Parti du refus de l’obligation vaccinale, le mouvement de contestation en Guadeloupe s’est étendu très rapidement : aux manifestations ont succédé une grève générale, puis des nuits d’émeute. Une véritable révolte qui n’est pas sans rappeler les multiples épisodes similaires de l’histoire de l’archipel, dont la dernière en date en 2009. Félix Flémin, secrétaire général du Parti communiste guadeloupéen, en expose les raisons et le contexte.
La grève générale qui a débuté le 15 novembre et le mouvement de contestation émaillé de violences sont souvent présentés comme « antivaccin ». Quelle est la réalité sur place ?
FÉLIX FLÉMIN Cette semaine de mobilisations fait suite à deux mois de manifestations et de revendications sans aucun retour. Le gouvernement est resté sourd aux demandes de l’intersyndicale du LKP, notamment de ne pas contraindre à l’obligation vaccinale des personnels soignants, de la restauration, des pompiers, et de prendre en compte la réalité et le contexte de la Guadeloupe. La colère a grandi sur des propos méprisants : les Guadeloupéens ont été traités d’alcooliques, de superstitieux, et même de vaudous. Ce mépris a émané de ministres comme Olivier Véran et Sébastien Lecornu, avec des propos qui n’avaient pas vocation à apaiser et comprendre mais à contraindre. La Guadeloupe ne l’accepte plus.
Il n’est pas anodin que le point de départ concerne la question de la santé, un sujet sensible en Guadeloupe ?
FÉLIX FLÉMIN Oui, il faut comprendre le contexte. La Guadeloupe est durement touchée, avec près de 1 000 morts du Covid. Mais c’est aussi lié à d’autres facteurs : l’état de délabrement du CHU, sous-équipé, qui ne compte que 35 lits de réanimation. Ensuite, d’une absence depuis des années de politique sanitaire : exemple avec le diabète, une comorbidité très importante ici. Il existe une loi de 2007 sur le taux de sucre dans les aliments : elle n’est toujours pas appliquée, faute de décrets, car l’industrie agroalimentaire s’y refuse. Et quand Emmanuel Macron vient en Guadeloupe jouer les épidémiologistes et dit qu’il n’y a pas de lien entre chlordécone et cancer, c’est une parole de mépris. On comprend qu’il y ait une forte défiance vis-à-vis de la parole publique.
La Guadeloupe connaît une résurgence régulière de manifestations et de révoltes. Quel en est le terreau politique et social ?
FÉLIX FLÉMIN Il est toujours le même : 40 à 45 % des Guadeloupéens vivent en dessous du seuil de pauvreté – pourtant plus bas qu’en métropole – 61 % des moins de 25 ans sont au chômage. Voilà la réalité d’un pays maintenu dans une économie de rente, sans aucun développement économique réel, et qui subit une double exploitation capitaliste et coloniale. C’est ce qui explique la permanence de ces combats.
Y a-t-il un lien avec le mouvement de contestation de 2009, symbolisé par le LKP ?
FÉLIX FLÉMIN Le processus est différent mais les revendications perdurent, par exemple pour la vie chère qui n’a pas cessé malgré les engagements de l’État. De même que la question de l’eau, déjà posée en 2009. Rien n’a été fait, il n’y a toujours pas de véritable service public de l’eau. C’est cela, la réalité du peuple guadeloupéen : on peut envoyer autant de GIGN qu’on veut, la question de fond, c’est le mépris colonial, la relation de la France avec la Guadeloupe.
Le gouvernement a reçu, ce lundi, sous l’égide de Jean Castex, des élus guadeloupéens. Quelles réponses attendez-vous de l’État ?
FÉLIX FLÉMIN On constate d’abord que c’est la mobilisation qui a contraint le gouvernement à accepter le dialogue. Sur le fond, nous considérons que ce n’est pas en convoquant les Guadeloupéens à Paris que nous réglerons les problèmes. Encore une fois, cela renvoie au colonialisme. Quand il y a des problèmes à Marseille, Macron y va. Nous avons besoin de véritables négociations : surseoir d’abord à l’obligation vaccinale, répondre au besoin de l’accès aux soins, rétablir les salariés suspendus, élaborer un plan d’urgence, notamment pour la jeunesse. Que le gouvernement vienne discuter avec les Guadeloupéens, l’intersyndicale, les organisations politiques. Nous, le PCG, sommes porteurs de propositions politiques de fond, d’une souveraineté partagée. Les munitions ne seront jamais une réponse à la situation de la Guadeloupe.
Mardi 23 Novembre 2021
Benjamin König
L'Humanité
La grève générale qui a débuté le 15 novembre et le mouvement de contestation émaillé de violences sont souvent présentés comme « antivaccin ». Quelle est la réalité sur place ?
FÉLIX FLÉMIN Cette semaine de mobilisations fait suite à deux mois de manifestations et de revendications sans aucun retour. Le gouvernement est resté sourd aux demandes de l’intersyndicale du LKP, notamment de ne pas contraindre à l’obligation vaccinale des personnels soignants, de la restauration, des pompiers, et de prendre en compte la réalité et le contexte de la Guadeloupe. La colère a grandi sur des propos méprisants : les Guadeloupéens ont été traités d’alcooliques, de superstitieux, et même de vaudous. Ce mépris a émané de ministres comme Olivier Véran et Sébastien Lecornu, avec des propos qui n’avaient pas vocation à apaiser et comprendre mais à contraindre. La Guadeloupe ne l’accepte plus.
Il n’est pas anodin que le point de départ concerne la question de la santé, un sujet sensible en Guadeloupe ?
FÉLIX FLÉMIN Oui, il faut comprendre le contexte. La Guadeloupe est durement touchée, avec près de 1 000 morts du Covid. Mais c’est aussi lié à d’autres facteurs : l’état de délabrement du CHU, sous-équipé, qui ne compte que 35 lits de réanimation. Ensuite, d’une absence depuis des années de politique sanitaire : exemple avec le diabète, une comorbidité très importante ici. Il existe une loi de 2007 sur le taux de sucre dans les aliments : elle n’est toujours pas appliquée, faute de décrets, car l’industrie agroalimentaire s’y refuse. Et quand Emmanuel Macron vient en Guadeloupe jouer les épidémiologistes et dit qu’il n’y a pas de lien entre chlordécone et cancer, c’est une parole de mépris. On comprend qu’il y ait une forte défiance vis-à-vis de la parole publique.
La Guadeloupe connaît une résurgence régulière de manifestations et de révoltes. Quel en est le terreau politique et social ?
FÉLIX FLÉMIN Il est toujours le même : 40 à 45 % des Guadeloupéens vivent en dessous du seuil de pauvreté – pourtant plus bas qu’en métropole – 61 % des moins de 25 ans sont au chômage. Voilà la réalité d’un pays maintenu dans une économie de rente, sans aucun développement économique réel, et qui subit une double exploitation capitaliste et coloniale. C’est ce qui explique la permanence de ces combats.
Y a-t-il un lien avec le mouvement de contestation de 2009, symbolisé par le LKP ?
FÉLIX FLÉMIN Le processus est différent mais les revendications perdurent, par exemple pour la vie chère qui n’a pas cessé malgré les engagements de l’État. De même que la question de l’eau, déjà posée en 2009. Rien n’a été fait, il n’y a toujours pas de véritable service public de l’eau. C’est cela, la réalité du peuple guadeloupéen : on peut envoyer autant de GIGN qu’on veut, la question de fond, c’est le mépris colonial, la relation de la France avec la Guadeloupe.
Le gouvernement a reçu, ce lundi, sous l’égide de Jean Castex, des élus guadeloupéens. Quelles réponses attendez-vous de l’État ?
FÉLIX FLÉMIN On constate d’abord que c’est la mobilisation qui a contraint le gouvernement à accepter le dialogue. Sur le fond, nous considérons que ce n’est pas en convoquant les Guadeloupéens à Paris que nous réglerons les problèmes. Encore une fois, cela renvoie au colonialisme. Quand il y a des problèmes à Marseille, Macron y va. Nous avons besoin de véritables négociations : surseoir d’abord à l’obligation vaccinale, répondre au besoin de l’accès aux soins, rétablir les salariés suspendus, élaborer un plan d’urgence, notamment pour la jeunesse. Que le gouvernement vienne discuter avec les Guadeloupéens, l’intersyndicale, les organisations politiques. Nous, le PCG, sommes porteurs de propositions politiques de fond, d’une souveraineté partagée. Les munitions ne seront jamais une réponse à la situation de la Guadeloupe.
Mardi 23 Novembre 2021
Benjamin König
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