; « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. »

18. Ithos : partie de la rhétorique qui traite de l'impression morale que doit produire l'orateur sur l'auditeur ; pathos : partie de la rhétorique qui traite des moyens propres à émouvoir l'auditeur). De façon péjorative, l'ithos et le pathos désignent chez Molière, dans Les femmes savantes, un discours prétentieux et affecté. Hugo ajoute par dérision « athos » au couple ithos/pathos, pour l'effet sonore seulement, le mot « athos » n'ayant ici par lui-même aucun sens.

19. Matassin : personnage ridicule, bouffon.

20. Pourceaugnac, bourgeois de Limoges, personnage ridicule du Monsieur de Pourceaugnac (1669) de Molière ; Cathos, l'une des deux précieuses des Précieuses ridicules (1659) de Molière.

21. César Chesneau Dumarsais ou Du Marsais (1676-1756), avocat, puis précepteur ; grammairien, auteur du célèbre Traité des tropes (1730).

22. Dieu-fleuve de la Grèce antique, le Permesse prend sa source sur les flancs du mont Hélicon, et les Muses viennent s'y baigner au cours de leurs promenades dans cette région.

23. Le songe d'Athalie fait l'objet d'un récit fameux dans l'acte II, scène 5, de l'Athalie de Racine : « C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit... » Athalie voit paraître sa mère défunte ; puis, seuls restes de cette dernière, « un horrible mélange / D'os et de chairs meurtris et traînés dans la fange, / Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux / Que des chiens dévorants se disputaient entre eux. »

24. Le récit de Théramène intervient à l'acte V, scène 6, de la Phèdre de Racine. Théramène raconte comment Hippolyte, tentant d'affronter un monstre furieux, trouve la mort, traîné par ses chevaux pris d'une peur panique.

25. L'astre Institut : l'Académie française.

26. L'Art poétique : ouvrage maître de Nicolas Boileau.

27. Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau (1638-1720), militaire, diplomate et mémorialiste, connu surtout pour son Journal où il décrit la vie à la cour de Versailles à la fin du règne de Louis XIV.

28. César Pierre Richelet (1626-1698), grammairien et lexicographe, rédacteur d'un des premiers dictionnaires de la langue française et du premier dictionnaire de rimes de la langue française

Arras : enfin un lieu pour l’Incorruptible, une victoire pour Les Amis de Robespierre


Alcide Carton président de l'ARBR


La pétition lancée par l’association des Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution (ARBR), qui a recueilli pas moins de 7 000 signatures, avait été remise à la ville en 2016 pour réclamer la création d’un musée. L’espace muséal est une réponse pragmatique à cette démarche.

article du journal de la voix du nord le 26 mars 2021:


Arras : enfin un lieu pour l’Incorruptible, une victoire pour Les Amis de Association ARBR Amis de Robespierre
La pétition lancée par l’association des Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution (ARBR), qui a recueilli pas moins de 7 000 signatures, avait été remise à la ville en 2016 pour réclamer la création d’un musée.
L’espace muséal est une réponse pragmatique à cette démarche.
La majorité des signataires de cette pétition n’était pas de l’Arrageois, mais c’était un bon indicatif pour jauger de l’intérêt historique et touristique d’un aménagement qui ne sera pas destiné à honorer la mémoire de l’homme, mais à évoquer l’histoire. 
C’est cette idée que défend l’ARBR et son président Alcide Carton, qui vient de mettre au clair les nouveaux statuts de cette association née à Arras en 1987. « L’ARBR est une association laïque, indépendante de tout mouvement politique ou syndical, défendant et promouvant les idéaux, l’œuvre et l’action de Robespierre… »

« Dépolitiser Robespierre » Il appartient à tous les Républicains

C’est dit ! Et cela surprend tous ceux pour qui l’ARBR était un nid de camarades communistes dévoués au culte du révolutionnaire. « Cela a été vrai dans les années 1980, mais nous nous efforçons de dépolitiser Robespierre », précise Alcide Carton. Aux historiens de défendre la place du personnage dans notre histoire, sans parti pris. « Le maire d’Arras a bien compris l’intérêt de garder Robespierre dans notre patrimoine touristique. Nous ne faisons pas partie du comité scientifique qui prépare l’espace muséographique, mais nous serons associés au projet. Notre association compte aujourd’hui 252 membres répartis dans toute la France et une trentaine à l’étranger, et 20 % seulement sont de la région ».

La Maison de ROBESPIERRE à ARRAS, sera plus un Centre d’interprétation historique, qu’un Musée.
L’histoire de ROBESPIERRE a été écrite par les vainqueurs, les Thermidoriens qui ont eu vite fait de faire ressortir le côté obscur de cet avocat humaniste devenu un révolutionnaire intangible.
C’est l’histoire qui fut longtemps contée aux enfants, y compris dans les manuels scolaires. 
Pour peu qu’on ait une affection particulière pour les pauvres chouans qui ont pris fait et cause pour les nobles et les curés assis sur leurs privilèges, on est en droit de reprocher à ce personnage une responsabilité dans l’épisode cruel que fut la Terreur.
Mais il faut comprendre aussi le contexte, comparer les errements du politique qui a aussi lutté contre l’esclavage, et défendu la République contre les royautés qui piaffaient à nos frontières. 

À chacun de se faire son idée, si possible avec le recul historique que cet espace muséographique pourrait contribuer à offrir.
La Maison de Robespierre aujourd’hui
Bientôt ici un espace muséographique
lien ci-dessous

Réhabiliter Robespierre !




Au nom de l’antiracisme et de l’anti-esclavage, on déboulonne ou on saccage les statues de personnages qui ont fait une partie de notre histoire : Christophe Collomb, Léopold II, Colbert, Clemenceau et même de Gaulle ! Et tout ça parce que MM Floyd et Traoré ont, malheureusement, perdu la vie suite à une opération policière inappropriée. Par Raphael Piastra.


Bien sûr qu’il y a des racistes dans la police. Mais il y en a aussi chez les gendarmes, les juges, les professeurs, les viticulteurs, les journalistes… On sait qu’il y a même encore des esclaves y compris au sein de nos démocraties. Pour exprimer sa réprobation le droit de manifester existe. Il a même été constitutionnalisé. Mais manifester ne doit pas entrainer de saccages et débordements en tous genres souligne Raphael Piastra.

Puisqu’il va s’agir d’ériger de nouvelles statues, nous en proposons une. Celle d’un personnage qui a fait encore polémique par la rudesse de certains aspects de sa politique. Et pourtant il a œuvré contre le racisme et l’esclavage. Notre avons donc décidé de porter notre attention sur Maximilien Robespierre. Choix curieux voire contestable pour certains. Alors disons-le d’emblée pour ne pas avoir à y revenir, nous sommes de ceux sur qui ce personnage exerce une certaine fascination. D’école nous sommes plus Soboul et Mathiez que Furet ou Touchard ! Que le lectorat se rassure, nous assumons. Avec Clemenceau nous estimons que « La Révolution française est un bloc dont on ne peut rien distraire. » Dans ce bloc il y a bien entendu les droits et libertés consacrés par la Déclaration de 1789. Mais il y a aussi, qu’on le veuille ou non, la Terreur décidée par Robespierre afin que la Révolution, menacée de l’intérieur et de l’extérieur, triomphe. « Louis doit mourir pour que la République vive » s’est exclamé Robespierre (ce dernier vota contre la mort de Marie-Antoinette et s’éleva à plusieurs reprises contre le traitement fait aux enfants du monarque).

La très grande majorité de nos concitoyens ignorent que « l’Incorruptible » (au sens d’intransigeant sur les principes de vie qu’elle soit personnelle ou professionnelle ; à l’opposé de Danton par exemple !) a mené une action décisive contre l’esclavage. Avant de le montrer, redisons quelques mots sur Robespierre. Ce dernier est né le 6 mai 1758 à Arras (Artois, aujourd’hui Pas-de-Calais) et mort guillotiné le 28 juillet 1794 (10 thermidor an II) à Paris, place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). Robespierre est l’une des principales figures de la Révolution française et demeure aussi l’un des personnages les plus controversés de cette période.

Avocat de métier, il est élu député du Tiers- Etat aux États généraux de 1789 et devient bientôt l’une des principales figures des « démocrates » à l’Assemblée constituante. Co-fondateur et membre du club des Jacobins dès ses origines, il en devient progressivement l’une des figures de proue. Il se pose comme un des leaders de la Commune Insurrectionnelle de Paris. Puis Robespierre est élu à la Convention nationale, où il siège sur les bancs de la Montagne et s’oppose à la Gironde. Suite aux émeutes (journées du printemps 1793), il entre le 27 juillet 1793 au Comité de Salut Public, où il participe à l’instauration d’un gouvernement révolutionnaire et de la Terreur, dans un contexte de guerre extérieure contre les monarchies coalisées (Autriche) et de guerre civile (insurrections fédéralistes, guerre de Vendée…).

Durant son mandat de député, Robespierre a donc défendu des thématiques humanistes.


Là encore c’est méconnu du grand public. Parmi elles : l’abolition de la peine de mort (eh oui !) et de l’esclavage, le droit de vote des gens de couleur, des juifs ou des comédiens. On citera aussi son soutien au suffrage universel et à l’égalité des droits contre le suffrage censitaire. Qui dit mieux pour un « terroriste » (Albert Mathiez, Robespierre terroriste, réed. Kessinger Publishing, 2009) ?

Le diable y étant, allons un peu dans le détail. En mars 1790, la Constituante, obéissant aux pressions des colons et des villes portuaires, adopte la pérennité de l’esclavage. Le 12 mai 1790, Maximilien Robespierre monte à la tribune pour réclamer au moins l’égalité civile pour tous les hommes quelle que soit leur couleur. Il se heurte à Barnave, qui prédit la perte des colonies si l’Assemblée décide de suivre cette utopie. Les débats sont houleux et longs. Faut-il parler de « Noirs non-libres » ? Ou plutôt d’esclaves ? Robespierre et ses amis refusent absolument de déshonorer l’Assemblée en employant ce mot honni. Les Droits de l’Homme ne peuvent se contenter d’une géométrie variable en fonction de la couleur de la peau. Le 13 mai Robespierre remonte à la tribune et lance à l’Assemblée une phrase que l’Histoire retiendra entre toutes : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! Périssent les colonies, s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté ». Point n’y fait. Le 15 mai 1791, c’est bien le décret colonialiste défendu par Barnave qui est adopté. Robespierre monte une dernière fois à la tribune pour défendre le principe des droits des hommes dans son entier, sans consentir aucun amendement (contre la constitutionnalisation de l’esclavage dans les colonies s’intitule son discours). ll s’égosille même tellement il crie (ce sera souvent le cas lors de ses discours !!).


Le premier décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises est voté sous l’influence de et par Robespierre et les membres de la Convention le 4 février 1794 (le 16 pluviôse de l’an II, dans le calendrier révolutionnaire)
.

Le texte prévoit une abolition de l’esclavage dans les colonies françaises sans indemnisation des propriétaires : « La Convention nationale déclare que l’esclavage des Nègres, dans toutes les Colonies, est aboli ; en conséquence elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens Français, et jouiront de tous les droits assurés par la constitution. – Elle renvoie au comité de salut public, pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour assurer l’exécution du présent décret ».

Face à une certaine lenteur dans l’exécution du décret, Robespierre a dû signer au Comité de Salut Public en avril 1794 deux ordres d’application du décret du 4 février. On a là un engagement humaniste que peu de gens connaissent. Et puis, incontestablement, il y a Robespierre menant la Terreur « mal nécessaire ». Selon nous il n’existe pas de tri sélectif dans l’histoire. Dès lors il convient de la prendre en bloc cette Révolution. De prendre en bloc l’un de ses personnages clefs.



Un certain Bonaparte rétablira l’esclavage par la loi du 20 mai 1802. Va-t-on aller saccager son tombeau aux Invalides?


Il faudra attendre avril 1848 pour que ladite abolition soit enfin votée de façon définitive. Au prix d’une soixantaine d’années de lutte.

On voit la place centrale qu’a occupé sur l’abolition de l’esclavage Robespierre l’homme qui nous divise le plus mais aussi de ces hommes qui ont fait la France (Marcel Gauchet, Gallimard, 2018). Alors oui, érigeons des statues en son honneur là où il n’y en a pas et fleurissons celles qui existent ! Peu de temps avant sa mort Robespierre justifia la politique de Terreur ainsi : « si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante (…) ». Cet extrait d’un long (comme à l’accoutumée !) discours, démontre l’ambivalence d’un homme qui savait donc manier les concepts humanistes et ceux plus expéditifs mais justifiés, à ses yeux, comme un mal nécessaire.

L’essentiel reste que, et on le sait peu, de nombreuses villes de France ont marqué le souvenir de Robespierre, là par des rues, là par des boulevards ou là par des écoles. A l’heure qu’il est pas une n’a été souillée !….

Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public à l’Université Clermont Auvergne
Membre de l’Association des Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution Française


Les dossiers de l'histoire: La Commune de Paris


 

C'est par un déroutant et amical «salut» que Henri Guillemin lance cette nouvelle série des Dossiers de l'Histoire consacrée à la Commune de Paris. Pour l'historien, il convient d'abord de remonter aux origines de la Révolution française pour comprendre cette «histoire atroce» de la Commune. Il s'emploie donc à rappeler dans ce premier épisode la lutte originelle de la bourgeoisie dès le XVIIIe siècle.



100 ans d'histoire de France et du PCF sur les murs (Le film de l'expo)

 


Programmée au printemps, décalée à l’automne, cette exposition installée en novembre 2020 n’a pas pu être accessible au public en raison du deuxième confinement et des mesures sanitaires en vigueur en décembre 2020. 
Pour lui donner toute la visibilité qu’elle mérite, la Fondation Gabriel Péri avec les deux commissaires de l’exposition, Guillaume Roubaud-Quashie et Corentin Lahu, a décidé d’en proposer une balade filmée. 
 Un film réalisé par Nicolas Bertrand (les Nouveaux Messagers) sur une idée de Louise Gaxie. 
 Ecrit par Guillaume Roubaud-Quashie et Corentin Lahu. 

Avec par ordre d'apparition, Louise Gaxie, Alain Obadia, Guillaume Roubaud-Quashie, Corentin Lahu, Fabien Roussel et C215. 
 
Un immense merci au secteur Archives du PCF, aux archives départementales de la Seine-Saint-Denis, à Mémoires d'Humanité, aux Archives municipales d’Aubervilliers, à Ciné-Archives, à C215 et au Parti communiste français. 

Vous pouvez consulter les sources de cette exposition en suivant ce lien:

 Merci également à BendOver pour son concours musical et aux Productions Alléluia–Gerard Meys pour leur autorisation d’utiliser « Ma France » de Jean Ferrat pour le générique. 

 Pour commander le catalogue de l’exposition: 

Pour en apprendre davantage sur l'histoire centenaire du PCF: 

 En partenariat avec le secteur archives du PCF, les archives départementales de la Seine-Saint-Denis, Mémoires d'Humanité, Ciné-Archives et l'Espace Niemeyer.

Vu par Hector Fleischmann, « un avocat de province : M. de Robespierre »

 Essayiste, romancier et historien, né le 27 octobre 1882 à Saint-Nicolas, Flandre-Orientale, Belgique, mort le 4 février 1913 à Paris, Hector Fleischmann dédie l'essentiel de son œuvre à la Révolution française, qu'il admire, y compris dans ses épisodes terribles. Et, en hommage à Robespierre, il choisit de donner à son propre fils le prénom de Maximilien. Cette admiration pour la Révolution française, qui se double d'une grande érudition, vaut à Hector Fleischmann d'être nommé en 1910 à Paris directeur de la Revue des curiosités révolutionnaires.

Dans Anecdotes secrètes de la Terreur, ouvrage publié en 1908 à Paris aux Publications modernes, Hector Fleischmann distille les curiosités suivantes : Le dernier charnier de la Terreur ; Le remords de Mme Tallien ; Cadavres royaux ; Le roman amoureux d'un Capucin ; Une vraie sans-culotte ; La dernière nuit de Fouquier-Tinville ; La légende du verre de sang ; Un régicide en exil [Jacques Louis David] ; Quelques notes sur la vie privée du citoyen Rouget (de Lisle) ; L'homme qui guillotine les statues ; Le travail de Curtius ; Le ménage de M.-J. Chénier [le frère cadet du poète guillotiné] ; Un avocat de province : M. de Robespierre ; Un singulier condamné à mort ; Le vrai marchand de fourneaux ; Où fut enterrée la tête de la princesse de Lamballe ? ; Origine du mot "Sans-culotte" ; Madame Rolland en prison ; Les cadavres de la Madeleine ; Jourdan Coupe-Têtes ; Une séance de magnétisme.

Quand l'érudition se fait passionnante à l'instar du roman... Lisez donc les Anecdotes secrètes de la Terreurd'Hector Fleischmann !

Un avocat de province : M. de Robespierre
in Anecdotes secrètes de la Terreur, chapitre XI, p. 133 sqq.

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« Dans les rues paisibles d'Arras... ». Carte postale sans date.

« Dans les rues paisibles d'Arras, un jeune homme en habit olive se promène lentement, mélancoliquement.

Le tiède soleil et les jaunes rayons de l'arrière-saison baignent la somnolence de la ville coite et morne où, derrière les vitres emmousselinées, des yeux curieux guettent le jeune homme maigre serré dans son habit usé et propre.

À cette époque, il a vingt-sept ans (1), et son visage impassible, au front barré d'une grande ride, semble respirer l'amertume d'avoir été un précoce orphelin (2).

Déjà, à cette heure imprécise de son existence, sa vie semble respirer cette tristesse majestueuse de la tragédie, dont parle si divinement Jean Racine dans sa préface de Bérénice. Fuyant les prétoires artésiens, il part rêver devant la mortelle beauté des paysages pacifiques de Flandre.

Arras, à l'automne, est d'une tristesse infinie parmi ses peupliers bruissants et ses vieilles maisons. Comme on y comprend admirablement la mélancolie poignante qui pesa sur Maximihen de Robespierre, même aux heures les plus fiévreuses de son triomphe civique ! L'âme latine, apportée par les conquêtes romaines dans les plaines ibériques et poussée par la furie espagnole sur les Flandres, où elle prit racine, se sentait véritablement en exil dans ce pays froid et prolifique où rien ne lui parlait de la beauté des paysages de sa patrie. Maximilien de Robespierre, héritier de cette âme latine errante, se sentit lui aussi en exil, mais loin de s'abandonner, il triompha de lui-même, de la race et du paysage. Chez lui le caractère espagnol, brûlant, ardent, fut vaincu par le caractère romain et, soumise, l'influence ibérique s'allia à l'ordre latin pour former celui qui devait un jour affirmer, sur les tréteaux gluants de l'échafaud, la hauteur de son âme civique. Pays pacifique et profond que coupent les eaux vives, qu'émaillent les hameaux verts et que gardent, sentinelles muettes, les beffrois et les clochers ; paysages de mol abandon et de tristesse latente, c'est eux qui firent cette âme romaine et jacobine au maigre avocat. Là, elle s'imprégna, à l'aspect d'un ciel uniforme et bas, de la rudesse d'une éloquence sévère, et l'âme flamande, marquée encore du sceau espagnol, s'allia à l'âme latine dans un effort promulgué par l'éloquence de la pensée française (3). Et ainsi se façonna la Vertu et la Probité de l'Incorruptible.

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Henry Joseph Constant Dutilleux (1807-1865), Paysage d’Artois, Musée municipal d'Hazebrouck.

À cette époque il n'avait, dit Henri Martin, ni les qualités, ni les défauts de la jeunesse. Il était celui que son professeur de rhétorique au collège Louis-le-Grand, l'abbé Hérivaux, appelait le Romain. Sa pensive jeunesse se ressentait du spectacle de la nature. Qui donc étudiera ce que firent les paysages âpres du Puy-de-Dôme sur la formation de Couthon, ceux de Carcassonne où l'air est vif, clair, ardent, sur celle de Fabre d'Eglantine, ce que dut André Chénier au ciel de Grèce et Camille Desmoulins à la belle mollesse de la Picardie aux confins de l'Ile-de-France ? C'est le noble et doux Vendômois qui inspira Ronsard, c'est l'Artois qui fit Robespierre.

Dans ses promenades solitaires, il songe que, dans ces plaines, eut lieu le choc de Turenne, de Condé et des Espagnols, que ces esplanades fortifiées sont marquées du génie de Vauban, et que le traité des Pyrénées joignant, en 1659, Arras à la couronne de Louis XIV, a rendu sa patrie à ses destinées naturelles. Ce n'est alors qu'un jeune homme sensible, oui, mais non bêlant ; il est celui qui lit Rousseau sous les feuilles jaunies de l'automne et pleure avec Émile sur le sort contraire des destinées. Peu à peu la discipline nationale, l'ordre français le pénètrent, et quand, en mai 1789, après avoir payé sa place 35 livres 10 sols, dans la diligence, il part pour Paris, aux Etats Généraux, il se sent confusément prêt pour le grand rôle de l'avenir.

*
* *

La vie de Robespierre, à Arras, est assez curieuse à suivre dans ses détails. On lui a connu plusieurs domiciles. En 1781, celui de la rue du Saumon ; en 1783, celui de la rue des Trinitaires; en 1786, il est rue du Collège ; en 1787, rue des Rapporteurs. La maison est, aujourd'hui, noire, hostile, gardant derrière ses vieilles pierres le secret de cette grande vie blasphémée.

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Sa vie y était simple, pauvre, obscure. A la mort de son père, il était demeuré sans fortune ; il n'avait aucun patrimoine, a-t-on écrit (4). Dans sa profession d'avocat il apporta le même soin zélé et studieux que celui qui en avait fait à Paris, à Louis-le-Grand, un des plus remarquables élèves (5).

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Ici une question est intéressante à poser : Comment plaidait-il ? Les uns, comme Michelet, lui ont trouvé un talent incolore (6), d'autres ont vu en lui, le type des orateurs académiques, un avocat méticuleux (7), bel esprit à la parole cadencée (8), mais verbeux, et se basant sur sa déclaration souriante : « Je suis bavard », inclinent à croire que la verbosité fut un de ses défauts (9). Chose curieuse : parmi tant d'avis divers, on ne saurait se résoudre à en adopter un seul. Qu'on relise ses plaidoiries, celle pour le sieur de Vissery de Boisvallé dans une affaire de paratonnerre, celle pour la domestique du capitaine Carnot, Mme Duhamel, dans une affaire de succession ; nulle part, et même dans celle si longue, si copieuse, de l'affaire Dupond, n'apparaît ce défaut tant reproché à sa « sombre éloquence (10) ». Il semble plutôt que Rome ait mis dans ces harangues l'éloquence précise, sèche, le goût de l'ordre et de la sobriété classique. Cette éloquence est celle d'un rhéteur factieux, dit Rœderer (11) ; c'est du galimatias, ajoute Malouet (12), du jargon d'emprunt, riposte Taine (13), un talent au-dessous du médiocre cousu de mauvaises expressions, observe Mme Roland (14) dont le style, comme chacun sait, est la chose la plus pénible au monde ; enfin, tout cela est froid, prétentieux, d'un style d'académicien de province (15), conclut le pasteur Dide. C'est un mauvais avocat (16), sa voix est rauque et se convertit, dans la colère, en une espèce de glapissement assez semblable à celui des hyènes (17), son verbe est sec, pédant, hargneux, cassant (18), sa diction âpre, triviale, cousue de lieux communs (19), faible, sèche, monotone, aiguë (20), éteinte, quoique l'habitude de la tribune lui ait fait la parole facile (2)1, ses harangues étaient didactiques, son éloquence grande (22), sa voix, quoique de tête, agréable (23) ; enfin, pour Camille Desmoulins, elle est sublime ; par intervalles, elle arrache des larmes, elle s'élève à la hauteur du talent de Démosthène (24).

Il nous faut faire grâce au lecteur de plus nombreuses citations. Celles que nous venons de faire prouvent à quel point la personnalité du grand Jacobin est restée contradictoire jusqu'aux yeux des historiens de nos jours. Singulière destinée que celle de cet homme blasphémé par ses ennemis, nié et renié par ses amis !

Quoiqu'il en soit, on ne saurait contester le succès de ses plaidoiries devant la cour d'Arras. Presque tous les procès qu'il défend à cette barre de ses obscurs débuts sont des causes gagnées pour lui. Plus tard, cette éloquence sèche et ennuyeuse aurait-elle dicté à la Convention les lois qu'inspira le génie de Maximilien, et cette éloquence d'académicien de province aurait-elle étouffé la foudre de Danton et le génie de Vergniaud ? Il nous reste d'elle ces admirables discours, uniques dans l'histoire littéraire et que nul n'égala depuis. C'est là qu'il faut véritablement chercher l'origine de l'énorme puissance, toute morale, qui plaça Robespierre à la tête du gouvernement révolutionnaire.

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* *

Arras l'a vu encore sous un autre aspect.

Le 15 novembre 1785, Saint-Harduin, secrétaire perpétuel de l'Académie d'Arras, le fit recevoir aux Rosati. C'était une société bachique, où les roses, le vin et la poésie étaient en honneur. Sous le berceau de Blagny, dans le faubourg d'Avesnes, et aux bords de la Scarpe à l'onde vive, les Rosati tenaient leurs séances.

Le règlement en était puéril et charmant. A son entrée, le récipiendaire cueillait une rose, la respirait trois fois et vidait une coupe de vin rosé à la santé de tous les Rosati présents et futurs. Son parrain lui donnait le baiser de l'accueil fraternel, lui remettait un diplôme sur papier rose scellé d'une rose de cire et parfumé à l'eau de rose. Après quoi, le nouvel initié chantait un couplet de bienvenue. « Prendre un honnête délassement, écrivait-on à l'abbé Ménage, s'éclairer des rayons de la vraie philosophie, rire de l'ambition et de mille riens importants, faire revivre le ton simple et franc de nos anciens auteurs, en dépit de la préciosité et de la morgue de plusieurs célèbres du jour, voilà le principal but des Rosati (25). »

Exécutant le trille d'une voix agréable (26), Robespierre chanta ses couplets suivant l'usage consacré :

LA ROSE
REMERCIEMENTS À MESSIEURS DE LA SOCIÉTÉ DES ROSATI

Air : Résiste-moi, belle Aspasie

Je vois l'épine avec la rose
Dans les bouquets que vous m'offrez (bis) ;
Et lorsque vous me célébrez,
Vos vers découragent ma prose.
Tout ce qu'on m'a dit de charmant,
Messieurs, a droit de me confondre :
La rose est votre compliment,
L'épine est la loi d'y répondre (bis).

Dans cette fête si jolie
Règne l'accord le plus parfait (bis)
, On ne fait pas mieux un couplet,
On n'a pas de fleur mieux choisie.
Moi seul, j'accuse mes destins
De ne m'y voir pas à ma place ;
Car la rose est dans nos jardins
Ce que vos vers sont au Parnasse (bis).

À vos bontés, lorsque j'y pense,
Ma foi, je n'y vois pas d'excès (bis),
Et le tableau de vos succès
Affaiblit ma reconnaissance.
Pour de semblables jardiniers
Le sacrifice est peu de chose ;
Quand on est si riche en lauriers,
On peut bien donner une rose (bis).

La pièce est charmante, d'une jeune fraîcheur ; c'est une des rares où l'âme sensible et tendre de Maximilien de Robespierre se soit laissé voir, dépouillée de cette grave austérité qui l'enveloppa aux jours terribles de 93.

Parmi les Rosati, le jeune avocat allait goûter les seules heures paisibles de sa vie battue des orages révolutionnaires. Il y avait là, sous le berceau festonné de clématites et de chèvrefeuille onduleux, le peintre Bergaigne ; le musicien Pierrebot ; le capitaine au corps royal de génie, Carnot, que, dans les bureaux du Comité du Salut Public, Maximilien rencontrerait plus tard ; l'avocat général au Conseil de l'Artois, Foacies de Ruzé ; l'abbé Berthe ; le professeur de théologie Daubigny ; le major de génie Champmorin, le capitaine chevalier Dumeny ; le major de la citadelle d'Arras, Baillet de Vaugrenant ; le poète Legay ; l'avocat Charamond ; Dubois de Fosseux ; l'abbé Roman ; Desruelles ; et le parrain aux Rosati, de Robespierre, Saint-Harduin. Dans le onzième couplet de sa chanson de la Coupe, Maximilien leur a rendu le tendre hommage de son amitié :

Ami, de ce discours usé,
Concluons qu'il faut boire.
Avec le bon ami Ruzé
Qui n'aimerait à boire ?
À l'ami Carnot,
À l'aimable Cot,
À l'instant, je veux boire ;
À vous, cher Fosseux,
De ce vin mousseux
Je veux encore boire.

Dans cette vie réservée aux plus tragiques coups du Destin, cette heure sera brève. « Il était à sa maison de Tibur où il jouissait des premiers moments tranquilles de sa vie », est-il écrit dans le Dialogue de Sylla et d'Eucrate. Ce livre, avec ceux de Jean-Jacques, de Racine et de Corneille, il l'a sur sa table, et peut-être a-t-il lu cette phrase et s'en souviendra-t-il un jour. Arras, quitté en 1789, le verra revenir, quoiqu'on en dise (27), deux années plus tard, en octobre 1791, et on lui décernera alors aux portes de la ville la couronne civique et le laurier mérité par ses nobles travaux. Dernier éclat de son triomphe dans l'Artois natal ! Dans ces rues paisibles, sur ces places somnolentes où le soleil dore les vieilles pierres, de terribles cortèges passeront bientôt. Le professeur de rhétorique à l'oratoire de Beaune, le ci-devant prêtre Joseph Lebon, devenu conventionnel, installera sur ces places la guillotine, le rasoir national égalitaire, où les abricots vont tomber tandis que l'orchestre exécutera des hymnes républicains (29). Robespierre absent, la « bienfaisante » terreur, aimée de l'oratorien Fouché, allait être à l'ordre du jour à Arras.

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Joseph Le Bon, croquis de Georges François Marie Gabriel (1775-1846), Musée Carnavalet.

De la maison de la rue Saint-Maurice où gîtait Lebon, cette demeure à tourelle de tuiles, avec son chèvrefeuille tombant du haut du mur sur la porte basse, trapue, sombre, hostile, de cette maison muette aujourd'hui, où semble encore dormir quelque chose de son tragique passé, partaient les ordres sanglants de l'envoyé du Comité du Salut public. Défense fut faite aux femmes d'Arras de porter des toilettes. La pauvreté civique fut décrétée. Au tribunal révolutionnaire « quelques bougres à poil » siégeaient en chemises ouvertes, débraillés, la poitrine à nu, le bonnet rouge sur l'oreille, le sabre sur les genoux, et les pistolets sur la table, sous l'œil clignotant de Lebon avec ses armes à la ceinture.

Il n'était pourtant point la brute barbare et sanguinaire que nous représentent ses arrêtés. On l'a vu propre, élégant, soigné, soucieux du bel ordre de sa chevelure et des plis de sa cravate, d'une figure douce, dit Louise Fusil, dans ses Souvenirs d'une actrice (30). Mais l'élégance de ce muscadin n'épargna cependant point les têtes. Les vieilles femmes « éternuaient dans le sac », car à quoi servent-elles ? demandait l'oratorien converti au culte de la Sacro sanctam Guillotinam.

Dans ce temps, l'enfant d'Arras, le mélancolique et maigre avocat de 1785, surgissait à la tribune de la Convention nationale, comme l'éclair parmi les ténèbres de l'orage. Son éloquence glacée et électrique galvanisait le grand corps social inerte, jetait jusqu'aux armées sur les frontières le cri d'alarme de la Nation en danger. Les foudres de cette voix vengeresse frappaient les têtes trop hautes, abattaient les orgueils, terrassaient les cupidités sournoises et avides.

Mais thermidor mûrissait les grappes lourdes aux vignes de l'Île-de-France. La conspiration de la crapule allait bondir avec l'énergie du désespoir, et les mains « pleines de rapines » allaient clouer sur ces lèvres minces le dernier cri de la raison française outragée et révoltée. C'en sera fini alors de la vertu républicaine. Cette tête tombée, quelque part, dans un village perdu et lointain, une femme inconnue se déchirera la poitrine de ses ongles désespérés, et, lamentablement, criera cette plainte qui retentira à travers les siècles et les temps :

— Il n'y a plus d'espoir pour le peuple ! Ils ont tué Dieu ! »

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Signature de Robespierre, reproduite dans Anecdotes secrètes de la Terreur, » Un avocat de province : M. de Robespierre », p. 148.

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1. Maximilien Isidore de Robespierre est né le 6 mai 1758 ; sa mère, Jacqueline Marguerite Carraut, a eu ensuite une fille, Charlotte, née le 8 février 1760 ; une autre fille, Henriette, née le 28 décembre 1761 ; un fils, Augustin, né le 21 janvier 1763 ; et un enfant mort-né, qui lui a coûte la vie le 7 juillet 1764. Elle était âgée de vingt-neuf ans.

2. Maximilien de Robespierre est orphelin de mère à l'âge de 9 ans. Son père ensuite disparaît en Allemagne.

3. Paul Adam, in Le Troupeau de Clarisse, Paris, Société d'Editions Littéraires et Artistiques, 1904, p. 58.

4. Alissan de Chazet, Mémoires, souvenirs, œuvres et portraits, tome III, Paris, Postel, 1837, p. 28 : « Robespierre, né dans l’Artois de parens pauvres… ». Alissan de Chazet exagère. Cf. Cf. Émile Lesueur, « Les origines de la fortune de la famille Robespierre », in Annales révolutionnaires, t. 7, no. 2 (mars-avril 1914), pp. 179-194.

5. Sur les listes du Concours général du collège Louis-le-Grand, on trouve cité plusieurs fois le nom de Robespierre : Ludovicus Franciscus Maximilianus Maria Isidorus de Robespierre ; Atrebas [en latin, originaire d'Arras], e collegio Ludovici Magni. En 4e année, 1772, il obtient le 2e prix de thème latin et le 6e accessit de version latine ; en 2e année, 1774, le 4e accessit de vers latins et le 4e accessit de version latine ; en rhétorique, 1775, le 2e prix de vers latins, le 2e prix de version latine et le 3e accessit de version grecque. Il redouble sa rhétorique et, en 1776, obtient le 4e accessit de version latine.

6. Jules Michelet, La Révolution Française, volume 2, livre IV, chapitre 5 : « Son unique plaisir était de limer, polir ses discours assez purs, mais parfaitement incolores ; il se défit par le travail de sa facilité vulgaire et parvint peu à peu à écrire difficilement. »

7. Docteurs Cabanes et Nass, La Névrose révolutionnaire, Paris, Société Française d' Imprimerie et de Librairie, Paris, 1906, pp. 412-413.

8. Philarète Charles [fils de Pierre Jacques Chasles, député à la Convention], Mémoires, tome 1, Paris, G. Charpentier, 1876, p. 35 :« Robespierre avait gardé de son existence d' avocat bel esprit et de province les manchettes et le jabot, le gilet rose et la parole cadencée

9. Jean Bernard, Quelques poésies de Robespierre, Paris, G. Maurice, 1890, p. 48.

10. J.-P. Picqué (Lourdes, 1748-) [médecin, député des Hautes-Pyrénées à la Convention, « modéré et républicain parmi des furieux »], L'Hermite des Pyrénées. Dans L’Hermite des Pyrénées, mémoires restés inédits, Jean Pierre Picqué dit Robespierre « placé à leur tête [les Montagnards] par son éloquence forte ». Propos cité par Léon Gabriel Pélissier, in « Un conventionnel oublié. J.-P. Picqué et L’hermite des Pyrénées », Annales du Midi,1899, 11-43, pp. 288-334.

11. Œuvres du comte P.L. Rœderer. Histoire contemporaine. 1789-1815, tome 3, Paris, Firmin-Didot, 1854, p. 271 : « Danton avait l’éloquence d’un tribun séditieux ; il l’eut plus que Mirabeau même. Robespierre, celle d’un rhéteur factieux. Danton fit trembler des gens de plus de talent que lui ; il comprimait. Robespierre fut toujours dédaigné, et c’est ce qui fit sa grandeur. »

12. Hector Fleischmann fait ici une lecture plutôt sélective des Mémoires de Pierre Victor Malouët, ancien député à l'Assemblée constituante, alors l'un des chefs du parti constitutionnel. Le passage que cite Hector Fleischmann, intéresse l'Adresse communiquée par le vieil abbé Raynal (1713-1796) à l'Assemblée le 30 mai 1791, soit le lendemain du jour où elle a voté la translation solennelle des restes de Voltaire au Panthéon. Le secrétaire de l'Assemblée se trouve chargé de lire l'Adresse de l'abbé. « On voyait le ravissement des spectateurs et des députés patriotes de recevoir cet hommage solennel du patriarche de la démocratie. Le premier paragraphe rétrograde sur les maux, les excès de la révolution rembrunit toutes les figures ; on se dresse, on se regarde, on s’indigne ; mais on s’attend à des retours aux bienfaits, aux grands résultats de la régénération sociale. La patience échappe à quelques-uns ; on leur impose silence. Ce n’est plus une adresse, c’est un drame dont chacun veut voir le dénouement : on écoute encore. Le secrétaire poursuit ; il arrive à l’effrayant tableau des désordres, des crimes, de la dissolution qui s’avance : le côté droit, qui avait d’abord été consterné de l’hommage, s’exalte sur la censure. On entend d’un côté : Bravo ! et de l’autre : Quelle audace ! Vengeance ! L’Assemblée est insultée ! C’est du Malouet ! Le tumulte s’accroît ; vingt députés se lèvent à la fois pour demander la parole ; on dénonce l’auteur, le président, le secrétaire. On parle de mettre le premier au Temple, de destituer les deux autres. Robespierre monte à la tribune, et c’est la première, la seule fois que je l’aie vu adroit et même éloquentJe fus si frappé de ce qu’il a dit, que je ne l’ai jamais oublié. Voici comment il débuta : "Je supplie l'Assemblée de se calmer. C'est quand on ose essayer de la braver qu'elle doit être imposante. Mais comment, messieurs, pourriez-vous être offensés de ce que vous venez d'entendre ? Voyez au contraire combien c'est une belle chose que la liberté. Voyez comment ses ennemis, n'osant l'attaquer de front, sont obligés d’employer la ruse. Les malheureux vont chercher sur le bord de sa tombe un vieillard respectable ; et, abusant de sa faiblesse, ils lui font abjurer la doctrine et les principes qui ont fondé sa réputation." Il délaya, suivant son usage, ces premières phrases, qui étaient tout l'esprit de son discours, et qui, malgré son galimatias accoutumé, produisirent l'effet qu'il en attendait. L'Assemblée, sur la parole de Robespierre, se jugea supérieure aux réprimandes de l'abbé Raynal, et passa à l'ordre du jour. » Mémoires de Malouet, tome II, Paris, Didier et Cie, 1868, pp. 49-51.

13. Taine, Les origines de la France contemporaine, V ; La Révolution. La conquête jacobine, tome I, vingt-quatrième édition, Paris, Hachette, 1904, p. 34 : « Loustalot, Fréron, Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just ne quittent jamais le style autoritaire, c'est celui de la secte, et il finit par devenir un jargon à l'usage de ses derniers valets. »

14. Mémoires de Mme Roland, Paris, Baudoin fils, 1820, p. 350 : « Son talent, comme orateur, était au-dessous du médiocre ; sa voix triviale, ses mauvaises expressions, sa manière vicieuse de prononcer, rendaient son débit fort ennuyeux. Mais il défendait les principes avec chaleur et opiniâtreté ; il y avait du courage à continuer de le faire au temps où le nombre des défenseurs du peuple s'était prodigieusement réduit. »

15. Auguste Dide, Hérétiques et révolutionnaires, Paris, Charavay Frères, 1887, pp. 222-223 : « Buzot et Robespierre figurent également parmi les orateurs de la Constituante. On a retenu ce mot si touchant et si noble que Buzot adressa à ses collègues le 21 mai 1791 : "Vous êtes à l'aurore du patriotisme". Robespierre ne brilla pas, tout d'abord, d'un bien vif éclat à la tribune de l'Assemblée nationale. Il y parut étriqué, gauche et provincial. Sa parole froide et prétentieuse, son air guindé, son ton aigre impatientèrent, déplurent et furent ridiculisés. Les plaisantins des Actes des Apôtres, les écrivains de l'Ami du roi s'imaginèrent qu'ils auraient facilement raison de "l'homme d'Arras", avec quelques épigrammes. Brocards, facéties, quolibets, couplets de vaudeville tombèrent sur lui comme grèle. On se moqua de son "habit olive", de sa prononciation glapissante, de son style d'académicien de province, de ses prétentions d'homme d'État. Lui, sans se laisser abattre et sans se décourager, irrité cependant par les railleries, et l'amour-propre ensanglanté, continua à croire en lui, à se roidir dans son ambition, à proclamer l'excellence de ses doctrines. Il empruntait celles-ci à un philosophe dont, sans cesse, il relisait les œuvres : le philosophe-citoyen de Genève. Tous les jours il allait, le Contrat socialen poche, ainsi qu’un prêtre muni de son bréviaire, s'asseoir sur les bancs de l'Assemblée nationale. Ce desservant de Rousseau, après avoir fait sourire, sembla ennuyeux. Mais lorsqu'on le vit, toujours fidèle à lui-même, immuable dans ses théories, se faire à la tribune de la Constituante l'interprète infatigable des aspirations populaires, lorsqu'on s'aperçut qu'à force de travail et d'opiniâtreté, il avait fini par prendre à son maître, Rousseau, quelque chose qui ressemblait à du style et qui pouvait paraître de l'éloquence, alors les rires firent place à un étonnement presque respectueux. Peu à peu il conquit, au milieu de ses collègues, une situation originale et forte. Ce fut l'homme de la logique inflexible et de l'idéal démocratique. »

16. Abbé Guillaume Honoré Rocques de Montgaillard, Histoire de France, tome III, Depuis la fin du règne de Louis XVI jusqu'à l'année 1825, Paris, Moutardier, 1827, p. xx : « Robespierre avait flétri d'avance l'acte de la Convention, lorsque, repoussant la forme juridique qu'on voulait donner à une vengeance politique, il s'écria : "Louis n'est pas un homme que nous puissions juger, mais c'est un homme que nous devons tuer. »

17. Charles Nodier, Oeuvres, Le Dernier Banquet des Girondins : « Il y a une éloquence de temps, une éloquence d'événements, de passions et de sympathies, qui ressemble à celle du génie dans ses causes et dans ses effets, parce que son génie, à elle, réside dans la pensée universelle, et qu'elle ne jette pas un son du haut de la tribune qui n'aille exciter un long retentissement et un enthousiasme simultané dans l'ame de la multitude. Je n'ai pas dissimulé que c'étoit là, tout au plus, l'éloquence de Robespierre, et cependant je conviens que son talent a grandi à mes yeux dans une proportion indéfinissable depuis que je l'ai comparé. La nature n'avoit rien fait pour lui qui semblât le prédestiner aux succès de l'orateur. Qu'on s'imagine un homme assez petit, aux formes grêles, à la physionomie effilée, au front comprimé sur les côtés, comme une bête de proie, à la bouche longue, pâle et serrée, à la voix rauque dans le bas, fausse dans les tons élevés, et qui se convertissoit, dans l'exaltation et la colère, en une espèce de glapissement assez semblable à celui des hyènes : voilà Robespierre. »

18. Victorien Sardou, La Maison de Robespierre. Réponse à M. Hamel, Paris, Paul Ollendorff,1895, p. 75 : « Sa tête de chat, aux pommettes saillantes, couturées de petite vérole ; son teint bilieux, ses yeux verts bordés de rouge sous ses lunettes bleues, sa voix aigre, son verbe sec, pédant, hargneux, cassant ; son port de tête hautain, ses gestes convulsifs... »

19. Nouvelles politiques, nationales et internationales, 13 thermidor an II (31 juillet 1794, p. 2/4 : « Il savait adoucir avec art sa voix naturellement aigre, et criarde, et donner de la grâce à son accent artésien […]. Il avait calculé le prestige de la déclamation, et, jusqu’à un certain point, il en possédait le talent ; il se dessinait assez bien à la tribune ; l’antithèse dominait dans ses discours, et il maniait assez bien l’ironie ; son style n’était point soutenu ; sa diction, tantôt harmonieusement modulée, tantôt âpre, brillante, quelquefois et souvent triviale, était toujours cousue de lieux communs et de divagation sur la vertu, le crime, les conspirations. Orateur médiocre, lorsqu’il avait préparé son discours, s’il s’agissait d’impression, il était au-dessus de la médiocrité. Alors il courait après ses idées fugitives, comme un homme endormi après le fantôme de son rêve ; sa logique était toujours assez pure, et souvent adroite dans les sophismes ; il réfutait avec lucidité... »

20. Jean Bernard, Les lundis révolutionnaires. 1790, Paris, Georges Maurice, 1889, p. 6 : « Quand il parlait, Robespierre avait la voix faible, sèche et monotone, même un peu aiguë ; le geste était étroit, mais la logique était si serrée qu'elle obligeait l'auditeur à l'attention. »

21. Dictionnaire biographique et historique des hommes marquans de la fin du dix-huitième siècle, et plus particulièrement de ceux qui ont figuré dans la Révolution franc̜oise, tome 3, Londres, 1800, p. 278 : « Son physique faible, sa figure sombre et livide, sa vue bornée et délicate, sa voix presque éteinte, ne pouvaient prévenir ou séduire la multitude ; et quoiqu’il fût parvenu, par une grande habitude de la tribune, à parler avec facilité il ne put jamais lutter avec les premiers orateurs de la Convention. […]. La seule séance où il ait montré de la véritable éloquence, est celle du 31 mai 1793, jour où il lui échappa un mouvement très brillant contre Vergniaud, qui avait voulu l’interrompre. »

22. F.-A. Aulard, La Nouvelle Revue, 1er juillet 1885, p. 78 : « Au club des Cordeliers, dans cette assemblée ouverte, populaire, indisciplinée par principe, où rien ne gênait l’individualisme le plus jaloux, il [Fabre d'Églantine] put observer, choisir son groupe, s’orienter selon ses tendances intimes. Il ne fut attiré ni par le mélancolique Marat, ni par Hébert le cynique, ni par Cloots l’international : l’attitude si humaine et si française de Danton, de Camille, de Legendre, répondit à ses secrètes aspirations. Il est curieux que cet acteur se soit lié sans hésiter au parti des hommes d’action, des organisateurs de la France nouvelle, et qu’il n’ait pas été plutôt séduit par la grande éloquence de Robespierre ou l’éclatante rhétorique des Girondins. »

23. Mémoires de Fleury, de la Comédie-Française, 2e série : 1789-1820, Paris, J. B. P. Lafitte, 1846, p. 288. À propos de Robespierre chez Mme de Saint-Amaranthe [Jeanne Louis Davasse de Saint-Amarand dite Sainte-Amaranthe, née Jeanne Louise Françoise Desmier d’Archiac de Saint-Simon, salonnière] : « Son esprit, un peu cherché, ne manquait pas de saillie ; son aisance un peu apprêtée, n'était pas dépourvue de grâce. Il ne dédaignait point les conquêtes agréables, il les recherchait même ; il riait parfois, mais bien en secret ; comment donc ! il faisait le couplet, il le chantait, et, malgré son accent artésien, sa voix était agréable ; un peu voix de tête ; il exécutait le trille. »

24. Camille Desmoulins à propos du discours de Robespierre du 11 janvier 1792, dans une lettre inédite aux patriotes de Millau, citée par Hervé Leuwers in Camille et Lucile Desmoulins : Un rêve de république, Paris, Fayard, 2018 : « Ceux qui ont été ses camarades de collège, et même ceux qui l’année dernière ont été ses collègues à l’Assemblée nationale ne reconnaissent plus Robespierre depuis quelque temps. D’homme d’esprit, il est devenu éloquent, et maintenant le voilà sublime par intervalles. On dirait qu’il grandit d’un pied tous les mois, tant il est vrai que le foyer du talent c’est le cœur. Quand, il y a deux ans, je l’annonçais à la France, dans mon journal, comme un Caton, j’étais bien loin de prévoir qu’il s’élèverait jamais à la hauteur du talent de Démosthène. »

25. La société des Rosati est une société littéraire d'Arras fondée le 12 juin 1778. Cf. Wikipedia : Rosati. Cette société existe aujourd'hui encore.

26. Mémoires de Fleury, de la Comédie-Française, p. 288.

27. F.-C. Galart de Montjoye, Histoire de la conjuration de Maximilien Robespierre, Lausanne, Stockenster, 1795, p. 62-63 : « Élu président du club des jacobins à Paris le 31 mars 1790, Robespierre marqua à son frère [Augustin de Robespierre] de rassembler tous ceux qui par la nature de leur éducation et leur indigence, étaient portés à haïr les riches, les propriétaires, les gens bien nés, et d’en former à Arras un club semblable à celui de Paris. Ses instructions portaient de plus de disposer les membres de la nouvelle association à lui faire une réception éclatante, et à lui déférer le titre de fondateur du club d’Arras. Il manda à sa maîtresse [Suzanne Forber, couturière de profession ?] de recruter dans le petit peuple une troupe qui, lorsqu’il arriverait, lui viendrait au devant et donnerait à son entrée dans Arras l’air d’un triomphe. Les choses ne tournèrent pas comme Robespierre l’avait pensé. Dès qu’on sut dans Arras par les dispositions que faisaient son frère et Suzanne Forber, qu’il s’y proposait d’y venir, toute la ville fut en rumeur. La saine partie se souleva, et prit à son tour des mesures pour que l’accueil qu’il recevrait, le détournât à jamais de reparaître dans une ville qui rougissait de lui avoir donné le jour. Robespierre ayant appris par les lettres de son frère et de sa maîtresse que ceux qui qui lui préparaient un accueil humiliant, l’emporteraient par le nombre et l’énergie, s’effraya, et renonça à toute idée de se montrer à ses compatriotes. Il est remarquable qu’ils n’ont jamais varié dans le mépris qu’ils lui portaient avant sa nomination aux États-Généraux, et que dès cette époque, ils prononcèrent contre la une sorte de banissement que son peu de courage ne lui permit pas d’enfreindre ; de sorte que malgré le désir naturel à tout homme, surtout à celui qui croit avoir acquis quelque réputation, de revoir les lieux de sa naissance, Robespierre est mort sans avoir osé reparaître à Arras. Tout ce qui resta de ce projet de voyage, ce fut l’établissement dans cette ville d’un club de jacobins dont Robespierre le jeune fut l’âme et le premier président.
« Robespierre est mort sans avoir osé reparaître à Arras », dixit F.-C. Galart de Montjoye. Cette affirmation est fausse. On possède des lettres de Robespierre, écrites d'Arras en 1791, dont l'une, datée du 16 octobre 1791.

28. Lettre de Maximilien de Robespierre à Duplay ; Arras, 16 octobre 1791.

29. P.-J. Thénard, Quelques souvenirs de la Terreur à Cambrai, Cambrai, chez L. Carion, 1860.

30. Louise Fusil (1771-1848), Souvenirs d'une actrice, tome 2, Paris, Dumont, p. 13 : «Joseph Lebon était d’une taille moyenne et assez bien prise ; sa figure douce et agréable avait cependant quelque chose de sournois et de diabolique. Il régnait dans sa mise une sorte de coquetterie ; sa carmagnole était d’un beau drap gris et son linge d’une grande blancheur ; le col de sa chemise était ouvert, et il portait l’écharpe de député en sautoir ; ses mains étaient très soignées, et on disait qu’il mettait du rouge. Quel bizarre assemblage de férocité et d’envie de plaire !… »