Mettons fin à l’accaparement du football par les investisseurs financiers !
Dimanche 18 avril, 12 des top clubs européens ont annoncé la création de la Super Ligue, une compétition dont l’objectif était de concurrencer la Ligue des Champions en faisant participer 15 clubs fondateurs permanents, et 5 autres équipes invitées chaque saison.
Cette ligue fermée au fonctionnement profondément inégalitaire avait ainsi pour objectif d’accroître les recettes des gros clubs (ce sont 3,5 milliards d’euros qui devaient être distribués d’entrée aux participants par la banque JP Morgan finançant le projet) dans un contexte de crise du modèle économique du football. Cette sécession explicite a ainsi suscité l’opposition des supporters comme des joueurs, notamment parce qu’elle refuse le principe de promotion-relégation au sein de ligues nationales qui assurait la compétition entre petits et gros clubs, et ce parce que les gros clubs veulent, face à l’incertitude des résultats, sécuriser leurs revenus quitte à mettre fin au principe de la compétition.
On retrouve la tension caractéristique du football moderne entre les aspirations capitalistes à la profitabilité et la logique sportive : alors que la rationalité capitaliste pousse à sécuriser les profits, dans le sport c’est l’incertitude du résultat, la difficulté du match, qui fait la valeur de la performance. C’est bien tout un modèle économique qui est mis en échec aujourd’hui et dans lequel s’inscrit ce coup de force opéré par les “hyperclubs”, nouvelle étape d’une longue série de tentatives de pression des gros clubs (représentés par l’ECA, l’Association européenne des clubs) sur l’UEFA.
La libéralisation et ses corollaires - financiarisation - du football trouvent ici son issue logique et témoignent de la voie délétère dans laquelle s’engouffre le football, au travers de réformes qui ont rendu les ligues nationales toujours plus déséquilibrées, et donc prévisibles, sous la pression des investisseurs. Ces déséquilibres financiers entre les clubs ont été accentués par les réformes successives de la ligue des champions, dont une nouvelle mouture est actuellement à l’étude pour 2024 (avec un nombre accru de matchs, 36 équipes au lieu des 32 actuelles, une qualification fondée sur les résultats passés et des droits commerciaux de la compétition accaparés par les top clubs). La recherche d’une plus forte exposition médiatique à travers la multiplication des matchs (avec la réforme de l’UEFA actuellement à l’étude ce sont 100 matchs supplémentaires qui seront joués chaque année en coupe d’Europe), et donc de droits TV revalorisés, pousse les clubs à exiger des formats qui portent atteinte à la qualité du jeu et à l’accès de tous et toutes aux matchs.
Un tel projet n’est hélas pas neuf : déjà en 1998, la menace d’une ligue d’élite était agitée par les grands clubs pour imposer à l’UEFA de réformer les compétitions en vue d’accroître leur profitabilité. Les Football Leaks ont également révélé diverses versions d’une telle ligue qui restaient dans les petits papiers des gros clubs, et avaient refait surface sous les traits d’une European Premier League - qui accordait notamment des droits de vote préférentiels aux plus gros clubs anglais - en octobre dernier. La cupidité des propriétaires des clubs n’est que mal masquée par les diverses raisons invoquées pour fonder cette ligue des riches, le président du Real Madrid Florentino Perez évoquant ainsi “une pyramide qui coule pour tout le monde”, ou encore un fonctionnement qui, par le truchement d’un obscur ruissellement, favoriserait la “redistribution”. Bien au contraire, la crise que traverse le football européen (un manque à gagner de 2 milliards cette année pour les 20 clubs les plus riches, s’ajoutant à un déficit déjà existant) pousse les investisseurs privés à se jeter sur l’opportunité d’une ligue qui leur promet des rentrées d’argent 2 à 3 fois plus élevées.
Si l’inflation des droits télé ne peut durer indéfiniment, l’objectif des gros clubs à travers ce projet de Super Ligue était la conquête de nouveaux marchés pour compenser. Or ces nouveaux marchés ne sont pas prêts à payer pour voir des affiches de petits clubs des ligues nationales, d’où la volonté de créer une ligue d’élite multipliant les rencontres entre clubs prestigieux.
Mardi soir dernier, les 6 clubs britanniques ont annoncé leur retrait du projet, émettant même des communiqués d’excuses, suivis par l’Atlético Madrid mercredi matin, avant que le projet ne soit enterré cette même journée.
Toutefois, l’échec de la Super Ligue ne doit pas faire oublier la victoire de ce football des hyperclubs après des années de dérégulation du football, de dégradation des finances des clubs, de capitulation de la gouvernance sportive européenne face à la pression des clubs les plus riches pour instaurer des mécanismes inégalitaires mais toujours plus rémunérateurs pour des clubs dont le modèle économique n’est plus viable et qui dépossède les supporters de leur patrimoine collectif.
Il est grand temps de songer à réformer le football professionnel (meilleure répartition des revenus perçus collectivement - droits de diffusion -, interdiction de la multipropriété des clubs pour garantir la pérennité de la compétition sportive) et de mettre un terme à la spéculation financière (limitation du nombre de prêts de joueurs, répartition des indemnités de transferts entre tous les clubs où le joueur a été formé afin de limiter la spéculation faite par le club vendeur, augmentation de la “contribution de solidarité”, fin de la “titrisation” des joueurs - montages type Third party investment). Ce fonctionnement va à l’encontre de la nécessité de garantir un droit à l’accès au football, tant pour les joueurs que les supporters. Il est désormais évident qu’il faut mettre fin à l’accaparement du football par les investisseurs financiers.
Léon Deffontaines secrétaire général du MJCF
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