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Blé et céréales ukrainiens et russes, c'est le capital qui a la main !

 Blé et céréales ukrainiens et russes, c'est le capîtal qui a la main !

par Front de Gauche Pierre Bénite

L'actualité rappelle que la Russie et l'Ukraine sont deux acteurs majeurs de la production de céréales et de protéagineux dans le monde. À eux deux, ils représentent 28% des exportations de blé et ils figurent dans les cinq premiers exportateurs mondiaux avec le Canada, les USA et la France.

L'apport que représente la Russie et l'Ukraine à l'alimentation mondiale est donc de première importance avec l’impossibilité pour eux de les exporter du fait du blocage des ports ukrainiens de la mer noire. Les sanctions contre la Russie ont fait craindre, avec une augmentation importante des prix, aujourd'hui à 380 dollars la tonne, à une aggravation de la situation alimentaire des pays les plus pauvres.

L'accord signé le 23 juillet sous l'égide de l'ONU et de la Turquie, valable 120 jours, a permis de débloquer la situation et de reprendre les exportations transitant sous contrôle international par le Bosphore.

Si jusqu'à présent aucun bateau n'a eu pour destination les pays les plus demandeurs, c'est que, comme sur le reste des matières premières, le marché est réglé par la loi capitaliste de l'offre et de la demande et donc des propositions que font les acheteurs potentiels pour alimenter leur marché. Notons de ce point de vue que le plus déterminant pour le marché du blé et des céréales, ce ne sont, ni la guerre en Ukraine pas plus que les pays les pauvres mais les énormes besoins de la Chine.

Mais à qui profite en Ukraine et en Russie le commerce des céréales? Répondre à cette question, nécessite de faire un détour sur les questions foncières et sur qui est propriétaire des terres et les exploite.

Le droit soviétique n’a jamais reconnu un droit individuel sur la terre. Les personnes pouvaient obtenir l’usage d’un terrain pour une durée indéterminée mais aucun droit n’y était attaché. Le droit de propriété était détenu par la coopérative, seule compétente pour attribuer et disposer des parcelles.

Dès la fin de l'URSS, la question foncière est posée car il ne pouvait pas y avoir de développement du capitalisme sans un marché foncier. En Russie devant l'opposition de la paysannerie, il faudra attendre 2001 et enfin 2002 avec la loi sur la privatisation des terres agricoles pour que le processus de transformation de la propriété englobe tous les secteurs. C’est quand Poutine accède au pouvoir que l’on note une accélération du processus de privatisation des terres agricoles.

En Ukraine, l'objectif de la privatisation a été effectif dès la fin de l'Ukraine socialiste. S’en est suivie une courte période pendant laquelle ont été autorisées des transactions, c’est-à-dire la vente et l’achat des terres. Mais, pour finir, dès 2001, un moratoire a été décrété mettant un terme à toute transaction. Cet état des choses a perduré jusqu’en 2021.

Tout au long du débat sur la question foncière, l'opposition de la paysannerie ukrainienne a été vigoureuse. Finalement, la pression du Fond Monétaire International, le plus important créditeur de l’Ukraine, a réussi à emporter la décision en faisant de l’abolition du moratoire sur les ventes des terres comme condition sine qua non à l’attribution d’un nouveau paquet de crédits à l’Ukraine.

Et le gouvernement ukrainien s'est exécuté contre l’avis très largement majoritaire de son opinion publique. Dès lors les « opérateurs » avaient les mains libres pour transmettre les terres qu’ils avaient en gestion aux « investisseurs étrangers ». C'est si vrai qu’aujourd’hui les grands trusts agroalimentaires US on fait main basse sur un tiers des terres ukrainiennes et tout particulièrement les plus productives pour la culture des céréales.

En Russie de manière différente et à la suite des sanctions prises par les occidentaux en 2014 après l'annexion de la Crimée, les capitalistes russes se sont retournés vers des investissements dans l'agroalimentaire et avec une aide massive de l'État ont constitué de vastes ensembles dont certains recouvrent plus de 100.000 hectares. Cette politique a conduit à une augmentation très sensible des capacités de la Russie dans le domaine des grandes cultures, même si par ailleurs de nombreux déficits existent dans les productions alimentaires de base.

Ainsi, en Ukraine comme en Russie, le capital a mis la main sur la production de ressources vitales pour l'humanité.

ARTE: 28'' Trêve précaire à Gaza

 


à regarder et méditer à partir de 12'25'' mn  jusque  34'25'' mn, concernant les frappes israéliennes sur Gaza




Trêve précaire entre l’armée israélienne et le Jihad islamique / Bande de Gaza : va-t-on vers une nouvelle guerre ?

Après la neutralisation par les forces de sécurité israélienne, lundi dernier, de l’un des chefs du Jihad islamique palestinien en Cisjordanie, l’État hébreu a frappé Gaza tout le week-end durant. En réponse, l’enclave a répliqué par des tirs de roquettes. Si ces trois jours d’hostilités ont coûté la vie à 44 Palestiniens, dont plusieurs enfants, une trêve précaire entre le groupe armé palestinien et Israël est entrée en vigueur dimanche soir. Cette confrontation entre l’État hébreu et des groupes armés de Gaza est la plus meurtrière depuis la guerre de mai 2021, qui avait fait 260 morts en Palestine. Pour l’heure, le Hamas, le principal allié du Jihad islamique palestinien, se tient à l’écart du conflit, et Yaïr Lapid, le chef du gouvernement israélien, pointe un autre adversaire du doigt : l’Iran. Alors que le conflit israélo-palestinien semble ne plus faire partie des priorités de l’agenda international, jusqu’où peuvent aller ces confrontations ?



Enfin, retrouvez également les chroniques de Marie Bonnisseau et Victor Dekyvère ainsi que le "À la Loop" de Matthieu Conquet.

PCF - Ukraine : Oser la paix





La guerre déclenchée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine le 24 février est odieuse et irresponsable. Ce choix est un crime contre la souveraineté et l’intégrité territoriale d’un pays et contre le droit international.

Il plonge le peuple ukrainien dans un cauchemar insoutenable et menace la sécurité de l’Europe et du monde. Le risque d’une escalade incontrôlable augmente chaque jour.

La situation est d’une extrême gravité.

Dans un monde si interdépendant, cette guerre est un échec pour tous, un échec pour la sécurité collective de l’Europe.

Elle montre les limites dangereuses atteintes par la militarisation des relations internationales, et son cortège de discours guerriers, de haines et de nationalismes. Nul n’a jamais guéri des meurtrissures du passé en provoquant une nouvelle guerre.



1- Immédiatement : contraindre Vladimir Poutine au cessez-le feu et stopper l’escalade guerrière

• Cessez-le-feu immédiat et sans condition, et les moyens de l’obtenir

L’objectif immédiat de la France doit être d’obtenir un cessez-le-feu sans condition, le retrait des troupes russes et l’ouverture de négociations sous égide de l’ONU. C’est le sens de la résolution votée à l’ONU le 2 mars.

Les pressions et sanctions politiques, économiques et financières contre l’oligarchie doivent contraindre le régime de Poutine à arrêter la guerre. Nous distinguons les sanctions (mesures fortes et ciblées contre l’oligarchie) de la logique de blocus (arrêt des importations) qui serait une punition collective contre le peuple russe.

Tous les leviers diplomatiques possibles pour parvenir à un cessez-le-feu doivent être actionnés.



• Souveraineté et intégrité territoriale de l’Ukraine

Le respect des souverainetés et intégrités territoriales est un fondement du droit international. La paix et la fraternité entre les peuples, l'union des travailleurs du monde entier pour leur émancipation, les libertés, souveraineté et indépendance des peuples sont constitutifs de l’engagement et de la visée communistes.

La guerre engagée par V. Poutine viole le droit international. Nul ne peut remettre en cause l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine.

La position du Parti communiste d’Ukraine (KPU) est claire : il défend une Ukraine fédérale et une évolution de la Constitution du pays afin de doter les régions qui le demandent de prérogatives en matière de politiques économiques et sociales au plus près des populations.


• Soutien au peuple ukrainien et aux pacifistes russes

Le gouvernement de Poutine porte seul la responsabilité de cette guerre. C’est lui qui fait le choix de violer le droit international. C’est lui qui provoque destructions, morts, blessés et exilés. Le peuple ukrainien est l’agressé. L’aide au peuple ukrainien doit être concrète, dans les domaines économiques, humanitaires, médicaux, culturels, et envers les réfugiés.

L’Ukraine a le droit de se défendre. Le PCF s'oppose toutefois à ce que la France livre des armes en Ukraine : ce serait ajouter de « la guerre de la guerre », c'est-à-dire qu'au lieu de porter les efforts sur le champ diplomatique cela reviendrait à donner les moyens de la poursuite du conflit. Or la solution au conflit n’est pas militaire, mais politique. Chaque jour supplémentaire de guerre est un jour de destruction : l'urgence est d'arrêter les combats, de faire taire les armes pour ouvrir dans la foulée des négociations politiques sous égide de l'ONU.

Le droit international interdit formellement de livrer des armes aux belligérants d'un conflit. En le faisant, la France entrerait, du point de vue de l'agresseur, dans la guerre. De plus, la France ni aucun pays ne dispose de moyens de s'assurer que ces livraisons n'alimenteront pas ensuite des réseaux de mercenaires ou terroristes. Si des armes sont livrées, de quelle nature seront-elles ? qui les acheminera et comment ? compte tenu des forces en présence sur le terrain, comment s’assurer qu’elles seraient bien remises à leur destinataire déclaré, à savoir l’armée ukrainienne ? qui les utilisera et contre qui ?

Le peuple russe pour sa part ne peut être confondu avec son régime et son président. Nous dénonçons et nous inquiétons de la montée de la russophobie en Europe. Nous exprimons notre solidarité avec celles et ceux qui partout en Russie manifestent courageusement contre la guerre en Ukraine et la répression politique. Tout-e opposant-e, toute critique de la politique de V. Poutine encoure désormais 15 ans de prison. La censure interdit à la presse de mentionner le terme même de « guerre ».

La « comparaison » avec la guerre d'Espagne est erronée : la guerre d'Espagne fut une guerre civile provoquée par la rébellion, le putsch, des forces armées espagnoles, emmenées par le Gal Franco, contre le gouvernement légal espagnol et la Deuxième république. Il ne s'agissait pas d'une guerre d'invasion par un pays voisin comme c'est le cas en Ukraine.



• Éviter l’escalade guerrière

L’idée de « zone d’exclusion aérienne » (ZEA, en anglais : no fly zone) est portée dans le débat par ceux qui considèrent qu'il faut prendre le risque d'une entrée en conflit militaire avec la Russie. Nous nous y opposons. Fermement. Une ZEA n'est pas selon le droit de la guerre et le droit international une mesure de protection des populations, ce n'est pas une mesure humanitaire ; une ZEA est une action militaire, une manœuvre au sens strict qui s'inscrit dans une stratégie et un plan de campagne militaire. Cela signifierait par conséquent l’entrée de l’OTAN et de la France en guerre contre la Russie et donc ce serait un pas significatif dans l'escalade militaire et l'internationalisation du conflit.

Le peuple ukrainien serait la première victime d'une telle décision qui n'a pas pour objectif d’arrêter la guerre et n'empêcherait en rien les bombardements de l'armée russe des villes ukrainiennes à l’artillerie.



• Sur l’entrée de l’Ukraine dans l’UE

Les Ukrainiens sont un peuple européen, tout comme le peuple russe. Ils ont parfaitement le droit de demander leur adhésion à l’UE ; mais, comme pour tous les autres peuples, celle-ci doit répondre à des conditions fixées par l'UE. Le processus d'adhésion est donc de longue durée. Dans l’état actuel des choses, l’UE ne reconnaît pas l’État ukrainien comme une démocratie répondant aux critères d’adhésion (dits critères de Copenhague). Une procédure « accélérée » ne répondrait en rien à la situation de guerre.

Qui plus est l'adhésion aujourd'hui de l’Ukraine à l’UE signifierait la généralisation du conflit aux pays membres de l'UE puisque le traité de Lisbonne a introduit, par son article 42.7, une clause de « défense mutuelle ». Celle-ci stipule qu' « au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir ».

Par ailleurs, l’expérience atteste que l’élargissement de l’UE ne constitue en soi pas la meilleure manière d’initier une nouvelle construction européenne au service des peuples, et non plus de la finance.


• En aucun cas, une « guerre de civilisation »

Il ne s’agit en aucun cas d’une guerre entre l’ « autoritarisme » et la » démocratie ».

Les causes de cette guerre entre deux pays de type capitaliste périphérique sont d’ordre géopolitiques et stratégique. Elles sont également liées aux contradictions du régime capitaliste russe, à la fois dépendant des marchés énergétiques mondiaux et recherchant de plus en plus l’autosuffisance. Le capitalisme russe a besoin de nouvelles ressources, notamment agricoles.

Oui, le gouvernement russe est autoritaire et ultra-nationaliste. Les mesures qu’il prend désormais en Russie sont d’ordre dictatorial et il poursuit inlassablement le verrouillage de la société russe. Nous devons soutien et solidarité aux forces démocratiques et particulièrement de gauche qui se lèvent contre le régime.

D'autre part, et selon les critères de l'UE jusqu'au 24 février... l’État ukrainien ne remplit pas les « critères de Copenhague » (critères d’adhésion à l’UE) et n'est donc pas reconnu, selon les institutions européennes elles-mêmes, comme une « démocratie ». Le classement des démocraties de The Economist le place parmi les « régimes hybrides », entre démocratie et autoritarisme. La place des services de sécurité est aussi importante qu’en Russie. Des médias d’opposition ont également été interdits. Des militants de gauche pacifistes ont également été arrêtés depuis le début de la guerre. Le poids des milices d’extrême droite, est sensible puisque, par exemple, l’ancien chef du bataillon d’extrême droite Aïdar est devenu gouverneur d’Odessa ce 1er mars.



• Aide à tou-te-s les réfugié-e-s est un devoir et une responsabilité collective

Le HCR de l’ONU prévoit que la guerre va contraindre à l’exil plus de 5 millions d’Ukrainiens (soit, plus de 10 % de la population totale du pays) ; à cette heure, leur nombre atteint les 2,5 millions.

L’UE a annoncé la mise en place une « protection temporaire » pour eux, en application d’une directive européenne de 2001. Cette disposition, d’une durée d’un an, comprend : un droit de séjour, l'accès au marché du travail, l'accès au logement, l'aide sociale, l'aide médicale, un droit à la tutelle légale pour les mineurs non accompagnés ainsi que l'accès à l'éducation. Nous nous félicitons de cette mesure et nous entendons contribuer significativement à l'accueil et l'aide aux réfugiés par l'engagement de nos militant-e-s, élu-e-s, et au sein des collectivités où nous siégeons que nous soyons dans la majorité ou l'opposition.

Nous relevons que l’UE a toujours refusé d’appliquer cette possibilité aux réfugiés extra européens malgré les demandes de plusieurs de ses Etats-membres comme Malte et l’Italie en 2011 au moment de la guerre en Libye. Ce deux poids-deux mesures est non seulement une atteinte aux droits humains fondamentaux et au droit international mais inadmissible sur le plan politique. Cela confirme que la protection des réfugiés est possible, à rebours de « l’Europe forteresse » qui a causé la mort de dizaines de milliers de réfugié-e-s et migrant-e-s dans les eaux de la Méditerranée, de la Manche et de la mer d'Anjouan depuis 2011.


2- Résoudre les causes profondes du conflit et jeter les bases d'une sécurité collective paneuropéenne

• Comment porter l’exigence de sécurité collective européenne contre la logique de blocs antagonistes ?

L’ONU doit jouer son rôle. La France a une voix singulière à faire entendre, en faveur de la sécurité humaine et de la paix, du droit international et de la coopération solidaire des nations et des peuples. En toute souveraineté, elle doit jouer un rôle moteur et actif dans la sortie rapide du conflit.

Cette guerre est un échec criant pour la sécurité collective européenne. Cela montre que la manière dont elle a été construite est incapable de maintenir la paix en Europe. L’OTAN et la logique de blocs antagonistes sur laquelle l’alliance est bâtie n’évitent pas la guerre et ne répondent pas aux défis de la sécurité collective. Le rôle de l’OTAN doit donc être requestionné dans le cadre d’une conférence globale de sécurité européenne, incluant la Russie et l’Ukraine, mettant en négociation la construction d’une nouvelle architecture commune pan-européenne de sécurité collective et de paix. Il sera nécessaire, dans ce cadre, de revoir totalement la sécurité collective de l’ensemble des pays européens et poser la nécessité de remettre en cause l’OTAN.



• Le désarmement multilatéral et global est une nécessité pour tous les peuples. Il s'agit d'amorcer une dynamique de désarmement nucléaire multilatéral.

Le démantèlement progressif des accords sur l’armement est l'un des éléments de l’engrenage qui a conduit à la guerre en Ukraine. Il est nécessaire d'engager rapidement un processus inverse par un désarmement multilatéral et global, l’arrêt de l’augmentation des budgets militaires et la dénucléarisation dans le monde. Le traité international d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) de l’ONU, entré en vigueur en janvier 2021, nous fournit un cadre que la France doit saisir pour être à la hauteur de ses responsabilités. La France doit assister comme observatrice de la première réunion internationale des signataires du traité qui doit se tenir à l'été 2022 – L'Allemagne et la Norvège, non signataires du traité à cette heure, viennent d'annoncer leur participation comme pays observateurs.

Contrairement à ce qui se dit sur les plateaux de télévision, il existe dans l’histoire récente des processus négociés de réduction des armements stratégiques entre les États-Unis et l’URSS, puis la Russie : les accords START I de 1991, START II de 1993, START III de 1997 et NEW START de 2010.



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« Comment en est-on arrivé là ? »

L’Ukraine partage avec la Russie un berceau médiéval commun. C’est une société pluriculturelle et bilingue. Le sentiment national ukrainien se cristallise au XIXe siècle autour de la question paysanne. Il se divise en plusieurs tendances. On peut citer :Un courant national progressiste, combinant émancipation sociale, démocratique et nationale, qui est celui des débuts de l’expérience soviétique. La position du gouvernement soviétique en 1919 stipule : « L’Ukraine est la terre des ouvriers et des paysans travailleurs ukrainiens. Ce sont seulement eux qui ont le droit de gouverner et de diriger en Ukraine et y édifier une vie nouvelle ».Un nationalisme ethniciste, russophobe, qui sombre dans l’antisémitisme. C’est le cas, mais pas uniquement, des troupes nationalistes de Simon Petlioura (1918-1919), puis de l’Organisation nationaliste ukrainienne de Stepan Bandera, clairement fasciste, de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne et de la division SS « Galicie », dont les symboles ont aujourd'hui à nouveau pignon sur rue en Ukraine.

Indépendances, restauration capitaliste et nationalisme

La dislocation de l’URSS en 1991 s’accompagne de la restauration capitaliste et de l’essor des nationalismes, en Russie et en Ukraine.

En Russie

Le capitalisme est de nature rentière, fondée sur la captation des richesses produites par les hydrocarbures. Le fait national russe joue un rôle déterminant dans la chute de l’URSS. Il puise dans le nationalisme « grand russe », que dénonçait déjà Lénine. Poussé à l’extrême, ce nationalisme dénie à l’Ukraine et à la Biélorussie le droit à l’indépendance et à l’autodétermination des peuples.

Depuis 2008, le gouvernement russe enclenche un programme de réarmement et instaure une nouvelle doctrine d’emploi nucléaire en 2020.

En 2014, le régime de Vladimir Poutine, pour sortir d’une crise intérieure grave, annexe unilatéralement et illégalement la Crimée. Le pouvoir accroît son autoritarisme et la répression contre les opposants et prend désormais des mesures dictatoriales. Ses liens avec l’extrême droite européenne sont documentés.

En Ukraine

La restauration capitaliste a pour conséquence la mise en place d’un système d’arbitrage, assez instable, entre les différentes fractions de l’oligarchie. En 30 ans, le PIB ukrainien par habitant a reculé de 25 %. Le pays a subi un déclassement massif. Son niveau de PIB par habitant est désormais inférieur de 31 % à la moyenne mondiale.

Le fait national ukrainien s’impose peu à peu aux divisons linguistiques. Le pouvoir oligarchique utilise le nationalisme comme outil politique. Le poids des nationalistes d’extrême droite, et de leurs milices, ne cesse de se renforcer, singulièrement depuis 2014 et Maidan.

La sécurité collective européenne dans les années 1990

1990 : charte de Paris

Le sommet de Paris, réunissant 34 États européens, adopte une charte « pour une nouvelle Europe » stipulant « l'ère de la confrontation et de la division en Europe » « révolue » : « Nous déclarons que nos relations seront fondées désormais sur le respect et la coopération. »

1994 : Mémorandum de Budapest

L’Ukraine et la Russie reconnaissent mutuellement l’intégrité de leurs frontières.

L’Ukraine est dénucléarisée, en échange de quoi la Russie s’engage à « s'abstenir de toute menace ou usage de la force contre l'Ukraine ». La Russie et l’Ukraine signent un traité d’amitié en 1997.

Après la dissolution du pacte de Varsovie, des opportunités historiques se sont ouvertes pour se débarrasser de l’affrontement des blocs et ouvrir la voie au désarmement. L’OTAN aurait dû être dissoute mais c’est tout le contraire qui a été fait.

Expansion et renforcement de l’OTAN

Différents documents récemment déclassifiés par Der Spiegel montrent qu'au moment de la réunification allemande (1990), un engagement tacite a été pris vis-à-vis de la Russie de ne pas étendre l’OTAN « au-delà de l’Elbe », offrant ainsi des garanties aux Soviétiques.

Entre 1999 et 2004, Bill Clinton permet l’adhésion de 12 pays de l’ancien bloc de l’Est à l’OTAN, parmi lesquelles d'anciennes républiques soviétiques. Cet élargissement a été critiqué par des membres de l’administration américaine : George Kennan, théoricien de la guerre froide, dit en 2000 que « l’élargissement de L’OTAN vers l’Est peut devenir la plus fatale erreur de la politique américaine depuis la guerre ». Robert Gates, ex-directeur de la CIA puis chef du Pentagone, reconnaît en 2014 que cette stratégie « fut une erreur » en regrettant « l’arrogance » occidentale.

2008 : Au sommet de l’OTAN de Bucarest, l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN est remise « ultérieurement », en particulier du fait de l’opposition française et allemande. C'est donc que cette adhésion était bien, alors, déjà à l'ordre du jour.

A partir de 2010, l’OTAN amorce une implantation militaire dans certains des pays d’Europe de l’Est par le déploiement du « bouclier anti-missile ». Ce mouvement est interprété par la Russie comme un geste agressif.

En 2016, au sommet de l’OTAN de Varsovie, l'Alliance finalise l'installation de bataillons multinationaux dans les pays baltes et en Pologne.


Réactions russes

En 2008, le président russe Dmitri Medvedev propose la négociation d’un traité de sécurité collective pan-européen. Il ne recevra aucune réponse des pays occidentaux. La Russie s’inquiète dès lors de l’expansion et du renforcement de l’OTAN. Et, la même année, Vladimir Poutine déclare : « L’apparition d’un bloc puissant à nos frontières est considérée en Russie comme une menace directe contre notre sécurité ».

Le renforcement de l’OTAN agira comme l'un des carburants du raidissement nationaliste du régime russe.

Détricotage des accords sur l’armement

En 2019, les États-Unis se retirent unilatéralement du Traité international sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI/INF) immédiatement suivis par la Russie.

Les arsenaux nucléaires américains et russes représentent à eux deux 90 % du total mondial. La Russie en possède 6 000 têtes nucléaires et les États-Unis 5 500.

Entre 1 600 et 1 800 têtes nucléaires sont actuellement effectivement déployées.

Évolutions en Ukraine

En 2014, des manifestations place Maïdan motivées par des revendications sociales et démocratiques, férocement réprimées dans le sang, seront infiltrées massivement par des forces d’extrême droite aux visées insurrectionnelles, sur lesquelles s'appuie le gouvernement ukrainien. Lors des émeutes, un incendie criminel, resté impuni, éclate dans la Maison des syndicats d'Odessa faisant 43 morts. Ianoukovitch est destitué et fuit le pays. Le pouvoir ukrainien dirigé par Petro Porochenko à partir de juin 2014 déclenche de premières actions militaires visant les populations russophones de l'est de l'Ukraine : la guerre du Donbass commence. La même année, pour taire toute opposition démocratique, P. Porochenko introduit une procédure d’interdiction du Parti communiste d’Ukraine (KPU).

La Russie annexe unilatéralement la Crimée, région multiculturelle et plurilingue. Partie de la Russie soviétique, elle a été cédée à l’Ukraine soviétique en 1954, lors du 300e anniversaire du traité rattachant une partie de l’Ukraine actuelle à la Russie.

Après les indépendances, la Crimée proclame brièvement son indépendance en 1992 avant de reconnaître son appartenance à l’Ukraine dans un cadre de large autonomie. La Russie reconnaît ce rattachement en 1997.

Après l’annexion par la Russie en 2014, l’Ukraine bloque l’acheminement de l’eau du Dniepr.

Dans le Donbass, deux républiques autoproclamées font sécession à Donetsk et à Lougansk. La guerre civile ukrainienne a fait près de 15 000 morts depuis 2014, et 1,5 million de réfugiés ont quitté la région. Les bataillons d’extrême droite ukrainiens se livrent à des exactions effroyables sur les populations et plus de 5 000 plaintes sont adressées à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) mais jugées « irrecevables ».

2015 : avec les accords de Minsk, un cessez-le-feu est enfin conclu, comprenant une dimension politique et sécuritaire pour les populations du Donbass. Les accords de Minsk sont garantis par la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France dans le « groupe Normandie » (les premiers contacts avaient été pris lors des commémorations du Débarquement). Le gouvernement ukrainien s’engage à mettre en place un « statut spécial » pour le Donbass et à l’inscrire dans la constitution ukrainienne. Il ne le fera jamais.

2019 : l’Ukraine dénonce le traité russo-ukrainien de 1997 et inscrit dans la constitution la perspective de rejoindre l’UE et l’OTAN ; mais ces derniers déclarent que cela est impossible à court terme.

Au cours des années 2020 et 2021, des tensions extrêmes réapparaissent dans le Donbass mais aucun pays occidental n’agit réellement pour l’application des accords de Minsk. La Russie commence à masser des troupes aux frontières. Dans la même période, les États-Unis et plusieurs pays européens parmi lesquels la Grande-Bretagne et la France fournissent à Kiev des armes et du matériel militaire ; les livraisons se dérouleront jusqu'à la veille du déclenchement de la guerre, le 24 février, par la Russie.

2022 : La Russie amplifie la concentration de troupes à la frontière. Parallèlement, elle réitère une offre de traité de sécurité collective qui n’est pas prise en considération par les pays occidentaux.

La Conférence sur la sécurité du 18 au 20 février à Munich ne débouche sur aucune solution.

Le 21 février, dans un discours violent où il dénie à l’Ukraine son droit même à l’existence en tant qu’État, Vladimir Poutine reconnaît l’indépendance des républiques sécessionnistes du Donbass. Il déclare la guerre contre l’Ukraine le 24 février.



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Communiqué de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, 24 février 2022 :
https://www.pcf.fr/ukraine_non_a_la_guerre_la_france_doit_porter_urgemment_une_offre_de_paix_pcf

Cartes : https://information.tv5monde.com/info/l-ukraine-theatre-perilleux-de-la-rivalite-entre-l-otan-et-la-russie-436905

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ANNEXE – Sélection de communiqués du PCF, les deux numéros spéciaux sur l'Ukraine du bulletin du secteur International du PCF (LRI) et d'articles parus dans CommunisteS ou dans la LRI (2014-2022)

LRI février 2014: https://fr.calameo.com/read/002838012e677ec06474a

LRI avril 2015 : https://vdocuments.fr/ukraine-comprendre-les-enjeux-lri-.html?page=1


Le PCF se réjouit qu'un accord ait été trouvé à Minsk (Biélorussie) entre toutes les parties prenantes à la crise ukrainienne afin d'instaurer un cessez-le-feu dès dimanche 15 février. C'est pour les populations ukrainiennes un espoir qu'il ne faut pas gâcher.

La feuille de route préparée par le Groupe de contact a été signée par les représentants de Kiev et de ceux du Donbass, sous l'égide de la Russie et de l'OSCE. Le premier point de l'accord porte sur un cessez-le-feu qui entrera en vigueur le 15 février à minuit. Le deuxième point vise au retrait des belligérants et des armes lourdes avec la création d'une zone tampon.

Il est important que cet accord entériné en présence du président ukrainien Petro Porochenko, du président russe Vladimir Poutine, de la chancelière allemande, Angela Merkel, et du président François Hollande entre effectivement en vigueur et que chacun veille à ce que le cessez-le-feu soit respecté.

Ceux qui faisaient pression pour la livraison d'armes supplémentaires et l'élargissement du conflit en sont pour l'instant pour leurs frais. L'Accord de Minsk est la démonstration que seule une solution politique et diplomatique peut mettre un terme à un conflit qui ensanglante l'Ukraine depuis de trop longs mois, avec un bilan tragique de plus de 5 000 morts et un million de réfugiés.

C'est la preuve qu'on peut imposer le silence des armes et faire reculer les bellicistes dans tous les camps. C'est aussi la confirmation de la nécessité de garantir la neutralité de l'Ukraine.

Aujourd'hui, avec l'appui des peuples, des forces de progrès et du mouvement pacifiste, tout doit être entrepris pour la pleine application de ce nouvel accord de Minsk.

C'est cette vigilance et mobilisation pour la paix et le règlement politique du conflit, c'est la solidarité des peuples pour le retour à la paix qui aideront au respect des accords et le respect des engagements respectifs afin que les Ukrainiens retrouvent la maîtrise de leur destin ; car, après le cessez-le-feu, il faudra contribuer à ce que les Ukrainiens résolvent par la négociation sous égide de l'OSCE les questions qui sont au cœur du conflit, déterminent les solutions politiques permettant de garantir l'intégrité territoriale de l'Ukraine et de résoudre le problème du statut du Donbass en respectant la voix des citoyens ukrainiens.

Plus que jamais, il est temps de revivifier l'esprit d'Helsinki (1975) pour construire un cadre de paix, de coopération et de sécurité commune pour une Europe de « l'Atlantique à l'Oural ».


*CP- Février 2015 : Le PCF exprime sa solidarité au Parti communiste d'Ukraine (KPU), http://international.pcf.fr/80215



*ARTICLE Lettre des relations internationales – bulletin du secteur International du PCF

P. Kamenka – Février 2016 : Ukraine : un an après les accords de Minsk, quelle issue ?

La sortie de la crise ukrainienne reste pour l'heure introuvable, du fait du blocage par Kiev des accords de Minsk signés le 12 février 2015 entre l'Ukraine, la Russie, la France et l'Allemagne visant à mettre un terme au conflit qui a fait près de 9000 morts et un million et demi de déplacés.

Aggravation de la situation économique et politique

La guerre entre les oligarques ukrainiens perdure plongeant le pays dans une situation économique et sociale de plus en plus tendue dont la population fait les frais, avec un PIB en recul de 18% depuis deux ans. Sur le plan politique, ces guerres intestines ont conduit le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, dont le taux de satisfaction était tombé à 8%, à présenter sa démission au président Petro Porochenko. L'image du chef de l'Etat est, elle aussi, dégradée après les révélations des « Panama papers » sur les scandales de l'évasion de sa fortune vers les paradis fiscaux. Le tandem au pouvoir était clairement miné depuis des mois sur fond de détournement des prêts accordés par l'Union européenne et le FMI qui a déjà versé 6,7 milliards de dollars depuis le début de la crise en 2014.

Le pays est en quasi faillite ne devant sa survie qu'aux perfusions prodiguées par l'Occident. Volodymyr Groysman, qui succède à Arseni Iatseniouk, cherche à rassurer les bailleurs de fonds de l'Ukraine en affirmant la nécessité de mettre en place les réformes avec en priorité la poursuite « de l'intégration européenne ».

Mais pour nombre d'observateurs, le départ de Iatseniouk, homme lige des Occidentaux, est un signe de la perte de confiance de plusieurs capitales européennes devant le refus du président Petro Porochenko et de son gouvernement de réaliser les termes de l'accord de Minsk en particulier sur la décentralisation.

Les accords de Minsk dans l'impasse

Cette situation de blocage inquiète la France et l'Allemagne qui misaient sur une résolution de la crise en Ukraine au moment où la Russie est de plus en plus incontournable sur le dossier syrien. Mais l'échec est fondamentalement d'essence politique, avec un parlement ukrainien qui a rejeté toute idée de décentralisation sous la pression des formations ultranationalistes. La première lecture du projet de loi de décentralisation, en août 2015, avait débouché sur des émeutes devant le Parlement à Kiev : quatre policiers avaient été tués.

Sur le plan militaire, les accrochages subsistent entre les forces ukrainiennes et celles du Donbass, même si ils sont de moindre intensité depuis ces accords. Les deux parties s'installant de facto dans un climat de « ni guerre ni paix » de part et d'autre de la ligne de conflit dans cette ex-République soviétique de quelque 43 millions d'habitants.

Hormis les clauses sur les aspects militaires qui ne se sont que partiellement réglées, les accords politiques stipulaient qu'un statut spécial – une sorte d'autonomie – devait être attribué à l'Est de l'Ukraine (Donetsk et Lougansk), ce qui ouvrait la voie au contrôle par Kiev de la frontière entre l'Ukraine et la Russie (articles 9 et 11 de l'accord). Le point 4 de l'accord prévoyait également des élections locales libres, sous supervision de l'OSCE, dans les zones des républiques autoproclamées de Donetsk (DNR) et Lougansk (LDR). Ces dernières avaient accepté en octobre après la rencontre à Paris en formation « Normandie » (Russie, Ukraine, France, Allemagne) la demande de reporter les élections.

Sur le plan économique, depuis le 1er janvier, l'accord d'association entre l'UE et l'Ukraine signé en juin 2014 est entré partiellement en vigueur, alors que les accords de libre échange avec Moscou sont caducs. Des droits de douanes et un embargo sur certains produits ont été imposés par Moscou avec des pertes estimées à quelques 820 millions d'euros au détriment de l'Ukraine. Kiev a répliqué par la mise en place de droits de douanes sur les produits importés de Russie et le refus de rembourser la dette gazière de trois milliards d'euros. Les liaisons aériennes ont été suspendues entre les deux pays.

Dans le Donbass, la situation n'est guère plus facile pour les trois millions d'habitants dont les retraites ne sont toujours pas versées par Kiev et où le rouble russe supplante la grivna ukrainienne.

L'exigence d'un nouvel accord sur la sécurité en Europe

L’OTAN poursuit sa politique d'avancée vers l'espace ex-soviétique : les ministres de la Défense des 28 pays alliés viennent d'approuver « une présence avancée dans l'Est de l'Alliance » atlantique, selon le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg.

Il s'agit de prépositionner des forces dans les Etats baltes et en Pologne, et d'organiser régulièrement des manœuvres conjointes en s'appuyant sur la force de réaction rapide. À terme, l’OTAN aura un millier de soldats en Lituanie, Lettonie, Estonie, Pologne, Bulgarie et Roumanie.Une stratégie que Moscou dénonce comme un « stationnement permanent » de troupes combattantes à sa frontière jugé contraire à l'acte fondateur OTAN-Russie, signé en 1997.

L'aggravation d'une part de la situation politique et sociale à laquelle contribuent fortement les décisions arbitraires et liberticides de Kiev, tout comme les conséquences de l'application de l'accord d'association avec l'UE ; et d'autre part, l'impasse dans laquelle se trouvent les discussions de Minsk pour sortir du « conflit gelé » avec la Russie ; doivent contribuer à rechercher des solutions acceptables pour tous les peuples concernés. Celles-ci doivent trouver une matrice commune à la fois dans la mise en cause des contraintes ultralibérales d'accords d'association imposés unilatéralement et dans la nécessité de parvenir à débloquer la discussion avec la Russie, en allant vers un nouvel accord sur la sécurité en Europe.

Patrick Kamenka
Membre de la commission des relations internationales du PCF


*CP – 27 novembre 2018 : Crise du détroit de Kertch : pour une initiative diplomatique immédiate, http://international.pcf.fr/109371



*CP – 6 février 2019 : Non à la censure du Parti communiste d’Ukraine, oui au pluralisme en Ukraine ! http://international.pcf.fr/110317



*CP - 9 septembre 2019 : Russie/Ukraine: l’échange de 70 prisonniers doit être un pas en avant vers un règlement négocié, http://international.pcf.fr/112700



*CP – 8 décembre 2019

Sommet sur l'Ukraine : Le gouvernement français doit faire pression pour le retour à la paix (PCF)

Le sommet dit du «format Normandie» réunit aujourd'hui à Paris l'Ukraine, la Russie, l'Allemagne et la France. Il est temps d'aller au-delà des déclarations d'intention et de mettre en place des mesures concrètes pour mettre fin à un conflit meurtrier qui a fait au moins 13 000 morts et 1,5 million de déplacés depuis 2014 dans l'est de l'Ukraine. Il est urgent que cesse l'effusion de sang en Ukraine!

Le gouvernement ukrainien et le nouveau président Volodymir Zelinski, élu sur l'espoir d'un retour à la paix, ont de nombreuses cartes en main pour mettre en œuvre concrètement les accords de Minsk et la «formule Steinmeier». Le gouvernement français doit faire pression pour qu'il les utilise.

«Ouvrir un large dialogue pan-européen sur la paix, la coopération et la sécurité collective en Europe.»

Le PCF soutient les demandes suivantes, qui ont été à de nombreuses reprises formulées par le Parti communiste d'Ukraine et les forces de gauche et pacifistes ukrainiennes:

1. Pour l'ouverture d'un large dialogue national à l'échelle de l'Ukraine tout entière, en y incluant les territoires non contrôlés par Kiev à l'Est, de l'ensemble des forces sociales, citoyennes et politiques, pour déterminer le chemin d'un retour à la paix, les mécanismes pour un réel cessez-le-feu et les conditions pour obtenir un large accord citoyen dans le pays.

2. Pour la mise à l'ordre du jour de la fédéralisation du pays et de l'évolution de la Constitution du pays afin de permettre aux régions qui le demandent de pouvoir régler les problèmes humanitaires, économiques et sociaux au plus près des populations.

3. Pour l'ouverture d'un dialogue direct sur l'application des Accords de Minsk entre le gouvernement ukrainien et les représentants des territoires non contrôlés par Kiev dans les régions de Donetsk et de Lougansk.

4. Pour la neutralité de l'Ukraine, afin de la soustraire à l'influence de l'OTAN.

La question est désormais posée d'ouvrir un large dialogue pan-européen sur la paix, la coopération et la sécurité collective en Europe, en y incluant la Russie.

Le PCF appelle à ce que les déclarations d'Emmanuel Macron sur la nécessité d'un «dialogue stratégique» avec la Russie soient suivies d'effets. L'heure est à une conférence sur le modèle de celle d'Helsinki débouchant sur un traité pan-européen de coopération, de paix et de sécurité collective.

Le PCF appelle au départ de la France de l'OTAN et à la dissolution de ce dernier. C'est urgent et nécessaire pour stopper la course aux armements et les bruits de bottes en Europe!

Parti communiste français
Paris, le 8 décembre 2019


*ARTICLE paru dans CommunisteS – 15 février 2022 : https://www.pcf.fr/europe_orientale_la_france_doit_prendre_l_initiative_d_une_conference_de_sec urite_collectiv

Sommet de Madrid : Vers une stratégie guerrière globale



Du 28 au 30 juin, quarante chefs d’État se sont réunis à Madrid pour le sommet de l’OTAN. Dans une atmosphère feutrée, loin du fracas des armes, ils n’ont pourtant parlé que de cela. Plusieurs questions cruciales étaient inscrites à l’ordre du jour dans un contexte de guerre en Ukraine. Cette réunion, dans un climat d’inquiétude et de demande d’OTAN notamment dans les pays baltes et en Pologne, a clairement désigné la Russie comme un ennemi alors que l’adhésion de la Finlande et de la Suède était examinée. Les rapports avec la Chine qualifiés de « défi systémique » étaient également au cœur des réflexions.

Il y a deux ans pourtant, E. Macron parlait, à propos de l’OTAN, de « mort cérébrale » tandis que D.Trump la jugeait « obsolète ». Madrid célèbre désormais l’unité, la solidarité et la solidité de l’institution. V. Poutine a été de toute évidence le fédérateur de ces évènements. Il souhaitait affaiblir l’OTAN, il l’a ressuscitée.

La guerre en Ukraine
La guerre et le soutien à Kiev ont été la grande affaire de ce sommet même si l’OTAN n’est pas directement impliquée dans le conflit. Pour autant, depuis l’annexion de la Crimée (2014), l’OTAN n’est jamais restée passive et avec l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, elle apporte au régime de V. Zelensky un soutien politique massif. Cependant, ce sont surtout les États qui fournissent les aides matérielles.

En 2010, la Russie était considérée comme un partenaire avec qui il fallait coopérer. Aujourd’hui, elle est devenue une menace. Alors que les armées russes s’installent durablement dans le Donbass, mais pas vraiment au-delà, ces affrontements risquent de durer puisqu’il n’y a pas de compromis possible, à ce jour, entre l’Ukraine et la Russie. Le sommet a examiné les divers moyens d’endiguer cette offensive attisant même les tensions dans les zones d’escalade possibles (Kaliningrad) pouvant mettre le feu à l’Europe.

De manière moins sensible que par le passé, deux lignes étaient perceptibles chez les occidentaux. On a distingué le camp de ceux qui veulent la victoire finale de l’Ukraine (États-Unis, Grande-Bretagne, Pologne, pays baltes…). La formule de B. Johnson résume à elle seule cette perspective : « Toute tentative de régler le conflit maintenant ne ferait que causer une instabilité durable ». Au regard du contexte, sur un mode mezzo voce, la France a considéré qu’il fallait poursuivre le dialogue et négocier avec la Russie.

L’adhésion de la Finlande et de la Suède
Cette situation nouvelle est incontestablement une réaction à l’offensive russe. Certes, ces deux pays neutres bénéficient, comme membres de l’Union européenne, d’une clause de défense (art.42.7) jugée insuffisante puisqu’ils demandent à se placer sous la protection américaine au sein de l’OTAN. Mais, ne nous y trompons pas, la coopération avec l’Alliance n’est pas vraiment une nouveauté.

Cette adhésion a rencontré dans un premier temps le veto de R.T. Erdogan qui, comme cela en devient l’usage, a utilisé le chantage pour obtenir des concessions toutes à son avantage. Il a fait monter les enchères contre les Kurdes du PKK (Turquie) et du PYD (Syrie), engagés dans la lutte contre Daesh, et obtenu la possibilité d’extradition de réfugiés politiques, la levée de l’embargo sur des ventes d’armes voire un feu vert pour l’invasion du Rojava. Fort de ses gains, bien au-delà de ses espérances, il a levé son opposition au processus d’adhésion qui devra cependant être officialisé au cours d’une longue procédure.

De toute évidence, ces adhésions constituent un atout pour l’OTAN. Elle disposera d’une profondeur stratégique en mer Baltique et d’une capacité militaire renforcée sur le flanc nord intensément disputé avec le réchauffement climatique du Pôle.

Pour autant, ces adhésions, comme le soulignait le sénateur Pierre Laurent en commission des Affaires étrangères, « n’éloignent pas la Finlande et la Suède du front, mais elles deviennent le front ». Cette nouvelle intégration traduit la permanence de la logique de confrontation d’autant que la garantie de sécurité de l’OTAN est d’abord et avant tout celle des États-Unis.

Une nouvelle ère stratégique
Le sommet a adopté un document de référence fixant les orientations pour une décennie. Il y est rappelé que l’OTAN est une alliance militaire et nucléaire et que s’ouvre une « nouvelle ère de compétition stratégique ». L’objectif est de passer d’un rôle régional à un rôle global, puisque l’alliance aurait désormais vocation à intervenir sur toutes les latitudes notamment face à la Chine.

Dans cette perspective, l’augmentation des dépenses militaires a été au centre des discussions. Pour le secrétaire général de l’OTAN, les 2% ne sont plus un plafond mais un plancher. Il y a ainsi une volonté très forte d’accroître tout à la fois le budget commun et celui des États.

Le temps est donc à l’euphorie de l’unité mais l’inquiétude demeure sur la durée de cette lune de miel avec les États-Unis. La question de la cohérence interne de l’alliance n’est pas résolue. Combien de temps les alliés seront-ils capables de s’entendre ?

La question des partenariats de l’OTAN était également à l’ordre du jour. Le renforcement des liens entre l’Union européenne et l’Alliance a semblé se régler sous la pesanteur des circonstances, éludant pour un temps le débat sur l’autonomie stratégique européenne c’est-à-dire la capacité de l’Union à prendre en main son destin en matière de défense. Moins médiatique mais tout aussi déterminant, l’approfondissement des relations de l’OTAN avec le secteur privé afin de promouvoir des technologies militaires émergentes.

Enfin des inquiétudes ont vu le jour chez des partenaires du front Sud de l’OTAN (Espagne, Italie, Grèce voire France) sur le peu d’attention portée aux menaces en Méditerranée, notamment orientale, au regard des coups de boutoir permanents de la Turquie.

En Europe : changement de système de défense
Ce sommet marque l’un des plus importants changements du système de défense depuis la fin de la guerre froide se traduisant par un renforcement de la présence de l’OTAN sur le front Est de l’Europe.
Les effectifs de 40 000 hommes seront portés à 300 000 au travers de la Force de Réaction (NRF). Huit nouveaux groupements tactiques seront déployés dans les pays baltes, en Bulgarie, en Hongrie, en Slovaquie et en Roumanie. Les États-Unis renforceront leurs contingents en Pologne, enverront une quarantaine de F35 au Royaume-Uni et deux destroyers en Espagne.

Ce retour, très conséquent, ne sera pourtant pas au niveau de celui de la guerre froide. Si le réinvestissement américain apparaît comme la conséquence de l’invasion de l’Ukraine, il s’inscrit dans une stratégie à plus long terme et autrement plus déterminante aux yeux de Washington, celle visant la Chine.

« La Chine un défi systémique » : un piège pour l’Europe
La présence du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande lors de ce sommet, alors que ces pays ne sont pas membres de l’OTAN constitue un signe évident de placer la Chine au centre d’une stratégie de containment. Pour Washington, Pékin passe avant Moscou.

Il y a deux ans, la Chine était mentionnée au sommet de l’OTAN, pour la première fois et ce, en dépit des vaines résistances opposées par la France et l’Allemagne. Les deux capitales rappelaient que la zone d’action de l’OTAN devait être circonscrite à la zone euro-atlantique. Depuis, l’Union européenne a déclaré que la Chine était un « rival systémique ».

Le fait de mentionner la Chine dans une déclaration de l’OTAN, alors que Pékin n’est pas un adversaire militaire est déjà une victoire pour les États-Unis. Pour J. Biden, la guerre en Ukraine est une formidable opportunité pour atteindre ses objectifs, à savoir recruter l’Europe dans sa croisade contre la Chine. Ainsi, l’agenda américain peut avancer plus rapidement dans la perspective de muer l’Alliance en instrument militaire du « choc des civilisations ».

Washington pare cette offensive d’une justification idéologique, celle d’une alliance des démocraties contre les régimes autoritaires (Chine, Russie, Iran). Cette stratégie masque des intérêts plus pragmatiques, celle de la compétition systémique avec la Chine pour la suprématie mondiale. L’Europe n’a rien à gagner dans ces affrontements et cela constitue même un piège dangereux. Est-ce le modèle que l’on veut pour l’Europe d’un Occident contre le reste du monde ? La réaction des pays africains face au conflit en Ukraine devrait nous alerter. Cette vision du monde est celle des États-Unis et de l’OTAN qui militarisent les défis politiques. S’il existe des divergences sérieuses avec la Chine sur nombre de dossiers, présenter ce pays comme une menace, antagoniser toutes les relations ne peut qu’accentuer des clivages lourds de menaces.

Dans le contexte de guerre en Ukraine, il est devenu plus difficile de résister à J. Biden qui en profite pour faire taire les oppositions et impose un alignement inconditionnel. Le piège est cynique et cela pourrait constituer une future tragédie que de s’y plier.

L’attitude de la France
Paris, sur la plupart des dossiers, a manifesté son accord inconditionnel avec Washington ou a capitulé. Favorable à l’adhésion de la Finlande et de la Suède, elle a tu ses exigences de poursuivre le dialogue avec la Russie et s’est conformée à la volonté américaine sur la Chine. L’opacité est également de mise sur les concessions faites à la Turquie contre nos alliés Kurdes.

La France a réitéré son engagement à livrer des armes à l’Ukraine (véhicules blindés, canons Caesar voire des missiles Exoset). Elle s’est montrée en revanche plus réservée sur l’augmentation du budget qui pourrait se traduire par l’achat de matériels américains et d’équipements non nécessaires.

De toute évidence, ce sommet de l’OTAN marque un tournant dangereux, une escalade guerrière tournant le dos à la diplomatie et à la recherche de la paix équitable et durable. Les conséquences risquent d’être funestes. La sortie de l’OTAN et l’existence même de cette organisation obsolète sont posées si l’on veut contribuer à bâtir une nouvelle architecture de sécurité collective en Europe et dans le monde.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient


Noam Chomsky: « En Ukraine, la diplomatie a été mise de côté »

 

Noam Chomsky revient sur le contexte qui a amené l’invasion de l’Ukraine. Il explique qu’à présent, les parties impliquées dans le conflit sont soumises à un choix: la diplomatie ou la poursuite des hostilités avec des conséquences désastreuses pour l’humanité tout entière. Chomsky dénonce aussi l’indignation sélective des Occidentaux et tire la sonnette d’alarme sur la militarisation croissante. Une militarisation qui illustre la double pensée d’Orwell: d’un côté, on nous dit que l’armée russe peine à conquérir des villes situées à quelques kilomètres de sa frontière, de l’autre on nous dit qu’il faut gonfler nos dépenses militaires pour nous protéger de cet effroyable ennemi qui veut conquérir le monde… (IGA)


David Barsamian : Avant de passer au pire cauchemar du moment – la guerre en Ukraine et ses répercussions mondiales – un peu de contexte. Commençons par les garanties données par le président George H.W. Bush au dirigeant soviétique de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev, que l’OTAN ne bougerait pas « d’un pouce vers l’est ». Cette promesse a été vérifiée. Ma question est la suivante : pourquoi Gorbatchev n’a-t-il pas obtenu cela par écrit ?


Noam Chomsky : Il a accepté un « gentlemen’s agreement », ce qui n’est pas si rare en diplomatie. On se serre la main et c’est bon. Par ailleurs, obtenir cette promesse sur papier n’aurait fait aucune différence. Les traités écrits sur papier sont constamment rompus. Ce qui compte, c’est la bonne foi. Et H.W. Bush, le premier Bush, a respecté l’accord de manière explicite. Il s’est même orienté vers l’instauration d’un partenariat pour la paix qui intègrerait les pays d’Eurasie. Dans ce contexte, l’OTAN n’aurait pas été dissoute, mais elle aurait été marginalisée. Des pays comme le Tadjikistan, par exemple, auraient pu y adhérer sans faire officiellement partie de l’OTAN. Et Gorbatchev a approuvé cela. Cela aurait été un pas vers la création de ce qu’il appelait une maison européenne commune, sans alliances militaires.

Clinton, dans ses deux premières années, y a également adhéré. Ce que les spécialistes disent, c’est que vers 1994, Clinton a commencé à souffler le chaud et le froid. Aux Russes, il disait : « Oui, nous allons adhérer à l’accord ». À la communauté polonaise des États-Unis et aux autres minorités ethniques, il disait : « Ne vous inquiétez pas, nous allons vous intégrer à l’OTAN ». Vers 1996-97, Clinton a dit cela assez explicitement à son ami le président russe Boris Eltsine. Il l’avait aidé à gagner les élections de 1996. Il a dit à Eltsine : « Ne vous formalisez pas trop avec cette histoire d’OTAN. Nous allons nous étendre, mais j’en ai besoin à cause du vote ethnique aux États-Unis ».

En 1997, Clinton invite les pays dits de Visegrad – Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie – à rejoindre l’OTAN. Les Russes n’ont pas apprécié, mais ils n’en ont pas fait beaucoup d’histoires. Puis les pays baltes ont rejoint l’Alliance, et là encore, c’était la même chose. En 2008, le deuxième Bush, qui était très différent du premier, a invité la Géorgie et l’Ukraine à rejoindre l’OTAN. Chaque diplomate américain a très bien compris que la Géorgie et l’Ukraine étaient des lignes rouges pour la Russie. Ils toléreront l’expansion ailleurs, mais ces pays se trouvent dans leur cœur géostratégique et ils ne toléreront pas d’expansion là-bas. Par la suite, il y a eu le soulèvement Maidan en 2014, expulsant le président pro-russe. Et l’Ukraine s’est rapprochée de l’Ouest.

À partir de 2014, les États-Unis et l’OTAN ont commencé à déverser quantité d’armes en Ukraine. Il y avait des armes sophistiquées, des formations militaires, des exercices militaires conjoints, des démarches pour intégrer l’Ukraine dans le commandement militaire de l’OTAN… Rien de tout cela n’était secret, ça s’est fait ouvertement. Récemment, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, s’en est d’ailleurs vanté. Il a déclaré : « C’est ce que nous faisions depuis 2014 ». Bien sûr, c’était volontairement provocateur. Ils savaient qu’ils empiétaient sur ce que chaque dirigeant russe considérait comme une limite infranchissable. La France et l’Allemagne ont mis leur veto à l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN en 2008. Mais sous la pression des États-Unis, elle a été maintenue à l’ordre du jour. Et l’OTAN, c’est-à-dire les États-Unis, a pris des mesures pour accélérer l’intégration de facto de l’Ukraine dans le commandement militaire de l’OTAN.

En 2019, Volodymyr Zelensky a été élu avec une majorité écrasante – je pense environ 70 % des voix – sur base d’un programme de paix avec un plan pour mettre en œuvre la paix avec l’Ukraine orientale et la Russie, un plan pour régler le problème. Il a commencé à avancer dans ce sens. En fait, il a même essayé de se rendre dans le Donbass, la région orientale tournée vers la Russie, pour mettre en œuvre ce que l’on appelle l’accord de Minsk II. Cela aurait impliqué une sorte de fédéralisation de l’Ukraine avec un degré d’autonomie pour le Donbass, ce que la région demandait. Cela aurait donné quelque chose comme la Suisse ou la Belgique. Mais Zelensky a été bloqué par des milices d’extrême droite qui ont menacé de l’assassiner s’il persistait dans sa démarche.

C’est un homme courageux. Il aurait pu aller de l’avant s’il avait eu le soutien des États-Unis. Mais les États-Unis ont refusé. Pas de soutien, rien. Ce qui signifie qu’il a été laissé pour compte et qu’il a dû faire marche arrière. Les États-Unis étaient déterminés à appliquer cette politique d’intégration progressive de l’Ukraine dans le commandement militaire de l’OTAN. Cela s’est encore accéléré lorsque le président Biden a été élu. En septembre 2021, on pouvait même le lire sur le site Internet de la Maison-Blanche. Ça n’a pas fait la une des journaux, mais, bien sûr, les Russes le savaient. Biden a annoncé un programme, une déclaration commune pour accélérer le processus de formation militaire, les exercices militaires, plus d’armes dans le cadre de ce que son administration a appelé un « programme amélioré » de préparation à l’adhésion à l’OTAN.

Ça s’est encore accéléré en novembre. Et tout cela s’est passé avant l’invasion. Le secrétaire d’État Antony Blinken a signé ce qu’on a appelé une charte qui a essentiellement formalisé et étendu cet arrangement. Un porte-parole du département d’État a admis qu’avant l’invasion, les États-Unis refusaient de discuter de toute préoccupation russe en matière de sécurité. Tout cela fait partie du contexte.

Le 24 février, Poutine a commis une invasion, une invasion criminelle. Ces graves provocations ne la justifient en rien. Si Poutine avait été un homme d’État, il aurait fait quelque chose de tout à fait différent. Il serait retourné voir le président français Emmanuel Macron, il aurait saisi ses propositions provisoires et il aurait tenté de trouver un compromis avec l’Europe, il aurait tenté de prendre des mesures en faveur d’une maison commune européenne.

Évidemment, les États-Unis ont toujours été opposés à ce projet. Cela remonte loin dans l’histoire de la guerre froide, aux initiatives du président français de Gaulle visant à établir une Europe indépendante. Selon son expression « de l’Atlantique à l’Oural », il s’agissait d’intégrer la Russie à l’Occident, ce qui apparaissait comme une solution naturelle pour des raisons commerciales, mais aussi pour des raisons de sécurité évidemment. Ainsi, s’il y avait eu des hommes d’État dans le cercle étroit de Poutine, ils auraient saisi les initiatives de Macron et il auraient tenté de voir s’ils pouvaient en fait s’intégrer à l’Europe et éviter la crise. Au lieu de cela, ce qu’il a choisi est une politique qui, du point de vue russe, est une imbécillité totale. Outre le caractère criminel de l’invasion, il a choisi une politique qui a poussé l’Europe dans le creux de la main des États-Unis. En fait, il incite même la Suède et la Finlande à rejoindre l’OTAN. C’est le pire résultat possible du point de vue russe, indépendamment de la criminalité de l’invasion et des pertes très sérieuses que la Russie subit à cause de cela.

Donc, criminalité et stupidité du côté du Kremlin, grave provocation du côté des États-Unis. Voilà le contexte qui a conduit à cela. Pouvons-nous essayer de mettre un terme à cette horreur ? Ou devons-nous essayer de la perpétuer ? Ce sont les choix à faire.

Il n’y a qu’un seul moyen d’y mettre un terme. C’est la diplomatie. Mais par définition, il faut que les deux parties en conflit acceptent la diplomatie. Même quand elles n’aiment pas cela, elles l’acceptent comme la moins mauvaise solution. Cela offrirait à Poutine une sorte de porte de sortie. C’est une possibilité. L’autre possibilité est de faire traîner les choses en longueur et de voir combien tout le monde va souffrir, combien d’Ukrainiens vont mourir, combien la Russie va souffrir, combien de millions de personnes vont mourir de faim en Asie et en Afrique, combien nous allons progresser vers le réchauffement climatique jusqu’au point où il n’y aura plus aucune possibilité d’existence humaine vivable. Ce sont les options. Eh bien, avec une unanimité proche de 100%, les États-Unis et la plupart de l’Europe veulent choisir l’option de la non-diplomatie. C’est explicite. Nous devons continuer à faire du mal à la Russie.

Vous pouvez lire des articles dans le New York Times, le Financial Times de Londres et d’autres partout en Europe. Un refrain commun est : nous devons nous assurer que la Russie souffre. Peu importe ce qui arrive à l’Ukraine ou à qui que ce soit d’autre. Bien sûr, ce pari suppose que si Poutine est poussé à bout, sans échappatoire, forcé d’admettre sa défaite, il l’acceptera et n’utilisera pas les armes dont il dispose pour dévaster l’Ukraine.

Il y a beaucoup de choses que la Russie n’a pas faites. Les analystes occidentaux en sont plutôt surpris. Par exemple, elle n’a pas attaqué les lignes d’approvisionnement de la Pologne qui déversent des armes en Ukraine. Les Russes pourraient certainement le faire. Cela les amènerait très vite à une confrontation directe avec l’OTAN, c’est-à-dire avec les États-Unis. Et vous pouvez deviner ce qui se passera ensuite. Quiconque a déjà regardé des jeux de guerre sait où cela va aller – vers le haut de l’échelle de l’escalade, vers une guerre nucléaire terminale.

Voilà donc les jeux auxquels nous jouons avec les vies des Ukrainiens, des Asiatiques et des Africains, l’avenir de la civilisation. Tout ça pour affaiblir la Russie et s’assurer qu’elle souffre suffisamment. Eh bien, si vous voulez jouer à ce jeu, soyez honnête à ce sujet. Il n’y a aucune base morale pour cela. En fait, c’est moralement horrible. Et les gens qui montent sur leurs grands chevaux en disant que nous défendons des principes sont des imbéciles moraux quand on réfléchit à ce que cela implique.

Barsamian : Dans les médias, et au sein de la classe politique aux États-Unis, et probablement en Europe, il y a beaucoup d’indignation morale à propos de la barbarie, des crimes de guerre et des atrocités russes. Il ne fait aucun doute qu’ils se produisent comme dans toute guerre. Mais ne trouvez-vous pas cette indignation morale un peu sélective ?

Chomsky : L’indignation morale est tout à fait appropriée. Il doit y avoir une indignation morale. Mais si vous allez dans les pays du Sud, ils peinent à croire ce qu’ils voient. Ils condamnent la guerre, bien sûr. C’est un crime d’agression déplorable. Puis ils regardent l’Occident et disent : de quoi parlez-vous ? C’est ce que vous nous faites tout le temps!

C’est assez étonnant de voir la différence dans les commentaires. Vous lisez le New York Times et leur grand penseur, Thomas Friedman. Il a écrit une tribune il y a quelques semaines dans laquelle il a levé les mains en signe de désespoir. Il disait [en substance]: « Que pouvons-nous faire ? Comment pouvons-nous vivre dans ce monde avec un criminel de guerre ? Nous n’avons jamais connu cela depuis Hitler. Il y a un criminel de guerre en Russie. Nous ne savons pas comment agir. Nous n’avons jamais imaginé l’idée qu’il puisse y avoir un criminel de guerre n’importe où. »

Lorsque les gens du Sud entendent cela, ils ne savent pas s’ils doivent rire ou pleurer. Nous avons des criminels de guerre qui se promènent partout dans Washington. En fait, nous savons comment nous occuper de nos criminels de guerre. C’est arrivé le jour du vingtième anniversaire de l’invasion de l’Afghanistan. Rappelez-vous, il s’agissait d’une invasion injustifiée à laquelle l’opinion mondiale était fortement opposée. Pour le vingtième anniversaire, l’auteur de cette invasion, George W. Bush, un grand criminel de guerre qui a ensuite envahi l’Irak, a été interviewé dans la rubrique « lifestyle » du Washington Post. Dans cette interview, ils ont présenté un adorable grand-père loufoque qui joue avec ses petits-enfants, fait de blagues, montre les portraits qu’il a peints des personnes célèbres qu’il a rencontrées… Juste un cadre magnifique et amical.

Vous voyez, nous savons comment y faire avec les criminels de guerre. Thomas Friedman a tort. Nous les traitons très bien.

Ou prenez celui qui est probablement le plus grand criminel de guerre de la période moderne, Henry Kissinger. Nous le traitons non seulement poliment, mais aussi avec une grande admiration. Après tout, c’est cet homme qui a transmis l’ordre à l’armée de l’air de bombarder massivement le Cambodge – « tout ce qui vole sur tout ce qui bouge », c’était ses mots. Dans les archives, je ne connais pas d’exemple comparable à un tel appel au génocide de masse. Et cela a été mis en œuvre par un bombardement très intensif du Cambodge. Nous n’en savons pas grand-chose, car nous n’enquêtons pas sur nos propres crimes. Mais Taylor Owen et Ben Kiernan, deux historiens spécialistes du Cambodge, l’ont décrit. Il y a aussi notre rôle dans le renversement du gouvernement de Salvador Allende au Chili et l’instauration d’une dictature vicieuse dans ce pays, et ainsi de suite. Nous savons donc comment traiter nos criminels de guerre.

Pourtant, Thomas Friedman n’arrive pas à imaginer qu’il existe d’autres choses comme l’Ukraine. Et ce qu’il a écrit n’a pas fait de remous, ce qui veut dire que c’est considéré comme tout à fait raisonnable. On peut difficilement parler de sélectivité. C’est plus qu’étonnant. Donc, oui, l’indignation morale est parfaitement justifiée. C’est bien que les Américains commencent enfin à montrer de l’indignation à propos de crimes de guerre majeurs… commis par quelqu’un d’autre.

Barsamian : J’ai une petite devinette pour vous. C’est en deux parties. L’armée russe est inepte et incompétente. Ses soldats ont le moral très bas et sont mal dirigés. Son économie est comparable à celle de l’Italie et de l’Espagne. C’est la première partie de la devinette . L’autre partie, c’est que la Russie est un colosse militaire qui menace de nous submerger. Donc, nous avons besoin de plus d’armes. Élargissons l’OTAN. Comment conciliez-vous ces deux pensées contradictoires ?

Chomsky : Ces deux pensées constituent la norme partout en Occident. Je viens d’avoir une longue interview en Suède sur leurs projets d’adhésion à l’OTAN. J’ai fait remarquer que les dirigeants suédois nourrissent deux idées contradictoires, les deux que vous avez mentionnées. La première consiste à se réjouir du fait que la Russie a prouvé qu’elle était un tigre de papier incapable de conquérir des villes situées à quelques kilomètres de sa frontière et défendues par une armée essentiellement composée de citoyens. Donc, ils sont complètement incompétents sur le plan militaire. L’autre idée est qu’ils sont prêts à conquérir l’Occident et à nous détruire.

George Orwell avait un nom pour ça. Il appelait ça la double pensée, la capacité d’avoir deux idées contradictoires dans son esprit et de les croire toutes les deux. Orwell pensait à tort que c’était quelque chose que l’on ne pouvait trouver que dans l’État ultra-totalitaire dont il faisait la satire dans « 1984 ». Il avait tort. C’est possible dans les sociétés démocratiques libres. Nous en voyons un exemple dramatique en ce moment même. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois.

Cette double pensée est notamment caractéristique de la pensée de la guerre froide. Il faut remonter au principal document de la guerre froide de cette époque, le NSC-68 de 1950. Si vous l’examinez attentivement, il montre que l’Europe seule, sans compter les États-Unis, était militairement à égalité avec la Russie. Pourtant, nous avions encore besoin d’un énorme programme de réarmement pour contrer le projet de conquête mondiale du Kremlin.

C’est consigné dans un document, c’était une approche consciente. Dean Acheson, l’un des auteurs, a déclaré plus tard qu’il était nécessaire selon ses propres mots, d’être « plus clair que la vérité » afin de matraquer les esprits au sein du gouvernement. Nous voulons faire passer cet énorme budget militaire, alors nous devons être « plus clairs que la vérité » en inventant un État esclavagiste sur le point de conquérir le monde. Ce type de pensée a traversé toute la guerre froide. Je pourrais vous donner de nombreux autres exemples, mais nous le constatons à nouveau aujourd’hui de manière assez spectaculaire. Et la façon dont vous le dites est tout à fait correcte : ces deux idées sont en train de consumer l’Occident.

Barsamian : Il est également intéressant de noter que le diplomate George Kennan a prévu le danger que représente le déplacement des frontières de l’OTAN vers l’est dans une carte blanche très prémonitoire parue dans le New York Times en 1997.

Chomsky : Kennan s’était également opposé à la NSC-68. En fait, il avait été le directeur du Policy Planning Staff du département d’État. Il a été mis à la porte et remplacé par Paul Nitze. Il était considéré comme trop doux pour un monde aussi dur. C’était pourtant un faucon, radicalement anticommuniste, assez brutal lui-même à l’égard des positions américaines. Mais il s’est rendu compte que la confrontation militaire avec la Russie n’avait aucun sens.

Kennan pensait que la Russie finirait par s’effondrer à cause de ses contradictions internes, ce qui s’est avéré exact. Mais il a été considéré comme une colombe tout au long de son parcours. En 1952, il s’est montré favorable à l’unification de l’Allemagne en dehors de l’alliance militaire de l’OTAN. C’était également la proposition du dirigeant soviétique Joseph Staline. Kennan était alors ambassadeur en Union soviétique et un spécialiste de la Russie.

L’initiative venait de Staline, la proposition de Kennan. Certains Européens l’ont soutenue. Cela aurait mis fin à la guerre froide. Cela aurait débouché sur une Allemagne neutralisée, non-militarisée et ne faisant partie d’aucun bloc militaire. Mais la proposition a été presque totalement ignorée à Washington.

Un spécialiste de la politique étrangère, un homme respecté, James Warburg, a écrit un livre à ce sujet. Il vaut la peine d’être lu. Ça s’appelle « Germany: Key to Place ». Il y insistait pour que cette idée soit prise au sérieux, mais il avait été méprisé, ignoré, ridiculisé. Je l’ai mentionné plusieurs fois et on m’a traité de fou, moi aussi. Comment aurait-on pu faire confiance à Staline ? Eh bien, les archives sont sorties. Il s’avère qu’il était apparemment sérieux. Vous lisez maintenant les principaux historiens de la guerre froide, des gens comme Melvin Leffler. Et ils reconnaissent qu’il y avait une réelle opportunité pour un règlement pacifique à l’époque, une opportunité qui a été écartée au profit de la militarisation et d’une énorme expansion du budget militaire.

Passons maintenant au gouvernement Kennedy. Lorsque John Kennedy est entré en fonction, Nikita Khrouchtchev, dirigeant russe de l’époque, a fait une offre très importante pour procéder à des réductions mutuelles et à grande échelle des armes militaires offensives. Cela aurait débouché sur un fort apaisement des tensions. Les États-Unis étaient alors très en avance sur le plan militaire. Khrouchtchev voulait s’orienter vers le développement économique de la Russie et comprenait que cela était impossible dans le contexte d’une confrontation militaire avec un adversaire beaucoup plus riche. Il a donc d’abord fait cette offre au président Dwight Eisenhower, qui n’y a pas prêté attention. Elle a ensuite été proposée à Kennedy. Et même s’il savait que les États-Unis avaient déjà une fameuse longueur d’avance, son gouvernement a répondu par ce qui constitue le plus grand renforcement de la force militaire jamais vu dans l’Histoire en temps de paix.

Les États-Unis ont inventé cette histoire de « fossé de missiles » qu’il fallait combler. La Russie était soi-disant sur le point de nous écraser avec son avantage en matière de missiles. La Russie avait peut-être quatre missiles exposés sur une base aérienne quelque part.

Vous pouvez continuer encore et encore comme ça. La sécurité de la population n’est tout simplement pas une préoccupation des décideurs politiques. La sécurité des privilégiés, des riches, des entreprises, des fabricants d’armes, oui, mais pas celle du reste d’entre nous. Cette double pensée est constante, parfois consciente, parfois non. C’est exactement ce que décrivait Orwell, nous avons un hypertotalitarisme dans une société libre.

Barsamian : Dans un article de Truthout, vous citez le discours de 1953 d’Eisenhower sur la « Croix de fer ». Qu’y avez-vous trouvé d’intéressant ?

Chomsky : Vous devriez le lire et vous verrez pourquoi c’est intéressant. C’est le meilleur discours qu’il ait jamais prononcé. C’était en 1953, alors qu’il venait de prendre ses fonctions. En gros, ce qu’il a souligné, c’est que la militarisation était une attaque énorme contre notre propre société. Il – ou celui qui a écrit le discours – l’a exprimé avec beaucoup d’éloquence. Un avion à réaction signifie autant d’écoles et d’hôpitaux en moins. Chaque fois que nous augmentons notre budget militaire, nous nous attaquons à nous-mêmes.

Il l’a expliqué en détail, appelant à une baisse du budget militaire. Il avait lui-même un bilan assez terrible, mais à cet égard, il était dans le mille. Et ces mots devraient être gravés dans la mémoire de tous. Récemment, Biden a proposé un énorme budget militaire. Le Congrès l’a étendu au-delà même de ses souhaits, ce qui représente une attaque majeure contre notre société, exactement comme Eisenhower l’a expliqué il y a tant d’années.

Le prétexte? Nous sommes censés devoir nous défendre contre ce tigre de papier, si incompétent militairement qu’il ne peut pas se déplacer de quelques kilomètres au-delà de sa frontière sans s’effondrer. En réalité, avec un budget militaire aussi monstrueux, nous sommes amenés à nous nuire gravement et à mettre le monde entier en danger, nous allons gaspiller des ressources énormes qui seraient plus utiles pour affronter les crises existentielles auxquelles nous sommes confrontés. Pendant ce temps, nous versons l’argent des contribuables dans les poches des producteurs de combustibles fossiles afin qu’ils puissent continuer à détruire le monde le plus rapidement possible. C’est ce à quoi nous assistons avec la vaste expansion de la production de combustibles fossiles et l’augmentation des dépenses militaires. Il y a des gens qui s’en réjouissent. Allez dans les bureaux de direction de Lockheed Martin ou d’ExxonMobil, ils sont en extase. C’est une aubaine pour eux. Ils en tirent même du prestige. À présent, ils sont félicités pour avoir sauvé la civilisation… en détruisant la possibilité de vie sur Terre. Oubliez les peuples du Sud dont nous parlions plus haut. Imaginez des extraterrestres. S’ils existaient, ils penseraient que nous sommes tous complètement fous. Et ils auraient raison.

Environnement et climat: Cuba montre l’exemple en matière de changement climatique


Cuba, petite île assiégée par les États-Unis, prend des mesures concrètes pour réorienter son économie dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

C’est un exemple que le monde entier devrait prendre au sérieux.

Nos remerciements au site "LES AMIS DE CUBA" qui nous a permis de découvrir cet article publié par le site INVESTIGATION.

A voir le très intéressant documentaire "Cuba’s Life Task : Combating Climate Change" sous-titré en français, le lien est en fin d’article.



Cuba n’est peut-être responsable que de 0,08 % des émissions mondiales de CO2, mais cette île des Caraïbes est touchée de manière disproportionnée par les effets du changement climatique. La fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes – ouragans, sécheresse, pluies torrentielles, inondations – sont en augmentation, au détriment des écosystèmes, de la production alimentaire et de la santé publique.

Si aucune mesure n’est prise pour protéger le littoral de l’élévation du niveau de la mer, jusqu’à 10 % du territoire cubain pourrait être submergé d’ici la fin du siècle. Cela risque d’anéantir les villes côtières, de polluer les réserves d’eau, de détruire les terres agricoles, de rendre impraticables les plages touristiques et de forcer un million de personnes à se déplacer – soit environ 9 % de la population.

Mais à la différence de nombreux pays, pour lesquels l’action en faveur du climat est toujours une promesse pour l’avenir, à Cuba, des mesures sérieuses sont entreprises dès maintenant. Entre 2006 et 2020, plusieurs rapports internationaux ont désigné la nation insulaire comme le leader mondial du développement durable. Et au printemps 2017, le gouvernement cubain a approuvé Tarea Vida (Objectif Vie), son plan à long terme pour faire face au changement climatique.

Ce plan identifie les populations et les régions à risque, formulant une hiérarchie de « zones stratégiques » et de « tâches » en faveur desquelles des climatologues, des écologistes et des experts en sciences sociales travaillent aux côtés des communautés locales, des spécialistes et des autorités pour répondre aux menaces spécifiques. Devant être mis en œuvre progressivement par étapes de 2017 jusqu’en 2100, Tarea Vida intègre également des mesures d’atténuation telles que le passage à des sources d’énergie renouvelables et la mise en œuvre légale des dispositions relatives à la protection de l’environnement.

Au cours de l’été 2021, je suis allée à Cuba pour en apprendre plus sur Tarea Vida et produire un documentaire qui sera diffusé lors de la conférence internationale sur le changement climatique COP26 à Glasgow. Ma visite a coïncidé avec une recrudescence des cas de Covid-19 sur l’île, des mesures de santé publique imposées pour réduire la contagion, ainsi qu’avec les manifestations du 11 juillet. En dépit de ces aléas, nous nous sommes déplacés librement dans La Havane et avons pu interroger des climatologues et des spécialistes des sciences sociales, des décideurs politiques, des responsables de la défense civile cubaine, des personnes dans la rue et des communautés vulnérables au changement climatique.

Sur le littoral de Santa Fe à La Havane, j’ai rencontré un pêcheur vivant avec sa famille au milieu de bâtiments abandonnés. Il m’a expliqué que, lorsque l’eau inonde le rez-de-chaussée, leur maison est comme un navire en mer. Malgré la menace, ils ont l’intention de rester : « Cette maison pourrait se réduire à un simple étage ; je ne bougerai pas », dit-il. La première « tâche » de Tarea Vida consiste à protéger ces communautés vulnérables en relogeant des ménages ou des quartiers entiers.

L’État cubain prend en charge la relocalisation, y compris la construction de nouveaux logements, de services sociaux et d’infrastructures publiques. Cependant, ce n’est pas quelque chose d’obligatoire, ce qui veut dire que ces résidents doivent être impliqués dans le processus de décision et de construction. Il existe également des exemples de communautés proposant leurs propres stratégies d’adaptation, leur permettant de rester sur la côte.

Des siècles d’exploitation d’abord coloniale puis impérialiste et l’imposition du modèle agro-exportateur ont entraîné une déforestation et une érosion chroniques des sols à Cuba.

Tarea Vida est l’aboutissement de décennies de réglementations en faveur de la protection de l’environnement, de promotion d’un développement durable et de recherche scientifique. À Cuba, elle est conçue comme une nouvelle référence de développement, faisant partie d’un changement culturel et d’un processus plus large de décentralisation des responsabilités, des pouvoirs et des budgets vers les communautés locales. Nous constatons ici que les considérations environnementales font partie intégrante de la stratégie nationale de développement de Cuba, et qu’elles ne sont pas seulement une préoccupation à la marge.

Tarea Vida répond également à une nécessité ; le changement climatique a déjà un impact sur la vie sur l’île. « Aujourd’hui, à Cuba, le climat du pays est en pleine transition, passant d’un climat tropical humide à un climat subhumide, ce qui signifie que le régime des pluies, les ressources en eau, la nature du sol et les températures seront différents, explique Orlando Rey Santos, conseiller ministériel qui a dirigé la délégation cubaine à la COP26. Nous devrons nous nourrir différemment, construire différemment, nous habiller différemment. C’est très complexe. »

« De la forêt tropicale au champ de canne à sucre »


Des siècles d’exploitation, d’abord coloniale puis impérialiste, et la généralisation d’un modèle agro-exportateur ont entraîné une déforestation chronique et conduit à l’érosion des sols à Cuba. L’expansion de l’industrie sucrière a réduit la couverture forestière de l’île qui est passée de 95 % avant la colonisation à 14 % au moment de la révolution de 1959, transformant Cuba « de forêt tropicale en champ de canne à sucre »,( From Rainforest to Cane Field) comme l’historien cubain de l’environnement Reinaldo Funes Monzote a intitulé son livre primé. Remédier à cet héritage historique s’est inscrit dans le projet de transformation révolutionnaire de l’après-1959, qui visait à briser les chaînes du sous-développement.

En dépit des premières aspirations des révolutionnaires, Cuba a continué à être dominée par l’industrie sucrière via ses échanges commerciaux avec le bloc soviétique [En 1989, 95% du pays était doté de l’électricité grâce à des accords avec l’URSS, accords qui permettaient aux Cubains de bénéficier du pétrole soviétique en échange de sucre, NdT]. Les activités productives contribuant à la pollution et à l’érosion se sont poursuivies, notamment en raison de l’adoption par Cuba de la « Révolution Verte », de l’agriculture mécanisée [introduction massive de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques, de tracteurs, de semences hybrides et de systèmes d’irrigation à grande échelle, NdT] – une approche adoptée dans de nombreux pays en développement pour accroître la production agricole.

Toutefois, les effets délétères ont été progressivement reconnus et peu à peu corrigés, notamment à partir des années 1990. On s’est de plus en plus préoccupé de la protection des richesses naturelles de l’archipel cubain, qui possède une biodiversité extraordinaire et des ressources côtières d’importance mondiale. L’agenda environnemental a été soutenu par la capacité scientifique et institutionnelle de Cuba et facilité par son cadre politico-économique.

Dans son ouvrage sur le droit cubain de l’environnement, Oliver A. Houck a observé que « le droit cubain postrévolutionnaire a promu dès le départ les valeurs publiques et collectives. Les lois environnementales s’inscrivent aisément dans ce cadre ». Dès mai 1959, la Loi sur la Réforme Agraire confie à l’État la responsabilité de protéger les zones naturelles, lance des programmes de reboisement et exclut les réserves forestières de la distribution aux collectivités agricoles. Le système socialiste cubain donne la priorité au bien-être humain et le caractère social de la propriété facilite la protection de l’environnement et l’utilisation rationnelle des ressources naturelles.

Ce processus n’était pas automatique – en fait il a été nécessaire que des géographes et des environnementalistes fassent avancer le programme du gouvernement de l’après-1959 concernant l’environnement. Parmi eux, Antonio Núñez Jiménez, socialiste et professeur de géographie dans les années 1950, s’est particulièrement distingué. Il a été capitaine dans la colonne de l’Armée Rebelle de Che Guevara et a dirigé l’Institut National de la Réforme Agraire, entre autres rôles.

Influencé par Núñez Jiménez, Fidel Castro a également dynamisé le mouvement environnemental cubain. Tirso W. Sáenz, qui a travaillé en étroite collaboration avec Guevara au début des années 1960 et a dirigé la première commission environnementale de Cuba à partir de 1976, m’a dit : « Fidel a été le principal moteur de l’intégration des préoccupations environnementales dans la politique cubaine. » Le parti communiste cubain a également ouvertement approuvé la protection de l’environnement et la croissance durable, ce qui, selon Houck, « confère une très forte légitimité aux programmes environnementaux. »

Tarea Vida s’appuie sur les résultats obtenus par Cuba, leader mondial en matière d’anticipation et de réaction aux risques et aux catastrophes naturelles.

En 1976, Cuba a été l’un des premiers pays au monde à inclure les questions environnementales dans sa Constitution, et à créer une Commission Nationale pour la Protection de l’Environnement et l’utilisation rationnelle des ressources naturelles. C’était onze ans avant que, pour la première fois, le rapport Brundtland des Nations Unies ne présente au monde la notion de « développement durable ».

Au cours des décennies suivantes, des études et des projets ont été entrepris et des réglementations environnementales introduites pour protéger la faune et la flore. En 1992, Fidel Castro a prononcé un discours inhabituellement court mais suffisamment alarmiste lors du Sommet de la Terre au Brésil. Il a imputé la responsabilité de la destruction rapide de l’environnement aux relations internationales fondées sur l’exploitation et les inégalités, résultant du colonialisme et de l’impérialisme et alimentées par les sociétés de consommation capitalistes, qui menacent l’humanité d’extinction.

Cette année-là, un engagement en faveur du développement durable a été introduit dans la Constitution cubaine. Des enquêtes scientifiques sur l’impact du changement climatique à Cuba ont été lancées. En 1994, un nouveau Ministère des Sciences, de la Technologie et de l’Environnement (CITMA) a été mis en place. Il a élaboré une stratégie nationale pour l’environnement, cette dernière a été adoptée en 1997 ; cette même année, la loi 81 a été approuvée par l’Assemblée Nationale. Laura Rivalta, diplômée en droit de l’Université de La Havane et spécialiste des réglementations environnementales, explique que cette loi a donné au CITMA de larges pouvoirs pour « contrôler, diriger et mettre en œuvre une politique environnementale » tout en fixant des « frontières et des limites » aux activités des entreprises étrangères opérant à Cuba. « La nouvelle Constitution cubaine approuvée en 2019 établit le droit de jouir d’un environnement sain et équilibré en tant que droit humain », ajoute-t-elle.


Ne pas être à la solde du profit

Quatre facteurs sous-tendent la capacité de Cuba à mettre en place un plan d’État aussi ambitieux. Tout d’abord, l’économie cubaine, dominée par l’État et planifiée de manière centralisée, contribue à aider le gouvernement à mobiliser des ressources et à orienter la stratégie nationale sans avoir à encourager le profit privé – contrairement à d’autres pays qui s’appuient sur des « solutions de marché » pour lutter contre le changement climatique.

Deuxièmement, Tarea Vida s’appuie sur le bilan de Cuba, leader mondial en matière d’anticipation et de réponse aux risques et aux catastrophes naturelles. Cela a déjà été fréquemment démontré dans le cadre de ses réactions aux ouragans et, depuis mars 2020, en relation avec la pandémie Covid-19.

Troisièmement, le système de défense civile de Cuba, mis en place après l’ouragan dévastateur Flora de 1963. Lors de ma visite au centre de commandement national, le lieutenant-colonel Gloria Gelis Martínez a décrit leurs « procédures opérationnelles et techniques en matière d’alerte précoce concernant l’impact des phénomènes météorologiques extrêmes. Nous avons des zones de surveillance et des zones d’alerte maximale où nous surveillons l’approche d’un événement et son impact. » Un Conseil National de Défense coordonne ce système, qui est répliqué au niveau des provinces, des municipalités et des quartiers dans tout le pays. Le météorologue Eduardo Planos explique :

Au niveau local, les centres d’étude des risques se concentrent sur le phénomène spécifique, et on organise le quartier. Dans chaque quartier, les organismes sociaux prennent des mesures préventives. Les gouvernements locaux mettent en place des conseils de défense locaux, ces derniers gèrent le fonctionnement du système, distribuent des aliments de base pour que les gens n’en manquent pas, et vérifient les installations électriques et le plan d’évacuation.

Quatrièmement, la capacité de Cuba à collecter et à analyser les données locales. Rey Santos souligne ce que cela signifie concrètement :

Les études indiquent que l’élévation moyenne du niveau de la mer sera d’environ 29 centimètres d’ici 2050. Cependant, nous avons effectué la même analyse pour 66 points du territoire national, car il existe des différences en fonction des conditions locales. Réaliser une telle analyse, en transposant les données du GIEC sur l’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale à chaque endroit de Cuba, ne peut se faire que si l’on s’appuie sur des données scientifiques solides.

Tarea Vida : ça marche


Les résultats 2017-2020 « à court terme » de Tarea Vida sont actuellement en cours d’évaluation. Cette période a coïncidé avec la présidence de Donald Trump et le début de la pandémie de Covid-19. L’administration Trump a considérablement durci les sanctions américaines contre Cuba, entravant davantage son accès aux ressources et aux finances. La pandémie a encore affaibli l’économie à cause de la perte de revenus du tourisme. Néanmoins, des résultats tangibles ont été obtenus : 11 % des habitants des foyers côtiers les plus vulnérables ont été relogés, des fermes coralliennes ont été créées, 380 km² de mangroves ont été récupérés, elles servent de défense côtière naturelle, et 1 milliard de pesos [près de 874 millions d’euros, NdT] ont été investis dans le programme hydraulique du pays. Les programmes de reboisement mis en œuvre depuis 1959 ont permis de porter la couverture forestière à 30 %.

Quels enseignements les autres pays du Sud peuvent-ils en tirer ? Dans l’accord de Copenhague de décembre 2009, les pays développés se sont engagés à financer le climat à hauteur de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020. Mais cet engagement n’a pas été respecté. « Ils comptent les financements deux fois, comptent l’argent promis mais non attribué, comptent comme des dons l’argent que reçoit un pays mais qui est en fait remboursé parce qu’il s’agit d’un prêt », se plaint Rey Santos.

« Le financement international est totalement orienté en faveur de l’atténuation, qui est un business. Il y a beaucoup moins d’argent pour l’adaptation. Le financement est extrêmement ténu pour les petits États insulaires en développement [PEID], qui font partie des groupes les plus vulnérables. » Il décrit de « magnifiques » plans de lutte contre le changement climatique, élaborés pour se conformer aux engagements internationaux, puis classés. En revanche, « à Cuba, Tarea Vida est un processus vivant, un aboutissement du système qui l’a généré. »

L’approche cubaine de l’adaptation au changement climatique offre une alternative aux paradigmes dominants au niveau mondial, qui eux reposent sur le secteur privé.

L’accès de Cuba au financement international est plus limité que celui des autres pays en raison du blocus américain, qui l’empêche d’accéder aux banques multilatérales de développement. Cuba dépend plutôt de la coopération bilatérale et des Nations Unies pour le financement et la coopération. Ce n’est pas seulement Cuba qui est frappé directement par les pressions et sanctions américaines, celles-ci visent également ses partenaires potentiels dans les pays tiers. Par exemple, les États-Unis interdisent que soient vendus à Cuba des équipements dont 10 % ou plus des composants sont fabriqués par des entreprises américaines.

L’approche cubaine de l’adaptation au changement climatique et de l’atténuation de ses effets offre une alternative aux paradigmes dominants à l’échelle mondiale, qui eux reposent sur le secteur privé ou les partenariats public-privé. Elle est de plus en plus pertinente pour les PEID (petits États insulaires en développement) des Caraïbes, qui dépendent du tourisme, et pour d’autres pays du Sud qui émergent de la pandémie de Covid-19 en connaissant un niveau d’endettement qui entravera leur accès futur au financement international. Ils se rapprocheront ainsi des restrictions financières et de ressources auxquelles Cuba est confronté depuis des décennies en raison des sanctions américaines. Tarea Vida s’appuie sur des solutions nationales peu coûteuses, et non sur des financements extérieurs.

Rey Santos met en garde contre toute tentative de proposer un programme en faveur du climat sans s’attaquer aux problèmes structurels tels que l’extrême pauvreté et les profondes inégalités sociales et économiques. Selon lui, il est impossible de convertir la matrice énergétique mondiale pour passer des combustibles fossiles aux énergies renouvelables sans réduire les niveaux de consommation, alors qu’il n’y a pas suffisamment de ressources pour produire les panneaux solaires et les éoliennes nécessaires ou alors parce que l’espace pour les accueillir est insuffisant.

« Si vous transformiez automatiquement tous les transports en véhicules électriques demain, vous auriez les mêmes problèmes de congestion, de stationnement, d’autoroutes et de forte consommation d’acier et de ciment, souligne-t-il. Un changement doit s’opérer dans le mode de vie, dans nos aspirations. Cela fait partie du débat sur le socialisme, des idées de Che Guevara sur l’homme nouveau. Si nous ne formons pas cet homme nouveau, il est très difficile d’affronter la question du climat. » Un plan comme Tarea Vida exige une vision qui ne soit pas orientée vers le profit ou l’intérêt personnel. « Il doit être fondé sur l’équité sociale et le rejet des inégalités. Un plan de cette nature requiert un système social différent, et c’est le socialisme », conclut-il.

Il est clair que ce cadre d’économie politique n’existe pas dans d’autres PEID. Mais alors que le sommet de la COP 26 à Glasgow a montré une fois de plus le manque de détermination des gouvernements à agir sur le climat et leur refus d’empiéter sur les intérêts privés, l’approche cubaine consistant à utiliser la science environnementale, les solutions naturelles et la participation de la communauté peut fournir des exemples de meilleures pratiques à ceux qui veulent faire face à la catastrophe climatique.




A voir le très intéressant documentaire "Cuba’s Life Task : Combating Climate Change" sous-titré en français https://youtu.be/APN6N45Q6iU

Helen Yaffe est maîtresse de conférences à l’université de Glasgow. Elle est l’autrice de We Are Cuba ! How a Revolutionary People have Survived in a Post-Soviet World et Che Guevara : The Economics of Revolution.