Rechercher dans ce blog

Le mirage de la grande démission par le Pôle Eco de la CGT



Dans la droite lignée des discussions autour des « emplois vacants », patronat et dirigeants s’insurgent contre un supposé phénomène de « grande démission », phénomène discutable tant du point de vue quantitatif que qualitatif. Comment souvent, les dirigeants font porter le chapeau aux salariés, et utilisent ce prétexte pour justifier un nouveau tour de vis en matière de minimas sociaux et autres allocations.



Un niveau de démissions élevé, mais ni inédit ni anormal

S’il est vrai que le niveau actuel de démission est élevé (avec 523 000 démissions enregistrées au T2 2022), la situation est loin d’être inédite. En effet, ce niveau ne dépasse que légèrement celui atteint en 2008 (voir figure 1).

 

 

Ensuite, lorsqu’on rapporte le nombre de démissions au nombre de salariés, le phénomène reste même en deçà des pics observés au début des années 2000 ou en 2008 (voir figure 2).

 



Mais surtout, comme l’indique l’Insee, ce pic est tout à fait normal dans le contexte actuel, dans la mesure où les périodes de reprise d’activité (ici la sortie du Covid) s’accompagnent généralement de nouvelles opportunités d’emploi qui incitent à démissionner, tirant le taux de démission à la hausse.



Enfin, et c’est surement là l’argument le plus important : cette hausse du nombre de démissions n’est pas associée à un nombre inhabituel de retraits du marché du travail, qui signifierait que les démissionnaires sont partis pour arrêter de travailler !

 

Pour être tout à fait complet, il faut également souligner une hausse importante (+20% entre mai 2021 et mai 2022) du nombre de ruptures conventionnelles, dont une partie pourrait s’apparenter à des démissions.

Mais là encore, le niveau prête à discussion. En effet, l’importance de cette hausse s’explique en partie par la très forte diminution des ruptures pendant le covid. De ce fait, le niveau de ruptures en mai 2021 est inférieur à celui de début 2020, ce qui gonfle l’évolution sur douze mois glissants, tandis que l’après Covid s’est accompagné d’un effet rattrapage, stimulant la dynamique. Ensuite, il n’est pas possible de savoir si cette hausse est davantage le symptôme de départs choisis par les salariés (pouvant entrer dans le mouvement de grande démission), ou si elle cache en réalité des licenciements déguisés.

 

Quitter son emploi : un choix contraint


Quitter son emploi, que cela prenne la forme d’une démission ou d’une rupture conventionnelle, ne veut pas dire tout à fait la même chose selon la cause. Est-ce du fait de conditions de travail trop difficiles, dans l’optique d’essayer par ce moyen d’améliorer son salaire, ou pour d’autres raisons encore ? Quoi qu’il en soit, il n’existe aucune donnée permettant de savoir quels sont les profils des salariés démissionnaires, en termes de caractéristiques de l’emploi occupé, ou de leur trajectoire par la suite.

Mais dans les deux cas évoqués par exemple, faut-il vraiment s’étonner que des salariés quittent leur emploi pénible, ou, dans un contexte où les salaires augmentent bien moins vite que l’inflation, qu’ils aillent chercher un meilleur salaire ailleurs ? La responsabilité patronale est bien engagée !


Comme toujours, plutôt que de s’en prendre aux réels coupables, nos gouvernants accusent les salariés démissionnaires et justifient de cette manière la nécessité de durcir encore davantage les conditions d’indemnisation chômage. Se faisant, ils oublient ce que nous savons tous à la CGT : quitter son emploi est toujours un choix contraint.


À ce sujet, le Ministre du travail O. Dussopt déclarait il y a quelques jours vouloir supprimer les allocations chômage en cas d’abandon de poste. Pourtant, dans bien des cas, l’abandon de poste apparait comme la solution de dernier ressort, lorsque l’employeur refuse toute négociation pour une rupture conventionnelle du contrat de travail, permettant contrairement à la démission, d’accéder à des indemnités chômage.

 

Derrière la question du sens au travail, l’ombre du coût du capital

 



Qu’on le veuille ou non, la pandémie de Covid est venue mettre un coup de projecteur sur tout un ensemble de questions qui restaient jusqu’alors plus facilement dans l’ombre : « mon activité est- elle essentielle à la vie ? Si oui, pourquoi est-elle si pénible, peu considérée, et mal rémunérée ? Si non, pourquoi continuer ? » Est-elle néfaste pour l’environnement ou la société ? Ces questions sont celles que posent très justement Coralie Perez et Thomas Coutrot, économistes du travail1, résumant à elles seules les interrogations de millions de salariés (dont l’encadré donne un exemple).


Or, ce malaise autour du sens au travail, nous l’éprouvons tous. C’est bien la preuve que l’opposition bête et méchante entre salarié·es « essentiels » et « non-essentiels » ou entre cadres et non-cadres élude le vrai problème, à savoir ce que le coût du capital fait au travail, à travers deux dimensions principales.


Quoi qu’on en dise, ressentir que son travail a du sens passe nécessairement par la reconnaissance monétaire de notre contribution, à travers un salaire décent et un partage de la valeur créée. Et on le sait, en matière de partage de la valeur, ce sont toujours les actionnaires qui gagnent, et les salarié·es qui perdent. C’est bien évidemment le cas de tous ces métiers du médico-social ou du soin et du lien auxquels appartiennent une bonne partie des « premier·es de corvée2 ».


D’autre part, dans le système capitaliste, ce n’est pas nous qui décidons du contenu et de l’organisation du travail, mais encore une fois les actionnaires et les patrons, cherchant à extraire toujours plus de valeur du travail de leur subordonnés et le rendant ainsi de plus en plus dénué de sens, renvoyant à l’aliénation au travail décrite par Marx.


Le débat actuel autour de la « grande démission » qu’alimentent tant les politiques que le patronat repose finalement sur l’idée que chacun est libre de quitter son emploi lorsqu’il le souhaite. Quoi de plus méprisant, pour tous ces salarié·es mal rémunéré·es pour lesquels quitter son boulot n’est pas juste compliqué mais quasi-impossible, principalement pour des questions financières ? Et cela est d’autant plus vrai dans la période actuelle de forte inflation qui fait exploser les dépenses contraintes et préengagées (nourriture, énergie, carburant etc.).


C’est ainsi la preuve flagrante d’une opposition toujours plus forte entre capital et travail. Quand nos dirigeants crient au « refus du travail », les recherches actuelles montrent bien qu’il s’agit du refus d’un travail insensé3, tel qu’il est dicté par le capital.

➢ Le niveau actuel de démissions est élevé mais il n’a rien d’inédit, ni d’anormal



➢ Les politiques et le patronat jouent sur cette supposée dynamique pour justifier un durcissement des conditions d’octroi des minima sociaux et autres allocations, notamment chômage.


➢ Est-il seulement possible de trouver du sens au travail, dans un monde qui n’en a pas ? Il est urgent de reprendre la main en matière d’organisation, de définition du contenu du travail, et de rémunération

1 Dans leur ouvrage « Redonner du sens au travail : une aspiration révolutionnaire » paru aux éditions du Seuil, en septembre 2022.
2 Voir le mémo sur les salariés de la deuxième ligne.
3 Perez et Coutrot, ibid.

« Je ne me sens pas en phase avec l’injonction à produire, je ne veux pas me lever le matin pour aller enrichir des gens qui me méprisent, alors si en plus il faut que j’y trouve du sens, on est mal partis. [...] Et pourquoi est-ce à moi d’y trouver du sens, alors que le système économique n’en a pas à mes yeux ? »

E.P - Sens au travail : la quête impossible

Montreuil, le 4 octobre 2022

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire