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Dans un monde-poudrière, les obliger à arrêter de jouer avec le feu

                             

L'heure est grave et inquiétante. La folie guerrière qui habite les protagonistes du conflit en Ukraine semble de moins en moins trouver de limite.

Le fléchissement militaire russe, et l’obligation de recourir à des mobilisations, la fuite de très nombreux jeunes pour échapper à cette guerre, galvanisent le camp d’en face. Les États-Unis, et l’OTAN, bras armé réanimé par la guerre de Poutine, en profitent pour alimenter davantage le brasier, en enrôlant les gouvernements européens. Au-delà des bonnes affaires qui profitent aux multinationales et au complexe militaro-industriel, le camp occidental cherche à réduire à néant la Russie, c’est-à-dire le peuple russe, quitte à l’humilier. Pris dans des réflexes archaïques aussi vieux et consubstantiels que le capitalisme, chacun joue sa partition guerrière. Mais jusqu’où vont aller les terribles surenchères actionnées de toutes parts dans ce conflit de haute intensité ? Au-delà des postures, l’annonce par des dirigeants russes de la légitimation du recours à l’arme nucléaire n’est pas à prendre à la légère. Cela en dit long sur l‘état du monde-poudrière et l’urgence d’arrêter de jouer avec le feu.

Dans ce contexte, Poutine abat de nouvelles cartes. Il organise ses pseudo référendum pour officialiser la mise sous tutelle russe des territoires occupés, afin que demain, les attaques ukrainiennes relèvent d’une agression contre la Russie. En échec dans cette guerre, il tente de cristalliser la situation à la veille de l’hiver, période qui rendra plus difficile les affrontements, figeant les lignes de front. Les Ukrainiens le savent, qui tentent de pousser au maximum leur contre-offensive.

Mais dans cette violence, avec le passif et les haines accumulés, peut-on imaginer que l’un l’emporte sur l’autre ? 
Que les troupes russes soient repoussées à leur frontière ? Et quand bien même, cela ne mettrait pas un terme aux dissensions et aux exactions dans le Donbass et le sud de l’Ukraine.

Constatons que le mal est fait. Il couvait d’ailleurs depuis 2014 et le non-respect des accords de Minsk n’a fait que l’aggraver.

Paradoxalement, il existe aujourd’hui, et peut-être plus qu’en première partie du conflit, un chemin pour pousser les uns et les autres à la négociation. Ce que des pays demandent, et non des moindres à l’instar de la Chine ou de l’Inde. Un chemin pour faire taire les armes, pour ouvrir une porte de sortie qu’il faudra de toute façon emprunter, où il n’y aura pas de vainqueur puisque c’est impossible, et où il ne peut pas y avoir d’humilié, pour ne pas refaire les mêmes erreurs de la première guerre mondiale. Où la sécurité et la paix seront à l’ordre du jour en Europe, condition sine qua non pour que le silence des armes soit durable.
Sans aucune complaisance à son égard, il n’y a pas d’autres choix que de parler à Poutine. Mais pas comme l’a fait Macron qui avait raison de le rencontrer, non sans arrières pensées, mais qui ne pouvait sur le fond modifier le cours des choses tant il était englué dans la doxa américaine et de l’OTAN.
Alors qu’il faudrait que la France fasse entendre un son de cloche différent.
Que ça plaise ou non, il faut discuter avec les uns et les autres, quand bien même du sang a été versé et des crimes abominables commis. Mais c’est le principe même de la diplomatie : se parler et agir pour éviter d’autres crimes.

Il faut donc partir de la situation territoriale et militaire qui prévaut actuellement et dont on ne voit pas ce qui pourrait changer fondamentalement dans le rapport de forces, sauf à entretenir une guerre sans fin ou une escalade encore plus dangereuse.

M. Macron qui donne des leçons de morale aux Nations unies peut-il le faire ? Comparaison n’est pas raison, mais dans un tout autre contexte l’État français s’est récemment lui-même rendu coupable d’une annexion d’un territoire appartenant à un pays souverain, les Comores. Après plusieurs décennies de déstabilisation de cet archipel, conjuguées à une politique de différenciation et d’asymétrie dans l’aide économique, la France est arrivée à ses fins : recoloniser Mayotte, la transformer en un département à la suite d’un référendum dénoncé par les Nations unies. Dans ce cas point de guerre. Mais une politique désastreuse pour les Comores, qui se poursuit avec le soutien du président-dictateur en place. Et pour Mayotte, un statu quo impossible. Un avenir incertain et des bombes à retardements sur le plan de la sécurité, des inégalités qui se creusent avec les autres îles. Ce déséquilibre a pour résultat des migrations contraintes qui du fait de la seule réponse sécuritaire (visa Balladur) conduit à la mort de plus de 10 000 personnes dans la mer d’Anjouan devenu le plus grand cimetière marin du monde.
Redécouper les frontières est décidément une entreprise pleine de chances mauvaises.

Face à des dirigeants qui font le choix de la guerre, que faire pour que les armes se taisent ? Voilà la question lancinante. Le seul camp à défendre est celui de la résolution du conflit et de la Paix, d’autant que les puissances qui ont les moyens de faire disparaître l’Humanité sont en conflit ouvert. On ne peut donc pas raisonner comme au siècle passé, ce qui rend caduc et dangereux l’illusion - y compris à gauche - de livraison d’armes. Il faut marteler qu’il n’y aura pas de solution militaire et pas de gagnants.

Parler de la Paix est aussi l’occasion de rappeler que c’est le même système qui conduit à la destruction de l’environnement et du climat, à l’exploitation des hommes, et finalement aux chaos. Les forces du capital s’arcboutent pour empêcher toute alternative et étendre leurs prédations et leurs profits absurdes. Elles continuent d’actionner pour cela les leviers du pire : les guerres, les extrêmes droites politiques et religieuses. La victoire des droites en Italie soutenant la néo-fasciste Meloni avec une partie du patronat accouche d’une bête immonde. Il est plus que temps de convaincre qu’une autre voie est possible.

Dominique Josse
responsable du collectif Afrique du PCF
membre de la Commission des relations internationales


Fabien Roussel invité de RTL: Un gouvernement d'incapables et de capitulards !

 

Pas de Calais: Fabien Roussel secrétaire national du PCF rencontre les Français


 

Engrenage de la guerre : « La nuée de l’orage est déjà sur nous »



C’est ainsi que Jean Jaurès, dans son dernier discours prononcé à Vaise le 25 juillet 1914 alertait sur la gravité de la situation internationale, deux jours après l’ultimatum fulminé par l’Autriche-Hongrie à la Serbie. La gravité de la situation est extrême.



Face au danger extrême et immédiat de généralisation de la guerre, c’est un sentiment d’impuissance qui domine parmi les peuples, et que les mécanismes de régulation des grandes crises internationales ont été démantelés au cours de la dernières période.

Le danger aigu de la crise actuelle tient au fait que, dans le contexte de fragmentation militarisée de la mondialisation capitaliste, aucune des parties en présence ne peut se résoudre à reculer, à perdre, alors qu’elles s’affrontent pour la définition de nouvelles hiérarchies de dépendance. 
La question est : est-ce que l’une d’elles est prête à aller jusqu’au bout de l’affrontement ? 
Pour l’instant, non. Mais demain ?

D’un côté, le pouvoir russe fait considérablement monter les enchères en cherchant à reprendre l’initiative et à ressouder autour de lui ses appuis, après les flottements qui ont suivi les revers militaires dans la région de Kharkov. Pour lui, la guerre contre l’OTAN a déjà commencé. En décrétant la mobilisation partielle, il prend le risque de remettre en cause le compromis sur lequel il repose : assurer au peuple russe la stabilité, en échange de son désintérêt des questions politiques. 
La guerre devient désormais une réalité tangible pour des centaines de milliers de familles russes. Il faut se garder des discours annonçant l’effondrement du pays, présentant la Russie comme « village Potemkine » et reposant en réalité sur des clichés. Le pouvoir russe tient et depuis plusieurs années il n’a pris aucune grande décision sans être assuré du soutien d’une majorité de la population, réforme des retraites de 2018 exceptée. 
Quand Vladimir Poutine et son ministre de la Défense, Sergeï Choïgou, disent que « ce n’est pas tant une guerre contre l’Ukraine que contre l’Occident collectif », en utilisant comme argument l’aide massive que l’OTAN accorde à l’Ukraine (un total de 85 milliards de dollars depuis l’invasion russe de février 2022), cela fait écho à ce que pense une majorité de la population russe dont on pourrait résumer la perception de la situation par : « ce n’est pas nous qui avons quitté l’Occident, mais l’Occident qui nous a quittés ». 
Qu’en sera-t-il cette fois-ci avec la mobilisation ?
Une des clés de la situation tient dans l’évolution qui va se produire maintenant dans la population russe qui ne peut plus vivre « comme si » la guerre n’existait pas. Contrairement aux clichés russophobes récemment recyclés, le peuple de Russie n’est pas une masse amorphe. La solidarité avec les pacifistes russes est nécessaire. Les protestations contre la mobilisation existent. L’exil contraint de plus de 250 000 personnes fuyant la mobilisation en quelques jours est un phénomène important. Elles doivent être accueillies dignement.

L’évolution prochaine va également dépendre de la situation économique. Pour l’instant, le secteur « utile » pour le pouvoir, à savoir les hydrocarbures, qui représentent 40% du PIB russe, fait plus que résister aux sanctions étant donné qu’ils sont soutenus par l’explosion des prix. Les prévisions annoncent en outre une augmentation de 40% des exportations au cours des prochaines années. Force de constater que les manifestations courageuses contre la mobilisation n’ébranlent pas le pouvoir qui reste solidement installé sur ses bases matérielles, capitalistes kleptocratiques, et idéologiques, réactionnaires et nationalistes.

Par ailleurs, la conduite des référendums dans les républiques autoproclamées du Donbass et les territoires occupés va permettre au gouvernement russe de dire que l’Ukraine attaque le territoire de la Fédération de Russie avec l’aide des armes de l’OTAN. De ce point de vue, il ne faut pas tenir « pour du bluff » la menace nucléaire, et ce d’autant plus que la doctrine d’emploi russe a été élargie en 2020 afin de rendre possible un emploi tactique, et non plus uniquement stratégique, et a ouvert une possibilité d’emploi en premier. Enfin, il ne faut pas oublier que l’opposition au pouvoir la plus puissante et la plus influente est l’extrême-droite ultra-nationaliste, relégitimée depuis l’assassinat de la fille d’Alexandre Douguine, qui n’est pas « l’éminence grise » de Poutine, mais qui coagule un certain nombre de déchets idéologiques venus du pire de la tradition réactionnaire slavophile, des anti-Lumières et du fascisme occidental.

Enfin, la question de l’isolement ou non de la Russie sur la scène internationale est un autre facteur qui compte pour le pouvoir. D’un côté il se décrédibilise auprès de ses alliés proches, par exemple en ayant annoncé à l’Arménie, qu’il ne la soutiendrait pas en cas d’invasion azerbaïdjanaise, ce qu’ont aussitôt exploité les Etats-Unis en envoyant Nancy Pelosi à Erevan. D’un autre côté, le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, qui s’est tenu les 15 et 16 septembre à Samarcande, ont été l’occasion d’élargir cette alliance économique à l’Iran et plus largement au Moyen-Orient.

Cette montée des enchères du pouvoir russe s’accompagne en miroir du refus de toute négociation en Europe et en Amérique. On voit ici à quel point la logique de bloc participe à l’engrenage. Le discours de Joe Biden à l’assemblée générale de l’ONU s’inscrit pleinement dans son ambition stratégique de redessiner les contours de l’impérialisme américain en dévoyant les institutions multilatérales et en se faisant le héraut d’un soi-disant « camp des démocraties ». Avec un aplomb hypocrite rare, il est allé jusqu’à déclarer que « les Etats-Unis veulent que cette guerre se termine », alors qu’à eux seuls les USA fournissent la moitié de la totalité de l’aide militaire à l’Ukraine et renforcent leurs positions militaires en Europe. Et que dire du discours d’Emmanuel Macron qui enjoint, sur un ton paternaliste totalement désuet, les pays non-alignés à choisir leur camp ? 
Heureusement que d’autres chefs d’Etat ont délivré des discours à la hauteur de la situation, tel que Gustavo Petro, le président colombien, qui, dans une remarquable intervention, a conjugué impératif de la paix, urgence écologique et urgence sociale. Ce décalage montre à quel point la logique de blocs défendue par nombre de pays occidentaux n’est pas partagée.

Au-delà des discours, nombre de signaux vont dans le sens d’une escalade en Occident également. L’ancien secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, vient de rédiger, avec l’appui du gouvernement ukrainien, un projet de traité de « garanties de sécurité », qui, entre les lignes, ouvre la voie à une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. L’UE prépare un 8e train de sanctions, en étant d’ailleurs à la peine pour en trouver de nouvelles, à moins que l’interdiction de délivrance des visas refasse surface. La décision des Etats baltes de ne pas délivrer de visa humanitaire aux Russes qui refusent la mobilisation est d’un cynisme rare et fournit des arguments au pouvoir russe. Surtout, l’idée qu’une victoire ukrainienne soit possible après le succès de la campagne d’Izioum est prise comme argument pour condamner toute idée de cessez-le-feu, comme l’a fait Ursula Von der Leyen.

Mais personne ne s’interroge sur le prix de la poursuite de la guerre sur sa première victime, le peuple ukrainien (Donbass inclus), qui subit bombardements, catastrophe humanitaire, violences en tout genres, crimes de guerre, exécutions, tortures, mauvais traitements, manque d’assistance médicale, d’eau et de nourriture. La poursuite de la guerre signifie la poursuite de ces violations des droits humains.

C’est dans ce contexte d’urgence et d’extrême gravité qu’il convient de reposer l’exigence d’un cessez-le-feu et de la paix. Le choix est clair : guerre ou paix. Les possibilités sont infimes, aussi grandes qu’un trou de souris. Mais il faut s’y engager.

Pour cela, il convient de combattre deux arguments qui reviennent dans le débat public.

D’une part, il y a ceux qui spéculent sur une victoire ukrainienne en renforçant l’envoi d’armes, y compris des chars, à l’Ukraine. Même avec l’aide de l’OTAN, cela relève pour le moment de la spéculation. La défaite n’est pas une option pour le pouvoir russe, de même que pour le pouvoir ukrainien. Parier sur une victoire ne repose sur aucun argument sérieux. On peut par contre être certain que cela participe de l’engrenage du conflit. Répétons-le : la poursuite de la guerre signifie la poursuite des destructions et des violences contre la population civile.

D’autre part, ceux qui pensent qu’un cessez-le-feu gèlerait la situation sur le terrain, y compris la présence de troupes russes en Ukraine. Mais le cessez-le-feu, nécessaire, doit s’inscrire dans une dynamique politique, celle de la paix, qui n’est pas simplement l’absence de guerre. Il est important d’y donner du contenu. Les négociations devront prendre en compte à la fois la souveraineté du peuple ukrainien, que piétine Poutine, et l’impératif de sécurité du peuple russe et de tous les peuples. Le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Li, a appelé à une « résolution pacifique du conflit » dans ce sens. Le président mexicain, Lopez Obrador, à la formation d’un groupe de contact international, incluant le secrétaire général de l’ONU. Plus largement, les nécessaires négociations, qui ne seront pas simples, doivent se placer dans un cadre plus large : celui de la construction d’une architecture équilibrée de sécurité collective pour les peuples d’Europe, dans laquelle l’OTAN n’a pas sa place. Pour y arriver, cela implique d’ouvrir la voie d’un désarmement négocié, global et multilatéral, dans les domaines nucléaires et conventionnels, le refus du recours au nucléaire. Enfin, pour l’Ukraine, dans un cadre européen de sécurité collective, il conviendra de poser la question de sa neutralité et du statut du Donbass.

Le chemin est étroit. Mais le courage politique impose de l’emprunter si l’on veut éviter la catastrophe.

Vincent Boulet,
membre de la Commission des relations internationales du PCF

Conseil Départemental 62: Récapitulatif du groupe communiste lors de la session du 26 septembre 2022

Le conseil départemental s’est réuni lundi 26 septembre pour délibérer notamment pour le budget supplémentaire 2022 et pour le premier des trois pactes qui guideront les politiques du Département pour les cinq années à venir. 
Ci-dessous, toutes les interventions et les vœux au gouvernement du groupe communiste et républicain.























L'Auto-dissolution du Parti Communiste Italien



A l'occasion des élections italiennes de dimanche qui voit une coalition menée par l'extrême droite accéder au pouvoir, de nombreux communistes et au delà se posent la question : comment a t-on pu en arriver là ?

Sur sa page facebook Nicolas Marchand vient de republier un texte éclairant de Pierre Laroche, militant commmuniste, ayant pour titre "L'auto-dissolution du PCI" écrit en octobre 2007.

Nicolas Marchand accompagne ce texte de son commentaire :
"L’accession au pouvoir de l’extrême-droite en Italie ne s’est pas seulement construite à droite. Il y a aussi eu la quasi disparition de la gauche, à partir du renoncement au combat communiste qui a conduit à la transformation du plus grand parti communiste de l’Union européenne en un Parti Démocrate, rallié au libéralisme.
En France, l’existence autonome du PCF a pu être préservée, en 2007, face à un projet de « nouvelle force » déjà avec JLMélenchon. A l’époque, un article de Pierre Laroche, spécialiste de l’Italie à la « polex » du Pcf, titré « l’autodissolution du PCI », largement diffusé http://anrpcf.canalblog.com/archives/2007/10/15/6546637.html
avait contribué à éclairer et mobiliser les communistes.
Mais cela n’a pu empêcher une trop longue période d’effacement et de suivisme de JLMélenchon, dont les communistes ont heureusement décidé de sortir.
Maintenant il est urgent que les idées communistes pèsent plus à gauche et dans le pays.
Face à l’extrême-droite, la gauche a besoin bien sur d’être unie, mais solidement et sur un projet lui même solide, pour que ne se renouvellent pas les déceptions désastreuses qui ont laissé tant d’espace à la droite et à l’extrême droite.
Pour cela, il y a besoin d’un parti communiste plus actif et plus fort pour promouvoir les idées transformatrices, nouvelles dont toute la gauche a besoin pour se renforcer et devenir capable de gagner. Et pour muscler les luttes, le mouvement populaire, de ces idées.
En témoignent l’amorce à l’initiative de Fabien Roussel d’un débat visant à ce que la gauche se réapproprie sur des bases révolutionnaires, de transformation radicale, les enjeux du travail.
En témoignent aussi, du côté de nos alliés de la Nupes, des réactions curieusement agressives, mais aussi significativement limitées à une perspective de défense d’un « état providence ».


Le texte de Pierre Laroche PCF Paris 5

Le Parti Communiste Italien, né en 1921, a été dissous par son 20è congrès en janvier 1991. Cette auto-dissolution est l’issue d’un long processus, dont tous les protagonistes n’avaient sans doute pas projeté ni le déroulement, ni la fin. Ainsi, le secrétaire général du PCI, Enrico Berlinguer, qui avait, au lendemain du coup d’Etat de Pinochet au Chili en 73, estimé qu’il n’était pas possible de diriger un pays avec un gouvernement minoritaire ou disposant d’une trop faible majorité, avait-il proposé en 74 pour l’Italie ce qu’il avait appelé un « compromis historique » entre les forces communiste, socialiste, et chrétienne.


Cette proposition, loin de faire l’unanimité dans le PCI, avait cependant eu un grand écho dans le pays et, dans l’immédiat, le PCI avait obtenu le meilleur score électoral de son histoire passée et future aux élections de 1976, avec 34,4% des voix. La démocratie chrétienne, qui était également, sous l’impulsion d’Aldo Moro, à la recherche d’un nouveau dispositif politique du pays, s’était ralliée à l’idée de convergence démocratique. Et, peu à peu, le PCI s’était approché d’une participation gouvernementale, ce qui n’avait pas eu lieu depuis 1947. C’est alors qu’Aldo Moro était enlevé puis assassiné en 1978 par les « Brigades rouges ».

Bientôt, le PCI, accusé simultanément d’être complice des terroristes et co-responsable de la politique gouvernementale, avait mis fin en 1979 à sa participation à la majorité et tentait une stratégie qui faisait plus de place au mouvement social, alors que le « compromis historique », du moins dans sa mise en œuvre politique sous forme de « solidarité nationale », donnait la prééminence aux rapports entre formations.

La mort brutale de Berlinguer, en 1984, contribuait à fragiliser le PCI, son successeur Alessandro Natta n’ayant pas le poids charismatique de Berlinguer.

Offensive patronale

La fin des années 70 et le début des années 80 voient en Italie, dans le contexte d’une forte offensive conservatrice mondiale, le patronat marquer des points sur des questions importantes comme le démantèlement de l’échelle mobile des salaires (accepté par référendum en 1985), le développement de la flexibilité, la concentration des entreprises, en même temps que la valorisation idéologique de l’entreprise, Fiat devenant une sorte d’emblème national, symbole d’un consensus idéologique fondé sur le profit, symbole de stabilité et de sécurité dans un monde de précarité.

La politique de la grande entreprise commence ainsi à structurer un consensus majoritaire sur l’impossibilité de réponses indolores à la crise et l’acceptation des mesures d’austérité ; les solutions de la classe dirigeante sont perçues comme salutaires ou inévitables. Cette offensive bénéficie d’un affaiblissement du syndicalisme de classe, résultant des règles de l’unité syndicale qui conduit la CGIL à accepter que ses initiatives soient conditionnées par les autres syndicats.

Questions pour un consensus

Lors du 17è congrès du PCI en 1986, marqué par une forte présence des cadres du parti, Natta prend des distances philosophiques avec le marxisme (le concept de lutte des classes « est un concept que nous utilisons tous de moins en moins », dit-il tout en montrant combien il reste opératoire). Le congrès rejette les amendements qui proposent comme perspective le dépassement ou la sortie du capitalisme ; le PCI se proclame « partie intégrante de la gauche européenne » et « refuse d’anticiper sur les évolutions historiques », déclarant cependant qu’il « n’est pas actuel de penser à une adhésion à l’Internationale socialiste ».

Mais des délégués relèvent aussi l’affaiblissement des valeurs de solidarité et d’égalité dans la société italienne, les réactions racistes contre les gitans et les travailleurs immigrés, le recul des valeurs d’égalité entre les sexes. Le PCI ne se présente plus comme parti révolutionnaire porteur d’objectifs transformateurs, mais comme « parti réformateur moderne », comme l’annonce la banderole de la tribune.

Le secrétaire général de la CGIL, principale confédération syndicale, déclare que s’il vivait en RFA, il serait au SPD. Le Comité central du PCI refuse un amendement de Luciana Castellina qui affirme que « le reaganisme exprime une réponse de longue durée à la crise de l’ordre capitaliste des années 70 ». Giorgio Napolitano, l’actuel Président de la République, alors responsable du secteur « politique étrangère » du PCI, confirme dans une interview du 8 mai 86 au magazine « Panorama » que « l’URSS est à la tête d‘un des 2 blocs politico-militaires », ce qui n’est guère discutable, mais ajoute : « et nous sommes avec l’autre ».

Affaiblissement du PCI et de l’identité communiste

En 1987, ont lieu des élections législatives anticipées (pour la 5è fois depuis 1968). L’Italie traverse une crise politique mais le président de l’organisation du grand patronat italien (Confindustria) écrit dans « le Figaro » du 15 juillet 87 que « l’Italie est championne, au moins potentiellement, du capitalisme ». Le résultat des élections, avec 26,6% des voix pour le PCI, est, selon le mot de Natta, « une défaite ». A part les élections européennes de 84, toutes les élections depuis 1976 ont été marquées par le tassement de ses voix, surtout dans les secteurs ouvriers et populaires, dans les villes industrielles, dans les zones «« rouges » de Rome. L’insatisfaction des électeurs reporte leurs voix sur certaines formations « radicales » (Démocratie prolétarienne), sur les Verts, mais aussi sur les socialistes et les démocrates chrétiens.

Un dirigeant du PCI, Lucio Magri, parle d’ « affaiblissement de l’identité communiste » et Alessandro Natta se demande si l’idée qu’il fallait rassembler ne l’a pas emporté sur le contenu du rassemblement. La majorité gouvernementale de centre droit, forte de 57% des suffrages, est renforcée, le Parti socialiste italien améliore ses résultats : avec 14,3% des suffrages, il retrouve son niveau des années 50. Le président de la Confindustria., toujours dans la même interview au « Figaro » du 15 juillet 87, annonce qu’« il importe que le nouveau gouvernement adopte des règles précises pour l’action économique, la libéralisation des capitaux, la modernisation de l’appareil administratif public… nous avons de bonnes chances d’aboutir ».

Les années 88-89 sont marquées par la volonté d’accentuer et accélérer la restructuration de l’économie et de la société italiennes. Les gouvernements « pentapartites » (socialistes, sociaux-démocrates, libéraux, républicains, démocrates chrétiens), font en sorte d’élargir les espaces politiques et économiques ouverts au capital privé, dans l’enseignement supérieur (au nom de l’autonomie des universités), la recherche, la culture. Le ministre du Trésor, Guido Carli, ancien président de la Banque d’Italie, ancien président de la Confindustria, déclare dans « la Repubblica » du 29 juillet 89, que, pour résorber le déficit de l’Etat, il faut commencer à « céder le patrimoine de l’Etat » : téléphone, banques, assurances, électricité.

Signes prémonitoires et préliminaires

Le PCI opère activement pour un rapprochement avec les partis sociaux-démocrates européens. Giorgio Napolitano, dans « l’Espresso » déclare en décembre 88 que, s’il n’est pas possible que le PCI « s’intègre actuellement dans le groupe socialiste à l’Assemblée européenne, car seuls en font partie des formations appartenant à l’Internationale socialiste ; les choses pourraient être examinées autrement si les conditions devenaient moins contraignantes ».

En 1989, Natta ayant démissionné de ses fonctions de secrétaire général du PCI pour raisons de santé, son successeur, Achille Occhetto, exalte lors du 18è congrès la valeur historique et future du nom de parti communiste « et alors, on ne comprend pas pourquoi nous devrions changer de nom ». Mais il annonce aussi que « si un parti, face à des transformations de vaste portée et face à des faits qui changent l’ensemble du panorama politique global, décidait, de façon autonome et non à cause de circonstances extérieures, de donner vie, avec d’autres, à une nouvelle formation politique, alors oui, il s’agirait d’une chose sérieuse, qui n’offenserait ni la raison ni l’honneur d’une organisation politique ».

Dès le lendemain de la chute du mur de Berlin (9-10 nov. 1989), il commence à parler, hors des instances du parti, d’une initiative importante, justifiée par des raisons italiennes et internationales, non pour changer le nom du parti, mais pour « donner vie à une nouvelle formation politique ». Il soumet cette proposition le 13 novembre 1989 au secrétariat du Comité central, le 14 à la Direction du parti, où elle suscite de fortes oppositions. Le 20 novembre, le Comité central adopte cette proposition qui doit être soumise à un congrès extraordinaire qui ouvrira une phase constituante, pour une organisation dont on ne définira le nom que plus tard et qui, en attendant, s’appelle « la cosa » (la chose) ; on annonce d’emblée qu’elle demandera son adhésion à l’Internationale socialiste, avec pour mission de jouer un rôle d’impulsion pour sortir la gauche européenne de sa crise. La phase constituante doit déboucher sur un congrès.

Cette proposition s’adresse aux forces progressistes et de gauche, non aux partis politiques, mais Occhetto parle des verts, des radicaux, de la gauche souterraine, des socialistes et des démocrates chrétiens de gauche. Effectivement, la préparation de ce congrès a donné lieu à des rencontres, clubs et même à un référendum parmi les lecteurs de l’hebdomadaire « l’Espresso ».

Le 19è congrès (mars 1990) se trouve placé devant 3 motions, inamendables, ce que certains délégués ont contesté, et le congrès ne peut qu’enregistrer les votes des sections. Un peu moins de 30% des membres du parti ont participé aux débats préparatoires, ce qui est plus que d’ordinaire, mais peu compte tenu de enjeux de ce congrès. La motion Occhetto l’emporte avec environ 70% des mandats et le PCI s’engage dans la constitution de « la chose ».

Le congrès de l’auto-dissolution

Occhetto, considérant que l’effondrement des systèmes politiques de l’est européen ouvre une nouvelle période historique, estime qu’il faut se débarrasser d’idéologies dépassées, surmonter les divisions historiques du mouvement ouvrier et trouver une réponse à la crise d’identité du PCI, à ses échecs politiques, à ses défaites électorales, à son vieillissement, au relâchement de ses contacts avec le monde du travail.

Le 20è congrès (Rimini, 31 janv.-3 fév. 1991) a vu la convergence des « colonels » (c’est ainsi qu’on appelait ses proches) d’Occhetto avec ceux qui se définissent comme relevant d’une « aire réformiste », « à la recherche d’objectifs de liberté et de justice qu’il est concrètement possible de poursuivre ». Ils refusent une stratégie de rupture avec le capitalisme. L’objectif est, pour eux, que le nouveau parti soit capable d’exprimer « une culture et une capacité de gouvernement », de tenir compte des contraintes budgétaires, d’avoir une vision « non étatiste des rapports entre public et privé dans l’économie ».

Parmi les opposants à cette orientation, Nichi Vendola se dit dérouté par le « vide d’analyse et de jugement sur une phase longue, une décennie intense, durant laquelle s’est consommée la défaite historique de la gauche mondiale ». Ces opposants jugent que « supprimer l’identité des communistes est une erreur gravement dommageable pour toute la gauche […] L’erreur n’a pas été d’être trop communistes. Elle a été au contraire de ne pas avoir développé une critique rénovée des nouvelles formes d’exploitation et de domination ». Pour eux, le tournant engagé avec le congrès précédent pèche pour 3 raisons :
a / l’absence d’une analyse de classe, moderne, de la société
                                 b/ un déplacement de l’axe culturel vers des positions subalternes par rapport à des idéologies modérées
                                 c/ une idée de la politique de sommet, qui privilégie le recours aux médias et les fonctions de leader ».

D’autre part, ce 20è congrès congrès ayant lieu au moment de la guerre du Golfe, Giorgio Napolitano s’oppose à la demande de retrait des forces italiennes dans le Golfe, objectant que ce ne serait qu’un geste de propagande. Mais beaucoup estiment démentie l’analyse d’Occhetto qui ne voyait dans l’effondrement des systèmes politiques d’Europe de l’est que des possibilités de développement démocratique et la fin de la guerre froide et de la politique des blocs.

Ce congrès est intervenu dans un climat de démobilisation des adhérents : plus de 100 000 adhérents n’ont pas repris leur carte. Mais cette phase constituante a associé de nombreux interlocuteurs extérieurs qui, n’appartenant pas au PCI, décident d’adhérer à la nouvelle formation (57 000 adhésions).

Le congrès adopte la motion Occhetto par 807 voix, 75 contre, 49 abstentions, 328 délégués étaient sortis de la salle pour manifester leur volonté de faire sécession. Occhetto est difficilement élu secrétaire général. Le Parti démocratique de la gauche était né. Plusieurs opposants continuèrent d’en faire partie, espérant pouvoir y rassembler de nombreux hésitants susceptibles d’être convaincus de la possibilité d’une force communiste dans ce parti.

On conçoit le désarroi des militants et des sympathisants du PCI devant cette disparition du PCI. Le 10 février 1991, quelques milliers de militants se rassemblent à Rome et fondent le Mouvement pour la refondation communiste, qui deviendra par la suite le Parti de la Refondation communiste.

Les conséquences ne se font pas fait attendre : c’est un recul idéologique et politique global pour le monde du travail. En septembre 1992, la Confindustria fait presque explicitement savoir qu’elle ne se sent plus liée aux forces qui ont jusqu’alors gouverné l’Italie et qui, effectivement, ont disparu des résultats électoraux (le Parti socialiste, la Démocratiechrétienne, le Parti libéral, le Parti social-démocrate). Achille Occhetto déclare que la gauche rénovée pourra donner « à la crise italienne une réponse que les vieilles classes dirigeantes ne sont plus en mesure d’élaborer ».

La CGIL précise un élément de cette réponse, lors de son congrès fin octobre 1992 : il en sort un syndicat défini comme « post-ouvrier », qui en a fini avec « le mythe du rôle central de la classe ouvrière ». Le syndicat doit défendre les travailleurs, les usagers, l’entreprise, les compatibilités. Si l’on ne tient pas compte des compatibilités entre ce qu’on demande et ce qui est possible, « on aura l’air de Martiens », affirme le secrétaire général : le syndicat doit donc fixer ses propres limites, il ne sert à rien de refuser par principe les mises à la retraite anticipée, la flexibilité, le chômage économique. On voit se dessiner la possibilité d’un nouveau pacte social où les syndicats auraient pour rôle de contenir les éventuels excès des salariés et des entreprises. Au plan politique, l’arrivée de Berlusconi, à 2 reprises président du conseil, marque une régression démocratique importante.

Voilà donc comment un grand parti, nombreux, influent, fort d’une longue histoire de luttes (antifascisme, Résistance, « reconstruction » économique et politique après 20 ans de fascisme et 5 ans d’une guerre qui a comporté un changement d’alliance et qui a eu de fortes composantes d’une guerre civile) a disparu après une dizaine d’années de reculs politiques et de reculades idéologiques sur fond de régression sociale.

Certains de ses membres ont pu espérer, soit qu’une « tendance communiste » pourrait peser sur l’activité du nouveau parti, soit que le patrimoine du PCI pourrait fructifier dans ce nouveau parti. Il n’en est rien, le nouveau parti est maintenant en train de se joindre à des formations social-démocrates, des formations de centre gauche, voire de centre droit, pour constituer un « parti démocratique » (ou « parti démocrate », à l’américaine : c’est le même mot en italien), avec comme objectif, non pas de changer la société, de briser la domination du capital, mais d’être une force d’alternance contre la droite berlusconienne. Ses actuels dirigeants font savoir leur exaspération quand reparaît le mot d’ordre d’Enrico Berlinguer : être à la fois parti de lutte et de gouvernement.

Si vous ne voulez pas que le parti communiste français connaisse le même sort, avec les mêmes conséquences désastreuses pour la société et les travailleurs français, il y a urgence à réagir.
 Prenez la parole.

Italie : comment a t-on pu en arriver là ?



Comment un pays qui se distinguait il y a quelques décennies encore par le plus puissant parti communiste d’Europe, disposant d’une base sociale immense et d’une haute stature culturelle, mais aussi par une gauche extra-parlementaire particulièrement forte et vivace, a-t-il pu sombrer dans un tel cauchemar ?

Car c’est bien de cauchemar qu’il faut parler, lorsque les seules options qui se détachent dans l’élection actuelle tiennent dans une coalition des droites radicales dominée par les néofascistes, une coalition du centre menée par le Parti démocrate (un parti qui s’est bâti justement sur les cendres du Parti communiste italien et sur la base d’une rupture totale avec l’héritage communiste dans quelque sens qu’on l’entende), et un Mouvement 5 étoiles dont on a vu au pouvoir ce que valait sa rhétorique et ses prétentions « anti-système ».

Ce dossier de Contretemps permet d’y voir plus clair en revenant sur la quinzaine d’années qui vient de s’écouler, marquée par des coalitions bancales et des gouvernements technocratiques, où se sont mêlés l’extrême centre, la droite et l’extrême droite, et dont le point commun a été d’imposer la continuité de la grande destruction néolibérale. Or c’est bien sur le fond de cette destruction – des solidarités collectives et des espoirs de changement – que prospèrent les néofascistes, ici comme ailleurs.

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Giorgia Meloni cherche à dissimuler les liens de son parti – Fratelli d’Italia – avec le fascisme historique. Pourtant, sa politique reste fondée sur l’ethnonationalisme, l’anticommunisme et le rejet des valeurs des Lumières.

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Giorgia Meloni a proposé son nom pour devenir la prochaine Première ministre italienne, si sa coalition obtient la majorité lors des élections qui auront lieu dans quelques semaines – et à en juger par les sondages actuels, elle est pratiquement assurée d’y parvenir. La coalition dite de « centre-droit » formée par son parti Fratelli d’Italia, la Lega de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi devrait obtenir 45 à 47 % des voix lors du scrutin du 25 septembre, le parti de Mme Meloni recueillant environ la moitié de ce total. Compte tenu du système électoral italien, un tel résultat donnerait à cette coalition une nette majorité de sièges.

De l’autre côté du champ politique italien, on a assisté à l’échec retentissant de la tentative du Parti démocrate (PD), mené par Enrico Letta, de construire une large coalition de centre-gauche. Elle est au contraire fragmentée en plusieurs formations rivales. Au centre, on trouve une alliance entre deux partis ultra-néolibéraux (Italia Viva de Matteo Renzi et Azione de Carlo Calenda), qui insistent sur leur soutien aux politiques du gouvernement sortant du technocrate Mario Draghi. Du côté de la gauche libérale et pro-OTAN, les Démocrates de Letta n’ont réussi à obtenir le soutien que de quelques forces mineures, aux orientations contradictoires.

L’éclectique Mouvement 5 étoiles (M5S), rompant le pacte qui l’unissait aux Démocrates, a refusé une entente avec les autres forces. La gauche radicale, qui n’est pas parvenu à intégrer le parlement en 2018, s’est plutôt réorganisée au sein de l’Unione Popolare, dirigée par l’ancien maire de Naples Luigi de Magistris.

Dans cette situation où Fratelli d’Italia a de grandes chances de diriger le prochain gouvernement, l’organisation avance dans deux directions tactiques. Premièrement, elle a donné la priorité à la question de la candidature de Meloni à la tête d’un éventuel gouvernement de droite. L’objectif est de vanter sa légitimité populaire et d’éviter les manœuvres post-électorales des alliés qui chercheraient à imposer une autre figure sans lien avec les différents partis.
Ensuite, elle tente de présenter un profil rassurant de parti fondamentalement pro-système.

Les conservateurs européens ?

La formation de Meloni a été créée en 2012, mettant en avant sa continuité avec le courant néofasciste incarné pendant quatre décennies par le Movimento Sociale Italiano (MSI) avant sa transformation dans les années 1990 en Alleanza Nazionale. Trouvant ses racines dans un MSI qui était à la fois sentimentalement et idéologiquement lié à vingt ans de régime fasciste, la question de la nature de Fratelli d’Italia n’a cessé de se poser ces dernières années. Cette attention s’est particulièrement accrue depuis qu’il est passé d’une force marginale à ce que les sondages considèrent comme le premier parti d’Italie.

La semaine dernière, Meloni a produit une vidéo en plusieurs langues pour rejeter l’étiquette fasciste ou néofasciste. Cependant, la question de la continuité ou de la rupture avec le fascisme historique n’est pas aussi simple qu’elle est généralement présentée, que ce soit par ceux qui présentent de manière simpliste une continuité avec le passé ou par ceux qui la nient complètement.

Fratelli d’Italia se présente aujourd’hui comme un parti « conservateur », vantant à cet effet la présidence de Meloni au sein du parti continental des Conservateurs et Réformistes Européens (ECR). Cette formation, qui regroupe diverses forces à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union européenne, et s’aligne sur le groupe correspondant au Parlement européen, est née d’une initiative des conservateurs britanniques et du parti polonais Droit et Justice (PiS) au pouvoir. Avec la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, les conservateurs ont pris du recul mais maintiennent toujours une relation de collaboration. Les partis officiellement liés à l’ECR en dehors de l’Europe comprennent les Républicains états-uniens et le Likoud d’Israël.

D’un point de vue idéologique, l’objectif poursuivi par Meloni n’est pas de nier la continuité avec la droite néofasciste d’après-guerre, mais plutôt de l’insérer dans un courant plus large qui jouit d’une plus grande légitimité pour gouverner un pays d’Europe occidentale. Le fascisme historique est « relégué dans le passé » et certains de ses aspects, qu’il serait difficile de reproduire dans le présent, sont condamnés. Mais d’autres références idéologiques fondamentales sont conservées.



Tradition anti-Lumières

Dans ses Thèses de Trieste – approuvées lors du deuxième congrès du parti en décembre 2017 et toujours considérées comme son manifeste de référence – l’activité du parti est placée dans le contexte d’une bataille idéologique de longue haleine qui remonte au moins à la Révolution française :


« Notre civilisation, écrit Fratelli d’Italia, est désormais attaquée dans ses structures constitutives par une attaque concentrique, menée au nom de la lutte contre les préjugés, avec le même schéma idéologique que les Lumières ont inauguré pour la première fois dans leur croisade, au nom de la raison, contre l’autorité de la tradition ».

Et ce que l’on reproche le plus aux Lumières, c’est précisément de hisser la raison au-dessus de la tradition. Les partisans de la « société ouverte », lit-on, veulent imposer « des politiques sociales et culturelles qui, au nom du progrès, cherchent à déraciner les fondements du modèle de civilisation que les peuples européens ont créé pendant des millénaires« . L’affrontement oppose donc les Lumières, la raison et le progrès à une identité issue de la tradition et devant s’incarner dans l’autorité.

Benito Mussolini lui-même (pourtant idéologiquement éclectique quand cela l’arrangeait) se vantait que le fascisme s’opposait aux « principes français de 1789 ». C’est dans ce cadre que s’inscrit l’ensemble des valeurs de Fratelli d’Italia. Il en découle, avant tout, un nationalisme à caractère ethnique. La rhétorique patriotique, fortement présente dans la propagande d’une organisation qui s’est définie comme le « mouvement des patriotes », se fonde sur la nation comme « organisme vivant ».

Pour l’extrême droite, la Première Guerre mondiale est un moment primordial dans la formation historique de l’identité italienne. Elle est perçue comme une continuation du Risorgimento, d’où est né l’État unitaire italien. L’ensemble des événements menant de la défaite militaire de Caporetto (automne 1917) à la victoire sur les puissances centrales à Vittorio Veneto en octobre 1918 sont exaltés comme le véritable creuset de l’identité nationale. La sacralisation de la guerre et le culte des morts (du seul côté italien, bien sûr) sont considérés comme essentiels à la construction d’une identité nationale qui doit être défendue contre les éléments corrosifs.

L’anticommunisme

Il s’agit d’une représentation qui se nourrit davantage de mythologies que de reconstitutions historiques authentiques. Mais l’exaltation de la Première Guerre mondiale est également jugée implicitement nécessaire pour dissimuler autant que possible la Deuxième Guerre mondiale, qui a vu les forces libérales et communistes s’aligner contre le bloc nazi-fasciste. Il s’agit également d’une tentative d’effacer la Résistance et le mouvement partisan comme référence idéale de l’Italie démocratique.

Le communisme continue d’être considéré comme un ennemi absolu car il est présenté comme la conclusion la plus extrême de certaines idées des Lumières, dont l’internationalisme. L’idée même de conflit social, inhérente à la perspective de la lutte des classes, est considérée comme destructrice de l’identité nationale.

Alors que le nationalisme ethnique, dans lequel les identités nationales sont figées dans le temps et incapables d’évoluer et de changer, est ouvertement affiché, une conception hiérarchique des relations sociales demeure comme un courant sous-jacent. L’idée que l’égalité est une aspiration à laquelle il faut tendre (elle figure d’ailleurs parmi les valeurs constitutionnelles de la République italienne créée en 1946) est également considérée comme faisant partie de l’héritage des idées révolutionnaires qui s’opposent à la « tradition ». Cette vision hiérarchique se combine dans Fratelli d’Italia avec des références à Margaret Thatcher et Ronald Reagan, dont le néolibéralisme inspire la vision économique du parti.

Pendant des décennies, le MSI néofasciste a été divisé entre différentes visions économiques. Il y avait des partisans du corporatisme et des « socialisateurs », inspirés par les proclamations démagogiques de la République de Salò de 1943-45 (dirigée nominalement par Mussolini mais subordonnée à tous égards à l’occupant nazi). Pourtant, ces questions économiques ont été largement mises de côté dès sa transformation en Alleanza Nazionale, sous la direction de Gianfranco Fini.

La vision néolibérale établie depuis le début des années 1980 dans les principaux pays capitalistes, avec sa composante de darwinisme social, s’est avérée acceptable et compatible avec l’idéologie des héritiers du MSI, car elle accepte comme inévitables les différences de pouvoir, de richesse et d’autorité entre les individus. Cependant, ces différences ne sont plus déterminées de manière rigide par une structure sociale fixe et immuable, mais résultent plutôt de la concurrence entre les individus, qui se déroule principalement sur le terrain économique.

La condamnation de certains aspects du fascisme, réaffirmée par Meloni au début de la campagne électorale, n’est pas entièrement nouvelle, car des formulations similaires avaient déjà été introduites par Fini, et même par son leader historique Giorgio Almirante, bien qu’en alternance avec des revendications explicites d’adhésion au fascisme. Cette condamnation n’exclut pas la continuité avec le cadre idéologique (ethnonationalisme, darwinisme social, anticommunisme) dans lequel s’insère le fascisme historique.

Fratelli d’Italia continue, dans une certaine mesure, à appliquer le même principe qui a guidé l’un des premiers dirigeants de l’ancien MSI, Augusto De Marsanich, selon lequel il promettait de « ne pas restaurer » (la dictature fasciste), mais aussi de « ne pas désavouer » le régime comme faisant partie de l’héritage historique de la droite italienne. La condamnation de certains éléments peu recommandables du fascisme ne se transforme pas pour autant en engagement antifasciste.Dans les médias proches de Fratelli d’Italia, la Résistance partisane contre le nazi-fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale continue d’être présentée uniquement comme responsable d’actions criminelles et anti-nationales.

Pro-système

Le numéro d’équilibriste de Meloni consiste donc à revendiquer la continuité avec la droite néofasciste tout en se faisant accepter comme une force politique pro-système. Les éléments de base du paradigme dominant sont au nombre de deux : 1/ l’engagement envers le bloc occidental articulé autour de l’OTAN ; 2/ la défense de la primauté des entreprises sur le travail.

Sur le premier point, Fratelli d’Italia a fourni les garanties les plus larges. Le MSI, après une phase initiale d’incertitude, s’est rangé du côté du bloc atlantique, favorisant l’adhésion à la croisade idéologique anticommuniste par rapport aux discours d’autres éléments d’extrême-droite sur une « troisième » force séparée des États-Unis et de l’URSS. Le parti de Meloni a été favorable, dès le début, au soutien militaire à l’Ukraine dans son conflit avec la Russie. Il a ouvertement préconisé l’envoi d’armes offensives et pas seulement défensives, soutenant ainsi l’alignement du gouvernement Draghi sur la politique de l’administration Biden.

Au fil des ans, les déclarations faisant l’éloge de la politique de Vladimir Poutine (principalement en ce qui concerne sa « bataille culturelle » et son opposition à une supposée « dictature LGBTQ ») ou sa sympathie pour le Hongrois Viktor Orbán n’ont pas manqué. Mais c’est avec la droite polonaise que Fratelli d’Italia a construit sa principale alliance. Les diverses formations de la droite radicale européenne n’ont jamais été en mesure de trouver un terrain d’organisation commun, bien qu’elles convergent sur de nombreuses questions idéologiques et programmatiques, précisément en raison de leurs attitudes différentes à l’égard de la Russie.

Pour des raisons historiques et géopolitiques, une partie de la droite a toujours adopté des positions fortement hostiles à la Russie tout en exprimant une vision idéologique à bien des égards similaire à celle de Poutine. Grâce aux manœuvres de Fratelli d’Italia, l’ensemble de la coalition de droite italienne s’est clairement positionnée en faveur de l’élargissement de l’OTAN, du soutien militaire à Kiev et des sanctions contre la Russie.

Sur le plan économique, l’adhésion de Fratelli d’Italia au paradigme néolibéral va de pair avec le soutien à l’équilibre budgétaire comme contrainte de l’action gouvernementale. Suppression du « revenu citoyen » (un ensemble d’allocations pour les demandeurs d’emploi introduites en 2019) ; réduction des impôts en assouplissant le principe de l’imposition progressive ; soutien aux infrastructures par le biais de « grands projets » ; et interventions sur les questions environnementales strictement subordonnées à l’intérêt économique. De ce point de vue, la politique économique de Fratelli d’Italia peut être considérée comme moins populiste non seulement que celle défendue par le Mouvement 5 étoiles, mais aussi que celles de la Lega de Salvini et de Forza Italia.

Pour Meloni et son parti, la question non résolue de la relation avec l’Union européenne demeure. La première préoccupation est d’assurer à ses concitoyens que les fonds du Plan national de relance et de résilience (PNRR), alloués à l’Italie par la Commission européenne à Bruxelles, continueront à arriver comme prévu. Au moment où le gouvernement alors dirigé par Giuseppe Conte (Cinq étoiles) négociait ce Plan, Mme Meloni a tenté de s’opposer à la demande de financement européen en évoquant plutôt l’utilisation possible des droits de tirage spéciaux fournis par le Fonds monétaire international. Cette proposition a été jugée bizarre par de nombreux économistes.

Bien que le parti ait exclu les perspectives d’Italexit ou d’abandon de l’euro, il reste fortement hostile à un développement fédéraliste de l’UE.Dans certains discours, Mme Meloni a comparé l’UE à l’URSS, comprise comme une cage qui opprime ses États membres. Elle propose une Europe organisée comme une confédération d’États souverains, mais préconise en même temps son développement en tant que « marché libre », suivant une perspective qui a caractérisé la présence britannique dans l’UE dans les versions de Thatcher et de Tony Blair.

Le programme électoral adopté par la droite à l’approche des élections du 25 septembre évite de faire des propositions particulièrement conflictuelles et utilise des formules plutôt vagues. Il déclare que l’Italie confirme sa « pleine adhésion au processus d’intégration européenne » mais en se concentrant sur une Union « plus politique et moins bureaucratique ». Toutefois, elle souhaite également que cette Europe réaffirme son identité « judéo-chrétienne ».

Dans son livre Io Sono Giorgia (« Je suis Giorgia »), la leader de Fratelli d’Italia affirme une idée de l’Europe qui n’est pas liée au dépassement des nationalismes qui ont produit les deux guerres mondiales, mais plutôt à la guerre comme marqueur d’identité. Il s’agit de la bataille de Poitiers en 732, qui a arrêté la « marée islamique », de la défense de Constantinople par Constantin XI, et de la bataille de Lépante en 1571, qui a réussi à « arrêter l’avancée turque ». Comme pour la bataille italienne de Caporetto en 1917, c’est toujours la guerre, le conflit qui se termine par la suppression physique de l’ennemi, qui alimente les fantasmes guerriers du « soldat Meloni » (une auto-définition qui clôt son autobiographie).

Un acte d’équilibre

Il convient de souligner que l’extrême droite italienne se trouve prise dans un certain nombre d’équilibres politico-idéologiques. Ayant toujours pris le parti de l’opposition à tous les gouvernements successifs depuis sa création fin 2012, Fratelli d’Italia a bénéficié de l’instabilité permanente du système politique italien. Il a notamment pu rassembler des soutiens grâce à la crise de ses deux alliés. D’abord Forza Italia s’est effondré avec le déclin du leadership de Berlusconi, puis avec la montée rapide, suivie d’un déclin tout aussi rapide, de la popularité de Salvini.

La droite italienne, grâce à son articulation entre des partis porteurs d’identités distinctes et de leaderships forts, a pu maintenir son large réservoir de soutien qui s’est presque toujours situé entre 45 et 50 % de l’électorat. Seule la montée du Mouvement 5 étoiles au cours des années 2010 a été en mesure de dépouiller une part importante des électeurs de droite, mais ils sont rapidement revenus, notamment grâce à la communication populiste du leader de la Lega, Salvini.

Quant au centre-gauche, les deux stratégies poursuivies par le Parti démocrate depuis sa formation en 2007 ont échoué. Il avait fait le pari de devenir une force capable d’intercepter le soutien de tous ceux qui ne votent pas pour la droite, en éliminant tous les concurrents (la « vocation majoritaire » de Walter Veltroni, son premier leader). Il aspirait également à l’agrégation d’une coalition hétérogène de forces, dont les Démocrates conserveraient le leadership incontesté (le « large champ » de Letta, son leader actuel). Pourtant, face au succès de la droite, la seule alternative qu’elle peut offrir est une autre coalition technocratique, fondée non pas sur le soutien des électeurs mais plutôt sur une alchimie favorisée par le système électoral byzantin de l’Italie.

Franco Ferrari Publié initialement dans Jacobin et ensuite dansContretemps.