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Famille Mulliez, les milliardaires de la distribution

Les Mulliez ont sans doute mieux qu’aucune autre dynastie française poussé la logique du capitalisme familial à un certain paroxysme à travers une organisation, formelle et informelle, où les liens économiques, du sang et de l’alliance sont étroitement entremêlés.

Prenons une zone commerciale comme il en existe tant en périphérie de nos villes. Autour d’un hypermarché Auchan se distribuent différentes enseignes positionnées chacune sur un « besoin » particulier : Decathlon pour les articles de sport, Bruce, Jules, Pimkie ou Kiabi pour les vêtements, Saint-Maclou pour les tapis et moquettes, Leroy Merlin pour le bricolage, Midas ou Norauto pour faire réparer ou entretenir sa voiture, sans oublier Flunch pour se restaurer entre deux courses. On en passe, et beaucoup. Peu parmi les nombreux clients de ces différentes chaînes commerciales se doutent qu’en y effectuant leurs achats, ils donnent leur argent à une seule et même famille : les Mulliez. Ou plus exactement à l’Association famille Mulliez (AFM), détentrice des actions des plus de cent trente entreprises de cette constellation familiale, qui cumulent un chiffre d’affaires supérieur à 100 milliards d’euros par an et emploient plus de sept cent mille salariés selon les chiffres du journal Le Monde. Un groupe informel, non reconnu comme tel devant la loi, ce qui permet à la famille d’outrepasser certaines obligations légales, telle celle de reclasser les salariés d’une entreprise en difficulté au sein d’une autre. Seuls peuvent faire partie de l’AFM les descendants de Louis Mulliez, prospère filateur de Roubaix à l’origine de la saga au début du siècle dernier, et leurs conjoints. Non seulement les statuts prévoient l’interdiction de vendre ses parts à un extérieur, mais même les transactions entre cousins sont étroitement surveillées par les dirigeants de la holding familiale élus tous les quatre ans parmi les quelque mille quatre cents membres à ce jour-là encore selon Le Monde, d’autres sources déclarant moitié moins. Celle-ci règne sur un magot estimé autour de 30 milliards d’euros, le chiffre exact demeurant confidentiel, car aucune de ces entreprises n’est cotée en bourse. Une bourse que les Mulliez diabolisent, ce qui rappelle qu’on peut être capitaliste sans être adepte des marchés financiers.

« Les Mulliez s’appliquent à éviter l’impôt autant que les caméras, ainsi que le suggère le fait qu’un grand nombre d’entre eux ait élu domicile dans la même rue de la petite commune belge d’Estampuis, à deux pas de la frontière et du siège de la holding à Roubaix. »



Un beau bas de laine

Pour faire partie de cette « association » à but très lucratif, il ne suffit pas d’être de la famille : il faut encore avoir suivi une formation minimale en gestion, suivre un stage de découverte du fonctionnement de l’association, et enfin être coopté par les autres membres. Les impétrants sont encouragés à lancer leur propre affaire pour faire grossir encore le magot collectif, mais aussi à se montrer discrets : on n’étale pas ses richesses, même si elles sont considérables, contrairement à certaines autres familles de nantis que l’on préfère déclarer ne pas fréquenter. La solidarité est de mise au sein de la famille à travers ce dispositif juridico-financier, puisque les bonnes affaires des uns profitent aux autres et inversement. En revanche, elle l’est moins vis-à-vis du reste de la société : les Mulliez s’appliquent à éviter l’impôt autant que les caméras, ainsi que le suggère le fait qu’un grand nombre d’entre eux ait élu domicile dans la même rue de la petite commune belge d’Estampuis, à deux pas de la frontière et du siège de la holding à Roubaix. En 2016, ce siège a été perquisitionné par la justice française, soupçonnant certains éléments frauduleux dans ce schéma d’ « optimisation » fiscale monté par les dizaines de juristes employés directement par l’AFM. L’association organise également des festivités en marge de ses assemblées générales, des activités pour les enfants des membres et des voyages pour les adultes, ainsi que des formations et conférences destinées tout autant à renforcer la cohésion au sein de la grande famille qu’à cultiver l’esprit d’entreprendre armé des connaissances nécessaires – et de l’appui des capitaux non seulement financiers, mais aussi « humains » et sociaux du clan. En clair, des réseaux. Car où que voyage un Mulliez dans le monde, il sait pouvoir atterrir chez un « cousin » plus ou moins éloigné, avec qui le sujet principal de conversation est déjà tout trouvé : la famille, et surtout ses affaires.

« L’Association famille Mulliez (AFM), un groupe informel, non reconnu comme tel devant la loi, détient les actions des plus de cent trente entreprises de cette constellation familiale, qui emploient plus de sept cent mille salariés. »

Une internationalisation à l’image des réseaux d’approvisionnement des enseignes du groupe, passées maîtresses dans la sous-traitance de leur production dans les pays où la main-d’œuvre est mal payée et travaille dans des conditions peu enviables, principalement en Asie du Sud-Est. Cela n’empêche nullement le patriarche Gérard Mulliez, fondateur d’Auchan, vaisseau amiral de cette galaxie, de vanter ses préoccupations sociales en développant un vaste plan d’actionnariat salarié. Un bel outil de discipline et de motivation des troupes surtout, comme l’a montré notamment la sociologue Sophie Bernard (Le Nouvel Esprit du salariat, PUF, 2020), car quand une caissière ou un magasinier se croient propriétaires de la firme, ils redoublent d’ardeur au travail et acceptent volontiers le fameux « BAM » – « Bonjour, au revoir, merci » – qu’il s’agit de débiter à chaque client avec un grand sourire. Tant pis s’ils n’ont au mieux que des miettes des faramineux bénéfices de l’entreprise. Les gains de productivité ainsi obtenus peuvent même se retourner contre eux, comme l’a rappelé le vaste plan social annoncé en septembre 2020 : mille cinq cents salariés licenciés sur les soixante-quinze mille que compte le groupe en France, soit un sur cinquante, alors même que, comme ses homologues et contrairement au reste de l’économie, ce dernier avait largement profité du confinement. Exit notamment la dizaine de centres de réparation pour les produits du groupe, qui avaient été déployés récemment dans une stratégie d’amélioration du service après-vente… l’écologie attendra. Et encore, aucune « hôtesse » et « hôte » de caisse n’était de cette charrette-là, qui pourrait être suivie par d’autres dans un futur proche, ainsi que le redoutent les syndicats de l’enseigne. Aujourd’hui nonagénaire, Gérard Mulliez ne préside plus aux destinées du groupe de distribution, même s’il reste à la tête d’un « comité stratégique », et a transmis les rênes à Vianney, le fils d’un de ses cousins, plutôt qu’à son propre rejeton Arnaud. Une pratique courante dans la famille, où l’on se méfie des descendants en ligne directe, qui pourraient être tentés de « tuer le père » à travers l’entreprise qu’il vous léguerait.

« Seuls peuvent faire partie de l’AFM les descendants de Louis Mulliez, prospère filateur de Roubaix à l’origine de la saga au début du siècle dernier, et leurs conjoints. »



Ne pas perdre le Nord

Les Mulliez ont ainsi sans doute mieux qu’aucune autre dynastie française poussé la logique du capitalisme familial à un certain paroxysme à travers cette organisation, formelle et informelle, où les liens économiques, du sang et de l’alliance sont étroitement entremêlés. Bien que d’obédience catholique, ils ont ainsi incorporé un certain ethos protestant reposant sur un ascétisme, favorable plus que toute autre à l’épargne et à l’esprit d’entreprise, comme l’avait montré Max Weber (L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, 1905). Mais surtout, ils ont rationalisé de manière redoutable une organisation combinant une forte solidarité appuyée par les liens familiaux, permettant le partage des risques comme des ressources de différentes natures, avec un système de contrôle et de promotion internes où il s’agit de se former et faire ses preuves pour monter petit à petit dans l’organigramme sous le regard des aînés, légitimés par des élections formelles. Un véritable « communisme familial », ainsi que le baptisent les journalistes du Monde qui ont enquêté sur le clan, l’été dernier, confirmant ainsi les analyses des sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon sur la grande bourgeoisie. Pas sûr que les intéressés aient apprécié l’image. Lorsque la section lilloise du PCF a lancé en 2015 une affiche le dénonçant comme « profiteur de la crise » et comparant ses revenus à ceux des caissiers et caissières de son groupe, Gérard Mulliez a ainsi déboulé à son local pour se plaindre, se contentant d’asséner le fameux argument par lequel les capitalistes aiment à couper court à toute discussion, à savoir qu’il « crée des emplois ». Il en détruit aussi parfois, et des vies avec. Et la prise de contrôle annoncée de Carrefour par Auchan risque fort de laisser sur le carreau encore des milliers de travailleuses et de travailleurs et leurs familles. Chez les Mulliez, on a l’esprit de famille, mais surtout de la sienne.

Edgar Dunhort est sociologue.

Cause commune • mars/avril 2022


Cinq cents familles : une fortune qui ne tombe pas du ciel !


Chaque année les ultrariches sont de plus en plus riches ; une telle montée des inégalités résulte de choix politiques précis. Le mal est profond, la gangrène gagne tous les pans de la société au point d’en arriver à une sorte de pourrissement lent d’un système qui peut emporter avec lui toute la civilisation. Il est indispensable de s’engager dans a construction d’un nouveau système pour une civilisation de toutes et de tous.

l'IFI a été payé par 132 722 contribuables en 2018, contre 358 000 imposables à l’ISF en 2017.



À intervalles réguliers, environ chaque année, est publiée la liste des plus grosses fortunes de France, les dites cinq cents familles. Une manière pour les médias et autres réseaux d’influence de se donner bonne conscience une fois par an. Chacun y va de sa petite tirade sur l’augmentation des inégalités et jure la main sur le cœur qu’il faut empêcher que cela dure. Morale judéo-chrétienne quand tu nous tiens ! Mais c’est pour aussitôt refermer soigneusement la porte sur cette réalité et la faire retomber dans l’oubli. Il est vrai que pour changer un tel état des choses il faut plus que des déclarations de bonnes intentions, voire que quelques aménagements.



Une entreprise qui ne craint pas la crise

Le constat est en tout éclairant. Chaque année les ultrariches sont de plus en plus riches. Le dernier classement publié par le journal économique Challenges l’atteste. Un fossé sans cesse plus profond se creuse entre les plus riches et les autres. Jugez-en plutôt ! Le patrimoine cumulé des cinq cents familles a progressé de 730 milliards d’euros en 2020 par rapport à 2019, soit une augmentation de 3 %. Comme quoi la crise de la covid n’aura pas pénalisé tout le monde !
Une barre symbolique jamais atteinte jusque-là, a même été franchie. Il s’agit de celle des 100 milliards d’euros. C’est le montant de la fortune de Bernard Arnault, le patron de LVMH. Une fortune qui a encore augmenté en un an. Ce n’est pas un hasard, le luxe est le secteur qui a le mieux résisté à la crise sanitaire. Enfin, l’actif net total imposable à l’ISF était de 1 028 milliards d’euros fin 2017 au moment de sa suppression, il serait aujourd’hui d’environ 1 500 milliards d’euros.

« L’argent c’est le nerf de la guerre, le pouvoir d’en décider l’utilisation est le cœur de la lutte des classes aujourd’hui. »

D’autres indicateurs comme l’héritage attestent également l’accumulation de patrimoine au cours de ces dernières années. Ainsi la part des 1 % des fortunes les plus élevées dans le patrimoine total est passée de 15 % à̀ 25 % entre 1985 et 2015. Une évolution confirmée par d’autres données montrant que 10 % des transmissions par succession et donation en ligne indirecte rapportent plus de 50 % des droits de mutation à̀ titre gratuit (DMTG) ; 1 % des héritiers pouvant désormais obtenir, par une simple vie de rentier, un niveau de vie supérieur à celui des 1 % des « travailleurs » les mieux rémunérés. Ainsi, depuis la fin du XXe siècle, le patrimoine hérité occupe une part de plus en plus grande dans l’accroissement des inégalités.



Une situation qui ne vient pas de nulle part

S’il est juste et sain d’être indigné par une telle montée des inégalités, celles-ci ne viennent pas de rien mais résultent de choix politiques précis, réfléchis et mis en chantier de façon déterminée depuis le début des années 1990. Cela renvoie à une double évolution.

D’une part la gestion des entreprises et l’utilisation de l’argent. Car l’argent accumulé dans les mains de quelques détenteurs ne vient pas de nulle part mais, pour une large part, de la production. Pour preuve, l’enrichissement de Bernard Arnault tient à l’extrême bonne santé de l’industrie du luxe et qui dit industrie dit production de sacs et d’autres produits luxueux par des femmes et des hommes qui lui vendent leur force de travail. Une force de travail dont la reconnaissance dans la valeur ajoutée a soigneusement été laminée, (-10 % sur les trente dernières années), pour laisser place aux prélèvements du capital. Ce processus a été accompagné par le dépeçage des droits d’intervention des salariés dans les gestions, lois El Khomri et Macron. Dans le même temps, la création monétaire a été mise au service des marchés, la détournant ainsi des investissements utiles pour des productions respectueuses de l’humain et de la planète. Les banques et la BCE en premier lieu distribuent des milliards sans contrôle, un argent qui sert surtout à alimenter les marchés financiers : du soutien aux dividendes aux OPA en passant par toutes les autres formes de spéculation. Finalement, cela vient gonfler les portefeuilles des actionnaires et autres fonds de pension ou dits « d’investissements ».

« La création monétaire a été mise au service des marchés la détournant ainsi des investissements utiles pour des productions respectueuses des hommes et de la planète. »

D’autre part, il y a l’évolution de la fiscalité, c’est-à-dire la restructuration régressive tant de la législation fiscale que des services et des moyens mis à disposition des administrations financières pour connaître, gérer et contrôler l’impôt, particulièrement celui des entreprises et des contribuables les plus fortunés. Il y a une cohérence entre détournement de l’argent en direction de quelques-uns et recul des droits et des moyens du contrôle fiscal. Comment imaginer que les pouvoirs publics permettraient à quelques-uns d’accaparer toujours plus de valeur ajoutée, toujours plus d’argent issu de la création monétaire et venir ensuite tout leur reprendre par la fiscalité ? Ce serait un vrai supplice ! C’est ainsi que la taxe professionnelle a été supprimée par Nicolas Sarkozy, que le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) a été abaissé de 50 % en 1985 à 25 % en 2022, que l’imposition forfaitaire annuelle des sociétés (IFA) et la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ont disparu, que l’ISF a été supprimé en 2018 pour laisser la place à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), faisant chuter la base imposable de 1 028 milliards d’euros à 300 milliards d’euros… C’est ainsi que des missions fiscales se sont quasiment volatilisées dans les services fiscaux ; par exemple, tout ce qui relève de la fiscalité des personnes les plus fortunées mais aussi de la gestion et du contrôle en matière de fiscalité immobilière. Dans ce même esprit, ont été soigneusement laminés les moyens permettant le suivi et la vérification des entreprises. Trente mille emplois sur cent soixante-dix mille ont été supprimés au ministère des Finances. Y a-t-il besoin d’aller beaucoup plus loin dans la démonstration ?


Simulation : recettes d’IFI par rapport aux recettes prévisibles si l’ISF existait encore


Sortir de cette impasse exige des réponses à la hauteur

Le mal est profond, la gangrène gagne tous les pans de la société au point d’en arriver à une sorte de pourrissement lent d’un système qui peut emporter avec lui toute la civilisation. C’est pourquoi les réponses doivent s’intégrer dans un projet alternatif de construction d’un nouveau système pour une civilisation de toutes et de tous. Ce projet doit prendre appui sur des propositions précises concernant toute la sphère de l’argent, de celui des banques en passant par celui des entreprises jusqu’à celui de l’État. L’argent, c’est le nerf de la guerre, le pouvoir d’en décider l’utilisation est le cœur de la lutte des classes aujourd’hui. Marx disait en substance que la répartition de la richesse dépend en fait de la façon de la produire. Voilà pourquoi, outre des moyens de contrôle, il est décisif de doter les salariés et l’ensemble des citoyens de véritables pouvoirs d’intervention et de décision dans la gestion des entreprises comme de la cité.

« Depuis la fin du XXe siècle, le patrimoine hérité occupe une part de plus en plus grande dans l’accroissement des inégalités. »

Un autre rôle pour la fiscalité

Cela signifie des transformations profondes passant par la mise en place de nouvelles institutions comme des fonds régionaux et un fonds national pour l’emploi et la formation, un pôle public bancaire, un fonds social, solidaire et écologique adossé à la BCE pour financer le développement des services publics. Cela dans le but de prendre la main sur la création monétaire de la BCE, mais aussi sur la politique du crédit bancaire. Pour assurer le suivi, le contrôle et l’efficacité de ces institutions, la fiscalité doit avoir un tout autre rôle et développer de nouvelles procédures. Un tout autre rôle qui passe par en changer l’objectif. Elle deviendrait un outil majeur d’impulsion d’une nouvelle utilisation de l’argent des entreprises pour de nouveaux modes de production en doublant la fonction de contrôle par une dimension incitative, en rendant progressif l’impôt sur les sociétés, en permettant sa saisine par un droit d’alerte des salariés, en construisant un vrai impôt local sur le capital, en installant un nouvel ISF plus progressif intégrant les biens professionnels, en redéfinissant le barème et la progressivité de l’impôt sur le revenu et des droits de mutation à titre gratuit. Il s’agirait enfin d’établir de vraies coopérations entre les administrations fiscales de l’Union européenne et sur le plan mondial par le biais de l’ONU, pour lutter contre le dumping fiscal, combattre l’évasion fiscale et mettre hors-jeu les paradis fiscaux. Ce qui suppose aussi une autre politique des banques qui sont les premiers pourvoyeurs de ces espaces de non-droit. Enfin, est-ce totalement un hasard si cinq cents familles mettent la main sur la plus grande part du magot, alors que, dans le même temps, cinquante-quatre groupes disposent de 30 % de la valeur ajoutée créée sur notre territoire, c’est-à-dire 600 milliards ?

Jean-Marc Durand est fiscaliste et membre de la commission Économie du PCF.

Cause commune • mars/avril 2022

Le train SNCF est-il trop cher ? par Laurent Brun

D’abord des éléments factuels : un célèbre comparateur me donne les éléments suivants : Pour 1 personne, sur un trajet Marseille-Strasbourg (c’est un commentaire d’usager mécontent qui me fait choisir ce trajet) 

Avec un départ le 13 août et un retour le 27 août : en bus 140€, 12h de trajet
en avion aucun vol direct 474€ avec une escale à Biarritz (sic !!!) 25h a l’aller 16h au retour, évidemment classe économique, sinon pour 12h de trajet il faut monter au delà de 560€… Je n’aborde même pas la question environnementale en train (TGV) 193€ 6h de trajet. Bon en réalité, quand on est redirigé sur SNCF Connect, le prix c’est 226€ (1ere classe à l’Aller et 2e au retour). 

Mais ça montre que déjà le TGV est incroyablement plus intéressant en terme de temps de trajet, de confort, et même de tarif…

Donc si on se base sur la logique du marché, non le train n’est pas cher. Beaucoup des gens qui critiquent la SNCF sont des fanatiques ou des fatalistes du marché. Donc ils ne devraient pas se plaindre. Ils ont le prix que leur système produit…

Au delà du comparatif factuel, il faudrait rajouter les coûts induits (pollution, occupation des sols, accidentologie…). Le train intègre déjà une grosse partie de ces coûts puisqu’il assume son infrastructure, sa police ferroviaire, etc… ce que ne font pas les autres modes. Et en plus c’est le moins polluant…

Mais la question reste pertinente. Si on ne se base pas sur le marché, mais sur le besoin des citoyens et de la collectivité, le train est il trop cher pour répondre efficacement ?

Alors la, la réponse est oui. Beaucoup de gens sont écartés du train. Le motif n’est pas seulement financier (il y a beaucoup de citoyens qui n’ont pas accès à une gare correctement desservie dans une distance raisonnable).

Mais la question du prix est aussi un sujet. Par exemple l’INSEE a publié une étude en 2008 (j’ai rien trouvé de plus récent) qui annonçait que pour 36,7% des 45,1% de français qui ne partent pas en vacance, le motif est économique, or le transport est le second poste de dépense pas très loin derrière l’hébergement, donc on peut imaginer qu’un transport collectif peu cher pourrait permettre à au moins 10 ou 15% de français de ne plus être privés de vacances.

Ça ferait quand même une sacrée amélioration pour 6 à 10 millions de personnes. Et comme 70% de ceux qui partent le font avec leur véhicule personnel, on peut considérer qu’on a aussi une bonne marge de report à gagner en valeur de l’environnement…

Oui le train pourrait être moins cher encore pour atteindre ces objectifs. Cela suppose de remettre en cause les dernières réformes qui orientent la compagnie nationale sur le profit. Par exemple, actuellement il vaut mieux des trains pleins aux places chères, que des trains en quantité suffisante…

Les réformes ont aussi considérablement désorganisé là production : il ne s’agit plus de produire de la manière la plus efficace, par exemple en mutualisent les moyens entre activités (fret, ter, tgv…). On se prive des complémentarités qui créaient de l’optimisation maximale. Le système est organisé pour répondre aux marchés, donc on sépare bien toutes les activités, pour identifier les coûts et les marges sur chaque entité.

Mais contrairement à la croyance populaire, cela ne crée pas d’efficacité au contraire puisque les processus de contrôle de gestion crée des interfaces très coûteuses (re facturations entre les différentes entités qui sont souvent interdépendantes, ou création d’autonomie très coûteuses car on va créer des strates de directions, des systèmes informatiques ou des infrastructures de formation spécifiques et amorties sur une activité plus restreinte, par exemple). Sans compter les processus juridiques et administratifs pour répondre aux appels d’offre (même quand il n’y a que la SNCF comme candidate !).

Bref il faut dégager de plus en plus de chiffre d’affaire pour assumer ces surcoûts. Et pour ne pas réduire la marge on réduit les effectifs dans tous les services ce qui fait qu’on produit de plus en plus mal…

Si on se débarrasse de ce boulet de la concurrence, on peut dégager des moyens pour améliorer le service et réduire le prix. Sinon il faudra se résoudre comme en PACA ou en Grand Est, et comme dans le TGV, à l’augmentation des tarifs parce que c’est ce que produit le marché et la désorganisation publique.

Il faut d’ailleurs préciser que dans la concurrence, l’égalité est toute relative : Transdev bénéficie d’une réduction massive des péages sur ses 2 premières annnées d’exercices (cette année on peut considérer qu’elle échappe à 30 à 35% de ses coûts !!!!) alors que la SNCF Voyageur doit assumer un « dividende » qu’elle doit dégager et reverser à Reseau (avec la réforme de 2014 puis 2018, l’Etat reconnaît qu’il doit verser plus d’argent pour l’entretien du réseau donc il oblige SNCF voyageurs à verser 700 millions d’euros, et il considère que c’est une subvention publique puisqu’il renonce à ce « dividende » en l’attribuant à Reseau… sauf que ce dividende, il faut le prélever sur les activités de SNCF voyageurs donc sur les TER, RER, TET et TGV).

Bref la SNCF doit « faire du blé ». C’est en tout cas la mission, la priorité et la trajectoire que lui a fixé l’Etat.

Clement Beaune va t il confirmer ? Probablement. Peut être même amplifier si l’Etat décide qu’il faut investir plus dans le réseau (ce qui est effectivement nécessaire) mais qu’il ne veut pas mettre les moyens publics pour cela…

Si on reste dans la logique de marché, il vaut mieux des trains pleins car les places seront plus chères que des trains en nombre suffisants. C’est pour ça que la SNCF préfère envoyer des rames TGV commandées à Alstom en Espagne plutôt que de les utiliser sur le marché français alors qu’on manque de places aux pointes d’été (et que c’est probablement une situation qui va s’amplifier avec le renchérissement du pétrole)… et elle s’apprête à envoyer une seconde livraison en Italie… on nous parle de pénurie de matériel mais elle est organisée cette pénurie.

A ma connaissance, l’utilisation du marché Alstom pour fournir des rames à une future filiale italienne plutôt qu’aux besoins du marché français a été validé TOUT RÉCEMMENT par le Ministère. Donc il faudra attendre 5 ou 6 ans au minimum avant d’avoir des rames supplémentaires en France. Sauf si le Ministère revient sur sa validation de l’aventure italienne !

Le train serait moins cher si on avait pas abandonné complètement les intercités, y compris les trains de nuit. Pour reprendre mon exemple du Marseille Strasbourg, puisque l’avion met 12h, n’y avait il pas un espace pour un train pas cher en vitesse classique qui ne soit pas un TGV passant par Paris et mettant un peu plus de 6h ?

Et le train serait moins cher si l’Etat n’avait pas orienté le financement de la SNCF sur le tout TGV (60% des recettes commerciales de l’entreprise !!!) pour se désengager de certaines de ses responsabilités…

En dehors d’exemples précis, il est très difficile de dire combien coûte le train car il est difficile de faire des moyennes dans le fatra des tarifs. Mais là encore, ce n’est pas le fait du hasard et ce n’est pas seulement la responsabilité de la SNCF, qui a de plus en plus sa logique propre, mais qui reste un outil des politiques publiques.

La mise en place du Yield management date de mai 1993… gouvernement Balladur, donc une décision politique de la droite. Pour les TER, l’autonomie tarifaire des régions c’est la réforme SRU de 2000 (gouvernement Jospin) et surtout la réforme de 2014 (gouvernement Hollande) qui leur permet de faire n’importe quoi. Quand chaque Région fait ses tarifs, forcément, les conditions générales de vente à l’échelle nationales deviennent un tantinet étoffées. Bref.

Que choisir avait fait une étude en 2019 établissant une moyenne de 0,18€/km pour les trajets inférieurs à 2h et 0,15€/km au delà. Ces tarifs différaient selon la ligne de 0,10€ sur Toulouse-Narbonne à 0,25€ sur Paris-Dunkerque. Mais ça donne une idée.

Sur cette référence, si l’Etat fixait une valeur de 0,10€/km, voire moins, on baisserait sensiblement le prix du TGV. Mais évidemment il faudrait construire un modèle qui ne se base pas sur les recettes TGV pour se financer : perte probable de 2 des 6 milliards de recettes générées, qui pourraient être compensées par le volume mais cela suppose d’avoir les rames et les lignes, et cela remet en cause la logique de marge maximale, de vache à lait pour tout le système ferroviaire…C’est un choix politique !

Celui du TGV service public pour la transition écologique, l’aménagement du territoire, le droit aux vacances pour tous, etc… celui des TET complémentaires de l’offre pour toutes les destinations, etc… c’est possible mais cela suppose de gros changements d’orientations. Des ruptures mêmes.

Le choix actuel du Gouvernement c’est au contraire la concurrence, qui comme tout le monde sait, règle tous les problèmes (ça ne se voit pas à l’écrit mais c’est de l’ironie !!!!).

Problème : dans la loi de l’offre et de la demande, le train est actuellement déjà très compétitif (comme vu plus haut) et il n’y a donc aucune raison que les prix baissent sur les segments en open accès (TGV). Au contraire, puisque les concurrents sont à la masse on peut augmenter les prix.

Et dans les segments conventionnés (TER, RER, TET) comme le processus concurrentiel désoptimise le système ferroviaire (comme vu également plus haut), il faudra accroître la subvention publique. Au km de train, la subvention offerte en PACA, en Grand Est et en Haut de France est plus importante dans les futures contrats que ce qui était attribué par la SNCF. Par contre l’argent public reste limité, donc très souvent l’ouverture à la concurrence est précédée par des réductions de dessertes dans les zones jugées non stratégiques. La concurrence c’est plus cher et ça conduit à abandonner une partie des usagers. Et en PACA et en Grand Est, ça débouche aussi sur des augmentations de prix pour les usagers (Ben oui, les promesses sur les baisses de prix après la suppression du statut des cheminots n’engageaient que ceux qui y ont cru…).

Pour sauver la face, ces Régions crient à la mauvaise qualité du service et se mettent à refuser de payer la SNCF. Tant que c’est encore une entreprise publique, ça marche… Les outils publics se laissent piller par les autorités car ce sont des outils publics (comme EDF avec l’énergie vendue à leurs concurrents). Bref.

Pour le TGV, tous les usagers seront perdants, comme dans toutes les activités ferroviaires (Ter, Rer…). Mais à l’intérieure des perdants il y en aura des moins maltraités, ceux qui sont sur les liaisons très rentables. Ceux là auront l’impression d’être gagnants, donc que le système concurrentiel fonctionne, mais ce sera très largement fictif, et surtout ça se fera au détriment du reste du territoire. La aussi, c’est un choix politique : soit on veut faire société ensemble, on veut constituer une Nation française basée sur un contrat social d’égalité et de solidarité, soit c’est chacun pour sa gueule…

Même s’il a déjà bien avancé, le processus de déconstruction n’en est encore qu’au début donc il est réversible !

Mais on peut déjà mesurer les effets : par exemple sur l’ultra rentable ligne Paris Lyon (pour les mêmes dates que le Marseille Strasbourg, sur le même comparateur et infos prises dans la même matinée) :
96€ en avion pour 1h07 (mais si on rajoute le transport au centre ville c’est au moins 2h de plus et c’est 26,7€ pour la navette Rhoneexpress à Lyon et je n’ai pas cherché le prix du RER)
34€ en bus mais il faut vouloir se taper 6h07 de trajet
En train : 76€ avec Trenitalia (en réalité 65€ sur leur site) ; 74€ avec SNCF Ouigo (en réalité 60€ sur SNCF Connect) et 93€ avec SNCF Inoui (en réalité 120€ sur SNCF Connect). Le tarif dépend beaucoup plus de l’heure à laquelle vous partez que de la compagnie.
Ce n’est pas une analyse complète, ce n’est pas une moyenne, c’est un sondage a un instant T, mais il confirme que le train est très compétitif par rapport aux autres modes de transport et qu’à l’intérieur du mode ferroviaire la SNCF est loin d’être larguée.

Par contre, si on calcul le prix kilométrique, Pour Marseille Strasbourg 226€ / (2x800km) = 0,14€ du km
Pour Paris Lyon 60 ou 65€ / (2x460km) = 0,065€ ou 0,07€ du km
Autrement dit un usager de Strasbourg paye le train 2 fois plus cher qu’un usager de Lyon. Et je ne parle que des métropoles, je n’aborde pas Aubagne-Schiltigheim ou Givors-Melun…

Plus la concurrence va s’installer, plus l’écart va se creuser, et personne n’y gagnera ! Le train va coûter de plus en plus cher, et encore plus lorsqu’il s’agira d’aller dans des zones moins rentables.

Pour ma part je défend le service public, son monopole pour réduire les coûts, et l’égalité territoriale la plus grande possible. Pour cela il va vite falloir sortir du tunnel libéral dans lequel nous sommes enfermés.

Laurent Brun

Éric BOCQUET sénateur communiste: La galette à la pomme

 Intervention d'Eric Bocquet au sénat: Question au gouvernement.




Nous sommes sans doute très nombreux à avoir dégusté en conclusion des fêtes de fin d’année, ou de début, la célèbre galette des rois, même pour les républicains que nous sommes.

Éternel débat entre frangipane et pomme, chez Apple, le fabricant de téléphones, le débat est tranché depuis longtemps, ce sera pomme tous les jours et en plus c’est toujours eux qui décrochent la fève tant espérée.

L’année boursière de 2021 s’était achevée dans un climat d’euphorie généralisée, eh bien 2022, c’est pareil, en matière de pommes, c’est même plutôt la golden, en effet Apple entame 2022 sur les chapeaux de roue. Le groupe à la pomme (c’est son logo) est devenu le premier au monde à passer les 3 000 milliards de dollars de capitalisation boursière lors de la séance du lundi 3 janvier 2022.

À titre de comparaison, l’entreprise fondée par Steve Jobs en 1976 pèse aujourd’hui à elle seule plus que l’ensemble du CAC 40 français, ou que l’économie du Royaume-Uni.

Le groupe avait frôlé cette barre des 3 000 milliards de dollars le 13 décembre dernier, il aura fallu attendre le 3 janvier 2022 pour y parvenir. Bonne année !

Après son entrée en bourse en 1980, Apple avait mis 28 ans à franchir la barre des 1 000 milliards, le groupe avait ensuite mis moins de deux ans à franchir celle de 2 000 milliards, c’était le 19 août 2020.

L’année 2021 fut également prolifique pour « la Pomme », le cours de l’action s’est envolé de 36 %, la firme profite évidemment de l’essor incroyable du télétravail, de l’enseignement à distance, du divertissement et du besoin plus important que jamais de rester « connecté » pendant les confinements successifs. Tous les groupes de la « tech » ne peuvent pas se vanter d’avoir un titre qui a rapporté plus de 45 000 % en vingt ans, soit une moyenne de 37 % par an.

Ce contexte pandémique intéresse aussi beaucoup les investisseurs, car Apple est aussi très généreux à leur égard. En 2020, l’entreprise a versé 14 milliards de dollars de dividendes et a racheté pour 72,5 milliards de ses propres actions, faisant ainsi croître son bénéfice par action de 18 % par an. Il n’y a qu’un chiffre qui ne bat jamais aucun record, c’est celui des impôts payés en France et ailleurs. Joe Biden s’en était ému pendant sa campagne, et depuis… pas grand-chose.

Et heureusement, chez nous, en France… non, non, je m’égare, tout reste à faire.

On compte bien en faire tout un fromage !


Salaire, santé, énergie, réchauffement climatique, évasion fiscale, éducation...


N'en déplaise à certain, on compte bien en faire tout un fromage ! 

 

OUTRE-MER. Cette colère qui bouscule la Macronie.


Pour toute négociation de la part de Macron et Darmanin, c'est l'envoi des troupes et du GIGN en Guadeloupe et en Martinique. Macron et son exécutif veulent-ils renouveler le drame de mai 1988 à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, sous Chirac et Pasqua ?








Face au climat d’insurrection qui monte en Guadeloupe et en Martinique, le pouvoir a voulu se montrer magnanime et s'est dit « prêt » à parler « changement de statut ». Une réponse qui tombe à côté. Plus social qu'institutionnel, le mouvement continue, de plus belle. Un boulet pour le candidat Macron ?

Avec la crise sanitaire, les Antilles connaissent un nouvel embrasement social. Presque treize ans après un mouvement de grève massif contre la « profitation » mot créole qui dénonce un système , issu de l'histoire coloniale ( 38 jours en Martinique , 44 jours en Guadeloupe ) en 2009, des appels à la grève générale ont été lacés par les organisation syndicales sur les deux Îles.


Si le passe sanitaire et les suspensions de pompiers et de personnel soignant ont mis le feu aux poudres au mois de septembre, la situation sociale en Guadeloupe comme en Martinique constitue la poudrière. De fait, ce mouvement éloigné de la Métropole d'un point de vue géographique s'invite politiquement dans la campagne de la présidentielle.

Pauvreté, inégalités, jeunesse poussée à bout.

« Les gouvernements successifs n'ont pas retenu les leçons de la grève de février 2009 », analyse ainsi Louis Broutin, avocat et président de la Martinique – Écologie. « C'est tout ce que nous avons dénoncé en 2009 qui rejaillit en ce moment », considère Jean-Marie Nomertin, secrétaire général de la Confédération générale du travail de Guadeloupe » ( CGTG ). Entre trois et quatre Martiniquais sur dix vivent sous le seuil de pauvreté », souligne le dirigeant communiste et conseiller municipal de Fort-de-France, Michel Branchi.

Parti d'une contestation de passe sanitaire, le mouvement a tourné à la grève générale d'abord en Guadeloupe. Le 22 novembre, il s'est propagé à la Martinique, « avec les autres syndicats, nous avons ajouté toutes les revendications sociales, sur la précarité, la misère, les bas salaires, le respect des conventions collectives », explique Jean-Marie Nomertin.

« En Guadeloupe, les patrons sont champions de la triche aux cotisations sociales », dénonce le syndicaliste. En Martinique, ce sont aussi les revendications sociales qui ont été mises en avant par les. syndicats. Sur le terrain, la grève générale n'a pas encore mobilisé la majorité de la population, malgré le succès de la manifestation organisée par le LKP (Collectif contre l'exploitation outrancière ), le 27 novembre.

La jeunesse a érigé des barrages routiers d'abord en Guadeloupe, pratique qui s'est étendue à la Martinique, avec des heurts et parfois même des coups de feu face aux force de police. ( si les violences et les pillages doivent être condamnés, il est d’abord urgent de remettre de l'ordre social et de faire l'égalité républicaine, non plus une promesse, mais également une réalité pour le Antillais et les Guyanais.)

Le gouvernement, lui, a d'abord refusé de négocier et considéré les grévistes comme une minorité de réfractaires à la vaccination… Il a répondu en envoyant des renforts de police et de gendarmerie, et par l'instauration d'un couvre feu. Puis, face à la persistance des tensions, il a commencer à lâcher du lest, au moins dans le discours . Le ministre des Outre-Mer, Sébastien Lecornu, s'est enfin rendu sur place le 28 novembre, et l'obligation vaccinale des personnels soignants a été décalé à la fin de décembre.

Le système de santé y est sous très forte tension, ce qui ne date pas de la crise Covid : le Centre hospitalier de Guadeloupe, par exemple, connaît une situation de crise depuis des années. ( 33 lits de réanimation adultes et enfants au total au CHR et dans le privé pour 389 000 habitants, et 29 lits réa pour adultes et enfants en Martinique pour une population de 359 000 habitants )

Le candidat communiste à l'élection présidentielle, Fabien Roussel, qui était en visite sur place le 25 novembre, a pu s'en rendre compte : « Le service de diabétologie du Centre hospitalier de Guadeloupe a été fermé bien avant l'obligation vaccinale, faute de moyen, alors que c'est le deuxième département le plus impacté par le diabète », témoigne-t-il.

Chlordécone et coupures d'eau.

Le scandale du Chlordécone, insecticide responsable de nombreux cancers de la prostate, continue à empoisonner les relations avec la Métropole. Pour l'instant, seuls les ouvriers agricoles peuvent bénéficier d'examens de dépistage gratuits , alors que toute la population y a été exposée. Un dossier qui alimente la défiance à l'égard du vaccin et expliquerait que seulement 35 % de la population soient immunisées ?

Michel Branchi estime que « c'est même plus grave que ça ». Il s'agit selon lui, d'un effet conjugué « des réseaux sociaux et des ''fake news'' alimentés dans les thèses complotistes de l'extrême droite française. »

Il précise également que l'hôpital de Fort-de-France, des médecins et des soignants sont attaqués, menacés, insultés alors que les jeunes internes demandent à rentrer en France. »

En outre, le habitants de Martinique et de Guadeloupe sont confrontés à des problèmes de coupures d'eau potable en pleine pandémie. « Les multinationales de l'eau se remplissent les poches sur le dos des Martiniquais ! S'insurge l 'avocat Louis Broutin, mais elles ne réalisent pas les investissements nécessaires à la modernisation des usines d'eau potable. Portant, la Martinique à l'eau potable la plus chère de France et d'Outre-Mer. »

Le 27 novembre, Sébastien Lecornu a fait une nouvelle tentative de désamorçage du conflit. Il s'est dit ouvert à la discussion sur « l'autonomie » de la Guadeloupe. Un geste en direction des indépendantistes, partie prenante du conflit social en cours.

A cinq mois de la présidentielle, il semble que l'exécutif nourrisse quelques inquiétudes. Une explosion sociale aussi longue et aussi massive qu'en 2009, compliquerait la tâche du candidat Macron, d'autant plus qu'il n'est pas interdit qu'elle fasse tache d'huile : parti de Guadeloupe, le mouvement s'est étendu à la Martinique. Et la Guyane connaît des problématiques parallèles, tel l'empoisonnement des rivières lié à l'orpaillage, avec, là-bas aussi , une crise sociale très forte.

« Impulser un mouvement en métropole »

Quant au secrétaire général de la CGTG, Jean-Marie Nomertin, il n'y va pas par quatre chemins : « Nous souhaiterions que les camarades de la CGT puissent impulser un mouvement en Métropole »,laquelle connaît selon lui, une problématique qui commence à la rapprocher de la Guadeloupe.

En ne bougeant que sur la vaccination des soignants et « l'autonomie », le gouvernement néglige donc la grosse poudrière, c'est à dire la question sociale.

Le secrétaire général du PCF accorde également de l’importance à la davantage respectés, explique-t-il. Il faudra créer les conditions pour qu'il y ait des institutions nouvelles, afin que les choix soient mis en œuvre en tenant comptes des réalités des populations des deux Îles.

« Il appelle de ses vœux un « plan d'urgence pour les Antilles » et exhorte le gouvernement à rouvrir le dialogue au plus vite.




Cathy Apourceau-Poly, Sénatrice du Pas-de-Calais: Mettons l’économie au service de l’humain

Perte de puissance économique de la France et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat -


Depuis trente ans, les gouvernements libéraux diminuent les cotisations sociales et la fiscalité des entreprises et imposent des sacrifices aux salariés au nom de la compétitivité. Pour quel résultat ? Les entreprises délocalisent, les dividendes explosent et les salaires stagnent, alors qu’Emmanuel Macron annonce un nouveau durcissement des allocations chômage et continue ses cadeaux fiscaux aux plus riches.

Les parlementaires communistes proposent un contre-projet avec des emplois stables, des services publics de qualité, une industrie au service des besoins de la société. Il faut réorienter les richesses vers la satisfaction des besoins des personnes plutôt que du capital et confier de vrais pouvoirs de décision aux citoyens et au monde du travail.

Quelque 358 000 familles ont été exonérées d’impôt sur la fortune (ISF) alors que leurs 1 000 milliards d’euros de patrimoine représentent la moitié du PIB de la France...

Le Président de la République a exonéré les entreprises de cotisations sociales tout en aggravant la précarité. Le soi-disant coût du travail n’existe pas : le travail crée des richesses.

Mettons l’économie au service de l’humain. Entre 2008 et 2017, l’Union européenne a apporté 1 500 milliards d’euros au système financier sans effet sur le chômage...

Face aux défaitistes, nous proposons les jours heureux : augmentons les salaires, réduisons la durée hebdomadaire du travail à 32 heures, recrutons massivement dans la fonction publique...

M. Laurent Duplomb. - Mais bien sûr !

Mme Cathy Apourceau-Poly. - ... augmentons le SMIC de 200 euros nets par mois, revalorisons les pensions et les minima sociaux, faisons l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, rétablissons les cotisations sociales du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), modulons l’impôt sur les sociétés en fonction des politiques d’emploi et d’investissement des entreprises, taxons les 10 milliards de profits annuels des compagnies pétrolières, baissons les prix des carburants et réduisons de 30 % les taxes sur le gaz et l’électricité !

Il est encore temps d’inverser la tendance : investissement et humain plutôt qu’austérité et marché.


À l'indignation, monsieur Darmanin, a succédé la rage

Au lendemain du drame qui a coûté la vie à 27 personnes dans la Manche, Michaël Neuman, directeur d'études au Centre de réflexion sur l'action et les savoir humanitaires de la fondation MSF, dénonce les responsabilités de l'État français et du ministre de l'Intérieur.



M. Darmanin,

La place n’est plus à l’indignation mais à la rage.

La rage de voir que cette tragédie de plus, ces 27 personnes mortes noyées en Manche faute de n’avoir pas reçu l’attention minimale pourtant due à n’importe quel être humain ne suscite chez vous rien d’autre que des coutumières accusations contre les passeurs et trafiquants.

La rage de voir qu’il n’y a, chez vous plus d’espace pour la compassion et la lucidité. Faisant face aux flots d’indifférence au mieux, de haine au pire que les personnes exilées subissent aux frontières de la France, elles ne reçoivent de votre part qu’humiliation et violence.

La rage de voir qu’aux si nombreuses voix qui vous ont alerté sur le fait que la Manche deviendrait, devenait, un cimetière, vous n’avez eu d’autres réponses que de saluer la politique de la maire de Calais qui en collaboration avec les services de l’Etat a fait de sa ville un lieu d’effroi pour les exilés.

La rage de voir que la France n’est aujourd’hui rien d’autre que le garde-frontière de la Grande Bretagne, dans un chantage dont les perdants ne sont jamais ni vous ni Priti Patel, ni Jean Castex, ni Boris Johnson mais bien ces hommes, ces femmes et ces enfants que vous pourchassez inlassablement.

La rage de voir que pour faire rêver un ministre de l’Intérieur, les barbelés ne suffisent plus et que votre petit bout de rêve à vous, c’est une camp prison comme celui que vous avez visité à Grèce, sur l’île de Samos tout récemment.

La rage de constater qu’à la détresse de mes collègues sauveteurs en mer en Méditerranée découvrant au milieu d’un amas de survivants une dizaine de corps sans vie, vous n’offrez comme seule politique que le maintien coûte que coûte des candidats à l’exil européen dans les immondes prisons libyennes.

La rage de voir que vous n’êtes bien entendu pas tout seul dans votre entreprise mortifère : nombreux sont ceux qui estiment aujourd’hui qu’un bon migrant est un migrant noyé ou désespéré, car il ne viendra plus, ni lui, ni d’autres. Quelle idée fausse, pourtant.

La rage de voir que malgré les démentis apportés par les faits, établis par la science, vous persistez, vous et d'autres dirigeants à ne pas comprendre que vos frontières tuent, que vos politiques nourrissent les trafics et les passeurs bien plus qu’elles les découragent.

La rage de constater que ces politiques, vous les menez en notre nom, qu’en notre nom vous condamnez dans un seul souffle bonnes âmes et acteurs de la solidarité renvoyés à leurs idéaux naïfs pour y préférer votre dialectique de l’abject : fermeté et humanité.

La rage d’anticiper que de ce drame rien de bon ne naitra et que vous perpétuerez, encore et toujours vos politiques empruntes de morgue et de bêtise. Pourtant vous savez. Que vos politiques tuent.

Vos politiques tuent, de la Pologne au Canaries, de la Grèce à la Libye, de la Méditerranée à la Manche, de la Bidassoa à la Vallée de la Clarée, vos politiques tuent.

Vos politiques tuent de ne pas concevoir qu’un autre accueil est possible, un accueil dont la possibilité est pourtant démontrée tous les jours par des millions de citoyens, des élus, des organisations, en France, en Italie, en Allemagne, en Grèce et ailleurs en Europe : tout un peuple qui continue de voir en ces réprouvés des personnes, des enfants aussi car ils sont nombreux, ces enfants, et non des toxines dont il faudrait se débarrasser par crainte de ‘grand remplacement’.

Aujourd’hui, votre fermeté et votre humanité ont condamné à la mort 27 personnes parties de chez elles parce qu’elles ont, un jour, estimé qu’elles n’avaient plus de choix; elles ont condamné à la mort 27 personnes décidées à ne plus supporter les conditions de vie auxquelles vous les condamniez, dans la boue et les tentes déchiquetées, de Grande-Synthe, de Briançon ou d’ailleurs.

Oui, la rage.


Drame de Calais : l’émotion ne suffit plus ! Respectons le droit et ouvrons des voies légales et sécurisées de migration



Depuis hier soir, le président de la République et des ministres se répandent sur les réseaux sociaux pour exprimer leur émotion à la suite d’un nouveau naufrage d’une embarcation de fortune dans la Manche.

Une trentaine de morts qui s’additionnent aux milliers de morts en Méditerranée, aux morts dans les montagnes, sur les voies ferrées, aux morts à la frontière polonaise avec la Biéolorussie. C’est intolérable, inhumain ! La politique de l’Union européenne est une des responsables de ces drames.

L’émotion ne suffit plus, surtout de la part de celles et ceux qui ont mis en place cette politique d’ « Europe forteresse » et de « chasse » aux migrant-e-s.

La politique répressive des gouvernements français depuis plus de 10 ans est un échec et met en danger la vie de personnes déjà fragilisées.

Le Parti communiste français (PCF) demande que la France prenne maintenant l’initiative de voies légales et sécurisées de migration pour éviter tous ces drames et participer à l’accueil, l’installation et l’accès à leurs droits de toutes ces personnes qui cherchent un lieu pour vivre.

Le PCF réaffirme que cela doit passer par la dénonciation des accords du Touquet, l'abrogation des directives de Dublin et le plein respect du droit et des conventions internationales.

Parti communiste français,
Paris, le 25 novembre 2021

"LA GUADELOUPE N'ACCEPTE PLUS LE MÉPRIS" FÉLIX FLÉMIN, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU PARTI COMMUNISTE GUADELOUPÉEN Mardi 23 Novembre 2021

Depuis une semaine, la grève générale et la révolte se sont ajoutées aux manifestations qui durent depuis quatre mois. Un nouvel épisode qui illustre les maux béants de l’archipel. Félix Flémin, secrétaire général du Parti communiste guadeloupéen, expose les raisons et le contexte de cette révolte.

"La Guadeloupe n'accepte plus le mépris" Félix Flémin, secrétaire général du Parti communiste guadeloupéen
Parti du refus de l’obligation vaccinale, le mouvement de contestation en Guadeloupe s’est étendu très rapidement : aux manifestations ont succédé une grève générale, puis des nuits d’émeute. Une véritable révolte qui n’est pas sans rappeler les multiples épisodes similaires de l’histoire de l’archipel, dont la dernière en date en 2009. Félix Flémin, secrétaire général du Parti communiste guadeloupéen, en expose les raisons et le contexte.

La grève générale qui a débuté le 15 novembre et le mouvement de contestation émaillé de violences sont souvent présentés comme « antivaccin ». Quelle est la réalité sur place ?

FÉLIX FLÉMIN Cette semaine de mobilisations fait suite à deux mois de manifestations et de revendications sans aucun retour. Le gouvernement est resté sourd aux demandes de l’intersyndicale du LKP, notamment de ne pas contraindre à l’obligation vaccinale des personnels soignants, de la restauration, des pompiers, et de prendre en compte la réalité et le contexte de la Guadeloupe. La colère a grandi sur des propos méprisants : les Guadeloupéens ont été traités d’alcooliques, de superstitieux, et même de vaudous. Ce mépris a émané de ministres comme Olivier Véran et Sébastien Lecornu, avec des propos qui n’avaient pas vocation à apaiser et comprendre mais à contraindre. La Guadeloupe ne l’accepte plus.

Il n’est pas anodin que le point de départ concerne la question de la santé, un sujet sensible en Guadeloupe ?


FÉLIX FLÉMIN Oui, il faut comprendre le contexte. La Guadeloupe est durement touchée, avec près de 1 000 morts du Covid. Mais c’est aussi lié à d’autres facteurs : l’état de délabrement du CHU, sous-équipé, qui ne compte que 35 lits de réanimation. Ensuite, d’une absence depuis des années de politique sanitaire : exemple avec le diabète, une comorbidité très importante ici. Il existe une loi de 2007 sur le taux de sucre dans les aliments : elle n’est toujours pas appliquée, faute de décrets, car l’industrie agroalimentaire s’y refuse. Et quand Emmanuel Macron vient en Guadeloupe jouer les épidémiologistes et dit qu’il n’y a pas de lien entre chlordécone et cancer, c’est une parole de mépris. On comprend qu’il y ait une forte défiance vis-à-vis de la parole publique.

La Guadeloupe connaît une résurgence régulière de manifestations et de révoltes. Quel en est le terreau politique et social ?

FÉLIX FLÉMIN Il est toujours le même : 40 à 45 % des Guadeloupéens vivent en dessous du seuil de pauvreté – pourtant plus bas qu’en métropole – 61 % des moins de 25 ans sont au chômage. Voilà la réalité d’un pays maintenu dans une économie de rente, sans aucun développement économique réel, et qui subit une double exploitation capitaliste et coloniale. C’est ce qui explique la permanence de ces combats.

Y a-t-il un lien avec le mouvement de contestation de 2009, symbolisé par le LKP ?

FÉLIX FLÉMIN Le processus est différent mais les revendications perdurent, par exemple pour la vie chère qui n’a pas cessé malgré les engagements de l’État. De même que la question de l’eau, déjà posée en 2009. Rien n’a été fait, il n’y a toujours pas de véritable service public de l’eau. C’est cela, la réalité du peuple guadeloupéen : on peut envoyer autant de GIGN qu’on veut, la question de fond, c’est le mépris colonial, la relation de la France avec la Guadeloupe.

Le gouvernement a reçu, ce lundi, sous l’égide de Jean Castex, des élus guadeloupéens. Quelles réponses attendez-vous de l’État ?

FÉLIX FLÉMIN On constate d’abord que c’est la mobilisation qui a contraint le gouvernement à accepter le dialogue. Sur le fond, nous considérons que ce n’est pas en convoquant les Guadeloupéens à Paris que nous réglerons les problèmes. Encore une fois, cela renvoie au colonialisme. Quand il y a des problèmes à Marseille, Macron y va. Nous avons besoin de véritables négociations : surseoir d’abord à l’obligation vaccinale, répondre au besoin de l’accès aux soins, rétablir les salariés suspendus, élaborer un plan d’urgence, notamment pour la jeunesse. Que le gouvernement vienne discuter avec les Guadeloupéens, l’intersyndicale, les organisations politiques. Nous, le PCG, sommes porteurs de propositions politiques de fond, d’une souveraineté partagée. Les munitions ne seront jamais une réponse à la situation de la Guadeloupe.

Mardi 23 Novembre 2021
Benjamin König
L'Humanité

Jean-Marc Jancovici: 100% renouvelable pour pas plus cher, fastoche ?



Jean-Marc Jancovici est un ingénieur reconnu pour ses publications sur l’énergie et le climat, fondateur du shift project, spécialiste de la transition énergétique, mêlant connaissances techniques et économiques.

Il propose dans cet article une étude détaillée des coûts d’investissements nécessaires des divers scénarios "100%ENR" en les comparant avec le scénario actuel 50% nucléaire...

Il prend en compte ce que beaucoup de promoteurs du 100% ENR oublient, le coût de renforcement des réseaux électrique, le coût du stockage rendu nécessaire par l’intermittence des ENR, la durée de vie des installations et la nécessité de leur renouvellement...

Le résultat est sans appel, même en étant économiquement optimiste pour les ENR et pessimiste pour le nucléaire, les scénarios 100% ENR coutent deux fois plus chers, et dans des scénarios réalistes 6 à 10 fois plus chers en investissements.

Sans compter l’impossible faisabilité politique de stockage massif dans les scénarios 100% ENR qui supposeraient des centaines de barrages dont on se demande quelle région pourrait les accepter compte tenu de leur impact environnemental...

Bref, un peu de réalisme...


Une petite introduction…

Depuis que les énergies fossiles sont passées du statut de « bénédiction » (car elles ont permis la croissance économique) à celui de « problème », à cause du changement climatique évidemment, un certain nombre de scénarios « 100% renouvelables » ont vu le jour. Si le nucléaire n’est pas présent non plus dans ces scénarios, alors que cette énergie n’engendre pas d’émissions significatives de gaz à effet de serre, c’est qu’ils sont en général promus par des entités qui n’aiment pas plus l’atome que le carbone.

Ces scénarios peuvent porter sur toute l’énergie ou juste sur l’électricité, mais dans tous les cas de figure ils supposent que cette dernière est aussi 100% ENR. En général, les deux énergies renouvelables qui dominent dans ces scénarios, pour la partie électrique, sont l’éolien et le solaire.

Un avenir 100% ENR, nous sommes tous pour, a priori. Ou plus exactement nous sommes tous pour si « tout le reste est comme aujourd’hui » : on s’est débarrassé des combustibles fossiles, du nucléaire, et par ailleurs personne n’a froid l’hiver, ne manque de carburant pour se déplacer, ou ne voit son usine, son train ou son bureau à l’arrêt faute d’électricité pour que les machines fonctionnent, et tout cela ne coute pas plus cher, ni n’engendre d’ennuis particuliers. Qui serait contre ?

Or, quand une histoire est si séduisante, comment savoir si elle crédible, ou si elle relève du conte de fées ? C’est là que les ennuis commencent : en une heure de temps, c’est hélas impossible. Les trajectoires proposées reposent sur des modèles qu’un observateur externe ne peut ni analyser ni valider sans s’être plongé dedans de manière approfondie. Or, sans cette étape, il est impossible de savoir dans quelle mesure ils sont susceptibles de fonder une politique publique.

Personne ne sait, sans y passer la nuit (au sens propre), si ces scénarios ne supposent pas une disponibilité en ressources (par exemple des métaux de toute nature pour faire les panneaux ou les éoliennes, les éléments de réseau, et les dispositifs de stockage) qui ne peut être assurée, ou si ils supposent d’investir chaque année une fraction excessive du PIB (lequel dépend par ailleurs de l’énergie disponible !) dans le système électrique, ou de mettre au travail 60% de la population dans la filière énergétique…. ce qui empêche, du coup, d’avoir des gens pour faire quoi que ce soit d’autre !

L’exercice que je vous propose ci-dessous consiste non point à regarder quelle trajectoire permet d’arriver à une électricité 100% ENR, mais tout simplement combien d’argent il aura fallu investir une fois que l’on y sera, à consommation électrique inchangée. Disons que c’est un petit calcul pour donner un ordre de grandeur, sans plus de prétention, mais qui est quand même largement suffisant pour forger quelques conclusions fortes à la fin.

NB : le calcul ci-dessous est fait en supposant la consommation d’électricité en France constante. Que ce soit pour le nucléaire ou pour éolien et/ou solaire, le résultat final sera proportionnel, en première approche, à la quantité d’électricité consommée dans l’année. En valeur absolue, les investissements peuvent donc être inférieurs à ce qui est calculé ci-dessous si nous réduisons la consommation électrique. Mais le rapport entre les deux (entre ce qu’il faut pour nucléaire et ce qu’il faut pour éolien et/ou solaire) est, en première approximation, indépendant du niveau de consommation.

NB2 : le débat nucléaire vs ENR est bien un débat pour l’essentiel à côté de la question climatique, même si le solaire engendre plus d’émissions que le nucléaire à production identique. Remplacer une énergie sans émissions significatives de CO2 (le nucléaire) par une autre énergie sans émissions significatives de CO2 (les ENR) ne change rien aux émissions de gaz à effet de serre. J’y reviens dans la 2è partie de cet article.

NB3 : cette comparaison est strictement monétaire. De ce fait, elle n’inclut pas des externalités qui ne sont pas dans les couts, comme par exemple l’occupation d’espace, l’utilisation supplémentaire de métal et donc les externalités minières, etc.
De quoi partons-nous ?

Nous partons de la situation actuelle de la France, où l’essentiel de la production est faite par le nucléaire (environ les 3/4).


Décomposition de la production électrique en France en 2016. L’ensemble représente 531 TWh (1 TWh = 1 milliard de kWh). Source : RTE.

Pour autant, le nucléaire ne représente pas du tout les 3/4 de la puissance installée, mais bien moins, parce que son « facteur de charge », c’est à dire la proportion du temps où il produit à pleine puissance dans l’année, est bien supérieur à celui des autres moyens de production.


Décomposition de la puissance électrique installée en France en 2016. Source : RTE. L’ensemble représente 131 GW (1 GW = 1 million de kW, et 1 kW, c’est la puissance d’un fer à repasser, ou un peu moins que celle d’un lave-vaisselle).

Côté production, la puissance électrique installée par Français est donc d’environ 2 kW, alors que côté consommation, la puissance d’un abonnement domestique ordinaire – avec 2,3 personnes par foyer en moyenne – est plutôt de 6 kW, donc environ 3 kW par personne. Si on rajoute les puissances installées pour l’industrie, les immeubles tertiaires, les collectivités (éclairage), les transports (train et métro), les parties communes des immeubles résidentiels (ascenseurs, éclairage…) on augmente d’un facteur 1,5 à 2.

Cela signifie que si chacun avait son « autonomie électrique », dimensionnée sur son usage de pointe, et capable de couvrir tous les usages actuels, il faudrait probablement tripler la puissance installée dans le pays, sans parler des éléments évoqués ci-dessous.



Facteurs de charge de chaque moyen utilisé en France en 2016. Ce facteur représente le « pourcentage moyen de la puissance utilisée ». Ainsi, pour le fioul, sa production à la fin de l’année est la même que si il était constamment réglé pour produire à 5% de sa puissance installée (qui est de 7,14 GW à fin 2016) toute l’année.


De même, pour l’hydroélectricité, sa production à la fin de l’année est la même que si elle était constamment réglé pour produire à 28% de sa puissance installée (qui est de 25,8 GW à fin 2016). Calculs de l’auteur sur données RTE.

On voit que pour le solaire, le facteur de charge est de 14%, et de 20% pour l’éolien, soit respectivement un cinquième et un petit tiers de ce qu’il est pour le nucléaire. Or ces deux premiers moyens produisent « autant qu’ils peuvent » : comme ils sont prioritaires sur le réseau, leur production ne baisse (ou ne s’arrête) que pour une seule raison : pas assez de vent ou de soleil. Si le facteur est bas, ce n’est donc pas parce que nous décidons délibérément de ne pas nous en servir à pleine capacité, mais juste parce que la nature ne permet pas de faire plus.


Comme les graphiques ci-dessus le montrent, les facteurs de charge varient beaucoup d’un moyen de production à un autre. Pour le solaire il est bas parce que mère nature a décidé qu’il n’y aurait pas de soleil la nuit, et qu’il y en aurait peu l’hiver et les jours de pluie. Pour l’éolien, c’est pareil, mère nature ayant décidé qu’il n’y aurait pas de vent optimal en permanence (il y a souvent du vent, mais plus ou moins fort…). Ces premiers moyens sont dits fatals : ils produisent quand les conditions extérieures sont favorables, et donc l’électricité est disponible à ces moments là et pas à d’autres.

Mais l’essentiel de la production vient de moyens dits « pilotables » (ils sont déclenchés à la demande). Certains sont très sollicités (nucléaire), d’autres très peu (fioul), mais ils sont essentiels pour assurer la stabilité du réseau à certains moments, notamment la pointe du soir en hiver quand il fait froid (et à ce moment là il fait nuit, donc le solaire est à zéro, et si il fait froid il y a un anticyclone, et le vent est à pas grand chose).

Ces moyens sont l’hydroélectricité pilotable, à partir de barrages (environ 15 GW actuellement, le reste est du fil de l’eau qui produit en permanence), du gaz, du fioul et du charbon. Mais le nucléaire en fait aussi partie désormais : il peut faire varier sa puissance à l’échelle de l’heure, pour suivre la courbe journalière de charge.


Courbe de charge du réacteur Golfech 2 sur un mois. Source EDF


On constate facilement que le réacteur est capable de grandes variations de puissance, à la hausse comme à la baisse. Il peut donc s’ajuster facilement à la courbe de demande (on parle de suivi de charge). En pratique, une centrale nucléaire peut désormais faire varier sa puissance de 30 MW par minute, ce qui est équivalent à ce que sait faire une centrale à gaz ordinaire (une centrale à gaz très performante peut aller à 50 MW par minute).

Ce même nucléaire assure aussi la moitié ou plus du surplus de production hivernal (il est donc inexact de dire, comme on l’entend parfois, que le chauffage électrique est fait uniquement avec des centrales à charbon « allumées » pour l’hiver).


Production nucléaire mensuelle en France de janvier 1991 à décembre 2015. Le surplus saisonnier du nucléaire est très net, et représente en gros 50 TWh sur l’année. Or le chauffage électrique c’est environ 70 TWh (sans l’eau chaude sanitaire), et ce n’est par ailleurs pas le seul usage qui augmente l’hiver (l’éclairage aussi, parce que les journées sont plus courtes, la cuisson, parce que l’on mange mijoté, le dégivrage des rails, et plein d’autres choses). Un autre contributeur saisonnier significatif est l’hydroélectricité, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, avec toutefois une régularité moins nette (source ENTSOE pour les données des deux graphiques).

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Yann Brossat: Contrôler les chômeurs ? Contrôlons plutôt les millions d'€ versés aux entreprises sans contrepartie

 

Nucléaire et renouvelables, l’Académie des sciences remet les pendules à l’heure




«Les énergies renouvelables intermittentes et variables, comme l’éolien et le solaire photovoltaïque, ne peuvent pas, seules, alimenter un réseau électrique de puissance de façon stable et pilotable si leur caractère aléatoire n’est pas compensé. Il faut pour cela disposer de capacités massives de stockage d’énergie et/ou d’unités de production d’énergie électrique de secours pilotables. Le stockage massif d’énergie, autre que celui déjà réalisé au moyen des centrales hydroélectriques de pompage-turbinage, demanderait des capacités que l’on ne voit pas exister dans les décennies qui viennent. La pilotabilité, en absence de ces dernières, ne peut être assurée que par des centrales nucléaires, si l’on exclut les centrales thermiques utilisant les énergies fossiles.»

Le gouvernement face à ses responsabilités et contradictions

Dans son rapport publié il y a quelques jours et intitulé, L’apport de l’énergie nucléaire dans la transition énergétique, aujourd’hui et demain, l’Académie des sciences met le gouvernement face à ses responsabilités et ses contradictions. Elle renvoie également au rayon des fantasmes, les études plus ou moins sérieuses sur la possibilité de passer dans un avenir relativement proche à une production d’électricité presque totalement renouvelable. Le constat fait par l’Académie des sciences est le suivant.
1) Le diagnostic

La transition énergétique passe obligatoirement par «une augmentation importante de la part de l’électricité dans la production et la consommation énergétique, pour atteindre un niveau de l’ordre de 700 à 900 TWh (terawatts-heure) en 2050, presque le double de notre production électrique actuelle. Cette électricité doit être la plus décarbonée possible. Cette croissance prévisible de la demande en électricité est le plus souvent sous-estimée et minimisée dans les divers scénarios proposés pour la transition énergétique.»

2) Les contraintes

«Cette transformation du système énergétique doit prendre en compte l’absolue nécessité de garantir la sécurité d’approvisionnement électrique du pays ce qui impose de maintenir une capacité de production d’électricité mobilisable afin de répondre aux pics de la demande, d’assurer la stabilité du réseau électrique et de conserver un niveau significatif d’indépendance énergétique...»

3) Mettre en place une vraie politique de transition énergétique avec l’électricité nucléaire

«L’électronucléaire offre des avantages considérables…. Un RNT [réacteur nucléaire à neutrons thermiques] injecte massivement, 24 heures sur 24, au moins pendant quelque 300 jours par an, de l’électricité décarbonée dans le réseau. La production électrique nucléaire est, en effet, de toutes les sources d’énergie électrique, la moins émettrice de gaz à effet de serre (environ 6 grammes d’équivalent de CO2 par kWh produit). C’est ce qui explique pourquoi la France, qui s’appuie essentiellement sur les énergies nucléaire et hydraulique, produit une électricité décarbonée à plus de 90%. Un parc électronucléaire de RNT assure donc la continuité de la fourniture d’électricité, à un prix limité, et possède, par ailleurs, la capacité de suivi de charge par des possibilités de baisses et montées profondes pour compenser des variations de consommation ou de production des énergies renouvelables intermittentes. »

Mais l’avenir est loin d’être assuré. Le parc nucléaire français fournit aujourd’hui plus de 70% de la production électrique. Elle est totalement décarbonée, abondante, fiable et bon marché

Pour combien de temps encore? 

Les centrales vieillissent. Ainsi, pas moins de 52 des 56 réacteurs en service après la fermeture de ceux de Fessenheim, ont été construits dans les années 1970-1980. Seuls les quatre réacteurs de Chooz et de Civeaux sont plus récents. Tous arriveront en fin de vie d’ici 2040. Même dans l’hypothèse où la loi de transition énergétique serait appliquée, qui prévoit la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique à 50%, il faudra donc construire de nouvelles centrales nucléaires pour remplacer une partie du parc existant. Il faudra avoir le courage politique de le reconnaître.

Le gouvernement refuse même que le sujet soit abordé. Cela aura des conséquences importantes sur la stabilité de l’accès à l’électricité. En clair, le risque de pénurie et de black out va augmenter. Pour maintenir en 2035 la production électrique de la France à son niveau et à son coût actuels, EDF table, a minima, sur la construction rapide de trois paires de deux réacteurs de type EPR. 
Cela prendra bien plus de 15 ans… Et d’ici 2035, la demande d’électricité augmentera.

4) Les préconisations

Conserver la capacité électronucléaire du bouquet énergétique de la France par la prolongation des réacteurs en activité, quand leur fonctionnement est assuré dans des conditions de sûreté optimale, et par la construction de réacteurs de troisième génération, les EPR, dans l’immédiat. Ces derniers reposent sur la meilleure technologie disponible actuellement et offrent les meilleures garanties de sûreté…».

-«Initier et soutenir un ambitieux programme de R&D sur le nucléaire du futur afin de préparer l’émergence en France des réacteurs à neutrons rapides (RNR) innovants de quatrième génération (GenIV), qui constituent une solution d’avenir et dont l’étude se poursuit activement à l’étranger…».

«Maintenir des filières de formation permettant d’attirer les meilleurs jeunes talents dans tous les domaines de la physique, la chimie, l’ingénierie et les technologies nucléaires pour développer les compétences nationales au meilleur niveau…»

-«Informer le public en toute transparence sur les contraintes des diverses sources d’énergie, l’analyse complète de leur cycle de vie et l’apport de l’électronucléaire dans la transition énergétique en cours.»

On peut ajouter qu’il ne faudrait pas seulement informer le grand public mais aussi bon nombre d’organismes publics qui confondent militantisme et intérêt général. 
Car la stratégie de transition énergétique en France est affectée d’une forme de pensée magique. Face à une impasse technique, le gouvernement et nombre d’organismes n’opposent pour l’instant que des scénarios improbables. Ils parient sur l’installation de milliers d’éoliennes, intermittentes, et sur l’hypothèse d’une consommation stable voire en baisse d’électricité. 
Une prévision incohérente avec le scénario même de la transition qui nécessite pour réduire les émissions de gaz à effet de serre l’électrification de nombreux usages dont les transports, le chauffage, l’industrie… C’est exactement ce que dénonce avec force l’Académie des sciences.

Vaccination et passe sanitaire, quelques réflexions


Considérant la vaccination contre le covid-19 et les mesures sanitaires qui l’accompagnent comme des évidences, Mezetulle s’est contentée jusqu’alors d’interventions laconiques. La très large publicité donnée aux rassemblements anti-passe sanitaire de ces dernières semaines, noyautés par les thèses anti-vaccination, publicité tellement démesurée qu’elle est presque un appel à s’y joindre, me décide à sortir de ma discrétion1. Oui la vaccination est urgente et nécessaire et les pseudo-arguments qui prétendent s’y opposer ne sont pas des raisonnements, mais des rationalisations d’une position arrêtée d’avance. Oui des mesures comme le « passe sanitaire », encadrées et limitées par la loi, se justifient. Cela ne signifie pas que la méthode employée pour promouvoir et appliquer la politique sanitaire soit irréprochable : mais les critiques qu’on peut formuler à cet égard ne sauraient remettre en cause une telle politique ; elles pointent davantage une façon générale de gouverner qui reste encore dominée par l’idéologie et les techniques de management. La fin du texte évoque une proposition relative à l’obligation vaccinale


Raisonnement contre rationalisation. À quoi bon argumenter ?


Tout a été dit sur la nécessité et les bénéfices de la vaccination. Jamais il n’a été avancé qu’elle protégerait les vaccinés de toute contamination : elle la réduit considérablement, elle évite les formes graves de la maladie et conséquemment la saturation des services hospitaliers. Jamais il n’a été avancé qu’elle anéantirait la transmission du virus : elle la réduit considérablement1b. Et ce sont précisément les objectifs d’une campagne de vaccination : protéger les individus contre les formes graves, réduire la circulation du virus dans l’ensemble de la population, éviter les conséquences dommageables à la fois pour les individus, les services collectifs et la vie sociale et économique (saturation des hôpitaux, recours in extremis à des contraintes véritablement liberticides – couvre-feu, confinement). On ajoutera que la rapidité de vaccination est un élément essentiel dans la poursuite de ces objectifs : une course de vitesse est engagée avec le virus et plus la vaccination est rapide, moins les variants ont de chances d’apparaître et de se propager, moins les pouvoirs publics sont acculés à prendre des mesures lourdes attentatoires aux libertés et entravant l’activité socio-économique2.

Quant au « passe sanitaire » demandé temporairement dans les lieux publics comme les restaurants, salles de sport, rassemblements culturels, etc., prétendre qu’il est « liberticide » et « discriminatoire » ne relève pas seulement d’une absence de réflexion sur la notion même de liberté, laquelle ne devient concept que si on peut la penser universellement3, cela ne trahit pas seulement l’incapacité à comprendre pourquoi arrêter son véhicule lorsque le feu tricolore est rouge est un exercice de la liberté, cela relève de la volonté délibérée d’être inattentif aux dispositions de ce « passe » et à son encadrement légal. Le « passe » ne réduit pas significativement la liberté d’aller et venir, il ne touche pas à celle d’exprimer publiquement ses opinions, ni à celle de se rassembler – rappelons que ces libertés sont déjà elles-mêmes encadrées par la loi ! Il soumet l’accès de certains lieux (j’y reviens ci-dessous) à des conditions temporaires, accessibles et gratuites et donc non discriminatoires4. Seul le test sera payant d’ici une échéance confortable donnant à chacun le temps de prendre ses dispositions et ses responsabilités. On ne fera pas de comparaison ici avec d’autres États de droit, notamment la plupart des pays européens : elle ne serait que trop favorable à la France !

Mais à quoi bon argumenter ? Arrive un moment où l’argumentation ne sert plus à rien. Pire que le déni qui pour la contrer en appelle à des infox, est la bêtise de la prétendue rationalité qui recourt à des propositions perpétuellement réitérables et infalsifiables.

Exemple : « avec ce vaccin on n’a pas assez de recul ». Il devient inutile de s’épuiser à répondre avec des faits et des expériences, entre autres et sans même reprendre l’histoire de la découverte et de l’administration des vaccins : que le nombre de personnes ayant reçu la vaccination complète contre le covid-19 excède le milliard, que la connaissance et la maîtrise en microbiologie ont considérablement avancé dans les dernières décennies, que l’ARN messager est connu et étudié depuis un demi-siècle, etc. Non, cela ne sert à rien : car la proposition « on n’a pas de recul » répétée ad nauseam n’a pas pour objet de contribuer à un dialogue, mais de repousser indéfiniment, et au seul gré de celui qui la prononce, le délai qu’il conviendrait d’observer. En outre elle a pour maxime qu’il faut renoncer à un bien immédiat et infiniment probable au motif d’un mal imaginaire, non défini et éloigné dans le temps autant que l’on voudra, de sorte que s’il m’arrive un accident de santé dans dix, quinze, vingt ans ou à ma descendance dans, trente, cent, mille ans, on pourra toujours l’imputer au vaccin…. Et voilà pourquoi votre fille est muette.

Ou encore : « Pour contenir la propagation de la maladie et l’apparition de variants du virus il faudrait vacciner toute la planète. Or cet objectif est si éloigné qu’il est dérisoire de se faire vacciner et injustifié de prendre des mesures contrôlant la vaccination ». Autrement dit, une défaillance (à laquelle on pourrait peut-être remédier) est un motif pour en organiser une autre. Une incurie présente serait donc la légitimation d’une incurie volontaire à venir. Avec ce type de raisonnement, qui s’apparente à ce que, dans une éblouissante critique du fatalisme, Leibniz appelait le sophisme de laraison paresseuse5, on aura toujours raison, car on trouvera toujours des failles et des erreurs actuelles pour s’autoriser à temporiser ou à ne rien faire.

Nous n’avons pas affaire ici à des raisonnements mais à des rationalisations d’une position arrêtée d’avance.
Des mesures qui ne sont pas au-dessus de toute critique

Je pense, et cette idée n’a rien d’original, que la situation révélée par les mouvements du samedi résulte d’un profond malaise social qui n’a pas de véritable expression politique et qui ne se formule pas actuellement en termes politiques d’organisation et de programme. Les motifs substantiels de ces mouvements excèdent probablement, et de loin, la question de la politique sanitaire, et c’est parce qu’ils semblent et prétendent s’y réduire qu’ils rencontrent si peu d’écho et de soutien dans l’opinion – à la différence, par exemple, du mouvement contre la réforme des retraites. Or il y a assez de choses à reprocher au président Macron et à son gouvernement, il y a assez de raisons de s’opposer à sa politique générale pour qu’on n’ait pas besoin à cet effet de qualifier inconsidérément les mesures sanitaires actuelles de « liberticides » et de « dictatoriales ».

Apparemment le président de la République semble ici prendre quelque distance avec une politique de selfies et de déclarations adaptées à l’auditoire comme si le corps politique était comparable à des segments de marché. Il semble enfiler vraiment l’habit de président, se saisir de sa mission régalienne : à la bonne heure et mieux vaut tard que jamais. Que le politique, pris dans l’urgence et la nécessité de protéger la population, se décide à « secouer le prunier », à affirmer sa mission sans la décliner dans l’impuissance et le grand écart des « en même temps », c’est un soulagement. Comme le disait la « Une » de La Croix au début de la première vague, transformant par la seule vertu de la ponctuation une séquence lexicale en appel à la fonction principale de l’autorité politique : « L’État, d’urgence ! »6. Et, comme le rappelait récemment Jean-Eric Schoettl7, n’oublions pas que la « pédagogie » dont on nous rebat les oreilles jusqu’à l’infantilisation comprend, outre l’explication, l’admonestation.

Pourtant, la démarche gouvernementale et législative n’est pas au-dessus de toute critique et certains points trahissent la persistance d’une vision segmentariste et « marketing » qui confond obstinément action politique et management.

Par exemple, on ne parvient pas à comprendre (ou plutôt on craint de ne comprendre que trop bien) pourquoi les policiers et les gendarmes sont exemptés de la vaccination obligatoire pour exercer leurs fonctions. Ne sont-ils pas appelés, dans le cadre de leur mission « police-secours », à faire ce que font les pompiers et les ambulanciers ? Que dire d’un contrôleur habilité à réprimander ce qu’il n’est pas astreint à respecter lui-même ? On me répondra que le policier, lorsqu’il n’est pas en service, est soumis aux mêmes règles que tout citoyen, et par ailleurs qu’il est permis à la police, dans l’exercice de sa fonction, de faire ce que le citoyen n’a pas le droit de faire – excéder la vitesse réglementaire pour poursuivre un contrevenant, porter une arme, etc. Mais le cas du passe sanitaire est bien différent : je vais dans un restaurant rassurée du fait de l’application du passe sanitaire, mais je n’aurais pas cette sérénité en pénétrant dans un commissariat de police ou dans une gendarmerie qui ne sont pas seulement des lieux publics où je me rends de mon plein gré, mais qui sont des lieux où je suis obligée de me rendre pour accomplir certaines formalités ? On peut aussi imaginer une situation à la Raymond Devos : que répondra un policier venu contrôler un restaurant si le restaurateur lui demande de présenter le passe à l’orée de son établissement et, devant son refus, parle d’appeler la police ? On rétorquera que les contrôles se feront à l’extérieur, mais quid des terrasses, quid des appels à la force publique en cas de trouble à l’intérieur d’un établissement ? On peut supposer que les policiers eux-mêmes sont très gênés…
L’obligation vaccinale

Certains groupes politiques proposent l’obligation vaccinale pour tous, solution maximale respectant l’égalité. Il se pourrait que ce maximalisme – contre lequel je n’ai rien par principe -, inapplicable rapidement pour des raisons matérielles d’organisation logistique et d’approvisionnement, soit un vœu pieux ayant pour effet de réactiver une des formes du sophisme paresseux dont il a été question plus haut.

En revanche, une autre proposition me semble de bon sens, réaliste, applicable éventuellement par étapes mais assez rapidement et de nature à faire tomber l’objection d’inégalité fondée sur l’application quelque peu étrange, comme on vient de le voir, de l’obligation vaccinale. Ne serait-il pas cohérent de rendre la vaccination obligatoire pour toute la fonction publique8 et pour toutes les personnes au-delà d’un certain âge ? Serviteur de l’État, il faut donner l’exemple et protéger la population en se protégeant soi-même ! Outre que cette exemplarité réduirait les ardeurs des malfaisants qui prétendent refuser de sacrifier une portion de leur liberté particulière (i.e. leur liberté de nuire à autrui) à la collectivité nationale ou même (oui j’ai entendu ce propos, dans la bouche de personnes très distinguées..) « pour des vieux qui de toute façon n’ont plus que quelques années à vivre ». J’ai discuté récemment avec un ami sensible aux sirènes anti-passe : cette idée, dont il a reconnu qu’elle serait conforme à l’idée qu’il se fait de l’égalité républicaine, l’a visiblement ébranlé. Lecteurs, je vous la soumets : vaccination obligatoire pour l’ensemble des personnels de la fonction publique et pour les personnes au-dessus d’un certain âge, seuil à déterminer qu’on pourrait progressivement abaisser selon la situation et l’approvisionnement.

En tout état de cause, faites-vous vacciner – si ce n’est déjà fait !
Notes


1 – Je dois aussi avouer que l’article d’humeur « coup de gueule » que François Braize a publié sur son blog https://francoisbraize.wordpress.com/2021/08/08/trop-cons/ a largement contribué à me sortir de l’inertie !



1b – [Edit du 12 août] J’ajoute cette note afin de signaler l’utilité et l’importance de maintenir les gestes-barrière en milieu fermé. Il est possible, et il serait très regrettable, que « l’effet vaccination » et le terme « passe » entraînent un sentiment d’invulnérabilité chez certaines personnes vaccinées qui se croiraient dispensées de toute autre mesure contre la propagation du virus.
Outre qu’elle évite les formes graves de la maladie, la vaccination réduit de manière significative les risques d’être contaminé et les risques de transmettre le virus, mais elle ne les anéantit pas.
On ne doit pas se croire totalement à l’abri parce qu’on est vacciné, ni penser qu’on est dans un environnement totalement « sécurisé » là où le « passe » est demandé. On est moins exposé, on a infiniment de chances d’éviter une forme grave ; d’autre part on expose moins les autres mais le risque de transmission n’est pas nul, y compris entre vaccinés.
De cela on ne conclura pas que « le vaccin ne sert à rien puisque finalement il faut faire comme si on n’était pas vacciné » (ça aussi je l’ai lu et entendu !) : autre forme du sophisme paresseux (dont il est question ci-dessous) qui aurait pour effets de continuer à laisser circuler activement le virus et de favoriser l’apparition de variants – on sait à quel prix. Du fait que la réduction produite par la vaccination n’anéantit pas immédiatement et totalement l’épidémie, on ne doit pas conclure qu’il faut laisser se développer celle-ci sans recourir à la vaccination (chacun a en tête hélas le cas douloureux et alarmant de la Guadeloupe et de la Martinique où le taux de vaccination est faible) dont jusqu’à présent on sait qu’elle freine de manière importante la propagation du virus (voir, entre autres, cette étude anglaise du 4 août https://www.imperial.ac.uk/news/227713/coronavirus-infections-three-times-lower-double/ ; on pourra consulter aussi les travaux récents de l’Institut Pasteur sur la dynamique de propagation du variant Delta https://modelisation-covid19.pasteur.fr/realtime-analysis/delta-variant-dynamic/). D’où la pertinence d’un « passe » qui banalise le fait d’être vacciné et qui amoindrit les risques dans les zones où il s’applique, ce qui ne suspend pas l’utilité des mesures-barrière classiques : il convient de multiplier les obstacles à la propagation du virus, de lui laisser le moins d’espace possible.


2 – On lira à ce sujet dans la revue Telos la synthèse, traduite en français, d’une étude OCDE qui présente l’équivalence, dans une population, entre les effets des diverses politiques de confinement et le pourcentage de personnes entièrement vaccinées : https://www.telos-eu.com/fr/vaccins-et-variants-le-lievre-et-la-tortue.html . Référence de l’article d’origine : Turner, D., B. Égert, Y. Guillemette and J. Botev (2021), “The Tortoise and the Hare: The Race Between Vaccine Rollout and New COVID Variants”, OECD Economics Department Working Papers, No. 1672, Paris, OECD Publishing.


3 – Cette thèse est un classique de l’enseignement élémentaire de la philosophie morale et politique. Je l’ai maintes fois abordée et développée aussi bien comme professeur que comme auteur, sur ce site et ailleurs. Voir par exemple ce commentaire du Contrat social de Rousseau dans l’article « Le Contrat social avec perte et fracas » https://www.mezetulle.fr/rousseau-contrat-social-perte-fracas/ : « On peut certes empêcher un enfant de frapper son voisin en recourant au schéma du « donnant-donnant » : ne frappe pas si tu ne veux pas être frappé, et lui montrer qu’être à l’abri des coups est une liberté. Mais il n’atteindra le point du sujet autonome qu’au moment où, au-delà du négoce dicté par le calcul, il comprendra que la liberté qu’il exerce n’est liberté que si elle est en même temps celle de tout autre. C’est alors que sa volonté prendra la forme et le nombre de l’autonomie : Rousseau l’appelle la volonté générale dont l’expression est la loi. »


4 – La lecture de la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2021 (sur la loi relative à la gestion de la crise sanitaire) éclaire ces questions point par point pour chaque objection faite par les parlementaires et donc de manière répétitive, de sorte que le lecteur le plus négligent ne peut pas prétendre méconnaître l’encadrement strict des dispositions : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021824DC.htm


5 – Leibniz, Essais de Théodicée (1710), préface. « […] quand le bien ou le mal est éloigné, et douteux, et le remède pénible, ou peu à notre goût, la raison paresseuse nous paraît bonne : par exemple, quand il s’agit de conserver sa santé et même sa vie par un bon régime, les gens à qui on donne conseil là-dessus, répondent bien souvent que nos jours sont comptés, et qu’il ne sert de rien de vouloir lutter contre ce que Dieu nous destine. Mais ces mêmes personnes courent aux remèdes même les plus ridicules, quand le mal qu’ils avaient négligé approche. »


6 – Je n’ai pas pu retrouver la référence sur le web. Probablement en mars 2020.


7 – Dans sa tribune « Le passe sanitaire, danger pour les libertés ? L’intérêt général a aussi ses droits », Le Figarodu 8 août 2021 https://www.lefigaro.fr/vox/societe/jean-eric-schoettl-le-passe-sanitaire-danger-pour-les-libertes-l-interet-general-a-aussi-ses-droits-20210802


8 – Une rapide recherche sur le web au sujet de cette proposition ou des propositions voisines ne m’a donné que peu de résultats. On pourra se référer notamment à un article de Vincent Gérard dans L’Oise matin du 7 juillet https://www.oisehebdo.fr/2021/08/07/opinion-la-vaccination-devrait-etre-obligatoire-pour-les-profs-des-la-rentree/