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De Platon à la révolution mondiale par Dominique Pagani
L'affaire Uber Files est un scandale d'Etat !
Pétition: À l’offensive !
L’approfondissement de la crise démocratique, sociale et économique, l’absence d’alternative transformatrice caractérisent la situation issue de la dernière période électorale. Pourtant le rejet de la politique d’Emmanuel Macron s’est exprimé fortement. Relevons le défi de transformer cette colère en mobilisation, engagement et espoir. C’est urgent alors que le peuple, atteint dans son pouvoir d’achat, les salaires et conditions de travail, sa dignité, souffre toujours plus de la politique brutale du capital.
Organisation, projet, éducation populaire, le chantier doit s’ouvrir rapidement. Le 39ème congrès ne devra pas craindre la confrontation d’idées tout en recherchant la construction collective et fraternelle pour permettre de nouveaux progrès pour le PCF et pour notre peuple.
La crise politique et démocratique ainsi que la décomposition des institutions de la Vème République dominent la situation, exacerbées par la présidentialisation renforcée par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.
L’abstention reste dominante pour tous les scrutins de la période. Aux deux tours des législatives, plus d’un électeur sur deux ne s’est pas déplacé.
L’extrême droite progresse dangereusement en installant un groupe de 89 députés à l’Assemblée nationale, après s’être hissée au second tour des présidentielle. Le cumul Zemmour/Le Pen représentait 34,91 % soit 10 622 312 voix au premier tour de la présidentielle. La droite LR s’effondre aux présidentielles, tout en limitant la casse aux législatives avec 61 députés. Emmanuel Macron est réélu président sans dynamique. Il est sanctionné aux législatives ; il lui manque 44 députés « Ensemble » pour une majorité absolue.
La gauche progresse légèrement par rapport à 2017 mais son poids électoral reste historiquement faible même si le choix de la candidature unique au premier tour permet de progresser en nombre de députés soit 131 députés NUPES et 22 divers gauche. Elle recule en nombre de voix et en pourcentage par rapport à la présidentielle.
Le choix de pousser au « vote utile » renforce à l’extrême la compétition au profit des trois premiers sans en modifier l’ordre, au détriment du débat et du vote sur les projets.
Macron est fragilisé mais la droite et l’extrême droite sont dominantes, tandis que l’électorat populaire reste divisé et la gauche affaiblie.
Le PCF atteint un objectif essentiel. Nous avons présenté, comme nous l’avions décidé au 38ème congrès, un candidat à l’élection présidentielle. Si la campagne dynamique de Fabien Roussel méritait plus que 2,3 % et 802 588 voix , les Jours heureux sont un point d’appui pour l’avenir. Ils nous ont permis d’installer notre parti et notre candidat dans le paysage politique national.
Le rapport de force se joue toujours dans la réalité des résistances et mobilisations du pays, que la gauche soit au pouvoir ou pas. L’accord électoral NUPES ne peut masquer que la question de l’unité populaire et de la construction d’une alternative de transformation sociale et démocratique de caractère révolutionnaire reste posée. D’autant que les désaccords entre les forces de gauche sur la nature des mesures nécessaires pour dessiner une issue aux diverses crises sont profonds. S’ils n’interdisent pas les alliances électorales ponctuelles et les batailles communes sur ce qui fait consensus, ils s’opposent à toute dilution dans un cadre et un programme commun.
Le deuxième objectif atteint est l’existence d’un groupe communiste, un atout important pour notre visibilité et l’activité du PCF. Mais l’obtention du groupe s’est faite sous la contrainte de la France Insoumise et de son leader Jean-Luc Mélenchon. Elle se paie au prix fort de plus de 500 circonscriptions interdites de candidats communistes, malgré des ancrages et des enjeux locaux importants pour aujourd’hui et pour l’avenir. Cela nous a éloignés de l’engagement du 38ème congrès de présenter des candidats à toutes les élections.
Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise ont affirmé dès le premier tour de la présidentielle leur volonté d’installer la NUPES et son parlement comme un cadre permanent pour la gauche. Leurs représentants locaux ne se privent pas de dire que la NUPES s’imposera dans les collectivités locales, décidera des accords pour l’ensemble des élections à venir, des européennes jusqu’aux municipales, pour aboutir à une candidature commune aux prochaines présidentielles. C’est donc une nouvelle tentative d’effacement des partis que tente d’installer le leader de la France insoumise, une fédération de la gauche sociale-démocrate teintée de populisme substituant à la lutte des classes l’affrontement peuple/élites. L’existence du PCF est évidemment un obstacle pour ceux qui veulent effacer le choix de 1920 et l’héritage marxiste-léniniste du 20ème siècle.
Céder à cette entreprise de destruction des partis alors que notre pays et le monde affrontent de graves crises, sociale, économique, sanitaire et climatique dramatique pour tous les peuples et que l’impérialisme US nous prépare avec l’OTAN à une nouvelle guerre serait mortifère pour le PCF, affaiblirait le mouvement social et le monde du travail faisant la part belle au capital.
Dans ces conditions, alors que les diktats de Mélenchon pèsent jusque dans les débats du Conseil national, les communistes doivent disposer de tous les éléments de discussion et être consultés jusqu’au vote statutaire sur toute éventuelle participation permanente aux instances de la NUPES.
L’essentiel à l’issue de cette période, c’est que PCF poursuive les Jours heureux et développe très vite ses propres initiatives.
Nous avons posé des marqueurs de notre projet, poursuivons : financement de la Sécurité sociale et de la retraite par la cotisation, enjeux de l’énergie nucléaire, lutte contre le réchauffement climatique, appropriation collective des moyens de production et les nationalisations, droits nouveaux des salariés, avenir de l’industrie automobile et du moteur thermique, universalisme et laïcité, refus de rajouter de la guerre à la guerre dans les différents conflits….
Le renforcement de notre organisation en nombre et en cellules est essentiel. Le Conseil national doit préparer une grande campagne de pétition sur la hausse des salaires et des pensions commençant dès l’été pour faire connaître notre revendication. Le parti doit aussi être à l’initiative pour proposer à l’ensemble des forces de progrès social, politiques, syndicales et associatives, l’organisation d’une campagne pour les retraites, utilisant toutes les formes de mobilisation depuis les manifestations, les grèves, la structuration de cellules d’entreprises jusqu‘aux pétitions pour un référendum. Faisons de la paix, de la sortie de l’OTAN et sa dissolution un combat essentiel.
Signez la pétition ci dessous👇🏻
https://framaforms.org/a-loffensive-1656269478
PCF-Medef : quels choix pour le prochain quinquennat?
EXCLUSIF L'un veut s'attaquer au coût du capital, l'autre au coût du travail. Les deux ont présenté fin janvier leurs propositions pour la présidentielle. Pour l'Humanité, Fabien Roussel, le candidat du PCF, et Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, ont accepté d'en débattre.
Partage des richesses, fiscalité, protection sociale, réindustrialisation. temps de travail, écologie...
Crises sanitaire, sociale et économique... Les deux dernières années ont été marquées par une série de chocs. 2022 doit-elle être l'occasion de changer notre modèle économique ?
Geoffroy Roux de Bézieux Après les arrêts de production et les dispositifs mis en place, le résultat, à la surprise de tous, est que nous avons davantage de gens employés, plus d’entreprises et moins de faillites que prévu. Désormais, la transition écologique est la mère de toutes les batailles. Pour produire avec moins d’émissions de gaz à effet de serre, jusqu‘à l'objectif de neutralité en 2050, nous avons deux solutions: moins consommer une toute petite minorité défend cette ligne - ou parvenir, grâce à la technologie, à produire la même quantité de biens en émettant moins de CO2. La transition écologique réclame des efforts massifs d'investissement dont une partie doit être planifiée avec l'État. Cela va peut être surprendre, mais le mot planification ne me fait pas peur, car nous avons besoin d’une vision à dix, vingt, trente ans.
Fabien Roussel Relever le défi climatique est encore possible dans la décennie qui vient. Mais cela nécessite des transformations profondes de nos modes de consommation et de production. Je veux relocaliser l’industrie pour éviter les émissions carbone importées, produire ici en Europe, en France ce dont nous avons besoin. Sur un marché de 450 millions d'habitants, nous avons de quoi faire quand même. Le deuxième enjeu fondamental est de pouvoir se passer des énergies fossiles au plus vite. Nous devons donc investir dans une production d’électricité décarbonée, le nucléaire. C'est indispensable pour réindustrialiser le pays. Car le prix de l’électricité a triplé, celui du gaz a quintuplé: c'est un poids énorme sur les charges réelles des entreprises. Mais il ne suffit pas d’investir, il faut créer une filière de formation, du CAP au diplôme d’ingénieur.
Comment atteindre cet objectif de relocalisation qui a été évoqué?
Fabien Roussel Pour y parvenir, il faut commencer par rompre avec 1a logique de rentabilité à tout prix poursuivie par les grands groupes. La France est encore une fois championne d’Europe de distribution de dividendes. Ce modèle économique a failli. Ce capitalisme n'a pas répondu aux attentes sociales et a épuisé la planète. En Europe, 90 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté alors que les traités européens nous avaient promis 1a prospérité. Il faut mettre fin à la course sans fin aux profits et fixer des objectifs sociaux et environnementaux aux entreprises, à l'économie.
Geoffroy Roux de Bézieux Je ne crois pas à un retour du protectionnisme. On ne produira pas a 100 % en Europe pour de nombreuses raisons, notamment le modèle de protection sociale. Mais on peut imaginer une rerégionalisation des chaînes de valeur. Certains proposent de sortir du capitalisme, mais, vu de 1a fenêtre du Medef, il s’agit de trouver un modèle de capitalisme européen qui combine liberté entrepreneuriale, croissance et protection sociale face au capitalisme « ultralibéral » américain et au capitalisme dirigiste chinois.
Fabien Roussel À propos de ce modèle, vous avez estimé que « c’est celui qui paie qui décide »*_
De quoi accroître encore les plus grands patrimoines.Faut-il revoir b fiscalité des entreprises et des particuliers pour lutter contre les inégalités?
Qu'en est-il du financement de la protection sociale? Comment voyez-vous l'évolution de notre système de retraite ?
Geoffroy Roux de Bézieux En 1945, nous avons fait le choix collectif d’un système par répartition où les actifs paient pour les retraités. Â l’époque, 6 actifs cotisaient pour un retraité. Aujourd’hui, on est autour de 1,7. On a donc besoin de travailler plus longtemps. Une autre solution serait de créer trois millions d’emplois. On peut aussi augmenter les cotisations. Mais, comme le niveau des prélèvements en France est parmi les plus élevés d’Europe, nous aurons un problème de compétitivité avec nos voisins européens. Votre proposition d’augmenter leSmic brut à 1800 euros pose le même problème. Qui peut être contre? Sauf que, derrière, les coûts des entreprises vont augmenter. Les gens achèteront donc les produit s moins chers de nos voisins européens ou iront moins au restaurant car le coût de la main d’œuvre représente 60 % du coût de l’addition.
Geoffroy Roux de Bézieux Comment faites- vous face à une entreprise allemande qui n'a pas à subir les augmentations de ses coûts de production, de la taxation du capital et l'augmentation du Smic à 1500 euros net que vous proposez? Ce système ne marche pas. À moins de fermer les frontières à l’intérieur de l’Europe, ce qui n’est pas votre volonté.
Fabien Roussel Voilà pourquoi nous voulons que l’État accompagne les entreprises en leur donnant accès à des prêts garantis à taux négatif pour diminuer le coût du capital. Avec des critères précis de hausse des salaires, d’embauches, de formation, de localisation de l'activité. Les prêts garantis mis en place depuis 2020, c’est 160 milliards. Nous, nous mettons 200 milliards d’euros, et avec 20 milliards de plus, ajoutés par l’État, pour instaurer les taux négatifs. Si on joue sur tous les tableaux, avec la diminution du coût de l’énergie et la nationalisation d’une des grandes compagnies d’assurances afin de faire baisser les cotisations, il est possible d’accompagner le monde économique pour créer de l’activité.
Fabien Roussel On doit pouvoir trouver du bonheur en allant au travail. Les salariés doivent pouvoir travailler avec les chefs d'entreprise à de meilleures conditions de travail pour permettre à chacun d'être heureux. Mais dans les entreprises de métallurgie de ma région, les salariés travaillent debout avec des machines, sept heures par jour, avec seulement deux fois vingt minutes de pause. Qu’ils puissent travailler un peu moins pour profiter plus de la vie relève du bon sens. Sur les 32 heures, prenons le temps d’avancer secteur par secteur et en fonction de la pénibilité, m
TABLE RONDE RÉALISÉE PAR JULIA HAMLAOUI
BFMTV: Quand Estelle Denis se fait recadrer sur la réalité des chômeurs par BENJAMIN AMAR
Benjamin Amar, enseignant, intervenait lors de l'émission «Estelle Midi» diffusée sur RMC ce mercredi 22 décembre 2021.
«On va remettre le factuel au cœur du débat, comme on remet l'église au cœur du village»
Benjamin Amar: «Ça fait un petit moment que j'écoute votre émission et honnêtement, les cheveux que je n'ai pas sur la tête, ils se sont dressés immédiatement.» Estelle Denis: «Ah ! Expliquez-nous pourquoi Benjamin.» Benjamin Amar: «Je vais vous dire et d'ailleurs, je vais tout de suite renvoyer la politesse à Daniel Riolo, qui prétendait qu'il connaissait mon point de vue avant. Moi, avant que vous prononciez son nom tout à l'heure dans la présentation de l'émission, j'avais compris que c'était lui. Alors on va revenir à deux-trois petites choses.» Estelle Denis: «J'aime bien Benjamin Amar.» Daniel Riolo: «Bravo Benjamin! Moi, ça me plaît cette réaction.» Benjamin Amar: «On va remettre le factuel au cœur du débat, comme on remet l'église au cœur du village. Il y a une réalité, c'est que 45% seulement des chômeurs sont indemnisés. Cela veut dire qu'il y a 55% des chômeurs qui touchent peau de balle. Donc, si on profite en vivant d'amour et d'eau fraîche, faudra m'expliquer comment. Maintenant, les 45% chômeurs qui touchent une indemnisation, ils touchent une indemnisation moyenne de 840 euros. Alors, je ne sais pas qui ici sur le plateau, vivrait comme un nabab avec 840 euros, mais je veux bien qu'on m'explique comment.» Estelle Denis: «Mais en cherchant du travail en fait.»
«Là où il y a trop peu de contrôles c'est sur l'évasion fiscale»
Benjamin Amar: «J'ai encore deux ou trois éléments factuels à remettre dans le débat, si vous voulez bien. Des contrôles de Pôle emploi, il y en a plein, il y en a des dizaines de milliers.» Estelle Denis: «Mais trop peu, même Pôle emploi le dit !» Benjamin Amar: «Attendez, là où il y a trop peu de contrôles c'est sur l'évasion fiscale, pas sûr les chômeurs. On en est à la troisième ou quatrième réforme de l'Unédic en 4 ans, croyez-moi qu'il y en a plein. Et l'Unédic elle-même sort ces chiffres. Et qu'est-ce qu'elle nous dit l'Unédic ? Qu'il y a plus de 9 chômeurs sur 10 qui sont dans les clous. Et maintenant, vu que vous parlez des emplois non pourvus, ce grand mythe. Il y en a soi-disant 300.000 alors que l'Unédic présente qu'il y en a 150.000.» Estelle Denis: «Mais c'est déjà énorme.» Benjamin Amar: «Dans ce chiffre dans lequel on met tout, vous savez ce que l'on met ? On met également les chiffres des emplois non-pourvus, même lorsque les employeurs ont reçu plusieurs candidats, mais n'ont pas été satisfaits par les candidatures. Donc en gros, on met tout et n'importe quoi là-dedans. Par contre, est-ce que vous savez combien il y a d'offres d'emploi en ce moment sur le site public de Pôle emploi ?» Estelle Denis: «Non, allez y.» Benjamin Amar: «Il y en a 940.000.» Estelle Denis: «Bah c'est énorme.»
«Ils n'ont pas affaire à une information mais à du matraquage médiatique et idéologique»
Benjamin Amar: «Ah bon? Il y a 6,5 millions de chômeurs Estelle Denis.» Estelle Denis: «Bah ça fait un sur six déjà.» Benjamin Amar: «Et il y a six fois moins d'offres. Alors au lieu de divulguer ainsi des conversations de café du commerce où vous culpabilisez des gens qui vivent de manière très chiche qui sont dans la précarité, en leur expliquant qu'ils sont responsables de leur situation. Vous devriez remettre un peu la réalité au cœur du débat.» Estelle Denis: «Mais ce n'est pas moi Benjamin Amar, c'est un sondage Elabe pour l'Unédic.» Benjamin Amar: «Parce que les gens à force d'entendre ce type de débat et ce type d'élément dans lequel le réel et la réalité ne sont jamais mis en avant dans le débat, et bien les gens au bout d'un moment, ils n'ont pas affaire à une information mais à du matraquage médiatique et idéologique. Et c'est insupportable, je vous le dis. Si vous voulez vous venez dans le Val-de-Marne, je vais vous montrer des chômeurs, vous allez leur expliquer qu'ils vivent comme des nababs.» Estelle Denis: «Là franchement, on n'a jamais dit qu'ils vivaient comme des nababs.» Benjamin Amar: «Ah si, je vous assure que j'ai entendu des trucs insupportables.»
Rapport RTE : une programmation du futur électrique français, Serge Vidal*
L’électricité décarbonée est appelée à jouer un rôle majeur pour atteindre les objectifs climatiques que s’est fixés la France d’ici à 2050. Dans son récent rapport « Futurs énergétiques 2050 », RTE (Réseau de transport d’électricité) explore différentes hypothèses de mix électrique, aux fortes conséquences économiques et sociales.
*SERGE VIDAL est syndicaliste CGT, ancien ingénieur-chercheur EDF.
RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, a une mission légale de prospective relative aux moyens de production et de distribution électriques. Chaque année, RTE publie un bilan prévisionnel afin de vérifier que l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité sera assuré pour les années qui suivent. Il dispose pour ce faire des informations et des compétences. Sur ces bases, RTE a, à plusieurs reprises ces dernières années, alerté sur les tensions relatives au passage des hivers (risque de black-out long). Des craintes similaires existent aussi au niveau européen.
Cette fois, l’exercice demandé à RTE par le ministre de tutelle en 2019, et dont une version a été publiée le 25 octobre 2021, porte sur les trente à quarante prochaines années, ce qui est assez différent des exercices annuels et fait appel à de nombreuses hypothèses.
La sécurité d’approvisionnement électrique nécessite un équilibrage production/consommation quasi instantané, mais aussi une programmation de moyen et long terme afin d’être sûrs de disposer des installations de production suffisantes le moment venu. On voit en ce moment, sur le court terme, avec la forte augmentation des prix, que cette spécificité est particulièrement incompatible avec la libéralisation des marchés et peut entraîner toutes sortes de spéculations : la multiplication des opérateurs privés induit des captations financières à différents niveaux. De façon parallèle, la programmation sur le long terme est indispensable et demande une vision et des principes (sécurité d’approvisionnement, maîtrise des coûts, égalité de traitement, indépendance nationale…) que seule la puissance publique peut garantir.
L’ensemble des hypothèses technologiques, économiques, sociales, géopolitiques, environnementales…, leur mise en cohérence et les objectifs visés constituent des scénarios énergétiques qui permettent de fournir des prévisions en matière d’investissements. L’évolution du contexte et les décisions prises modifient ensuite les données du problème et ces scénarios, indispensables à la prise de décision, doivent être réajustés.
La crédibilité d’un scénario dépend de la transparence de toutes les étapes du calcul. D’autres organismes – des associations, des universités… –, produisent de tels scénarios, qui diffèrent surtout par leurs hypothèses et leurs objectifs, parfois par leur méthodologie et leur transparence. Hors du monde universitaire, les moteurs de cohérence de ces études sont rarement en accès public.
Le gouvernement retient un scénario de référence pour établir la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), votée tous les cinq ans au Parlement. Ce scénario prospectif est aujourd’hui dit d’AMS (« avec mesures supplémentaires »).
DES HYPOTHÈSES CONTRAIGNANTES
RTE a donc publié en octobre 2021 une mise à jour de ses scénarios et en a évalué leur coût de revient. Le cadrage considéré par RTE est celui de la stratégie nationale bas carbone (SNBC, réévaluée tous les cinq ans=, qui s’inscrit dans le cadre de la loi relative à la transition écologique pour la croissance verte (TECV) de 2015. Loi qui a, entre autres, pour objectif une diminution de 50 % de la consommation énergétique française finale entre 2012 et 2050 (avec – 30 % en 2030) et de réduire à 50 % la part de l’électronucléaire d’ici à 2035 et la limiter globalement à 63,2 GW en puissance. La loi prévoit aussi d’atteindre la neutralité carbone en 2050, d’assurer la sécurité d’approvisionnement et la cohésion sociale, la maîtrise des dépenses des consommateurs et le droit d’accès à l’énergie sans coût excessif, bref une gageure.
Pour prendre moins de risques de non-atteinte de tous ces objectifs, il faudrait desserrer certaines contraintes de cette loi. Déjà, à la suite d’une précédente étude de RTE, l’objectif initial de 50 % de nucléaire dans notre mix électrique a été reculé par le Parlement de 2025 à 2035. La présente étude montre que la date de 2035 n’est pas non plus tenable.
La première observation de RTE, dans le cadre défini, est que l’objectif de neutralité carbone implique une transformation profonde de l’économie et des modes de vie, et une forte augmentation de la part de l’électricité décarbonée dans la consommation énergétique totale. Les énergies fossiles, dont il faut sortir, représentent actuellement environ 60 % de la consommation actuelle, et elles sont importées.
Côté consommation, la SNBC table sur de l’efficacité énergétique (assurer le même service avec moins d’énergie), des transferts d’usages (changer d’énergie pour un même service) et de la sobriété énergétique (se passer de certains biens et services).
L’étude RTE met en évidence le fait que les scénarios avec maintien de nucléaire sont complémentaires du développement des énergies renouvelables et que les scénarios de substitution ne permettent pas l’accélération de la baisse des gaz à effet de serre demandée par le pacte vert européen. Pour cela, il faudra, a minima, étaler la trajectoire de fermeture des réacteurs nucléaires actuels.
RTE montre aussi qu’une « sortie rapide du nucléaire » (comme le préconise notamment le scénario Négawatt) « conduit soit à accepter des pénuries, soit à renoncer au respect de la trajectoire climatique de la France ». RTE montre également qu’ « un moratoire sur les énergies renouvelables conduirait à placer la France dans une position critique par rapport à ses ambitions de réindustrialisation et à ses trajectoires climatiques ».
L’étude RTE démontre que les besoins de flexibilité (non-fourniture à certains moments, recours à des batteries) et les limitations d’usages augmentent fortement avec la part des énergies renouvelables intermittentes (solaire et éolien).
Même si RTE a essayé de prendre des hypothèses similaires en termes de coût et de faisabilité des différents scénarios, le pari sur les capacités de stockage massif de l’électricité est très important pour les scénarios M.
La SNBC actuelle ne considère pas le captage/séquestration du CO2 comme suffisamment mature et mise sur une multiplication par 2,5 de l’usage énergétique de la biomasse.
La sobriété est le terme de bouclage pour les scénarios de réduction drastique des productions énergétiques pilotables. Cette notion recouvre la propension des individus à partager certains espaces et équipements, mais aussi d’autres modifications radicales de nos modes de vie ; entre autres, moins de déplacements, une moindre consommation des biens manufacturés, une baisse de 1 °C de la température des consignes de chauffage (actuellement 19 °C recommandés) ou de l’utilisation de l’eau chaude, de la frugalité numérique, la moitié du temps de travail en télétravail, etc.
Ces hypothèses peuvent heurter les aspirations du plus grand nombre et ne pas permettre la réduction des inégalités sociales ou de genre. Comme elles sont nécessaires à l’atteinte, sous contraintes, des objectifs énergétiques, elles risquent d’impliquer de la contrainte politique et sociale.
Il s’agit là de questions politiques de première importance qui ne doivent pas rester enfouies dans le fatras d’hypothèses structurantes de l’avenir énergétique du pays.
Compte tenu du cadrage politique initial, RTE n’a pas étudié de scénario avec le maintien de la part du nucléaire dans la production électrique, actuellement de l’ordre des 70 %. (Un tel scénario sortirait du cadre, mais c’est aussi le cas des scénarios 100 % énergies renouvelables étudiés.) Avec une demande électrique en augmentation, le maintien de ce pourcentage impliquerait une augmentation en valeur absolue.
Compte tenu des délais de construction de nouveaux réacteurs, de la durée d’exploitation estimée des réacteurs actuels (autour de soixante ans) et du manque d’anticipation passée, cette option nécessiterait un effort industriel énorme et de la coopération internationale. La dégradation du tissu industriel national, les politiques de contractualisation et de sous-traitance, le manque de formation et le Wall Street management ont affaibli durablement les capacités du pays pour cela. Sans très forte volonté politique, cela ne pourra pas se réaliser.
La demande électrique retenue pour 2050 est de 645 TWh, soit 35% de plus qu’aujourd’hui. Une variante avec réindustrialisation du pays a été étudiée qui fixe la demande à 752 TWh, sans toutefois tabler sur un retour au niveau industriel des années 1990. L’Académie des technologies a, quant à elle, avancé le chiffre de 840 TWh, ce qui correspond à peu près à l’estimation d’EDF, qui considère l’estimation de RTE comme une trajectoire a minima.
Au-delà de cette bataille de chiffres se pose la question des marges de sécurité en matière de continuité d’approvisionnement. Une sous-capacité en moyens de production serait plus contraignant qu’une surcapacité. Il faut des marges de sécurité lorsqu’il s’agit de satisfaction des besoins, d’autant plus si on veut avoir une politique de réduction des inégalités sociales et de résorption de la pauvreté.
RTE évalue les coûts complets de ses différents scénarios et fait apparaître que le scénario avec mise en service de quatorze EPR d’ici à 2050 ferait économiser en investissements supplémentaires environ 200 milliards d’euros sur quarante ans par rapport à un arrêt total du nucléaire en 2060 et que le coût des énergies renouvelables est moindre dans le cas où elles sont associées au nucléaire.
Toutefois, le risque d’insuffisance chronique dans la fourniture électrique de la France, et donc son renchérissement, ainsi que celui de non-atteinte de la neutralité carbone en 2050, apparaissent comme des éléments plus déterminants que les écarts calculés de coûts.
La documentation fournie par RTE aborde de nombreux points liés aux contraintes de réalisation de ses scénarios, notamment leur impact en matière et d’occupation de l’espace. RTE souligne aussi les nombreux champs de recherche qui doivent être renforcés pour faire face aux enjeux.
RTE conclut à juste titre sur l’urgence (2022-2023) qu’il y a à prendre des décisions qui sont d’une ampleur similaire à celles prises dans les années 1970, au moment du lancement du programme nucléaire.
Les délais de construction sont longs, et déjà pour le nucléaire du retard a été pris. La période actuelle, où les taux d’intérêt sont bas, est propice au lancement d’investissements nucléaires ou renouvelables nécessitant beaucoup de capitaux au début. Le coût de l’indécision se payera cher à terme. La cohésion sociale, le progrès social et la réduction des gaz à effet de serre sont en jeu.
Voici ce qu’il se passe réellement avant et pendant une émission de “débat”
Comment se retrouve-t-on à la télévision, à débattre en direct de grandes questions d’actualité, donnant son avis sur les sujets qui concernent la vie des gens ? C’est assez simple et ça n’a rien à voir avec votre valeur, votre « expertise » ou votre honnêteté intellectuelle. Bien au contraire. Tout d’abord, il faut avoir publié quelque chose, être journaliste ou appartenir à une institution un tant soit peu prestigieuse. Une première précaution, peut-on penser, encore faudrait-il qu’on soit nécessairement intelligent ou compétent lorsque l’on est journaliste, universitaire, politologue ou sociologue. Rien n’est moins sûr. Ce qui est sûr en revanche, c’est que statistiquement ce filtre est d’abord social, puisque les diplômés en France sont majoritairement enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures. Ce qui explique pourquoi près de 70% des gens que l’on voit à la télévision, selon le CSA, sont issus de cette catégorie sociale. Et qu’aucun ouvrier ne donne jamais son avis sur des sujets qui les concerne pourtant au premier chef.
Des sujets de débat envoyés 1h à l’avance
Les premiers concernés ne sont jamais présents dans les émissions de débat car le journaliste qui produit une émission de débat veut des “experts”, “neutres” car pas “directement concernés” par l’actualité dont ils vont discuter. Une fois votre premier passage dans une émission réussie (vous n’avez ni bégayé, ni insulté le présentateur, ni vomi de stress : bravo), votre numéro transite de journalistes en journalistes et un boulevard s’offre à vous. Pas grand monde n’ira vérifier qui vous êtes vraiment, ce que vous avez vraiment publié (les journalistes ne lisent généralement pas les livres).Cela va sans dire, l’émission aura lieu à Paris. Il est frappant de constater que lorsqu’un journaliste vous appelle, ayant trouvé notre numéro dans son listing « contacts sociologue / gens de gauche », il part du principe que vous habitez dans Paris intra-muros. Depuis que je suis revenu vivre dans ma région d’origine et que je le signale, je recueille le plus souvent un silence surpris de mes interlocuteurs.
Face à l’éditorialiste Anthony Bellanger en 2018, qui estimait que les “privilèges” des cheminots étaient une atteinte à l’égalité et que cela choquait “les Français”. Lui, évidemment, était tout à fait neutre et objectif sur le sujet.
Le lendemain, 1h avant l’émission (si vous avez de la chance); vous recevez les informations manquantes : les sujets abordés, les invités avec qui vous allez débattre… Si vous avez un métier à temps plein, comme c’était mon cas, vous avez une dizaine de minutes à la pause pour griffonner quelques idées avant l’émission, et googliser les autres invités pour savoir à qui vous avez à faire. Cette situation, je l’ai connue systématiquement pour l’émission « les informés » de France Info (TV et Radio), qui porte très mal son nom puisque vous êtes invité quels que soient les sujets. Qu’importe qu’il s’agisse de foot, de hausse du prix du kérosène ou du programme de Jean-Luc Mélenchon : vous êtes un « informé ».
Des conditions de travail dégradée qui favorisent le règne de l’expert bourgeois professionnel
Pourquoi de telles énormités sociales dans l’organisation d’une émission de débats ou d’idées ? D’abord parce que plus personne ou presque ne réfléchit à ce que cela signifie d’organiser des débats télévisés sur des sujets de société. On enseigne aux étudiants en école de journalisme de rechercher des gens qui ont une “hauteur de vue”, sous-entendu bac+5, sous-entendu bien nés et qui ne subiront pas ce qu’ils prônent. On ne va quand même pas faire venir un smicard pour parler du niveau des salaires ? Non mais sans blague.
Une fois votre premier passage dans une émission réussie, votre numéro transite de journaliste en journaliste et un boulevard s’offre à vous.
Ensuite, les conditions de travail des préparateurs et préparatrices d’émission nourrissent la logique générale qui favorise ces biais sociaux et politiques. Parfois soumis au rythme éreintant d’un débat à organiser par jour, les journalistes (que l’on appelle dans le jargon des “programmateurs”) sont les “petites mains” des animateurs sur plateau, et ne peuvent souvent se permettre beaucoup d’audace dans le choix des invités.
Paul Melun, 27 ans, a construit sa carrière sur la participation aux émissions de débat. “Entre deux plateaux qu’il fréquente de plus en plus, chez Eric Brunet ou Pascal Praud, l’essayiste rallie sa demeure depuis Paris dans un vieux coupé sport, sa seule folie”, nous raconte Valeurs Actuelles, fan de son look de Drago Malefoy.
En toute logique, celles et ceux que l’on voit le plus dans les émissions de débat dédient une partie de leur vie à ça. Certains le font en entrepreneur individuel professionnel, comme Thomas Guénolé qui déploie son numéro de “sociologue quantitativiste” et propose une nouvelle théorie politique tous les six mois. Passer à la télé fait vendre ses bouquins, vendre ses bouquins le fait passer à la télé…
Les débatteurs professionnels savent s’adapter aux contraintes des journalistes, non par empathie syndicale mais pour être sûrs de demeurer le “bon client” à qui l’on pense immédiatement quand on n’a que quelques heures pour planifier le débat du lendemain.
Petite causerie entre copains
Si vous n’êtes pas un expert professionnel rompu au petit cérémonial de la télévision en direct, vos problèmes commencent déjà quand vous montez dans le taxi que la production vous a envoyé. Par réflexe, vous acceptez. Les transports en commun étant ce qu’ils sont et les émissions le plus souvent en direct, le retard n’est pas envisageable. De plus, vous faites ça gratuitement, alors ça vaut bien un trajet gratuit en tacos, merde ! Le voyage en taxi vous plonge dans l’univers ouaté de la bourgeoisie télévisuelle. Vous passez directement de chez vous au studio de l’émission, et votre seul contact socialement éloigné de vous sera le chauffeur. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi nombre de journalistes et experts des plateaux télés citent l’avis de leur taxi ou VTC pour appuyer leurs propos : ils sont sans doute les seuls travailleurs à qui ils ont parlé dans la journée.
Après cet intermède luxueux et calme, l’arrivée dans les studios relève de l’épreuve de force sociologique quand vous ne faites pas partie de ce monde. Tout d’abord, il faut savoir que l’immense majorité des sièges de télévision et radio se situent dans l’ouest de la capitale, c’est-à-dire dans le XVIe arrondissement (Radio France), le XVe (France Télévision), Boulogne-Billancourt (TF1)… Tout est situé dans les quartiers les plus riches de la région parisienne. Autant dire que si vous arrivez à pieds, gueux que vous êtes, le choc sera rude. Vous comprenez d’office, au milieu des costumes, des tailleurs et de quelques baskets blanches, qu’on ne rêve pas ici de justice sociale.
Les débatteurs professionnels savent s’adapter aux contraintes des journalistes, non par empathie syndicale mais pour être sûrs de demeurer le “bon client” à qui l’on pense immédiatement quand on n’a que quelques heures pour planifier le débat du lendemain.
Pour ma part, en général, c’est une productrice enjouée qui vient me chercher dans le hall. Elle vous annonce l’arrivée imminente des autres invités et vous invite à passer au maquillage sans attendre. Car oui, tout le monde est maquillé à la télévision. En quelques minutes, vous ressemblez aux présentateurs irréels de BFM TV. C’est le moment egoboost de la soirée : on n’imagine pas comme le fond de teint de télé peut faire des miracles, faisant disparaître vos cernes, vos insomnies… mais pas votre stress, qui se précise à mesure que l’heure de l’entrée en plateau approche.
Frénétiquement, vous consultez vos notes, tel un élève de 3e avant l’interro de math. Les premières années, je me rendais à ces émissions avec un grand cahier où j’avais pris des notes, entourant de grands chiffres chocs, un stylo, quelques articles imprimés sur les sujets abordés. C’est une habitude que l’on finit par perdre : dans le petit salon attenant au studio, aucun des trois invités avec qui je vais débattre n’a de note. Chacun vient les mains dans les poches et durant le temps qui nous sépare de l’émission, pas grand monde n’évoque les sujets qui seront abordés.
Sur Public Sénat, la journaliste a un rôle essentiel : vous regardant en hochant la tête, elle appuie votre propos et lui donne de l’intérêt. Un froncement de sourcil, une interruption de sa part et hop, votre début de raisonnement sur l’impact du patriarcat sur l’inégalité professionnelle est aspiré dans le néant
Vous voilà face à vos adversaires. Si vous êtes un sociologue de gauche, voire marxiste, et que votre but est de rendre justice à la classe laborieuse en passant à la télévision pour parler de sa réalité, le combat commence maintenant. Mais le format est on ne peut plus déstabilisant. Autour d’un petit café, vos adversaires politologues de Science Po, rédacteur en chef de Challenges, journalistes au Figaro se racontent leurs vacances. Ils s’apostrophent joyeusement car ils se voient presque tous les jours, parfois deux fois dans la journée sur un plateau différent. Durant ce moment de gêne, vous avez tout le loisir de constater que vos chaussures sont élimées et sales et que les souliers à 600€ de vos adversaires brillent comme une Audi neuve. J’ai d’ailleurs fini par comprendre que les bourgeois avaient au moins 15 paires de chaussures. Avec ma seule paire estampillée « ville – émission de télé », à fortiori à 75€, j’étais hors-jeu.
Il faut venir déjà radicalisé dans ce genre d’émission. Sûr de vos positions, de vos connaissances, de vos « chiffres », de votre place dans la société et assumant votre appartenance de classe. Je n’avais pas cela, à l’époque où je jouais le jeu en me disant qu’il était nécessaire qu’une parole un peu anticapitaliste existe à la télévision et où une partie de moi-même rêvait encore d’être reconnu dans le petit monde intellectuel parisien. On m’écrivait pour me remercier de mes interventions, mes amis m’encourageaient, ma grand-mère regardait même si la politique ne l’intéresse que peu, mais une fois dans ce petit salon j’étais plus seul que jamais. Car oui, la « neutralité » et « l’équilibre » des émissions de débat requièrent un invité de gauche pour trois de droite, c’est quasi systématique.
Naturellement, la « gauche » que l’on vous demande d’incarner est à responsabilité limitée. Même avant d’entrer sur le plateau, vous faites face à cette réalité : les invités sont tellement bourgeois, pro-patronaux et de droite (même ceux qui sont étiquetés « de gauche ») que si vous arrivez à placer « classe sociale », « politique de classe » ou « partage des richesses » vous serez le boss des boss. Beaucoup d’énergie pour, au final, pas grand-chose.
Tous Pourris ? Non, tous bourgeois
Être témoin des petites discussions en off des invités avant et après l’émission est l’occasion de bien comprendre une chose : pour ces gens-là, la politique et « l’actu», c’est un jeu. Autour d’un café ou d’une bouteille de Vittel et, après l’émission, d’un verre de vin, ils discutent d’untel qui a dit tel truc, de truc qui a parlé d’untel et surtout spéculent, spéculent et re-spéculent sur ce qu’untel fera, dira, s’alliera et surtout qui gagnera la prochaine présidentielle. « Ah bon tu penses que Rousseau va rester derrière Jadot ? Moi j’aurais dit que non » ai-je entendu dernièrement, « Entre nous, Bertrand, il est grillé, il devrait parler avec Pécresse ». Le ton est le même que pour commenter un épisode de Game of Thrones. Avec encore moins d’intensité dans la voix, parce que dans leur vision de la politique, personne ne meurt. Normal : la population n’existe pas. Les morts au travail, les malades dans les hôpitaux, les résidents des EHPAD ne font pas partie de leur existence et ils ne partagent pas de commune humanité. Pour eux ce sont des foules, des chiffres, des apparitions fugaces dans un reportage France 3 Régions. Car on parle bien de gens qui n’ont croisé aucun travailleur à part les agents de nettoyage qu’ils ont snobés et la maquilleuse avec qui ils auront échangé trois mots, s’ils n’ont pas passé l’intégralité de la séance les yeux rivés sur leur smartphone.
Politiquement, ce joyeux moment de convivialité vous permet de découvrir la supercherie : ces gens qu’on va faire “débattre” sont globalement tous d’accord entre eux. Ils se connaissent, se croisent pendant leurs vacances, ont des amis communs, et qu’ils travaillent à l’Obs (« de gauche ») ou au Parisien (“neutre de droite”) ils pensent grosso modo la même chose de la société.
Il y a parfois de « bons » adversaires, respectueux de vos différences et avec qui un débat de fond est possible. C’est le cas de Thierry Fabre, rédacteur en chef de Challenges. Le cadre du débat lui reste entièrement favorable. Illustration par Antoine Glorieux.
Ce qu’ils détestent ? Tout ce qui est à leur gauche (Mélenchon, Rousseau, Poutou…) et “les musulmans” qui sémantiquement parlant remplacent parfois “les arabes”. Cela peut sembler caricatural, mais je n’ai jamais pu prononcer le nom du candidat de la France insoumise devant ces gens sans recevoir de leur part un petit rictus méprisant, quand il ne s’agissait pas simplement d’un soupir exaspéré. « Mélenchon ? ça ne prendra pas », me lançait dans l’ascenseur un « expert » de Science Po six mois avant la présidentielle de 2017, où le candidat avait obtenu tout de même 20% des voix.
Comment agir avec eux ? Rester poli, sourire de leurs conneries ? Participer à leur petit jeu d’anticipation politique ? Si vous avez un tempérament spontané de bon garçon poli, comme c’était mon cas, ça risque de vous arriver. Si en plus vous trouvez ces bourgeois un peu extravertis, polis (avec vous, pas avec l’agent de nettoyage noir évidemment), vous risquez de vous amollir. Rester aux toilettes tout le long de la petite causerie entre éditorialistes et « experts » est encore le mieux. Désormais, quand il le peut, mon camarade Selim Derkaoui m’accompagne et nous échangeons des regards amusés face à la morgue bourgeoise ambiante. Mais sans organisation préalable, il est fort probable que lorsque vous entrez sur le plateau, votre détermination, votre confiance et votre sérénité en prennent un coup, contrairement à vos interlocuteurs qui, les joues roses de plaisir, rient encore de leur dernier gossip.
Règle numéro 1 : jouer les observateurs désintéressés
Jingle, annonce des thèmes du débat. Parfois, sur « les informés », ce ne sont pas les mêmes que ceux annoncés 1h plus tôt par sms. Qu’importe, on est “informés”, non ? Commence alors une petite valse que vous connaissez bien si vous zappez de temps en temps sur BFM, LCI ou Public Sénat : nous jouons à donner nos avis comme des experts neutres et froids alors que tous les participants savent dans le fond qu’il s’agit d’un débat tout à fait politique. Mais plutôt que de dire qu’on ne veut pas rétablir l’ISF parce qu’on ne veut pas de partage des richesses, on dira que « telle étude a montré un effet notable sur l’investissement ».
Plus courant encore, plutôt que de dire qu’ils sont pour une politique répressive en matière d’immigration, parce que les migrants ça fait chier, les “experts” vous diront que « les Français » sont très inquiets du péril migratoire et du risque islamiste, et qu’il faut les entendre ! Si “les Français” ne jouent pas le bon rôle, par exemple en s’opposant majoritairement à une réforme des retraites, il faudra leur opposer la Raison et dire que “les Français” doivent “entendre la vérité » qui est qu’il faut travailler “plus longtemps”. Bref, vous qui n’avez rien demandé, sachez que dès qu’ils peuvent, ces gens vous mobilisent pour appuyer des idées qui sont pourtant les leurs.
C’est un débat très politique mais il faut faire comme si c’était un débat très technique. C’est le principe même de toute idéologie : plutôt que de faire comme si votre position en était une, vous faites comme si elle était un « principe de réalité », “le résultat d’une étude” ou “ce que disent les sondages”.
“Pourquoi tu prends l’accent bourgeois quand tu passes à la télé ?”. Cette question taquine posée il y a quelques mois par mon ami Benoît, ex-rédacteur en chef et cofondateur de Frustration, a de quoi m’ébranler. Et pourtant, je sens bien qu’à jouer le sociologue méthodique qui contredit les méchants libéraux en s’habillant comme eux (en plus mal), je perds un peu de ma personnalité au profit de la leur. Récemment, sur Mediapart, j’ai enfin dit, “je ne sais pas ce que pensent les Français mais moi c’est ça que je pense”, rompant avec la posture en vigueur. Ca fait un bien fou, et je parle ainsi comme je parle dans ma vraie vie, sans accent bourgeois. Mais en le faisant, je m’extrais aussi complètement du petit collectif de professionnels qui se trouve autour de moi. Au risque de décrocher du débat.
En somme, tout est fait pour que les personnes physiques et matérielles autour de la table, qui ont des intérêts financiers, des convictions politiques et une appartenance de classe soient gommées. C’est une règle tacite du jeu auquel vous assistez et tout contrevenant s’expose à des sanctions.
C’est ce qui m’a valu un « clash télé » mémorable avec l’acteur et réalisateur Mathieu Kassovitz sur le plateau de Frédéric Taddeï “Interdit d’interdire” sur RT France. Jugeant écoeurant le spectacle de cette personnalité du showbiz se livrant à une succession de reproches et de leçons de lutte aux Gilets jaunes, je lui ai dit que si ça se trouve, il payait l’ISF avant sa suppression et qu’il était donc mal placé pour juger la pertinence revendicative du mouvement social. La rage dans laquelle cette phrase l’a alors mis en dit long sur cette règle simple : ne jamais évoquer les intérêts matériels de vos interlocuteurs. En France, lors d’un débat télévisé, il faut toujours faire comme si les personnes autour de la table étaient des observateurs désintéressés de la vie publique, qui n’ont pas plus de goût ou d’intérêt pour une présidence Macron que pour une présidence Mélenchon, ce qui est évidemment entièrement faux.
Règle numéro 2 : ne pas défendre l’abstention, ne pas parler de classes sociales
Autre position absolument interdite : expliquer ou défendre l’abstention électorale. Le présupposé de tout débat télévisuel et de la majeure partie des journalistes français c’est que nous vivons en démocratie, que voter c’est très bien et s’abstenir c’est très mal. On accepte que vous donniez des explications sociologiques si elles sont misérabilistes et prononcées sur un ton navré. Il s’agit de répondre à la question « comment ramener les électeurs aux urnes », et surtout pas « les urnes n’ont-elles pas si peu de sens que la majorité des gens s’en détournent ? ».
Quand vous êtes un acteur occupé à donner des leçons de révolution à des prolétaires et qu’on vous parle de votre ISF.
Comment surviennent les sanctions ? D’abord, vous pouvez ne plus être réinvités. Les producteurs cherchent des « bons clients », c’est-à-dire des gens capables de parler vite et bien et éventuellement de mettre un peu d’ambiance. Clairement, on me faisait venir pour « pimenter le débat », j’étais le sextoy que ces bourgeois à la vie sexuelle routinière s’offraient de temps en temps pour se faire peur quand le mot « justice sociale » était lâché. Le plus souvent, c’est le plateau tout entier qui exprime sa réprobation sur le moment : raclement de gorge, soupir, regards méprisants, rires le plus souvent. J’ai eu droit à de systématiques « jeune homme », « mon jeune ami » de la part d’éditorialistes chevronnés. Et ce, même après avoir passé le cap fatidique de la trentaine. Être révolutionnaire, pour ces gens-là, c’est nécessairement être coincé dans une éternelle adolescence et vous le faire sentir est une façon basique mais efficace de vous discréditer.
L’animatrice ou l’animateur reste le véritable arbitre de la respectabilité du débat. Quand vous dites quelque chose qui reste dans les bonnes convenances du débat bourgeois, il vous relancera avec chaleur. Si vous vous écartez de ces règles, que vous défendez l’abstention, que vous parlez de propriété et de patronat, il ne vous relancera tout simplement pas ou vous coupera carrément pour passer la parole à un autre intervenant : game over. Votre message restera suspendu dans les limbes du flux télévisuel et disparaîtra à jamais.
S’organiser pour exister
« Il faut aller dans les médias porter une parole différente de la doxa néolibérale ». Ce mot d’ordre a du sens car je ne crois pas qu’on puisse réussir à porter dans la société des idées de justice sociale au moins, de révolution sociale au mieux, en snobant les grands médias. Et ce, tout en favorisant le développement de médias dits “alternatifs” qui, comme Frustration et quelques autres, utilisent leurs propres canaux de diffusion.
Mais ce n’est pas un rôle qu’on peut assumer en franc-tireur. Jouer ce jeu-là nécessite des conditions matérielles en préalable : vivre en région parisienne ou se rendre à Paris régulièrement (et donc être en mesure de se payer un billet de TGV, pardon, de “InOui”). Occuper un emploi avec une liberté horaire, qui ne soit ni physique ni trop fatiguant. Il faut pouvoir vous libérer à 17h, filer chez vous vous changer. Si vous avez le trac, votre journée sera fichue et votre nuit passée à ressasser les arguments que vous n’aurez pas sortis sera mauvaise. Oubliez également votre soirée avec votre ami.e, amant.e, amoureux.se. Revenir chez soi survolté, trop maquillé et en colère de n’avoir pu caser que quelques banalités sociale-démocrates n’est pas le gage d’un moment de qualité, je vous le garantis.
Quelles sont les professions des gens qui excellent dans les émissions de débat ? Rédacteurs en chef, journalistes, politiciens, employés d’un institut de sondage, universitaires… Salarié d’un parti politique, c’est par exemple le cas de David Guiraud, porte-parole de LFI et extrêmement efficace face à l’offensive idéologique zemmourienne. Ce sont des professions concentrées en région parisienne qui ne comportent pas de travail manuel et où l’on dispose d’une liberté horaire. Le graal est sans doute de devenir intervenant régulier d’une émission, comme les deux dirigeants du magazine Regards, Pierre Jacquemain et Pablo Pillaud-Vivien, mais il faut supporter le rythme et la difficulté des angles imposés.
David Guiraud (LFI), toujours prêt à se farcir les pires angles d’émission, en toute décontraction.
Il y a quelques exceptions : Anasse Kazib, désormais candidat de Révolution Permanente à la présidentielle, cheminot, était chroniqueur aux “Grandes Gueules” (RMC). Il portait la parole des travailleuses et travailleurs et ne faisait aucune concession aux angles de l’émission – très droitière et très bourgeoise sous couvert d’être « proche des gens ». Il en a été viré en 2020, victime de son franc-parler (pour une émission qui s’appelle les « Grandes Gueules » c’est cocasse). Suite à mon passage à l’émission « A l’air libre » de Mediapart, nous avons échangé sur comment faire passer des idées anticapitalistes dans les médias mainstream.
Anasse Kazib, champion du retournement de la rhétorique bourgeoise des patrons “créateurs de richesse”.
Les réponses n’ont rien d’évidentes, mais une chose est sûre : pour infiltrer les médias bourgeois et y faire passer la parole de la classe laborieuse, la bonne volonté et le courage ne suffisent pas. C’est toute une organisation dont on aurait besoin, avec cette fonction-là : envoyer le plus possible d’ouvrières, d’employés, d’indépendants, de chômeurs, de précaires dans des émissions faites par et pour des bourgeois. Se demander comment on s’habille, mettre en commun des exemples, chiffres, argumentaires. Mais aussi se donner de la force avant et après l’émission.
Il ne faut certainement pas surestimer l’importance de ces chaînes dites de “débat”, qui utilisent ce format d’abord pour faire des économies sur leur masse salariale en virant des journalistes et en les remplaçant par la masse de personnages décrits tout au long de l’article. Gonflée artificiellement par les réseaux sociaux qui relaient et s’indignent des polémiques qui s’y créent, les chaînes dites “d’information en continu” méritent-t-elle qu’on y mette de l’énergie à lutter ?
En racontant certains pièges et chausse-trappes des émissions de télé, qui existaient déjà avant que Vincent Bolloré ne rachète et réorganise de nombreux médias pour faire passer la parole fasciste aux heures de grandes écoutes, j’espère avoir contribué à l’élaboration d’une nouvelle stratégie.